Texte intégral
Nous sommes effectivement avec Dominique de Villepin, dans un lieu assez étrange pour une interview politique : nous sommes au cinquième étage du Centre Pompidou, dans les galeries d'art du début du XXe siècle, le centre qui fête aujourd'hui même ses 30 ans, jour pour jour. Alors que faisiez-vous, Dominique de Villepin, le 31 janvier 1977 ?
Eh bien, je démarrais mon service militaire et je m'apprêtais à partir dans l'océan Indien sur un porte-avions pour défendre l'indépendance de Djibouti.
Loin, donc très loin de l'art et des musées. Le musée est désert là, on a cette chance immense, le privilège de pouvoir le visiter. Atmosphère assez particulière que de voir ces chefs-d'oeuvre silencieux qui nous entourent, cela vous inspire quoi ?
Eh bien ils parlent, même quand ils sont au petit matin et ce qui est merveilleux c'est ce dialogue qu'ils entretiennent les uns avec les autres. Avec les arts en général, on retrouve combien d'influences, combien d'échos avec la littérature, avec la vie. Chacun de ces tableaux à une histoire, celle de son auteur bien sûr ! Mais elle s'inscrit dans la grande histoire, on voit bien qu'elle colle à chacun de ces tableaux.
On a des parenthèses comme ça, Dominique de Villepin, de silence et de recueillement quand on gouverne, ou c'est rare ?
Il faut se les offrir et c'est tout le sens de pouvoir écrire le matin tôt ou tard le soir, de pouvoir se donner le plaisir de la peinture. On a besoin de faire le plein, on a besoin ...
D'écrire quoi ?
Oh, écrire des choses littéraires, historiques, peu importe, mais on a besoin de se retrouver et on a besoin de se confronter à la beauté. Ce n'est pas, malheureusement, la vie quotidienne qui vous apporte cette énergie, cette force. Donc, la force de l'art, eh bien elle est là, et c'est merveilleux de pouvoir, dans un lieu comme Beaubourg, recharger les batteries.
Alors on va déambuler dans les galeries ; nouvelles galeries, nouvel accrochage également pour le 30e anniversaire du Centre Pompidou. On va s'arrêter devant des toiles, Dominique de Villepin, devant des sculptures. Et on commence avec Robert Delaunay, peinture abstraite, explosion de formes géométriques, de couleurs vives, cela s'intitule " Joie de vivre " beau programme non ?
C'est un merveilleux programme. On voit bien, au lendemain de la guerre cette terrible grande guerre qui avait tellement marqué les coeurs et les esprits à quel point l'art se libère, l'art s'ouvre et veut saisir toute la force, toute la joie, toute la beauté du monde. Et là, il y a d'ailleurs un dialogue très fort de Delaunay avec beaucoup d'autres peintres, avec des poètes aussi, très proches de lui - c'était le cas d'Apollinaire, c'est le cas de Blaise Cendrars qui fera avec Sonia Delaunay cette merveilleuse "Prose du Transsibérien", avec cette poésie simultanée, contrastée. Non, je crois qu'il y a un grand moment de l'art.
Vous la sentez la joie de vivre en France aujourd'hui ?
Je la sens qui revient, vous savez cela commence en général par les extrémités, des petites sensations, c'est des frémissements. Mais on sent que quelque chose bouge. Entre le moment où vous vous sentez mieux et le moment où réellement les choses vont mieux, il y a toujours un décalage. Je pense que, imperceptiblement il y a quelque chose qui change dans notre pays. D'ailleurs on le voit avec les résultats, la compétitivité, les chiffres du chômage, la volonté d'entreprendre des Français. Je crois que les Français relèvent la tête et veulent regarder vers l'avenir.
Mais on n'y est pas encore, dans la joie de vivre, quand même.
La joie de vivre, c'est un aboutissement.
Dans combien de temps ?
Il faut toujours un peu de temps et puis chacun va à son rythme. Je constate que les Français, dans leur vie personnelle, quand on leur demande comment ils se sentent, se sentent, eux, déjà marqués par cette joie de vivre. Ils sont plus réticents quand on les interroge sur l'ensemble des Français, sur les autres. Ils ne constatent pas la joie de vivre dans les yeux des autres, mais ils l'ont dans le coeur.
Et pour vous, Dominique de Villepin, joie de vivre ou pas, en ce moment, franchement ?
Elle est quotidienne, la joie de vivre. Vous savez, je crois que l'on ne fait rien sans appétit, sans enthousiasme. Alors, même quand on a par moment des inquiétudes, des interrogations, quand on a des défis à relever, eh bien il faut, justement, grâce à l'art, grâce aux autres, grâce aux rencontres, se redonner un peu le moral, le sens des choses et le goût de l'horizon. Parce que nous avançons tous vers quelque chose et il faut essayer de le saisir à pleine main.
Alors deuxième moment de cette visite guidée dans les collections du Centre Pompidou : on est dans une nouvelle salle consacrée à Georges Rouault et qui a cette particularité, Dominique de Villepin, de présenter, exclusivement des esquisses, des tableaux que Rouault ne voulait pas montrer, qui sont restés dans ses cartons, dans son atelier. Quel regard portez-vous sur ces oeuvres inachevées ?
Moi, je suis très sensible à l'art qui est en train de se faire. Il n'y a rien de plus merveilleux que de pouvoir entrer dans l'atelier d'un artiste et de le voir tâtonner, rechercher sur la toile, faire, défaire, on sent le repentir, la volonté d'aller de l'avant en permanence. Et c'est ce que l'on retrouve ici, chez Rouault, qui est un peintre qui est plein d'une humanité extraordinaire. Il a peint des clowns, il a peint des filles, il a peint des notables, il a peint des gens ordinaires de la vie quotidienne. Et il l'a fait avec ce talent d'homme du vitrail, en cernant en permanence ces personnages. C'est dire à quel point, il y a là une force, une gravité peut-être aussi ; c'est quelque chose qui nous interpelle, qui nous parle à chacun.
Qu'est-ce qu'une oeuvre inachevée en politique, Dominique de Villepin ?
Une oeuvre inachevée en politique, c'est une oeuvre qui a besoin des autres et qui a besoin de la vie pour se parfaire. Rien n'est jamais terminé en politique. Vous avancez au service de votre pays dans la lutte contre le chômage, on arrivera autour de 8 %, mais, bien sûr, nous savons tous qu'il faudra aller beaucoup plus loin. Donc, c'est à un moment donné, provoquer l'électrochoc. Engager votre volonté pour quelque chose devienne à nouveau possible. Quand je suis arrivé à Matignon, tout le monde s'accordait pour dire qu'il y avait une sorte de fatalité dans la lutte contre le chômage. Ce que je n'accepte pas, c'est l'idée qu'il n'y ait pas de nouvelles frontières à balayer, de nouvelles aventures à vivre et ce que je crois, être profondément dans le ressort français, c'est cette insatisfaction. Nous voulons constamment aller plus loin, nous voulons constamment faire mieux et je crois que ça, c'est au coeur de l'esprit français et nous devons le développer.
Vous pensez, vous, personnellement et très personnellement - regardez, on est dans le silence des oeuvres -que vous avez achevé votre oeuvre politique et votre destin politique ?
Je crois, pour reprendre une formule célèbre, "je voudrais faire mieux et j'aurais voulu faire mieux, mais je fais tout mon possible" - c'est le message qu'un grand explorateur français avait envoyé à l'académie des Sciences, alors qu'il était perdu dans les glaces du grand Nord. C'est, je crois, la vie, il faut savoir que nous ne sommes à un moment donné qu'une tentative, qu'un témoignage, qu'une énergie, qu'une volonté. Mais je crois que cette énergie, il faut la jouer à plein. Donc, le fait d'appartenir à une chaîne de bonne volonté, le fait, à un moment donné de se battre, le fait de montrer qu'on ne baisse pas les bras, je crois que ça c'est très important pour la vie collective. Et puis les Français le valent bien, les Français se donnent du mal, ce sont eux qui sont les premiers bénéficiaires du travail que nous faisons. Ce sont eux qui font baisser le chômage, ce sont eux qui font que notre pays est plus compétitif, ce sont eux qui font que notre pays aujourd'hui se veut à la pointe de la recherche, ce sont eux qui marquent des points sur la scène internationale. Donc cette reconnaissance, le fait d'avoir l'honneur, à un moment donné, d'être celui qui porte cela, celui qui donne le ton, c'est un immense honneur, mais il faut savoir que nous n'avons vocation qu'à passer. Nous n'avons vocation qu'à donner le meilleur de nous même et puis que d'autres, après nous viendront et auront à reporter et à avancer sur le chômage.
Vous avez employé un terme technique de peinture tout à l'heure, quand on était devant les toiles de Georges Rouault, c'est le repentir, c'est-à-dire le moment où l'artiste voit bien qu'il fait fausse route, il efface et il repeint par-dessus. Ça, c'est interdit en politique ?
