Texte intégral
Q - Vladimir Poutine est donc désormais le président élu de la Russie. Est-ce que cette victoire au premier tour vous surprend ?
R - Pas réellement, c'était la seule question à vrai dire qui était posée, on savait qu'il allait être élu, tout avait été fait pour ça et en même temps il y a une participation tout à fait honorable au scrutin et un résultat qui est net, même si en même temps l'opposition communiste a fait un peu mieux que prévu. Mais c'est une élection au premier tour, ce qui est toujours quelque chose de très significatif et çà lui donne une légitimité tout à fait forte.
Q - C'est significatif du poids qu'il a en Russie ou de l'absence d'opposants ?
R - Un peu les deux, cependant, voilà un homme qui est élu au premier tour et donc qui peut bénéficier d'un soutien populaire tout à fait conséquent, ce qui doit lui permettre de bouger sur les deux terrains où on l'attend.
Q - Alors quels sont ces terrains, Pierre Moscovici ?
R - Le premier terrain, c'est bien entendu la Tchétchénie. Le Conseil européen de Lisbonne a rappelé ce que souhaitaient les Européens, c'est-à-dire qu'on en revienne à la raison, que la Russie tienne ses engagements, qu'on en finisse avec une politique brutale, indiscriminée qui touche profondément les opinions et qui fait un très grand nombre de victimes et puis qu'on aille vers la solution politique. Ca, c'est le premier devoir chronologique.
Q - Et pourquoi l'Europe serait plus entendue aujourd'hui qu'il y a quinze jours ou trois mois ?
R - Je crois qu'il n'est pas nécessaire de revenir en arrière sur ce qui s'est produit, sur de la façon dont Boris Eltsine a démissionné, la montée aussi en puissance de tout ce qui s'est passé concernant la Tchétchénie, qui a contribué à l'élection de Vladimir Poutine. Bon, maintenant il faut que les élections passées, cette ambiguïté sur l'usage qui était fait du conflit tchétchène cesse et que Vladimir Poutine s'empare de ce problème, comme il aurait dû, vous avez raison, le faire depuis bien longtemps. Mais on est obligé de constater qu'il ne l'a pas fait.
Q - Vous n'avez pas été assez convaincants, vous les Européens ?
R - Je crois qu'il y avait d'autres raisons pour lesquelles les Russes ne souhaitaient pas être convaincus.
Q - En tout cas, est-ce qu'on peut dire aujourd'hui que Poutine élu, les Européens sont presque soulagés et espèrent qu'il va maintenant être plus démocrate avec la Tchétchénie ?
R - Ce n'est pas exactement ça, je crois que maintenant nous renforçons encore notre demande instante pour que les engagements pris par la Russie soient tenus et pour qu'on trouve enfin une solution politique en Tchétchénie.
Q - Et si cela ne se produit pas ?
R - Ca doit se produire.
Q - Quel est le deuxième point sur lequel vous attendez, vous les Européens, Pierre Moscovici, de Vladimir Poutine ?
R - C'est le plus long terme, c'est peut-être moins spectaculaire, mais c'est encore plus fondamental, c'est la modernisation de la Russie, ce grand pays qui est aux frontières de l'Europe, qui doit y rester, parce que pour moi, la Russie n'est pas un pays européen, mais qui doit absolument évoluer, qui doit se moderniser, se réformer, s'intégrer dans l'économie mondiale, démocratiser enfin sa société, bâtir des structures politiques. Tout ça est à faire et Vladimir Poutine doit prouver qu'il n'est pas seulement le produit d'un système qui l'a fabriqué, à l'occasion d'ailleurs d'un conflit qui a été exploité, mais qu'il est véritablement un homme de faire capable bouger la Russie. C'est cela qu'on peut attendre de lui. Et s'il est capable effectivement de ramener la paix en Tchétchénie, s'il est capable de moderniser la Russie, alors cette élection sera un élan, sinon
Q - Est-ce que c'est cette élection qui peut faire gagner à Vladimir Poutine ses galons de démocrate aux yeux des Européens ?
