Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec Radio J le 11 février 2007, sur les dossiers de politique étrangère consacrés au Proche-Orient et au nucléaire iranien.

Prononcé le

Média : Radio J

Texte intégral

Q - Que pensez-vous de l'évolution de la situation à Jérusalem ?
R - Je suis évidemment préoccupé, comme tout le monde, par ce conflit israélo-palestinien, dans lequel on sent, d'un côté, un Premier ministre, Ehud Olmert, qui cherche à se renforcer politiquement, et de l'autre côté, une Autorité palestinienne, qui souffre d'un manque de cohésion, avec une quasi guerre civile sur son territoire.
Q - Sur Jérusalem ?
R - Je suis très préoccupé par ce qui se passe à Jérusalem.
Q - Très préoccupé, pourquoi ? Vous avez parlé, vous avez critiqué ce qui se passe à Jérusalem dans le courant de la semaine. Pour vous, il s'agit d'une provocation du gouvernement israélien ou d'une instrumentalisation de cette non-affaire par les islamistes palestiniens.
R - Je souhaite, pour être clair, qu'il y ait très rapidement de part et d'autre, un arrêt des affrontements à Jérusalem. C'est un lieu important, à plus d'un titre. Je demande à ce qu'il n'y ait aucune provocation ni aucune réaction sur ce sujet.
Q - Où situez-vous la provocation ?
R - La provocation, vous la connaissez. Je souhaite, et je n'en dirai pas davantage, qu'il n'y ait ni provocation, ni réaction, rien qui ne favorise les extrémistes qui n'attendent que cela aujourd'hui, au moment où la médiation saoudienne commence à produire son effet.
Q - Vous parlez de provocation, il faut aussi resituer les choses, donc ce qui se passe aux abords de l'Esplanade du Temple ou de l'Esplanade des Mosquées, il y a ces deux termes employés pour cet endroit. Il s'agit des travaux de réfection d'une rampe d'accès au Mont du Temple ou à l'Esplanade des Mosquées, dont la détérioration faisait peser des risques d'effondrement de l'Esplanade et du Mur des Lamentations. Où est la provocation ?
R - Je ne veux pas m'exprimer plus là-dessus. Je vous dis qu'au moment où je parle se jouent des choses très importantes sur le plan de la politique internationale. Je ne veux pas que certains puissent venir déstabiliser le processus politique relancé depuis la réunion du Quartet, et souhaité par la communauté internationale. Je ne souhaite pas que, les uns ou les autres, réagissent à ce que j'appelle des provocations. Je ne rentrerai pas dans ce jeu.
Q - Donc on ne peut pas savoir où vous vous situez, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères ?
R - J'ai énormément de respect pour Israël. Vous savez que je suis depuis toujours un ami des Israéliens. Je pense qu'être ami des Israéliens, aujourd'hui, c'est au Liban, aider Fouad Siniora et son gouvernement, c'est aider Mahmoud Abbas et l'Autorité palestinienne, et c'est éviter de rentrer dans le jeu des provocateurs.
Q - Je pose la question comme Israélien. Parler de Jérusalem comme de la capitale d'Israël, cela vous choque, Monsieur le Ministre ?
R - Je ne tiendrai pas, dans cette émission, des propos qui ne contribueraient pas au processus de paix. J'ai compris, depuis maintenant vingt mois, qu'il était nécessaire d'avancer sur le processus de paix. Et c'est avec des petites phrases, ici ou là, que l'on recule et que la guerre s'installe. Au moment où le Quartet se réunit, au moment où le bilan humain s'alourdit, vous me permettrez de parler du fond, c'est-à-dire de la médiation saoudienne à La Mecque.
Q - Nous allons parler de la médiation saoudienne à La Mecque. Jacques Chirac s'est félicité de la médiation saoudienne. Vous-même, vous vous en êtes félicité. Est-ce que, pour vous, il s'agit d'un bon accord ?