C'est la magie de l'art, mais je ne crois pas. Je crois qu'on est trop pétri, parfois d'orgueil, mais je crois que le repentir est possible en politique et il faut avoir la force et le courage de le reconnaître. Quand on fait fausse route, quand on fait les choses trop vite ou trop tôt - c'est ce qui m'est arrivé avec le CPE -, il faut avoir le courage de dire que ce n'était pas la bonne voie, qu'il fallait sans doute faire autrement. Mais il faut surtout en tirer les conséquences ! Quand je lance le grand service public de l'orientation, pour faire que nos enfants puissent véritablement aller dans les directions qui sont celles qu'ils souhaitent et trouver un emploi, quand je lance la meilleure relation entre l'unité et l'emploi, je tire les conséquences de ce qui a été pour moi un échec. Mais je veux faire en sorte que d'un mal sorte un bien.
Suite de la visite guidée : nous sommes devant deux toiles de l'américain Jackson Pollock, des traits de peinture rageurs, une vraie colère picturale, Dominique de Villepin ; c'est aussi, dans l'histoire de l'art, le moment où Paris n'est plus capitale des arts, et donc capitale du monde. C'est New York maintenant !
Paris n'est pas seule, c'est vrai que New York, à cet instant là, avec toute cette école, l'impressionnisme abstrait, avec les Pollock, les Motherwell et les Rothko, mais aussi avec combien de peintres qui étaient de formation ou d'influence américaine - je pense à Roberto Matta, qui a joué un très grand rôle avec ces peintres là, je pense à Arshile Gorky... Eh bien la force de l'Europe, la force de notre pays reste présente dans l'art. Nous continuons à avoir quelque chose à dire, nous continuons à le dire, même si nous n'avons pas toujours les moyens, même si les peintres n'ont pas toujours les moyens de l'exprimer. C'est pour cela qu'il y a tant à faire pour avoir une politique qui encourage la création. Il ne faut pas l'oublier, la culture, on a longtemps pensé que c'était uniquement la diffusion,
Le supplément d'âme !
Oui, ou ce supplément d'âme qu'il s'agissait pour un artiste d'apporter. Mais l'art, c'est au départ une création. Il faut que cette création soit au rendez-vous, parce que c'est le miroir d'une époque ; c'est ce qui nous fait avancer, c'est ce qui nous fait douter aussi, c'est ce qui nous interpelle. Ce sont autant de questions qui nous aident à mieux vivre. Alors cela peut prendre ces formes magiques de Matisse, qui sont là-bas devant nous ; cela prend, cette question, parce que c'est ce hiératisme de Giacometti, cette "Femme assise", où l'on a le sentiment de quelques fils de fer qui s'enchevêtrent pour arriver à exprimer une femme, une femme sur une chaise, une femme privée de sa substance, une femme dont le trou est une sorte de vent. On sent l'histoire qui est passée par-là, on sent les drames des camps d'extermination.
Et on sent aussi la modestie, Dominique de Villepin, et la dignité d'une image très pauvre, mais c'est une richesse, d'être pauvre parfois, notamment pour une image. Qu'est-ce que cela vous évoque, quand on voit ces cultures si fragiles, dans une société qui est une société du spectacle aujourd'hui, une société de communication ?
C'est la magie de l'art, qui à partir de rien - ou presque rien - arrive à exprimer tous, nos émotions, la vie, la force et la magie de la vie, l'espoir aussi. On retrouve dans ce hiératisme, l'exigence de l'ascèse, une exigence de la sécheresse, ce qu'a inventé Saint-John-Perse. Nous sommes là justement à l'homme ramené à l'essentiel, un souffle d'âme qui suffit à habiter quelques linéaments de fer.
Il y a un "Pinocchio" de Giacometti là-bas aussi, ce n'est pas une image de l'homme politique qui ment et dont le nez s'allonge, s'allonge, s'allonge ?
Non, c'est bien plus que cela. C'est l'homme ramené à l'essentiel, c'est l'homme justement ramené à cette espèce de proéminence du nez, mais c'est l'homme dans sa vérité humaine, c'est l'homme dans sa vérité première, c'est l'homme dans sa vérité animale. Il y a là quelque chose de terrible, il y a un peu des écorchés que l'on retrouve chez Fautrier ou chez d'autres. Mais il y a cette interrogation sur l'homme en quête de lui-même. Sur l'homme qui est ramené à cette dure épreuve de la vie, qu'il faut vivre et habiter. Et grâce à l'art, nous la vivons mieux.
Dernière pièce de notre visite guidée, cette immense toile de Simon Hantaï ; elle est rose pastel quand on est loin, mais quand on s'approche, on voit des pattes de mouches, des lignes, et des lignes et de lignes infinies d'écriture, il a recopié des textes religieux et philosophiques. Travail inlassable qui vous inspire quoi ?
Eh bien, qui me touche beaucoup, parce que c'est le mariage de la peinture, de la calligraphie et effectivement, c'est cette écriture millénaire, cette écriture de la prière ; on retrouve aussi des signes - une croix, des taches - qui sont autant d'expressions de cette humanité qui passe et qui, en même temps, laisse ce message d'espoir, d'espérance, cette écriture qui en appelle à quelque chose d'autre, de plus grand que nous et qui, peut-être nous permet là aussi, tous, d'avancer avec un peu plus d'espoir.
Donc, métaphore de la politique ?
Non, tout n'est pas métaphore de la politique.
Retour donc au Centre Pompidou qui fête aujourd'hui même, jour pour jour son trentième anniversaire. Emission spéciale dans les 7-9.30 de France Inter, puisqu'on est avec Dominique de Villepin. Et depuis 8 heures 15 environ, on déambule au 5e étage du Centre Pompidou, devant les collections d'art moderne. Allez, avant de regagner le studio au 6e étage, Dominique de Villepin, un mot de cette toile,là, qui nous fait face, on la doit à Pierre Soulages.
Une toile merveilleuse et qui montre à quel point, avec quelle générosité, Pierre Soulages arrive avec ses noirs, avec ses ultra-noirs, avec ses brous de noir à faire exploser la lumière. C'est un peintre qui sera à l'honneur à la fin de la semaine, puisqu'il y aura l'inauguration du musée Fabre à Montpellier, une nouvelle occasion de fêter l'un des grands, grands artistes français et un homme merveilleux.
Et contrairement à ce que dit Johnny Halliday, "Noir c'est pas noir" hein quand on voit Soulages.
C'est vrai, au contraire, il arrive à la faire parler, on l'a vu à l'abbaye de Conques, comment il arrive à faire passer la lumière, à montrer la lumière et à montrer l'extrême diversité du noir, qui selon les heures de la journée, selon les expositions arrive à exprimer des sentiments et des images différentes.
Allez, on va monter au 6e étage, en continuant donc notre déambulation dans les galeries d'art moderne. Faites attention à la sculpture d'Etienne Marcel, qui est magnifique là, nous avons devant nous les toiles de Nicolas de Stael que je citais tout à l'heure pour Joël Collado pour décrire le ciel, alors oui, un Zao Wou Ki.
Un magnifique Zao Wou Ki, parce que c'est un Zao Wou Ki extrêmement précoce, du début des années 50, quand il est encore très imprégné de l'influence de Paul Klee, très marqué par l'influence de la Chine, son pays d'origine et peu à peu il va se dégager de tout cela pour écrire cette merveilleuse page de la peinture entre l'Orient et l'Occident avec des paysages extraordinaires qui reflètent à la fois la magie et la lumière encore, comme Pierre Soulages.
C'est,avec Soulages, l'un de vos peintres préférés ?
Oui, ce sont deux hommes qui s'estiment et qui s'aiment énormément, ce sont des compagnons de route. On a toujours plaisir à bavarder avec eux.
Bruno Racine, vous êtes le directeur du Centre Pompidou, président, oh, carrément, nous avons un Premier ministre et un président ce matin.
Bruno Racine : Chaque chose à sa place.
Bon anniversaire, donc 30 ans, le plus bel âge de la vie pour un centre comme celui-là ?
B.R. : C'est l'âge de la maturité et qui montre que le pari de Georges Pompidou a été tenu, c'est formidable.
Alors voilà, on est dans les escalators du Centre Pompidou, et vous entendez à nouveau, en boucle la musique lancinante de l'artiste suisse Pipilotti Rist, une musique absolument magnifique, sensuelle, aquatique, disais-je tout à l'heure et la projection pour les 30 ans du Centre Pompidou, la nuit sur le Parvis d'une oeuvre géante donc de cet artiste Pipilotti Rist. Voilà Paris devant nous, Dominique de Villepin, à nous deux Paris, est-ce que vous vous êtes déjà dit ça dans votre vie ?