R - Mais il les a d'un certain point de vue.
Q - D'un certain point de vue.
R - D'un certain point de vue, il est légitimement élu, c'est clair. Donc ce n'est pas seulement ça, ce qu'il s'agit de faire, ce n'est pas de contester cette élection, elle est tout à fait légitime : voilà un dirigeant légitimement élu et fortement élu. Il s'agit d'aller vers plus de démocratie, plus de structures démocratiques, une vie politique qui corresponde tout à fait à ce que nous faisons et que ça permette de moderniser la Russie en profondeur, y compris du point de vue des structures économiques.
Q - Est-ce que Vladimir Poutine vis-à-vis de l'Europe bénéficiera d'un état de grâce, de quelques mois d'attente avant que vous soyez peut-être plus critiques ?
R - Nous allons très vite prendre contact avec lui maintenant qu'il est élu.
Q - Les relations bilatérales avec les Russes sont restées en l'état ces derniers mois, alors qu'elles étaient gelées avec l'Autriche après la participation de l'extrême droite au gouvernement. Comment est-ce que vous expliquez, Pierre Moscovici, cette différence de traitement ?
R - Je crois par une raison extrêmement simple, même si tout le monde ne la comprend pas, l'Autriche est un pays de l'Union européenne. Quand nous parlons de la Russie, même quand nous parlons de la Tchétchénie, c'est assez compliqué parce que nous parlons de quelque chose qui nous choque très profondément, cette situation en Tchétchénie et puis en même temps il y a quelque chose qui se déroule sur le territoire d'un Etat souverain, mais personne ne conteste cela, un Etat souverain qui nous est extérieur. Alors que l'Autriche, c'est autre chose. Nous sommes-là dans l'Union européenne et nous partageons une communauté de valeurs, nous partageons des engagements et c'est donc là quelque chose qui se déroule, si j'ose dire, dans notre politique intérieure, parce que pour moi, l'Europe aujourd'hui c'est au moins autant de la politique intérieure que de la politique étrangère.
Q - Alors à Lisbonne, ça s'est passé comment, ça s'est passé différemment de ce qui s'était passé au précédent sommet, par exemple à Helsinki avec les Autrichiens ?
R - C'est très clair, à Helsinki, ce gouvernement n'était pas encore formé et il y avait eu, je crois, dans les couloirs quelques mises en garde qui avaient été faites à M. Schüssel, mais M. Schüssel était tout à fait là parmi ses pères.
Q - Mais vous par exemple, vous avez rencontré votre homologue autrichien à Lisbonne ?
R - Je n'ai pas d'homologue autrichien, je veux dire par chance, mais j'en ai eu longtemps, c'était Mme Ferrero-Waldner, qui est aujourd'hui ministre des Affaires étrangères et qui suit aussi les Affaires européennes.
Q - Est-ce que vous l'avez vu en tête à tête ?
R - Non, non.
Q - Même d'une façon informelle ?
R - Non, non, absolument pas. Ce que je veux dire, c'est que finalement qu'est-ce qui s'est passé à Lisbonne par rapport à l'Autriche ? Cà a été, je dirais, froid. Je crois que les Quatorze ont manifesté clairement à l'Autriche qu'ils voulaient continuer leur politique de sanction ni plus ni moins, qu'il ne s'agissait pas de boycotter la société autrichienne, qu'il ne s'agissait pas d'isoler la société autrichienne, mais qu'on ne pouvait toujours pas considérer que cette situation était une situation ordinaire pour l'Union européenne. Bon, en même temps, l'Autriche est là, l'Autriche est membre de l'Union européenne.
Q - Elle était même sur la photo.
