Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à RFI le 21 septembre 2006, sur le rôle des militaires français dans le maintien de la paix dans le monde, notamment au Liban, en Afghanistan et en Côte d'Ivoire.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

PHILIPPE LEYMARIE
Madame la Ministre, bonjour.
MICHELE ALLIOT-MARIE
Bonjour.
Vous revenez du Liban, on le sait, où se déploie le contingent français de la FINUL dite renforcée. Alors est-ce que vous l'avez d'abord trouvée crédible ?
Oui. Le nombre d'hommes qui seront sur le terrain, le nombre de pays qui ont décidé de participer à la FINUL et les moyens qui lui sont donnés, moyens matériels et moyens juridiques, la rendent crédible. D'ores et déjà, il y a plus de 7 500 soldats que les pays européens ont décidé d'envoyer au Sud Liban. Parallèlement, nous voyons un grand nombre de pays non européens manifester aussi leur soutien à la paix et à la stabilisation du Liban. Et parmi ceux-ci, encore tout récemment, la Chine qui a décidé d'envoyer un contingent important. Il y a un consensus international et c'est un élément de la crédibilité de la solution actuelle.
Et ces forces auront le droit de tirer, de passer en force, un mandat robuste donc.
Vous le savez, j'étais extrêmement réticente que des militaires français puissent s'engager dans les conditions dans lesquelles s'engagent habituellement les forces de l'ONU, notamment en raison de l'inefficacité, dans un certain nombre de cas, de ces forces lorsqu'elles ne peuvent pas répliquer à des provocations. Nous en avons-nous-mêmes payé chèrement le prix, que ce soit en ex-Yougoslavie ou que ce soit aussi, d'une certaine façon, en Côte d'Ivoire puisque je considère pour ma part, que c'est largement parce que les forces de l'ONUCI ont laissé se faire les provocations de l'armée gouvernementale qui a violé l'espace qui devait être démilitarisé, qu'il y a eu les tirs qui ont coûté la vie de neuf militaires français. Donc cette fois-ci, il n'en était pas question. L'ONU a effectivement précisé, d'une part, les missions de la force dans le détail et a accepté qu'il y ait des moyens matériels lourds, dont en particulier les chars Leclerc, et a accepté d'autre part, que sur le plan juridique, ces forces aient le droit de tirer et de tirer à balle réelle. Parce qu'on ne le sait pas toujours, mais dans le cadre habituel, les forces de l'ONU n'ont pas le droit de tirer à balle réelle même quand on leur tire dessus. Ce qui est vraiment un comble.
Alors tout de même personne n'est mandaté ou ne se sent capable de désarmer un des belligérants locaux, c'est-à-dire du côté libanais, la milice Hezbollah. Est-ce que le problème ne va pas rester entier ?
Ce n'est pas comme cela que se pose le problème. Il n'y pas d'Etat qui soit souverain sur son territoire si son armée n'a pas le monopole de la force. Et c'est bien la raison pour laquelle, au Liban, il y avait jusqu'à ces derniers jours un problème puisque lorsque l'armée libanaise s'est installée dans le Sud du pays, elle y est revenait pour la première fois depuis 40 ans. C'est donc une avancée considérable vers le retour à la pleine souveraineté de l'Etat libanais. Ce qui veut effectivement dire que pour l'Etat libanais, il ne doit pas y avoir de milices qui détiennent parallèlement des armes. Aujourd'hui, c'est pour l'Etat libanais que se pose le problème du Hezbollah qui est effectivement armé. Mais il faut bien voir, dans le même temps, que le Hezbollah est présent au sein du gouvernement, au sein du Parlement, dans les municipalités, et qu'il y a donc de sa part aussi probablement l'envie ou l'intention de participer au fonctionnement d'un Etat normal et souverain sur la totalité du pays. C'est effectivement à l'Etat libanais de régler ce problème, si possible par la discussion, le Hezbollah étant également partie prenante du fonctionnement de l'Etat, et le cas échéant, par le biais de l'armée libanaise. Mais ce n'est en aucun cas une mission de la FINUL.
Madame la Ministre, vous ne cessez de rendre visite aux quatre coins du monde à ces soldats français en intervention extérieure, et il y en a pas mal, continuons rapidement le tour. L'Afghanistan, ça ne se passe pas trop bien, l'OTAN demande des renforts, elle demande des renforts l'organisation transatlantique, elle ne les obtient pas apparemment, est-ce que la France va faire un geste de plus, elle a déjà pas mal donné là bas ?