Non, je ne me suis jamais dit ça, j'aime Paris tel qu'il est, on voit cette Tour Eiffel qui a tellement été traitée par Robert Delaunay, Sonia Delaunay, dont Blaise Cendrars était amoureux. Il y a quelques instants, parce que le jour n'était pas levé, on voyait effectivement cette oeuvre présentée sur le parvis et les chiens courir après les images, les belles images sur la ville de Paris.
C'est une ville qui est aujourd'hui, dit-on, devenue un musée, le patrimoine a ses règles. Et on se demande si trente après, en 2007, un homme politique serait assez fou pour décider de mettre en plein Paris une usine à gaz de couleur comme Beaubourg, vous auriez pris cette décision ? Vous pouvez me répondre, non franchement, Dominique de Villepin, on sait que le lobby du patrimoine est puissant et qu'on aime beaucoup les vieilles pierres.
Je suis amoureux du Centre Pompidou depuis l'origine et plein d'admiration pour les architectes qui ont réussi à le concevoir, mais je crois que le Quai Branly, la Pyramide de Paix montrent que l'histoire n'est pas finie et que Paris continue à vivre Vous savez on a un grand prédécesseur, le baron Hausmannqui a eu le courage de repenser Paris, de remodeler Paris. Et je crois que la responsabilité des hommes politiques, des citoyens, c'est d'habiter une ville, mais aussi de la changer, de la transformer Alors il faut bien sûr la respecter et s'inscrire dans un minimum de règles. Mais penser l'avenir, penser l'habitat, penser la qualité de la vie de nos concitoyens, on le voit, pour faire la place nécessaire aux transports en commun. Pour créer des espaces collectifs, des espaces de rencontres, des espaces d'art, tout ceci demande beaucoup d'imagination et surtout le croisement des architectes, des urbanismes, du citoyen qui a son mot à dire. Des responsables politiques, donc vous voyez, c'est une aventure qui est une grande aventure collective.
Allez je vous en prie, installez-vous Dominique de Villepin, on a rejoint le studio de France Inter au 6e étage du Centre Pompidou pour Inter-activ, 01.45.24.70.00, j'attends évidemment toutes vos questions sur ce trentième anniversaire. Sur l'art, sur la politique culturelle, sur l'exportation également des musées à l'étranger. On sait qu'il y a un projet du Centre Pompidou du côté de la Chine, à Shanghai. Mais Dominique de Villepin, je tiens à vous le dire aussi, il y a énormément de questions sur le chômage, sur l'emploi. On est dans un lieu démocratique, une radio démocratique dans un lieu démocratique. Les questions donc des auditeurs également sur le sujet. Frédéric nous appelle de Bordeaux, première question, bonjour à vous et bienvenue dans Inter-Activ.
Frédéric : Bonjour ! Merci d'avoir pris ma question, c'était une question assez personnelle à l'intention de monsieur le Premier ministre. Je crois savoir que vous vous intéressez aux arts premiers ou arts primitifs, enfin je n'aime pas trop ce terme, himalayen, enfin de cette région de l'Inde. Vous vous intéressez également aux arts premiers, primitifs, africains. Je voudrais savoir comment vous avez évolué de l'un à l'autre. Sachant que, eh bien dans ma démarche personnelle j'ai du mal à évoluer de l'un à l'autre.
Eh bien Dominique de Villepin va vous raconter ça, Frédéric.
Ce sont des chemins un peu personnels. D'abord, la géographie, j'ai habité trois années en Inde, donc j'ai découvert les arts primitifs indiens et notamment toute la région de l'Orissa et du Madhya Pradesh qui sont très liés à des cultes primitifs. Très liés, comme on le voit en Afrique aux appels de l'homme à la moisson, à la santé, au bonheur familial. Et donc ces figurines avaient une vocation propitiatoire, comme souvent en Afrique ces figurines ou ces masques sont des éléments d'intercession vis à vis des dieux. Mais je crois que c'est finalement une même image du sacré que l'on retrouve partout dans l'art. Et les images que nous avons vues, les tableaux que nous avons vus ce matin, qu'il s'agisse de Soulages, de Pollock, ce sont finalement en permanence des grandes interpellations, des grands cris qui sont poussés face à la vie. Des hymnes à la beauté, on l'a vu avec le tableau de Robert Delaunay, mais aussi la volonté d'aller plus loin, d'écorcher la vie, les tableaux de Fautrier "L'écorché", "Les otages" au lendemain de la guerre sont là pour nous le dire. Donc, il y a en permanence la volonté de voir derrière ce qui est vu tous les jours quelque chose d'autres. De voir, derrière les êtres humains quelque chose d'autres et de les faire parler. On a besoin de cette humanité, on a besoin de la faire apparaître, de la faire sourde, de la faire hurler, tant le silence de nos villes, le silence de nos vies est si fort, si accablant. On a besoin, on a besoin d'aimer et finalement l'art nous y aide.
Cathy nous appelle des Côtes d'Armor, bonjour à vous et bienvenue sur France Inter.
Cathy : Bonjour monsieur Demorand, bravo pour vos émissions et merci de parler de culture. Bonjour monsieur le Premier ministre, sauf le respect, je voudrais vous dire que vous faites vraiment de très très belles phrases, mais que pour moi, il y a un hiatus criant, depuis des années, entre le beau discours et notamment le problème récurrent des intermittents. La pauvreté des subventions spectacles vivants, les coupes drastiques dans les budgets des instituts français dans le monde, notamment. Cependant, je voudrais juste terminer, je voudrais vous dire bravo, pour votre éloge du noir chez Soulages, en espérant que cela aidera le Cran dans son action pour les noirs qui ne sont pas que des tableaux, merci.
Voilà, le Cran, c'est le Conseil représentatif des associations noires de France, réponse de Dominique de Villepin.
Vous savez, Madame, je respecte beaucoup ce que vous dites, vous exprimez votre propre expérience et donc, le propre regard que vous portez sur les choses et à ce titre, il mérite bien sûr d'être entendu et nous devons faire en sorte, constamment de faire mieux. Ce n'est pas tout à fait juste néanmoins, vis à vis de l'action que nous avons engagée dans le domaine de la culture, puisque le budget 2007 pour parler chiffres. Le budget 2007 du ministère de la Culture a augmenté de 6 % et l'effort que nous faisons au cours des dernières années en matière de patrimoine, en matière de musée, en matière de politique du livre a connu une impulsion tout à fait considérable. Je prendrai quelques mesures qui changent la donne et vous savez il faut de l'humilité pour un homme politique pour, au quotidien voir parfois balayé d'un revers de main tout ce qui demande, croyez-moi beaucoup d'heures de travail, beaucoup d'années sans congés, beaucoup de sacrifices. Eh bien l'abattement de 50 % pour les cinq premières déclarations fiscales de revenus des artistes, voilà un élément qui change la vie d'un jeune artiste. Vous êtes un jeune artiste, vous voulez vous engager dans la vie, le fait de pouvoir déduire 50 % durant ces cinq premières années, vous permet de vous lancer, cela fait la différence. Le passage de la TVA à 5,5 % au lieu de près de 20 % pour les installations de vidéos, de nouvelles formes artistiques, voilà aussi quelque chose qui change la vie des artistes. L'extension de la dation, on a vu tout à l'heure un merveilleux Pollock qui est le fruit d'une dation, eh bien l'extension de la dation aux oeuvres d'artistes vivants. Cela veut dire que les artistes...
C'est-à-dire des particuliers qui donnent les oeuvres aux centres culturels.
Des particuliers qui donnent et qui peuvent déduire des impôts sur les successions, eh bien ces montants. Eh bien cela change aussi la vie des artistes vivants que l'on pourra enfin collectionner dans notre pays. Alors vous apportez un témoignage sur les intermittents, je peux dire que le ministre de la Culture, comme moi-même, nous avons passé un temps infini...
Pour un problème qui n'est toujours pas réglé Dominique de Villepin.
Pour un problème qui est en partie réglé, qui est en partie aussi, ne l'oublions pas et d'abord peut-être la responsabilité des partenaires sociaux. L'Etat fait plus que son travail dans ce domaine, je crois qu'il faut le rappeler, donc, on peut toujours et vous avez raison - il faut en permanence interpeller, en permanence exprimer son insatisfaction. Mais il faut de temps en temps avoir la délicatesse de reconnaître ce qui est fait et qui demande beaucoup de mal. Sans quoi, vous savez, il y aura bien peu de monde pour apporter le meilleur de lui-même au service de notre pays. Donc, un tout petit peu de reconnaissance, cela ne fait pas de mal de temps en temps.
Un mot Dominique de Villepin, Cathy disait, le noir de Soulages, ce n'est pas qu'une couleur, ce n'est pas qu'une peinture, c'est également une couleur de peau. Et il y a une enquête aujourd'hui qui a été publiée justement à l'instigation du Grand conseil représentatif de l'institution noire. Enquête TNS SOFRES, plus de la moitié des noirs de France se disent, à des degrés divers, victimes de discrimination, réaction, analyse ?