R - Oui, mais c'est assez logique, l'Autriche est membre de l'Union européenne et les sanctions qui ont été prises ne sont pas des sanctions au niveau de l'Union européenne mais des sanctions bilatérales, celles-là continuent. Et par exemple quand M. Schüssel a voulu expliquer ce qui était sa politique et son attitude, une seule personne lui a répondu, le président de l'Union européenne, Antonio Guterres au nom des Quatorze et le front des Quatorze tient.
Q - Et il tiendra longtemps encore ou il va se banaliser ?
R - Il tiendra.
Q - Pierre Moscovici, sur le fond à Lisbonne les Quinze ont parlé à la fois de modernisation, modernisation de l'économie à travers les services publics, la libéralisation de l'économie et objectif plein emploi pour l'horizon 2010. Ce matin, certaines voix disent que ces deux stratégies sont peu compatibles ?
R - Moi, je ne vois pas d'opposition. Je crois que l'intérêt de ce sommet de Lisbonne, c'est que justement ça a été un sommet global, je dirais qui a voulu articuler trois terrains. Le premier, c'est la politique macro-économique, la politique pour l'emploi, avec l'objectif effectivement du plein emploi en 2010, avec aussi et c'est très important, c'est la France qui l'a demandé, l'objectif d'une croissance d'au moins 3 % par an, parce qu'elle est nécessaire pour permettre le retour au plein emploi, avec le renforcement des outils de coordination macro-économique que nous avons mis en place avec l'euro, ça c'est le premier terrain.
Q - Mais quand on renforce la coordination macro-économique, est-ce que c'est dans un sens plus libéral ?
R - Alors le deuxième terrain, ce sont les réformes économiques pour aller vers ce qu'on appelle la nouvelle économie et de ce point de vue là, il y a toute une série de réformes qui sont des réformes, j'allais dire tout à fait volontaristes aussi, aller vers un brevet communautaire en 2001, c'est plutôt du volontarisme ; équiper toutes les écoles, les raccorder à Internet d'ici à 2001, c'est aussi plutôt volontariste et puis c'est vrai, il y a eu un débat sur la libéralisation des services publics et nous, le président de la République et le Premier ministre, au nom de la France, nous avons fait valoir qu'il y avait une différence à faire entre certains secteurs où l'économie est totalement instantanée, c'est la nouvelle économie, comme les télécommunications par exemple et d'autres où on pouvait prendre davantage de temps, je pense aux transports et à l'énergie et aussi où la place du service public était plus importante.
Q - Reste que l'objectif est quand même d'accélérer la libéralisation du secteur des transports, de l'énergie, des services postaux.
R - Mais en même temps, c'est à la Commission de nous dire comment on peut faire et nous, nous avons accepté cela sous réserve, encore une fois, d'inventaire. C'est vrai qu'il y a eu un débat là-dessus, c'est vrai que les Français ont pris un peu la tête de la défense des services d'intérêt général, comme on dit en Europe. Enfin, il y a ce deuxième volet qui est l'aspect réformes économiques et c'est très important car nous devons prendre tout à fait le pas, mettre le pied dans cette nouvelle économie fondée sur les technologies de l'avenir.
Q - Les Français ont pris la tête de cette argumentation, Pierre Moscovici, ou vous êtes les seuls contre tous ?
R - Non, non, ils ont pris la tête et nous avons eu quelques soutiens.
Q - Lesquels ?
R - ... Je pense par exemple aux Allemands, aux Danois, c'était plus équilibré qu'on pouvait le penser, mais c'est vrai que les Espagnols, les Anglais, d'un certain point de vue les Italiens ont été plus allants sur ces sujets-là. Bon, mais en même temps, ça c'est la règle européenne. Et puis le troisième terrain, ne l'oublions pas, c'est tout ce qui concerne la cohésion sociale. Donc politique macro-économique, réformes économiques, cohésion sociale, avec notamment la proposition française d'un agenda social qui récapitule toutes les politiques sociales, qui fixe les objectifs en matière sociale et aussi une autre proposition française qui est à cheval sur le social et l'économique, qui concerne la mise en place d'une Europe de la connaissance, d'une Europe qui soit capable d'organiser la mobilité des chercheurs, la mobilité des savoirs, la mobilité des étudiants, d'harmoniser les diplômes pour faire en sorte que le marché intérieur européen ne soit pas qu'un marché de marchandises ou de services, mais aussi un marché de la matière grise, un marché des Hommes.