R - La France, en effet, a salué l'accord de La Mecque entre les deux principales factions palestiniennes, sur la formation d'un gouvernement palestinien d'union nationale. Et cela pour deux raisons.
D'abord, parce qu'après plusieurs semaines d'affrontement, il est important de faire taire les armes. Cela est important pour les Palestiniens, mais aussi dans l'intérêt d'Israël qui a besoin d'un interlocuteur en face de lui.
Ensuite, parce que le programme annoncé par le gouvernement d'union nationale est un pas vers la pleine adhésion aux demandes de la communauté internationale, auxquelles la France reste évidemment attachée, s'agissant en particulier de la reconnaissance d'Israël.
Q - Avec les conditions du Quartet ?
R - Ce n'est pas parfait. On reste dans l'ordre de l'implicite. Mais c'est une évolution qu'il faut encourager. C'est pourquoi nous estimons que le nouveau gouvernement, sur la base de ce programme, doit être soutenu par la communauté internationale. Il appartient désormais aux Palestiniens de confirmer leurs engagements de La Mecque en formant ce gouvernement. Alors oui, cela ouvrira la voie à de nouvelles relations de coopération et à la relance du processus de paix. Vous me demandez si je soutiens toujours les principes du Quartet. La France est pleinement attachée aux principes du Quartet. C'est d'ailleurs précisément parce que l'accord de La Mecque constitue un pas important vers la réalisation de cet objectif, que nous l'avons salué. La communauté internationale doit consolider maintenant cette évolution, l'accompagner pour qu'elle aboutisse aussi rapidement que possible à l'adhésion explicite, cette fois, et à la mise en oeuvre des demandes de la communauté internationale.
Q - Sur les conditions du Quartet. On pose la question : est-ce qu'aujourd'hui cet accord répond vraiment aux conditions du Quartet ? Il semble à Jérusalem qu'il y a une ambiguïté peu constructive, finalement...
R - Aujourd'hui, personne n'a véritablement dénoncé non plus...
Q - Ehud Olmert exige des Palestiniens l'application des conditions du Quartet.
R - Ignorer l'accord et l'évolution positive qu'il traduit reviendrait à saboter tous les efforts du président Abbas pour rassembler les Palestiniens. Cela aboutirait à renvoyer les Palestiniens à leurs divisions, à leurs affrontements, et on sait qu'existe un risque de chaos.
Q - De chaos ? Tout à l'heure vous parliez de guerre civile.
R - Ce serait donc faire le jeu des extrémistes. Aujourd'hui, le Fatah et le Hamas mènent presque une guerre civile qui pourrait déboucher sur le chaos.
Q - Vous pensez que l'on est en pleine guerre civile aujourd'hui ?
R - Si le chaos s'installe, les Israéliens n'y ont aucun intérêt, car ils ont besoin d'avoir en face d'eux un interlocuteur crédible.
Q - Estimez-vous aujourd'hui que le Hamas constitue une mouvance constructive chez les Palestiniens et un interlocuteur possible à l'avenir ?
R - Il faut distinguer deux choses : d'une part, le nouveau gouvernement d'union nationale dans lequel le Hamas sera minoritaire, et dont le programme nous rapproche significativement des exigences du Quartet. Si ce gouvernement voit le jour et qu'il respecte les engagements de La Mecque, alors oui, il sera possible de travailler avec lui. D'autre part, il y a le Hamas en tant qu'organisation, qui refuse expressément de reconnaître Israël, laquelle est inscrite sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne et avec laquelle il n'est pas question d'avoir des contacts.
Q - Vous croyez vraiment, quand vous parlez de guerre civile, qu'on peut sortir de cette guerre civile, qu'il peut y avoir un terme aux affrontements inter-palestiniens ?
R - Si le gouvernement d'union nationale, tel qu'il a été défini à La Mecque, respecte les engagements, alors cela ouvrira la voie à de nouvelles relations de coopération, en matière d'aide et de dialogue politique par exemple, et espérons-le, à une relance du processus de paix.