Eh bien réaction, analyse, regardez ce que nous avons fait depuis deux ans dans la lutte contre les discriminations.
Oui, mais ils le disent, aujourd'hui, dans les six derniers mois, les douze derniers mois.
Monsieur Demorand, moi je ne prétends pas régler tout d'un coup, de baguette magique. Et je prétends que celui vous dira ça est un menteur, c'est un long travail, pourquoi ? Parce que si, racisme, il y a, il est dans les esprits et ceci vous ne l'éradiquer pas avec une mesure, quelle que soit la qualité. Il faut donc faire ce travail, ce que nous avons fait contre les actes racistes et anti sémitistes. Et nous avons aujourd'hui baissé de 40 % ces actes odieux dans notre pays au cours des quatre dernières années, ça c'est un résultat concret qui est salué par l'ensemble des organisations internationales et qui fait de notre pays, en matière d'exigence, mobilisation de la justice, mobilisation des forces de sécurité pour mobiliser de tels actes, un exemple. Il faut aller plus loin, je ne cesse de me battre pour que chacun, noir, quelle que soit son origine, quelle que soit sa couleur de peau, quelle que soit sa religion puisse trouver toute sa place dans la république. Quand je me bats pour une république qui justement fait sa place à chacun, qui justement est celle de l'égalité des chances. Quand nous avons mis en oeuvre toutes les mesures que nous avons mises en oeuvre au lendemain de la crise des banlieues pour essayer d'améliorer les choses, nous n'avons pas tout réglé. Mais nous avons fait, croyez-moi un solide pas dans une bonne direction et chacun doit porter aussi sa part de fardeau.
Je m'insurge contre une république où il y aurait des citoyens d'un côté, des responsables politiques de l'autre. Des citoyens qui revendiqueraient à longueur de journée, des hommes politiques qui seraient mis sur la sellette, la démocratie c'est le travail des uns et des autres. Et grâce à dieux, nous avons des associations, nous avons des collectivités, nous avons des hommes et des femmes qui dans notre pays s'engagent. Alors sortons de ce manichéisme stupide, sortons de cette volonté, en permanence de mettre en accusation les uns et les autres et sachons reconnaître la bonne volonté et les progrès quand il y en a. Or, monsieur Demorand, il y en a !
Pour ou contre les statistiques ethniques Dominique de Villepin, c'en est une ça ?
Je suis contre les statistiques ethniques, on ne peut pas me dire à la fois : ne montrez pas du doigt, ne mettez pas en procès tel ou tel à cause de la couleur de sa peau - et en même temps, vouloir en permanence comptabiliser. Que nous ayons par des méthodes aléatoires et ces méthodes statistiques existent, une meilleure connaissance des différentes situations et notamment des inégalités. Que nous mettions en place tous les moyens nécessaires, pour, au niveau de l'emploi dépasser des barrières qui sont aujourd'hui inacceptables. Bien sûr ! Donc je crois que l'on peut améliorer les choses, on peut le faire, mais tomber dans le comptage ethnique, eh bien écoutez, c'est aboutir finalement à ce que font certains pays, c'est-à-dire sur la carte d'identité, la couleur de votre peau et votre religion, je crois que ce serait une régression dans notre pays.
Stéphane nous appelle de Dordogne, bonjour à vous et bienvenue sur France Inter.
Stéphane : Oui bonjour Messieurs, j'avais une question simple, parce que monsieur le Premier ministre a fait l'annonce que le nombre de chômeurs était en baisse.
On entend un petit bébé qui pleure derrière.
Stéphane : Oui, tout à fait ! Donc moi j'ai entendu dire un peu partout, que dans le nombre de chômeurs, on ne compte pas les personnes de plus de 55 ans qui sont rayées des listes. On ne compte pas les érémistes, on ne compte pas les stagiaires qui sont des chômeurs qui ont trouvé des stages temporaires. Donc je voudrais savoir ce que monsieur le Premier ministre entend par chômeurs.
Dominique de Villepin vous répond.
Ecoutez le chômage est comptabilisé en France, selon les mêmes règles depuis maintenant plusieurs dizaines d'années. Ce sont les règles du Bureau international du travail, les mêmes règles qui étaient appliquées sous le gouvernement socialiste de monsieur Jospin, sous celui de monsieur Raffarinet sous le mien. Si au football, demain, quand vous regardez votre match, vous avez la surprise de découvrir que les joueurs prennent le ballon avec la main et que l'arbitre ne siffle pas. Alors vous êtes en droit de considérer que ce n'est plus du football. En matière de lutte contre le chômage, ce sont les mêmes outils, il faut donc respecter ce que donne le thermomètre. Simplement, il y a un fâcheux penchant dans notre pays. Quand les choses vont mal, tout le monde reconnaît la qualité de l'outil, cela nous est arrivé au début de 2006, le chômage a connu une recrue - nous a conduit d'ailleurs à prendre de nouvelles mesures pour lutter encore davantage contre ce fléau, personne n'a alors rien dit. Nous avons, par une mobilisation sans précédent, car je suis le premier gouvernement, on peut le dire sans jambage, et je suis heureux de le dire sur France Inter, qui n'a refusé aucun moyen. Nous avons pris ce qui avait marché sous des gouvernements de gauche, ce qui avait marché sous des gouvernements de droite et nous avons été encore plus loin. Tous les moyens ont été mobilisés, eh bien c'est ce qu'explique la baisse sans précédent que connaît notre pays. Une baisse qui sera la plus forte depuis vingt ans.
Et quand on dit que les emplois sont de mauvaise qualité, c'est-à-dire, ce sont des emplois qui renforcent la précarité, on sait que c'est une réalité ça aussi, tout de même en France Dominique de Villepin, aujourd'hui. Des CDD, des emplois précaires, pas d'emploi au long court et donc des petites améliorations.
Dans les statistiques du chômage, c'est l'ensemble des catégories. Personne ne peut dire aujourd'hui que ce sont seulement des emplois intérimaires ou des CDD qui constituent l'amélioration de la situation de l'emploi. L'ensemble des contrats progresse et s'améliore. Donc, je pense qu'il ne faut absolument pas tomber dans l'idée que nous aurions aujourd'hui une progression qui serait due à une montée de la précarité, ce n'est pas vrai. C'est du à une montée de l'activité, plus de croissance, parce que nous avons créé les conditions de la croissance. Plus de compétitivité et nous constatons d'ailleurs que tous les outils nous mobilisent et nous permettent d'aller plus loin.
Jean-Marc de Montpellier dit la chose suivante ; qu'il ne trouve pas, qu'il ne voit pas le rapport entre une petite baisse du chômage et l'impression qu'ont les Français que le chômage ne baisse pas. On parlait de la joie de vivre tout à l'heure, que répondez-vous à une analyse de ce type, on n'a pas le sentiment que cela change.
Vous savez, quand tous les matins, vous vous réveillez avec des radios, des télévisions, des médias qui vous rapportent des témoignages, qui, certainement sont une expression - mais qui ne sont certainement pas l'expression de tous les témoignages. Eh bien, forcément vous avez une certaine couleur de la journée qui se dessine, donc je pense,
Ce n'est pas de notre faute quand même Dominique de Villepin ?
Je pense, je pense que les mauvaises nouvelles ont plus d'impact que les bonnes, mais je pense aussi que vous vous trompez dans ce que vous dites. C'est-à-dire qu'au fond d'eux et d'ailleurs toutes les statistiques en témoignent, les Français commencent à se rendre compte que les choses changent. Et je prendrais un exemple, les meilleurs témoins du chômage, ce sont les maires, quand la situation va mal, les maires voient progresser le nombre de demandeurs d'emploi dans les communes. Eh bien il y a un phénomène général en France et c'est vrai dans toutes les mairies. Le nombre de demandeurs d'emploi baisse, ça c'est un élément indiscutable. N'oublions pas non plus que nous sommes en période électorale et que donc, l'enjeu, est-ce que cela va mieux ou est-ce que cela va moins bien ? Est un élément de la politique à la veille des élections. Moi je me bats pour que ce gouvernement travaille jusqu'au bout, au-dessus de tous les intérêts particuliers pour servir uniquement le bien-être des Français et croyez-moi, ce combat, il sera mené dans les meilleures conditions jusqu'à la fin.
Et vous ne vous présentez donc pas à l'élection présidentielle ?
Et je ferai mon travail jusqu'au bout comme Premier ministre.
Merci infiniment Dominique de Villepin, on va vous laisser filer, parce que je crois que vous avez Conseil des ministres, on est mercredi, il est 8h57, alors à moins que vous ayez encore trois minutes, alors à ce moment là soyez le bienvenu.
Je vous remercie !