Q - Deux points encore sur ce sujet, Pierre Moscovici, est-ce que ce n'est pas un peu dangereux de tout miser ou de miser tant plutôt sur la nouvelle économie, sur les activités liées à Internet avec cet objectif de plein emploi ? Est-ce que vraiment Internet est la solution miracle à la baisse du taux de chômage en Europe ?
R - Non sans doute pas. Moi, je suis par exemple élu d'une région de vieille industrie, le pays de Montbéliard dans l'Est de la France et je crois qu'il est très important aussi que l'économie secondaire, comme on disait jadis, l'industrie demeure extrêmement forte. Non, tout n'est pas sur la nouvelle économie...
Q - C'est l'impression que cela donne, hein, quand même.
R - ... Non, encore une fois, c'est équilibré entre trois points : la politique macro-économique qui reste, encore une fois, fondée sur les données réelles de nos économies telles que nous les connaissons. L'innovation et les réformes et puis enfin la cohésion sociale. Mais on comprend pourquoi ce premier sommet de la nouvelle économie a mis l'accent sur cet aspect là.
Q - Alors quant on lit le texte final, à propos notamment de l'emploi, de l'aspect social, on lit par exemple qui a été épinglée par beaucoup : "les régimes de protection sociale doivent être adaptés pour qu'ils soient financièrement intéressant de travailler". Est-ce que ce n'est pas une des thèses de Tony Blair, là, qui est avalisée y compris par Lionel Jospin, alors qu'il y a quelques mois encore ce genre de propos faisaient débat au sein de la famille européenne ?
R - La rédaction, c'est vrai, peut être ambiguë et comme ça elle sonne d'inspiration britannique et en même temps que les régimes de retraite doivent être adaptés, personne ne le conteste. Le sens dans lequel on les adapte, je crois que Lionel Jospin a donné il y a une semaine le sens de la réforme et pour ce qui nous concerne, c'est la retraite par répartition qui reste le fondement absolu de nos régimes de retraite et tout ce qui concerne les fonds de pension a été reporté.
Q - Ca, c'est pour la retraite, mais pour l'incitation au retour à l'emploi, Tony Blair a des positions qui, je crois, vont dans le sens de la France ?
R - Vous savez, nous avons nous-mêmes pris une loi contre les exclusions et Lionel Jospin ne cesse depuis trois ans d'expliquer que l'objectif, c'était bien le retour au travail et que nous ne devions en aucun cas encourager ce qu'on appelle les trappes à pauvreté, non, tout à fait. C'est aussi notre orientation même si nous la manifestons de façon tout à fait différente de Tony Blair.
Q - Ce pacte de Lisbonne pour l'emploi n'est pas le pacte de Lisbonne blairiste...
R - Non, absolument pas.
Q - ... Avec un Lionel Jospin, un gouvernement français qui finalement s'y raccroche, c'est que dit par exemple Jean-Louis Debré ce matin ?
R - Oui, mais enfin M. Jean-Louis Debré voit midi à sa porte et essaie de tirer ce sommet vers ses intérêts ou plutôt contre le gouvernement, oubliant peut-être que le président de la République en a été un des grands artisans. Non, je crois que c'est un sommet, encore une fois, équilibré et que nos thèses, notamment concernant l'agenda social européen, concernant l'objectif de 3 %, concernant l'Europe de la connaissance, concernant le brevet communautaire, ces thèses sont très largement représentées et elles ont pesé et la présidence portugaise a joué ça de façon très intelligente. Il y a là une synthèse dans laquelle nous nous reconnaissons.
Q - Et les Français prendront la main dans trois mois maintenant...
