Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Paris Normandie" du 26 octobre 2006, sur la proposition de S. Royal de créer des jurys citoyens, la sécurité dans les banlieues et sur la carte scolaire.

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Média : Paris Normandie

Texte intégral

Q - Que pensez-vous de la proposition de Ségolène Royal de créer des jurys citoyens ?
François Bayrou : « C'est une idée qui paraît sympathique et quand on y réfléchit, c'est une idée terriblement dangereuse. Faire des jurys de citoyens tirés au sort, cela veut dire qu'un jour on exigera des jurys d'élèves tirés au sort pour les professeurs, des jurys de patients tirés au sort pour les médecins. Il y a dans cette vision de la société un « tous coupables ». Il y a une manière de répandre un soupçon généralisé qui est exactement le contraire de ce qu'il faut suivre comme chemin : refonder la confiance.
Q - Il y aura un an demain, la mort de deux adolescents à Clichy-sous-Bois avait déclenché les émeutes qui ont secoué les banlieues. Les revendications des habitants de ces quartiers sont inchangées. Que leur proposez-vous ?
François Bayrou : « Les banlieues, c'est l'immense échec français parce que laisser se durcir des zones de non-droit et de désespérance, c'est pour notre pays un effroi. Ce qui est frappant dans les banlieues, c'est de voir que l'État a complètement disparu des endroits où ça va mal. En revanche, quand tout va bien comme dans le centre de Paris, les uniformes et les voitures avec gyrophares sont ultra-présents. Dans les banlieues, il est ultra absent à telle enseigne que dans certains quartiers, les CRS ont instruction de ne pas entrer et évidemment quand ils entrent, ils sont en situation de répression où de contrôle cinq ou six fois sur les mêmes personnes et cela crée des tensions extrêmes. Pour moi, il y a trois directions à suivre : remettre l'État, pas seulement l'État de police, mais l'État service public, l'État école respecté dans les banlieues. Deuxièmement, un travail en profondeur de mixité sociale avec l'effort de détruire les barres qui doivent l'être quand ce n'est pas aménageable. Mélanger les populations, faire que des situations moyennes et des réussites se trouvent mélangées avec des personnes en crise. Faire en sorte qu'on puisse proposer d'autres localisations de façon à ce qu'on puisse éviter que les ghettos ne soient trop affirmés.Troisièmement : l'école. C'est par l'école et la famille que cela passe. Un très grand nombre de familles sont sans repères face à l'éducation de leurs enfants ».
Q - Et la carte scolaire, vous qui avez été ministre de l'Éducation nationale, que pensez-vous du débat autour de sa suppression ou de son maintien ?
François Bayrou : « La carte scolaire, c'est dans cette logique-là. C'est à la fois l'État et l'école. La carte scolaire, c'est le pacte républicain qui dit : nous nous engageons à offrir les mêmes chances que vous habitiez le 7e arrondissement de Paris ou La Madeleine à Evreux. Pour donner la même chance à La Madeleine, il y a deux choses à faire : imposer le respect de la discipline scolaire dans ces établissements. Quand il y a une minorité d'élèves qui déstabilise une classe, ceux-là, il faut leur imposer une scolarité dans des établissements faits pour cela, avec des éducateurs et des pédagogies différentes. Il faut les exclure des établissements afin de rétablir le calme et le respect dans les établissements. C'est la raison pour laquelle les gens s'en vont. Deuxièmement, il faut dans ces établissements introduire des parcours d'excellence. Je suis partisan qu'on y accepte des classes de niveaux, pour que les meilleurs montrent qu'on peut y réussir et qu'on leur offre les mêmes options et des enseignants de qualité ».
Q - Croyez-vous que dans cette campagne présidentielle, le clivage droite-gauche pourra être dépassé ?
François Bayrou : « La situation de la planète menace l'espèce humaine si on ne fait pas attention. La dette écrase le pays. Quatre millions de Français sont dans l'exclusion. Les classes moyennes s'appauvrissent et il y a l'éducation, le grand sujet de la nation. Aucun de ces sujets ne peut plus être traité dans le cadre figé du clivage droite-gauche et c'est précisément le projet que je porte et auquel de plus en plus de Français sont sensibles. Les problèmes qui se posent à nous ne nous permettent plus ce luxe-là. Mon choix, c'est d'obliger à trouver une démarche nationale de rassemblement sur les sujets essentiels. Pourquoi est-ce nécessaire ? parce que même cinq ans - et les gouvernements durent rarement cinq ans - c'est trop court pour la politique du climat, pour la politique de la recherche, trop court pour la dette, trop court pour les banlieues. Nous devons aujourd'hui avoir une politique volontaire de plus longue durée qui puisse faire
travailler ensemble des sensibilités différentes ».
Propos recueillis par Christophe Préteux source http://www.udf.org, le 27 octobre 2006