Merci infiniment en tout cas d'avoir été avec nous ce matin. Toujours autour de cette table avec Bruno Racine, pour ce 7-9.30 spécial, consacré au 30e anniversaire du Centre Pompidou. 7-9.30 qui va se continuer avec Esprit Critique de Vincent Josse. Bon, eh bien voilà on avait un débat aussi politique, un débat sur les affaires de la cité Bruno Racine.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1er février 2007
Eh bien, je démarrais mon service militaire et je m'apprêtais à partir dans l'océan Indien sur un porte-avions pour défendre l'indépendance de Djibouti.
Loin, donc très loin de l'art et des musées. Le musée est désert là, on a cette chance immense, le privilège de pouvoir le visiter. Atmosphère assez particulière que de voir ces chefs-d'oeuvre silencieux qui nous entourent, cela vous inspire quoi ?
Eh bien ils parlent, même quand ils sont au petit matin et ce qui est merveilleux c'est ce dialogue qu'ils entretiennent les uns avec les autres. Avec les arts en général, on retrouve combien d'influences, combien d'échos avec la littérature, avec la vie. Chacun de ces tableaux à une histoire, celle de son auteur bien sûr ! Mais elle s'inscrit dans la grande histoire, on voit bien qu'elle colle à chacun de ces tableaux.
On a des parenthèses comme ça, Dominique de Villepin, de silence et de recueillement quand on gouverne, ou c'est rare ?
Il faut se les offrir et c'est tout le sens de pouvoir écrire le matin tôt ou tard le soir, de pouvoir se donner le plaisir de la peinture. On a besoin de faire le plein, on a besoin ...
D'écrire quoi ?
Oh, écrire des choses littéraires, historiques, peu importe, mais on a besoin de se retrouver et on a besoin de se confronter à la beauté. Ce n'est pas, malheureusement, la vie quotidienne qui vous apporte cette énergie, cette force. Donc, la force de l'art, eh bien elle est là, et c'est merveilleux de pouvoir, dans un lieu comme Beaubourg, recharger les batteries.
Alors on va déambuler dans les galeries ; nouvelles galeries, nouvel accrochage également pour le 30e anniversaire du Centre Pompidou. On va s'arrêter devant des toiles, Dominique de Villepin, devant des sculptures. Et on commence avec Robert Delaunay, peinture abstraite, explosion de formes géométriques, de couleurs vives, cela s'intitule " Joie de vivre " beau programme non ?
C'est un merveilleux programme. On voit bien, au lendemain de la guerre cette terrible grande guerre qui avait tellement marqué les coeurs et les esprits à quel point l'art se libère, l'art s'ouvre et veut saisir toute la force, toute la joie, toute la beauté du monde. Et là, il y a d'ailleurs un dialogue très fort de Delaunay avec beaucoup d'autres peintres, avec des poètes aussi, très proches de lui - c'était le cas d'Apollinaire, c'est le cas de Blaise Cendrars qui fera avec Sonia Delaunay cette merveilleuse "Prose du Transsibérien", avec cette poésie simultanée, contrastée. Non, je crois qu'il y a un grand moment de l'art.
Vous la sentez la joie de vivre en France aujourd'hui ?
Je la sens qui revient, vous savez cela commence en général par les extrémités, des petites sensations, c'est des frémissements. Mais on sent que quelque chose bouge. Entre le moment où vous vous sentez mieux et le moment où réellement les choses vont mieux, il y a toujours un décalage. Je pense que, imperceptiblement il y a quelque chose qui change dans notre pays. D'ailleurs on le voit avec les résultats, la compétitivité, les chiffres du chômage, la volonté d'entreprendre des Français. Je crois que les Français relèvent la tête et veulent regarder vers l'avenir.
Mais on n'y est pas encore, dans la joie de vivre, quand même.
La joie de vivre, c'est un aboutissement.
Dans combien de temps ?
Il faut toujours un peu de temps et puis chacun va à son rythme. Je constate que les Français, dans leur vie personnelle, quand on leur demande comment ils se sentent, se sentent, eux, déjà marqués par cette joie de vivre. Ils sont plus réticents quand on les interroge sur l'ensemble des Français, sur les autres. Ils ne constatent pas la joie de vivre dans les yeux des autres, mais ils l'ont dans le coeur.
Et pour vous, Dominique de Villepin, joie de vivre ou pas, en ce moment, franchement ?
Elle est quotidienne, la joie de vivre. Vous savez, je crois que l'on ne fait rien sans appétit, sans enthousiasme. Alors, même quand on a par moment des inquiétudes, des interrogations, quand on a des défis à relever, eh bien il faut, justement, grâce à l'art, grâce aux autres, grâce aux rencontres, se redonner un peu le moral, le sens des choses et le goût de l'horizon. Parce que nous avançons tous vers quelque chose et il faut essayer de le saisir à pleine main.
Alors deuxième moment de cette visite guidée dans les collections du Centre Pompidou : on est dans une nouvelle salle consacrée à Georges Rouault et qui a cette particularité, Dominique de Villepin, de présenter, exclusivement des esquisses, des tableaux que Rouault ne voulait pas montrer, qui sont restés dans ses cartons, dans son atelier. Quel regard portez-vous sur ces oeuvres inachevées ?
Moi, je suis très sensible à l'art qui est en train de se faire. Il n'y a rien de plus merveilleux que de pouvoir entrer dans l'atelier d'un artiste et de le voir tâtonner, rechercher sur la toile, faire, défaire, on sent le repentir, la volonté d'aller de l'avant en permanence. Et c'est ce que l'on retrouve ici, chez Rouault, qui est un peintre qui est plein d'une humanité extraordinaire. Il a peint des clowns, il a peint des filles, il a peint des notables, il a peint des gens ordinaires de la vie quotidienne. Et il l'a fait avec ce talent d'homme du vitrail, en cernant en permanence ces personnages. C'est dire à quel point, il y a là une force, une gravité peut-être aussi ; c'est quelque chose qui nous interpelle, qui nous parle à chacun.
Qu'est-ce qu'une oeuvre inachevée en politique, Dominique de Villepin ?
Une oeuvre inachevée en politique, c'est une oeuvre qui a besoin des autres et qui a besoin de la vie pour se parfaire. Rien n'est jamais terminé en politique. Vous avancez au service de votre pays dans la lutte contre le chômage, on arrivera autour de 8 %, mais, bien sûr, nous savons tous qu'il faudra aller beaucoup plus loin. Donc, c'est à un moment donné, provoquer l'électrochoc. Engager votre volonté pour quelque chose devienne à nouveau possible. Quand je suis arrivé à Matignon, tout le monde s'accordait pour dire qu'il y avait une sorte de fatalité dans la lutte contre le chômage. Ce que je n'accepte pas, c'est l'idée qu'il n'y ait pas de nouvelles frontières à balayer, de nouvelles aventures à vivre et ce que je crois, être profondément dans le ressort français, c'est cette insatisfaction. Nous voulons constamment aller plus loin, nous voulons constamment faire mieux et je crois que ça, c'est au coeur de l'esprit français et nous devons le développer.
Vous pensez, vous, personnellement et très personnellement - regardez, on est dans le silence des oeuvres -que vous avez achevé votre oeuvre politique et votre destin politique ?
Je crois, pour reprendre une formule célèbre, "je voudrais faire mieux et j'aurais voulu faire mieux, mais je fais tout mon possible" - c'est le message qu'un grand explorateur français avait envoyé à l'académie des Sciences, alors qu'il était perdu dans les glaces du grand Nord. C'est, je crois, la vie, il faut savoir que nous ne sommes à un moment donné qu'une tentative, qu'un témoignage, qu'une énergie, qu'une volonté. Mais je crois que cette énergie, il faut la jouer à plein. Donc, le fait d'appartenir à une chaîne de bonne volonté, le fait, à un moment donné de se battre, le fait de montrer qu'on ne baisse pas les bras, je crois que ça c'est très important pour la vie collective. Et puis les Français le valent bien, les Français se donnent du mal, ce sont eux qui sont les premiers bénéficiaires du travail que nous faisons. Ce sont eux qui font baisser le chômage, ce sont eux qui font que notre pays est plus compétitif, ce sont eux qui font que notre pays aujourd'hui se veut à la pointe de la recherche, ce sont eux qui marquent des points sur la scène internationale. Donc cette reconnaissance, le fait d'avoir l'honneur, à un moment donné, d'être celui qui porte cela, celui qui donne le ton, c'est un immense honneur, mais il faut savoir que nous n'avons vocation qu'à passer. Nous n'avons vocation qu'à donner le meilleur de nous même et puis que d'autres, après nous viendront et auront à reporter et à avancer sur le chômage.
Vous avez employé un terme technique de peinture tout à l'heure, quand on était devant les toiles de Georges Rouault, c'est le repentir, c'est-à-dire le moment où l'artiste voit bien qu'il fait fausse route, il efface et il repeint par-dessus. Ça, c'est interdit en politique ?