R - Le 1er juillet.
(...)./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 2000)
R - Pas réellement, c'était la seule question à vrai dire qui était posée, on savait qu'il allait être élu, tout avait été fait pour ça et en même temps il y a une participation tout à fait honorable au scrutin et un résultat qui est net, même si en même temps l'opposition communiste a fait un peu mieux que prévu. Mais c'est une élection au premier tour, ce qui est toujours quelque chose de très significatif et çà lui donne une légitimité tout à fait forte.
Q - C'est significatif du poids qu'il a en Russie ou de l'absence d'opposants ?
R - Un peu les deux, cependant, voilà un homme qui est élu au premier tour et donc qui peut bénéficier d'un soutien populaire tout à fait conséquent, ce qui doit lui permettre de bouger sur les deux terrains où on l'attend.
Q - Alors quels sont ces terrains, Pierre Moscovici ?
R - Le premier terrain, c'est bien entendu la Tchétchénie. Le Conseil européen de Lisbonne a rappelé ce que souhaitaient les Européens, c'est-à-dire qu'on en revienne à la raison, que la Russie tienne ses engagements, qu'on en finisse avec une politique brutale, indiscriminée qui touche profondément les opinions et qui fait un très grand nombre de victimes et puis qu'on aille vers la solution politique. Ca, c'est le premier devoir chronologique.
Q - Et pourquoi l'Europe serait plus entendue aujourd'hui qu'il y a quinze jours ou trois mois ?
R - Je crois qu'il n'est pas nécessaire de revenir en arrière sur ce qui s'est produit, sur de la façon dont Boris Eltsine a démissionné, la montée aussi en puissance de tout ce qui s'est passé concernant la Tchétchénie, qui a contribué à l'élection de Vladimir Poutine. Bon, maintenant il faut que les élections passées, cette ambiguïté sur l'usage qui était fait du conflit tchétchène cesse et que Vladimir Poutine s'empare de ce problème, comme il aurait dû, vous avez raison, le faire depuis bien longtemps. Mais on est obligé de constater qu'il ne l'a pas fait.
Q - Vous n'avez pas été assez convaincants, vous les Européens ?
R - Je crois qu'il y avait d'autres raisons pour lesquelles les Russes ne souhaitaient pas être convaincus.
Q - En tout cas, est-ce qu'on peut dire aujourd'hui que Poutine élu, les Européens sont presque soulagés et espèrent qu'il va maintenant être plus démocrate avec la Tchétchénie ?
R - Ce n'est pas exactement ça, je crois que maintenant nous renforçons encore notre demande instante pour que les engagements pris par la Russie soient tenus et pour qu'on trouve enfin une solution politique en Tchétchénie.
Q - Et si cela ne se produit pas ?
R - Ca doit se produire.
Q - Quel est le deuxième point sur lequel vous attendez, vous les Européens, Pierre Moscovici, de Vladimir Poutine ?
R - C'est le plus long terme, c'est peut-être moins spectaculaire, mais c'est encore plus fondamental, c'est la modernisation de la Russie, ce grand pays qui est aux frontières de l'Europe, qui doit y rester, parce que pour moi, la Russie n'est pas un pays européen, mais qui doit absolument évoluer, qui doit se moderniser, se réformer, s'intégrer dans l'économie mondiale, démocratiser enfin sa société, bâtir des structures politiques. Tout ça est à faire et Vladimir Poutine doit prouver qu'il n'est pas seulement le produit d'un système qui l'a fabriqué, à l'occasion d'ailleurs d'un conflit qui a été exploité, mais qu'il est véritablement un homme de faire capable bouger la Russie. C'est cela qu'on peut attendre de lui. Et s'il est capable effectivement de ramener la paix en Tchétchénie, s'il est capable de moderniser la Russie, alors cette élection sera un élan, sinon
Q - Est-ce que c'est cette élection qui peut faire gagner à Vladimir Poutine ses galons de démocrate aux yeux des Européens ?