La France est responsable de l'ensemble du secteur de Kaboul ; nous avons accepté cette responsabilité et nous en assurons le commandement. Nous avons d'ailleurs renforcé nos moyens il y a quelques mois lorsque nous avons pris ce commandement. Aujourd'hui, la situation sur Kaboul est stabilisée mais extrêmement fragile. Il y a encore eu un attentat la semaine dernière et c'est là que nous mobilisons l'ensemble de nos forces. Il n'est pas question que nous puissions ôter une partie de nos forces de Kaboul pour les mettre dans le Sud de l'Afghanistan. Je pense que d'autres pays peuvent sans doute le faire. N'oublions pas que nous sommes effectivement, comme vous venez de le rappeler, présents sur un très grand nombre de théâtres extérieurs et que le Liban est le dernier de ce théâtre. Nous y sommes présents d'une façon importante, avec des matériels importants. Je pense que d'autres pays qui sont peut-être moins engagés auraient la possibilité de participer à ce renforcement.
Alors autre théâtre et vous y faisiez allusion tout à l'heure, la Côte d'Ivoire. Blocage politique à nouveau là bas, il paraît même que les casques bleus pourraient commencer à décrocher. Est-ce que les Français, LICORNE, doivent rester ?
Nous sommes en Côte d'Ivoire en soutien de la force des Nations unies. Et nous sommes là aussi parce que l'on nous a dit que les différents pays participants n'acceptaient de faire cette mission d'interposition entre les parties belligérantes qu'à la condition que la France soit présente et ce, de façon significative. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut effectivement dire que si nous nous retirions, il est probable qu'une bonne partie des contingents qui composent cette force de l'ONU, se retirerait également.
Donc pas question de partir ?
Pour l'instant, il y a une résolution de l'ONU et la France remplit les responsabilités qu'elle a acceptées dans le cadre de cette résolution. C'est à l'ONU de faire respecter ces résolutions.
Alors on n'a pas cité tout bien sûr, mais ça fait du monde dehors, beaucoup de soldats français en opération extérieure, est-ce que les forces françaises se sont pas un peu trop sollicitées ?
Grâce au redressement de la défense que nous avons pu effectuer depuis quatre ans à travers la loi de programmation militaire qui, je le rappelle, avait été voulue par le président de la République, nous avons effectivement beaucoup de forces à l'extérieur.
C'est quasiment une nouvelle vocation.
Ce n'est pas une nouvelle vocation. C'est une responsabilité que nous assurons parce que la protection de nos concitoyens commence souvent loin de nos frontières. Nous n'aurons pas le temps d'en développer les mécanismes, mais je peux vous le garantir. Aujourd'hui, nous pouvons effectivement avoir 16 000 hommes en permanence à l'extérieur et le supporter parfaitement. Nous pourrions sans doute, si c'était nécessaire, faire encore probablement une ou deux petites opérations. Je vous rappelle qu'il y a maintenant un peu plus de dix ans, lors de la première guerre d'Irak, nous avions envoyé moins de 10 000 hommes et que nous étions incapables d'en assurer la relève au bout de quatre mois. Nous voyons là à la fois, les résultats de la professionnalisation de nos armées et de la loi de programmation militaire qui a été intégralement respectée. C'est bien pour cela que je me suis battue depuis maintenant bientôt cinq ans, pour permettre de donner à nos forces et à nos hommes, les moyens d'effectuer leur mission.
Vous ne craigniez pas que les échéances électorales prochaines compromettent un petit peu cet effort ?
Ce serait de l'irresponsabilité totale de la part de ceux qui prendraient la responsabilité de faire ce genre de choix. Nous le voyons bien, nous sommes dans un monde qui est de plus en plus dangereux. Tout ceci peut avoir des conséquences considérables sur notre vie, sur notre pays, sur l'équilibre de la planète. Cela implique que l'on continue de faire l'effort nécessaire pour donner à nos armées les moyens de remplir leur mission, c'est-à-dire de protéger nos citoyens. D'ailleurs, ce que je note, c'est que lorsqu'on les interroge, les Français disent à plus de 80 % qu'ils estiment que le budget de la Défense est un budget parfaitement proportionné aux risques. Il y en a même environ un quart qui pense qu'il faudrait faire un effort supplémentaire.
Alors tout va bien, merci Madame la Ministre, bonne journée.
Bonne journée à vous.Source http://www.defense.gouv.fr, le 4 octobre 2006