C'est la magie de l'art, mais je ne crois pas. Je crois qu'on est trop pétri, parfois d'orgueil, mais je crois que le repentir est possible en politique et il faut avoir la force et le courage de le reconnaître. Quand on fait fausse route, quand on fait les choses trop vite ou trop tôt - c'est ce qui m'est arrivé avec le CPE -, il faut avoir le courage de dire que ce n'était pas la bonne voie, qu'il fallait sans doute faire autrement. Mais il faut surtout en tirer les conséquences ! Quand je lance le grand service public de l'orientation, pour faire que nos enfants puissent véritablement aller dans les directions qui sont celles qu'ils souhaitent et trouver un emploi, quand je lance la meilleure relation entre l'unité et l'emploi, je tire les conséquences de ce qui a été pour moi un échec. Mais je veux faire en sorte que d'un mal sorte un bien.
Suite de la visite guidée : nous sommes devant deux toiles de l'américain Jackson Pollock, des traits de peinture rageurs, une vraie colère picturale, Dominique de Villepin ; c'est aussi, dans l'histoire de l'art, le moment où Paris n'est plus capitale des arts, et donc capitale du monde. C'est New York maintenant !
Paris n'est pas seule, c'est vrai que New York, à cet instant là, avec toute cette école, l'impressionnisme abstrait, avec les Pollock, les Motherwell et les Rothko, mais aussi avec combien de peintres qui étaient de formation ou d'influence américaine - je pense à Roberto Matta, qui a joué un très grand rôle avec ces peintres là, je pense à Arshile Gorky... Eh bien la force de l'Europe, la force de notre pays reste présente dans l'art. Nous continuons à avoir quelque chose à dire, nous continuons à le dire, même si nous n'avons pas toujours les moyens, même si les peintres n'ont pas toujours les moyens de l'exprimer. C'est pour cela qu'il y a tant à faire pour avoir une politique qui encourage la création. Il ne faut pas l'oublier, la culture, on a longtemps pensé que c'était uniquement la diffusion,
Le supplément d'âme !
Oui, ou ce supplément d'âme qu'il s'agissait pour un artiste d'apporter. Mais l'art, c'est au départ une création. Il faut que cette création soit au rendez-vous, parce que c'est le miroir d'une époque ; c'est ce qui nous fait avancer, c'est ce qui nous fait douter aussi, c'est ce qui nous interpelle. Ce sont autant de questions qui nous aident à mieux vivre. Alors cela peut prendre ces formes magiques de Matisse, qui sont là-bas devant nous ; cela prend, cette question, parce que c'est ce hiératisme de Giacometti, cette "Femme assise", où l'on a le sentiment de quelques fils de fer qui s'enchevêtrent pour arriver à exprimer une femme, une femme sur une chaise, une femme privée de sa substance, une femme dont le trou est une sorte de vent. On sent l'histoire qui est passée par-là, on sent les drames des camps d'extermination.
Et on sent aussi la modestie, Dominique de Villepin, et la dignité d'une image très pauvre, mais c'est une richesse, d'être pauvre parfois, notamment pour une image. Qu'est-ce que cela vous évoque, quand on voit ces cultures si fragiles, dans une société qui est une société du spectacle aujourd'hui, une société de communication ?
C'est la magie de l'art, qui à partir de rien - ou presque rien - arrive à exprimer tous, nos émotions, la vie, la force et la magie de la vie, l'espoir aussi. On retrouve dans ce hiératisme, l'exigence de l'ascèse, une exigence de la sécheresse, ce qu'a inventé Saint-John-Perse. Nous sommes là justement à l'homme ramené à l'essentiel, un souffle d'âme qui suffit à habiter quelques linéaments de fer.
Il y a un "Pinocchio" de Giacometti là-bas aussi, ce n'est pas une image de l'homme politique qui ment et dont le nez s'allonge, s'allonge, s'allonge ?
Non, c'est bien plus que cela. C'est l'homme ramené à l'essentiel, c'est l'homme justement ramené à cette espèce de proéminence du nez, mais c'est l'homme dans sa vérité humaine, c'est l'homme dans sa vérité première, c'est l'homme dans sa vérité animale. Il y a là quelque chose de terrible, il y a un peu des écorchés que l'on retrouve chez Fautrier ou chez d'autres. Mais il y a cette interrogation sur l'homme en quête de lui-même. Sur l'homme qui est ramené à cette dure épreuve de la vie, qu'il faut vivre et habiter. Et grâce à l'art, nous la vivons mieux.
Dernière pièce de notre visite guidée, cette immense toile de Simon Hantaï ; elle est rose pastel quand on est loin, mais quand on s'approche, on voit des pattes de mouches, des lignes, et des lignes et de lignes infinies d'écriture, il a recopié des textes religieux et philosophiques. Travail inlassable qui vous inspire quoi ?
Eh bien, qui me touche beaucoup, parce que c'est le mariage de la peinture, de la calligraphie et effectivement, c'est cette écriture millénaire, cette écriture de la prière ; on retrouve aussi des signes - une croix, des taches - qui sont autant d'expressions de cette humanité qui passe et qui, en même temps, laisse ce message d'espoir, d'espérance, cette écriture qui en appelle à quelque chose d'autre, de plus grand que nous et qui, peut-être nous permet là aussi, tous, d'avancer avec un peu plus d'espoir.
Donc, métaphore de la politique ?
Non, tout n'est pas métaphore de la politique.
Retour donc au Centre Pompidou qui fête aujourd'hui même, jour pour jour son trentième anniversaire. Emission spéciale dans les 7-9.30 de France Inter, puisqu'on est avec Dominique de Villepin. Et depuis 8 heures 15 environ, on déambule au 5e étage du Centre Pompidou, devant les collections d'art moderne. Allez, avant de regagner le studio au 6e étage, Dominique de Villepin, un mot de cette toile,là, qui nous fait face, on la doit à Pierre Soulages.
Une toile merveilleuse et qui montre à quel point, avec quelle générosité, Pierre Soulages arrive avec ses noirs, avec ses ultra-noirs, avec ses brous de noir à faire exploser la lumière. C'est un peintre qui sera à l'honneur à la fin de la semaine, puisqu'il y aura l'inauguration du musée Fabre à Montpellier, une nouvelle occasion de fêter l'un des grands, grands artistes français et un homme merveilleux.
Et contrairement à ce que dit Johnny Halliday, "Noir c'est pas noir" hein quand on voit Soulages.
C'est vrai, au contraire, il arrive à la faire parler, on l'a vu à l'abbaye de Conques, comment il arrive à faire passer la lumière, à montrer la lumière et à montrer l'extrême diversité du noir, qui selon les heures de la journée, selon les expositions arrive à exprimer des sentiments et des images différentes.
Allez, on va monter au 6e étage, en continuant donc notre déambulation dans les galeries d'art moderne. Faites attention à la sculpture d'Etienne Marcel, qui est magnifique là, nous avons devant nous les toiles de Nicolas de Stael que je citais tout à l'heure pour Joël Collado pour décrire le ciel, alors oui, un Zao Wou Ki.
Un magnifique Zao Wou Ki, parce que c'est un Zao Wou Ki extrêmement précoce, du début des années 50, quand il est encore très imprégné de l'influence de Paul Klee, très marqué par l'influence de la Chine, son pays d'origine et peu à peu il va se dégager de tout cela pour écrire cette merveilleuse page de la peinture entre l'Orient et l'Occident avec des paysages extraordinaires qui reflètent à la fois la magie et la lumière encore, comme Pierre Soulages.
C'est,avec Soulages, l'un de vos peintres préférés ?
Oui, ce sont deux hommes qui s'estiment et qui s'aiment énormément, ce sont des compagnons de route. On a toujours plaisir à bavarder avec eux.
Bruno Racine, vous êtes le directeur du Centre Pompidou, président, oh, carrément, nous avons un Premier ministre et un président ce matin.
Bruno Racine : Chaque chose à sa place.
Bon anniversaire, donc 30 ans, le plus bel âge de la vie pour un centre comme celui-là ?
B.R. : C'est l'âge de la maturité et qui montre que le pari de Georges Pompidou a été tenu, c'est formidable.
Alors voilà, on est dans les escalators du Centre Pompidou, et vous entendez à nouveau, en boucle la musique lancinante de l'artiste suisse Pipilotti Rist, une musique absolument magnifique, sensuelle, aquatique, disais-je tout à l'heure et la projection pour les 30 ans du Centre Pompidou, la nuit sur le Parvis d'une oeuvre géante donc de cet artiste Pipilotti Rist. Voilà Paris devant nous, Dominique de Villepin, à nous deux Paris, est-ce que vous vous êtes déjà dit ça dans votre vie ?
Non, je ne me suis jamais dit ça, j'aime Paris tel qu'il est, on voit cette Tour Eiffel qui a tellement été traitée par Robert Delaunay, Sonia Delaunay, dont Blaise Cendrars était amoureux. Il y a quelques instants, parce que le jour n'était pas levé, on voyait effectivement cette oeuvre présentée sur le parvis et les chiens courir après les images, les belles images sur la ville de Paris.