R - Mais il les a d'un certain point de vue.
Q - D'un certain point de vue.
R - D'un certain point de vue, il est légitimement élu, c'est clair. Donc ce n'est pas seulement ça, ce qu'il s'agit de faire, ce n'est pas de contester cette élection, elle est tout à fait légitime : voilà un dirigeant légitimement élu et fortement élu. Il s'agit d'aller vers plus de démocratie, plus de structures démocratiques, une vie politique qui corresponde tout à fait à ce que nous faisons et que ça permette de moderniser la Russie en profondeur, y compris du point de vue des structures économiques.
Q - Est-ce que Vladimir Poutine vis-à-vis de l'Europe bénéficiera d'un état de grâce, de quelques mois d'attente avant que vous soyez peut-être plus critiques ?
R - Nous allons très vite prendre contact avec lui maintenant qu'il est élu.
Q - Les relations bilatérales avec les Russes sont restées en l'état ces derniers mois, alors qu'elles étaient gelées avec l'Autriche après la participation de l'extrême droite au gouvernement. Comment est-ce que vous expliquez, Pierre Moscovici, cette différence de traitement ?
R - Je crois par une raison extrêmement simple, même si tout le monde ne la comprend pas, l'Autriche est un pays de l'Union européenne. Quand nous parlons de la Russie, même quand nous parlons de la Tchétchénie, c'est assez compliqué parce que nous parlons de quelque chose qui nous choque très profondément, cette situation en Tchétchénie et puis en même temps il y a quelque chose qui se déroule sur le territoire d'un Etat souverain, mais personne ne conteste cela, un Etat souverain qui nous est extérieur. Alors que l'Autriche, c'est autre chose. Nous sommes-là dans l'Union européenne et nous partageons une communauté de valeurs, nous partageons des engagements et c'est donc là quelque chose qui se déroule, si j'ose dire, dans notre politique intérieure, parce que pour moi, l'Europe aujourd'hui c'est au moins autant de la politique intérieure que de la politique étrangère.
Q - Alors à Lisbonne, ça s'est passé comment, ça s'est passé différemment de ce qui s'était passé au précédent sommet, par exemple à Helsinki avec les Autrichiens ?
R - C'est très clair, à Helsinki, ce gouvernement n'était pas encore formé et il y avait eu, je crois, dans les couloirs quelques mises en garde qui avaient été faites à M. Schüssel, mais M. Schüssel était tout à fait là parmi ses pères.
Q - Mais vous par exemple, vous avez rencontré votre homologue autrichien à Lisbonne ?
R - Je n'ai pas d'homologue autrichien, je veux dire par chance, mais j'en ai eu longtemps, c'était Mme Ferrero-Waldner, qui est aujourd'hui ministre des Affaires étrangères et qui suit aussi les Affaires européennes.
Q - Est-ce que vous l'avez vu en tête à tête ?
R - Non, non.
Q - Même d'une façon informelle ?
R - Non, non, absolument pas. Ce que je veux dire, c'est que finalement qu'est-ce qui s'est passé à Lisbonne par rapport à l'Autriche ? Cà a été, je dirais, froid. Je crois que les Quatorze ont manifesté clairement à l'Autriche qu'ils voulaient continuer leur politique de sanction ni plus ni moins, qu'il ne s'agissait pas de boycotter la société autrichienne, qu'il ne s'agissait pas d'isoler la société autrichienne, mais qu'on ne pouvait toujours pas considérer que cette situation était une situation ordinaire pour l'Union européenne. Bon, en même temps, l'Autriche est là, l'Autriche est membre de l'Union européenne.
Q - Elle était même sur la photo.
R - Oui, mais c'est assez logique, l'Autriche est membre de l'Union européenne et les sanctions qui ont été prises ne sont pas des sanctions au niveau de l'Union européenne mais des sanctions bilatérales, celles-là continuent. Et par exemple quand M. Schüssel a voulu expliquer ce qui était sa politique et son attitude, une seule personne lui a répondu, le président de l'Union européenne, Antonio Guterres au nom des Quatorze et le front des Quatorze tient.
Q - Et il tiendra longtemps encore ou il va se banaliser ?
R - Il tiendra.
Q - Pierre Moscovici, sur le fond à Lisbonne les Quinze ont parlé à la fois de modernisation, modernisation de l'économie à travers les services publics, la libéralisation de l'économie et objectif plein emploi pour l'horizon 2010. Ce matin, certaines voix disent que ces deux stratégies sont peu compatibles ?
R - Moi, je ne vois pas d'opposition. Je crois que l'intérêt de ce sommet de Lisbonne, c'est que justement ça a été un sommet global, je dirais qui a voulu articuler trois terrains. Le premier, c'est la politique macro-économique, la politique pour l'emploi, avec l'objectif effectivement du plein emploi en 2010, avec aussi et c'est très important, c'est la France qui l'a demandé, l'objectif d'une croissance d'au moins 3 % par an, parce qu'elle est nécessaire pour permettre le retour au plein emploi, avec le renforcement des outils de coordination macro-économique que nous avons mis en place avec l'euro, ça c'est le premier terrain.
Q - Mais quand on renforce la coordination macro-économique, est-ce que c'est dans un sens plus libéral ?
R - Alors le deuxième terrain, ce sont les réformes économiques pour aller vers ce qu'on appelle la nouvelle économie et de ce point de vue là, il y a toute une série de réformes qui sont des réformes, j'allais dire tout à fait volontaristes aussi, aller vers un brevet communautaire en 2001, c'est plutôt du volontarisme ; équiper toutes les écoles, les raccorder à Internet d'ici à 2001, c'est aussi plutôt volontariste et puis c'est vrai, il y a eu un débat sur la libéralisation des services publics et nous, le président de la République et le Premier ministre, au nom de la France, nous avons fait valoir qu'il y avait une différence à faire entre certains secteurs où l'économie est totalement instantanée, c'est la nouvelle économie, comme les télécommunications par exemple et d'autres où on pouvait prendre davantage de temps, je pense aux transports et à l'énergie et aussi où la place du service public était plus importante.
Q - Reste que l'objectif est quand même d'accélérer la libéralisation du secteur des transports, de l'énergie, des services postaux.
R - Mais en même temps, c'est à la Commission de nous dire comment on peut faire et nous, nous avons accepté cela sous réserve, encore une fois, d'inventaire. C'est vrai qu'il y a eu un débat là-dessus, c'est vrai que les Français ont pris un peu la tête de la défense des services d'intérêt général, comme on dit en Europe. Enfin, il y a ce deuxième volet qui est l'aspect réformes économiques et c'est très important car nous devons prendre tout à fait le pas, mettre le pied dans cette nouvelle économie fondée sur les technologies de l'avenir.
Q - Les Français ont pris la tête de cette argumentation, Pierre Moscovici, ou vous êtes les seuls contre tous ?
R - Non, non, ils ont pris la tête et nous avons eu quelques soutiens.
Q - Lesquels ?
R - ... Je pense par exemple aux Allemands, aux Danois, c'était plus équilibré qu'on pouvait le penser, mais c'est vrai que les Espagnols, les Anglais, d'un certain point de vue les Italiens ont été plus allants sur ces sujets-là. Bon, mais en même temps, ça c'est la règle européenne. Et puis le troisième terrain, ne l'oublions pas, c'est tout ce qui concerne la cohésion sociale. Donc politique macro-économique, réformes économiques, cohésion sociale, avec notamment la proposition française d'un agenda social qui récapitule toutes les politiques sociales, qui fixe les objectifs en matière sociale et aussi une autre proposition française qui est à cheval sur le social et l'économique, qui concerne la mise en place d'une Europe de la connaissance, d'une Europe qui soit capable d'organiser la mobilité des chercheurs, la mobilité des savoirs, la mobilité des étudiants, d'harmoniser les diplômes pour faire en sorte que le marché intérieur européen ne soit pas qu'un marché de marchandises ou de services, mais aussi un marché de la matière grise, un marché des Hommes.