C'est une ville qui est aujourd'hui, dit-on, devenue un musée, le patrimoine a ses règles. Et on se demande si trente après, en 2007, un homme politique serait assez fou pour décider de mettre en plein Paris une usine à gaz de couleur comme Beaubourg, vous auriez pris cette décision ? Vous pouvez me répondre, non franchement, Dominique de Villepin, on sait que le lobby du patrimoine est puissant et qu'on aime beaucoup les vieilles pierres.
Je suis amoureux du Centre Pompidou depuis l'origine et plein d'admiration pour les architectes qui ont réussi à le concevoir, mais je crois que le Quai Branly, la Pyramide de Paix montrent que l'histoire n'est pas finie et que Paris continue à vivre Vous savez on a un grand prédécesseur, le baron Hausmannqui a eu le courage de repenser Paris, de remodeler Paris. Et je crois que la responsabilité des hommes politiques, des citoyens, c'est d'habiter une ville, mais aussi de la changer, de la transformer Alors il faut bien sûr la respecter et s'inscrire dans un minimum de règles. Mais penser l'avenir, penser l'habitat, penser la qualité de la vie de nos concitoyens, on le voit, pour faire la place nécessaire aux transports en commun. Pour créer des espaces collectifs, des espaces de rencontres, des espaces d'art, tout ceci demande beaucoup d'imagination et surtout le croisement des architectes, des urbanismes, du citoyen qui a son mot à dire. Des responsables politiques, donc vous voyez, c'est une aventure qui est une grande aventure collective.
Allez je vous en prie, installez-vous Dominique de Villepin, on a rejoint le studio de France Inter au 6e étage du Centre Pompidou pour Inter-activ, 01.45.24.70.00, j'attends évidemment toutes vos questions sur ce trentième anniversaire. Sur l'art, sur la politique culturelle, sur l'exportation également des musées à l'étranger. On sait qu'il y a un projet du Centre Pompidou du côté de la Chine, à Shanghai. Mais Dominique de Villepin, je tiens à vous le dire aussi, il y a énormément de questions sur le chômage, sur l'emploi. On est dans un lieu démocratique, une radio démocratique dans un lieu démocratique. Les questions donc des auditeurs également sur le sujet. Frédéric nous appelle de Bordeaux, première question, bonjour à vous et bienvenue dans Inter-Activ.
Frédéric : Bonjour ! Merci d'avoir pris ma question, c'était une question assez personnelle à l'intention de monsieur le Premier ministre. Je crois savoir que vous vous intéressez aux arts premiers ou arts primitifs, enfin je n'aime pas trop ce terme, himalayen, enfin de cette région de l'Inde. Vous vous intéressez également aux arts premiers, primitifs, africains. Je voudrais savoir comment vous avez évolué de l'un à l'autre. Sachant que, eh bien dans ma démarche personnelle j'ai du mal à évoluer de l'un à l'autre.
Eh bien Dominique de Villepin va vous raconter ça, Frédéric.
Ce sont des chemins un peu personnels. D'abord, la géographie, j'ai habité trois années en Inde, donc j'ai découvert les arts primitifs indiens et notamment toute la région de l'Orissa et du Madhya Pradesh qui sont très liés à des cultes primitifs. Très liés, comme on le voit en Afrique aux appels de l'homme à la moisson, à la santé, au bonheur familial. Et donc ces figurines avaient une vocation propitiatoire, comme souvent en Afrique ces figurines ou ces masques sont des éléments d'intercession vis à vis des dieux. Mais je crois que c'est finalement une même image du sacré que l'on retrouve partout dans l'art. Et les images que nous avons vues, les tableaux que nous avons vus ce matin, qu'il s'agisse de Soulages, de Pollock, ce sont finalement en permanence des grandes interpellations, des grands cris qui sont poussés face à la vie. Des hymnes à la beauté, on l'a vu avec le tableau de Robert Delaunay, mais aussi la volonté d'aller plus loin, d'écorcher la vie, les tableaux de Fautrier "L'écorché", "Les otages" au lendemain de la guerre sont là pour nous le dire. Donc, il y a en permanence la volonté de voir derrière ce qui est vu tous les jours quelque chose d'autres. De voir, derrière les êtres humains quelque chose d'autres et de les faire parler. On a besoin de cette humanité, on a besoin de la faire apparaître, de la faire sourde, de la faire hurler, tant le silence de nos villes, le silence de nos vies est si fort, si accablant. On a besoin, on a besoin d'aimer et finalement l'art nous y aide.
Cathy nous appelle des Côtes d'Armor, bonjour à vous et bienvenue sur France Inter.
Cathy : Bonjour monsieur Demorand, bravo pour vos émissions et merci de parler de culture. Bonjour monsieur le Premier ministre, sauf le respect, je voudrais vous dire que vous faites vraiment de très très belles phrases, mais que pour moi, il y a un hiatus criant, depuis des années, entre le beau discours et notamment le problème récurrent des intermittents. La pauvreté des subventions spectacles vivants, les coupes drastiques dans les budgets des instituts français dans le monde, notamment. Cependant, je voudrais juste terminer, je voudrais vous dire bravo, pour votre éloge du noir chez Soulages, en espérant que cela aidera le Cran dans son action pour les noirs qui ne sont pas que des tableaux, merci.
Voilà, le Cran, c'est le Conseil représentatif des associations noires de France, réponse de Dominique de Villepin.
Vous savez, Madame, je respecte beaucoup ce que vous dites, vous exprimez votre propre expérience et donc, le propre regard que vous portez sur les choses et à ce titre, il mérite bien sûr d'être entendu et nous devons faire en sorte, constamment de faire mieux. Ce n'est pas tout à fait juste néanmoins, vis à vis de l'action que nous avons engagée dans le domaine de la culture, puisque le budget 2007 pour parler chiffres. Le budget 2007 du ministère de la Culture a augmenté de 6 % et l'effort que nous faisons au cours des dernières années en matière de patrimoine, en matière de musée, en matière de politique du livre a connu une impulsion tout à fait considérable. Je prendrai quelques mesures qui changent la donne et vous savez il faut de l'humilité pour un homme politique pour, au quotidien voir parfois balayé d'un revers de main tout ce qui demande, croyez-moi beaucoup d'heures de travail, beaucoup d'années sans congés, beaucoup de sacrifices. Eh bien l'abattement de 50 % pour les cinq premières déclarations fiscales de revenus des artistes, voilà un élément qui change la vie d'un jeune artiste. Vous êtes un jeune artiste, vous voulez vous engager dans la vie, le fait de pouvoir déduire 50 % durant ces cinq premières années, vous permet de vous lancer, cela fait la différence. Le passage de la TVA à 5,5 % au lieu de près de 20 % pour les installations de vidéos, de nouvelles formes artistiques, voilà aussi quelque chose qui change la vie des artistes. L'extension de la dation, on a vu tout à l'heure un merveilleux Pollock qui est le fruit d'une dation, eh bien l'extension de la dation aux oeuvres d'artistes vivants. Cela veut dire que les artistes...
C'est-à-dire des particuliers qui donnent les oeuvres aux centres culturels.
Des particuliers qui donnent et qui peuvent déduire des impôts sur les successions, eh bien ces montants. Eh bien cela change aussi la vie des artistes vivants que l'on pourra enfin collectionner dans notre pays. Alors vous apportez un témoignage sur les intermittents, je peux dire que le ministre de la Culture, comme moi-même, nous avons passé un temps infini...
Pour un problème qui n'est toujours pas réglé Dominique de Villepin.
Pour un problème qui est en partie réglé, qui est en partie aussi, ne l'oublions pas et d'abord peut-être la responsabilité des partenaires sociaux. L'Etat fait plus que son travail dans ce domaine, je crois qu'il faut le rappeler, donc, on peut toujours et vous avez raison - il faut en permanence interpeller, en permanence exprimer son insatisfaction. Mais il faut de temps en temps avoir la délicatesse de reconnaître ce qui est fait et qui demande beaucoup de mal. Sans quoi, vous savez, il y aura bien peu de monde pour apporter le meilleur de lui-même au service de notre pays. Donc, un tout petit peu de reconnaissance, cela ne fait pas de mal de temps en temps.
Un mot Dominique de Villepin, Cathy disait, le noir de Soulages, ce n'est pas qu'une couleur, ce n'est pas qu'une peinture, c'est également une couleur de peau. Et il y a une enquête aujourd'hui qui a été publiée justement à l'instigation du Grand conseil représentatif de l'institution noire. Enquête TNS SOFRES, plus de la moitié des noirs de France se disent, à des degrés divers, victimes de discrimination, réaction, analyse ?
Eh bien réaction, analyse, regardez ce que nous avons fait depuis deux ans dans la lutte contre les discriminations.
Oui, mais ils le disent, aujourd'hui, dans les six derniers mois, les douze derniers mois.
Monsieur Demorand, moi je ne prétends pas régler tout d'un coup, de baguette magique. Et je prétends que celui vous dira ça est un menteur, c'est un long travail, pourquoi ? Parce que si, racisme, il y a, il est dans les esprits et ceci vous ne l'éradiquer pas avec une mesure, quelle que soit la qualité. Il faut donc faire ce travail, ce que nous avons fait contre les actes racistes et anti sémitistes. Et nous avons aujourd'hui baissé de 40 % ces actes odieux dans notre pays au cours des quatre dernières années, ça c'est un résultat concret qui est salué par l'ensemble des organisations internationales et qui fait de notre pays, en matière d'exigence, mobilisation de la justice, mobilisation des forces de sécurité pour mobiliser de tels actes, un exemple. Il faut aller plus loin, je ne cesse de me battre pour que chacun, noir, quelle que soit son origine, quelle que soit sa couleur de peau, quelle que soit sa religion puisse trouver toute sa place dans la république. Quand je me bats pour une république qui justement fait sa place à chacun, qui justement est celle de l'égalité des chances. Quand nous avons mis en oeuvre toutes les mesures que nous avons mises en oeuvre au lendemain de la crise des banlieues pour essayer d'améliorer les choses, nous n'avons pas tout réglé. Mais nous avons fait, croyez-moi un solide pas dans une bonne direction et chacun doit porter aussi sa part de fardeau.
Je m'insurge contre une république où il y aurait des citoyens d'un côté, des responsables politiques de l'autre. Des citoyens qui revendiqueraient à longueur de journée, des hommes politiques qui seraient mis sur la sellette, la démocratie c'est le travail des uns et des autres. Et grâce à dieux, nous avons des associations, nous avons des collectivités, nous avons des hommes et des femmes qui dans notre pays s'engagent. Alors sortons de ce manichéisme stupide, sortons de cette volonté, en permanence de mettre en accusation les uns et les autres et sachons reconnaître la bonne volonté et les progrès quand il y en a. Or, monsieur Demorand, il y en a !
Pour ou contre les statistiques ethniques Dominique de Villepin, c'en est une ça ?
Je suis contre les statistiques ethniques, on ne peut pas me dire à la fois : ne montrez pas du doigt, ne mettez pas en procès tel ou tel à cause de la couleur de sa peau - et en même temps, vouloir en permanence comptabiliser. Que nous ayons par des méthodes aléatoires et ces méthodes statistiques existent, une meilleure connaissance des différentes situations et notamment des inégalités. Que nous mettions en place tous les moyens nécessaires, pour, au niveau de l'emploi dépasser des barrières qui sont aujourd'hui inacceptables. Bien sûr ! Donc je crois que l'on peut améliorer les choses, on peut le faire, mais tomber dans le comptage ethnique, eh bien écoutez, c'est aboutir finalement à ce que font certains pays, c'est-à-dire sur la carte d'identité, la couleur de votre peau et votre religion, je crois que ce serait une régression dans notre pays.
Stéphane nous appelle de Dordogne, bonjour à vous et bienvenue sur France Inter.
Stéphane : Oui bonjour Messieurs, j'avais une question simple, parce que monsieur le Premier ministre a fait l'annonce que le nombre de chômeurs était en baisse.
On entend un petit bébé qui pleure derrière.
Stéphane : Oui, tout à fait ! Donc moi j'ai entendu dire un peu partout, que dans le nombre de chômeurs, on ne compte pas les personnes de plus de 55 ans qui sont rayées des listes. On ne compte pas les érémistes, on ne compte pas les stagiaires qui sont des chômeurs qui ont trouvé des stages temporaires. Donc je voudrais savoir ce que monsieur le Premier ministre entend par chômeurs.
Dominique de Villepin vous répond.
Ecoutez le chômage est comptabilisé en France, selon les mêmes règles depuis maintenant plusieurs dizaines d'années. Ce sont les règles du Bureau international du travail, les mêmes règles qui étaient appliquées sous le gouvernement socialiste de monsieur Jospin, sous celui de monsieur Raffarinet sous le mien. Si au football, demain, quand vous regardez votre match, vous avez la surprise de découvrir que les joueurs prennent le ballon avec la main et que l'arbitre ne siffle pas. Alors vous êtes en droit de considérer que ce n'est plus du football. En matière de lutte contre le chômage, ce sont les mêmes outils, il faut donc respecter ce que donne le thermomètre. Simplement, il y a un fâcheux penchant dans notre pays. Quand les choses vont mal, tout le monde reconnaît la qualité de l'outil, cela nous est arrivé au début de 2006, le chômage a connu une recrue - nous a conduit d'ailleurs à prendre de nouvelles mesures pour lutter encore davantage contre ce fléau, personne n'a alors rien dit. Nous avons, par une mobilisation sans précédent, car je suis le premier gouvernement, on peut le dire sans jambage, et je suis heureux de le dire sur France Inter, qui n'a refusé aucun moyen. Nous avons pris ce qui avait marché sous des gouvernements de gauche, ce qui avait marché sous des gouvernements de droite et nous avons été encore plus loin. Tous les moyens ont été mobilisés, eh bien c'est ce qu'explique la baisse sans précédent que connaît notre pays. Une baisse qui sera la plus forte depuis vingt ans.
Et quand on dit que les emplois sont de mauvaise qualité, c'est-à-dire, ce sont des emplois qui renforcent la précarité, on sait que c'est une réalité ça aussi, tout de même en France Dominique de Villepin, aujourd'hui. Des CDD, des emplois précaires, pas d'emploi au long court et donc des petites améliorations.
Dans les statistiques du chômage, c'est l'ensemble des catégories. Personne ne peut dire aujourd'hui que ce sont seulement des emplois intérimaires ou des CDD qui constituent l'amélioration de la situation de l'emploi. L'ensemble des contrats progresse et s'améliore. Donc, je pense qu'il ne faut absolument pas tomber dans l'idée que nous aurions aujourd'hui une progression qui serait due à une montée de la précarité, ce n'est pas vrai. C'est du à une montée de l'activité, plus de croissance, parce que nous avons créé les conditions de la croissance. Plus de compétitivité et nous constatons d'ailleurs que tous les outils nous mobilisent et nous permettent d'aller plus loin.
Jean-Marc de Montpellier dit la chose suivante ; qu'il ne trouve pas, qu'il ne voit pas le rapport entre une petite baisse du chômage et l'impression qu'ont les Français que le chômage ne baisse pas. On parlait de la joie de vivre tout à l'heure, que répondez-vous à une analyse de ce type, on n'a pas le sentiment que cela change.
Vous savez, quand tous les matins, vous vous réveillez avec des radios, des télévisions, des médias qui vous rapportent des témoignages, qui, certainement sont une expression - mais qui ne sont certainement pas l'expression de tous les témoignages. Eh bien, forcément vous avez une certaine couleur de la journée qui se dessine, donc je pense,
Ce n'est pas de notre faute quand même Dominique de Villepin ?
Je pense, je pense que les mauvaises nouvelles ont plus d'impact que les bonnes, mais je pense aussi que vous vous trompez dans ce que vous dites. C'est-à-dire qu'au fond d'eux et d'ailleurs toutes les statistiques en témoignent, les Français commencent à se rendre compte que les choses changent. Et je prendrais un exemple, les meilleurs témoins du chômage, ce sont les maires, quand la situation va mal, les maires voient progresser le nombre de demandeurs d'emploi dans les communes. Eh bien il y a un phénomène général en France et c'est vrai dans toutes les mairies. Le nombre de demandeurs d'emploi baisse, ça c'est un élément indiscutable. N'oublions pas non plus que nous sommes en période électorale et que donc, l'enjeu, est-ce que cela va mieux ou est-ce que cela va moins bien ? Est un élément de la politique à la veille des élections. Moi je me bats pour que ce gouvernement travaille jusqu'au bout, au-dessus de tous les intérêts particuliers pour servir uniquement le bien-être des Français et croyez-moi, ce combat, il sera mené dans les meilleures conditions jusqu'à la fin.
Et vous ne vous présentez donc pas à l'élection présidentielle ?
Et je ferai mon travail jusqu'au bout comme Premier ministre.
Merci infiniment Dominique de Villepin, on va vous laisser filer, parce que je crois que vous avez Conseil des ministres, on est mercredi, il est 8h57, alors à moins que vous ayez encore trois minutes, alors à ce moment là soyez le bienvenu.
Je vous remercie !
Merci infiniment en tout cas d'avoir été avec nous ce matin. Toujours autour de cette table avec Bruno Racine, pour ce 7-9.30 spécial, consacré au 30e anniversaire du Centre Pompidou. 7-9.30 qui va se continuer avec Esprit Critique de Vincent Josse. Bon, eh bien voilà on avait un débat aussi politique, un débat sur les affaires de la cité Bruno Racine.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 1er février 2007