Q - Deux points encore sur ce sujet, Pierre Moscovici, est-ce que ce n'est pas un peu dangereux de tout miser ou de miser tant plutôt sur la nouvelle économie, sur les activités liées à Internet avec cet objectif de plein emploi ? Est-ce que vraiment Internet est la solution miracle à la baisse du taux de chômage en Europe ?
R - Non sans doute pas. Moi, je suis par exemple élu d'une région de vieille industrie, le pays de Montbéliard dans l'Est de la France et je crois qu'il est très important aussi que l'économie secondaire, comme on disait jadis, l'industrie demeure extrêmement forte. Non, tout n'est pas sur la nouvelle économie...
Q - C'est l'impression que cela donne, hein, quand même.
R - ... Non, encore une fois, c'est équilibré entre trois points : la politique macro-économique qui reste, encore une fois, fondée sur les données réelles de nos économies telles que nous les connaissons. L'innovation et les réformes et puis enfin la cohésion sociale. Mais on comprend pourquoi ce premier sommet de la nouvelle économie a mis l'accent sur cet aspect là.
Q - Alors quant on lit le texte final, à propos notamment de l'emploi, de l'aspect social, on lit par exemple qui a été épinglée par beaucoup : "les régimes de protection sociale doivent être adaptés pour qu'ils soient financièrement intéressant de travailler". Est-ce que ce n'est pas une des thèses de Tony Blair, là, qui est avalisée y compris par Lionel Jospin, alors qu'il y a quelques mois encore ce genre de propos faisaient débat au sein de la famille européenne ?
R - La rédaction, c'est vrai, peut être ambiguë et comme ça elle sonne d'inspiration britannique et en même temps que les régimes de retraite doivent être adaptés, personne ne le conteste. Le sens dans lequel on les adapte, je crois que Lionel Jospin a donné il y a une semaine le sens de la réforme et pour ce qui nous concerne, c'est la retraite par répartition qui reste le fondement absolu de nos régimes de retraite et tout ce qui concerne les fonds de pension a été reporté.
Q - Ca, c'est pour la retraite, mais pour l'incitation au retour à l'emploi, Tony Blair a des positions qui, je crois, vont dans le sens de la France ?
R - Vous savez, nous avons nous-mêmes pris une loi contre les exclusions et Lionel Jospin ne cesse depuis trois ans d'expliquer que l'objectif, c'était bien le retour au travail et que nous ne devions en aucun cas encourager ce qu'on appelle les trappes à pauvreté, non, tout à fait. C'est aussi notre orientation même si nous la manifestons de façon tout à fait différente de Tony Blair.
Q - Ce pacte de Lisbonne pour l'emploi n'est pas le pacte de Lisbonne blairiste...
R - Non, absolument pas.
Q - ... Avec un Lionel Jospin, un gouvernement français qui finalement s'y raccroche, c'est que dit par exemple Jean-Louis Debré ce matin ?
R - Oui, mais enfin M. Jean-Louis Debré voit midi à sa porte et essaie de tirer ce sommet vers ses intérêts ou plutôt contre le gouvernement, oubliant peut-être que le président de la République en a été un des grands artisans. Non, je crois que c'est un sommet, encore une fois, équilibré et que nos thèses, notamment concernant l'agenda social européen, concernant l'objectif de 3 %, concernant l'Europe de la connaissance, concernant le brevet communautaire, ces thèses sont très largement représentées et elles ont pesé et la présidence portugaise a joué ça de façon très intelligente. Il y a là une synthèse dans laquelle nous nous reconnaissons.
Q - Et les Français prendront la main dans trois mois maintenant...
R - Le 1er juillet.
(...)./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mars 2000)