Q - Est-ce le moment de rétablir l'aide directe au gouvernement palestinien, par l'Union européenne, par la France ?
R - Ce qui s'est passé à La Mecque est très important, et nous l'avons salué : pour la première fois le Fatah et le Hamas, M. Abbas et M. Haniyeh, se sont mis d'accord pour former un gouvernement d'union nationale. Soit ce gouvernement est constitué, soit il ne l'est pas. S'il l'est, et qu'implicitement il reconnaît Israël, puisque qu'il reconnaît les Accords d'Oslo, alors je dis que cela va dans le bon sens.
Q - Ce n'est pas ce qu'a dit le porte-parole du Hamas. Il a exclu toute reconnaissance d'Israël.
R - Il y a d'un côté un gouvernement d'union nationale, dans lequel le Hamas serait minoritaire, et qui reconnaîtrait les engagements de La Mecque. Cela, ça va dans le bon sens. Et de l'autre côté, il y a le Hamas lui-même, qui est un mouvement inscrit sur la liste des mouvements terroristes pour l'Union européenne, qui ne reconnaît pas Israël. Il n'est pas question d'avoir un contact avec lui.
Q - On va en venir à la situation au Liban. Cela fait quasiment six mois qu'Israël a retiré ses forces du Liban. Il y a eu, au début de la semaine, un incident entre forces libanaises et israéliennes. Vous avez parlé de dérapage. Un dérapage de la part de qui ? A qui en incombe la faute, selon-vous ?
R - Je crois que la seule façon aujourd'hui d'assurer la stabilité du Liban dans la durée est de le mettre à l'abri des ingérences extérieures. Le Liban ne doit plus jamais redevenir l'otage d'intérêts qui lui sont étrangers.
Q - C'est-à-dire, précisément, cela veut dire quoi ?
R - En particulier l'otage de ses voisins. Il est tout à fait important que la Syrie puisse répondre de manière pleine et entière, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, aux questions de la commission internationale présidée par le juge Brammertz.
Q - Suite à l'assassinat de Rafic Hariri..
R - De Rafic Hariri et d'autres. C'est en effet cela que la France souhaite, et c'est ce sur quoi la France travaille sans relâche, depuis deux ans maintenant. Si nous l'avons fait, c'est parce que cela correspond à l'aspiration des Libanais.
Q - Sur l'incident qui est intervenu en début de semaine, un dérapage de la part de qui ?
R - Nous attendons maintenant un rapport de la FINUL pour savoir ce qui s'est passé entre l'armée libanaise et l'armée israélienne. J'aurai l'occasion, comme d'habitude, de dire exactement, en toute transparence, ce que je pense de cela.
Q - En toute transparence, confirmez-vous que, selon les informations de la FINUL, le Hezbollah cherche à se réarmer ?
R - La résolution 1701 - pour laquelle la France et votre serviteur, en particulier, a beaucoup travaillé -, qui a été votée à l'unanimité du Conseil de sécurité, le 11 août dernier, dit clairement que le Hezbollah ne doit pas se réarmer.
Q - Ce n'était pas la question.
R - Je pense, aujourd'hui, à ces 1.600 jeunes Français qui sont là-bas, au Liban-Sud. Il est tout à fait nécessaire que le Hezbollah soit aujourd'hui un mouvement politique. Il n'y a pas de réarmement envisageable, c'est écrit noir sur blanc dans la résolution 1701.
Q - Comment qualifiez-vous le Hezbollah ? Organisation politique, sociale ? Vous connaissez en France un parti politique disposant de 15 000 missiles ?
R - La France n'a pas d'ennemi au Liban. La France a des valeurs universelles qui sont l'absence d'ingérence, l'absence d'atteinte à l'intégrité territoriale d'un pays, à son indépendance et à son unité nationale. Cela dit, nous n'avons pas d'ennemi au Liban. Le Hezbollah est sans doute une milice, mais c'est aussi un mouvement politique qui représente une grande partie de la communauté chiite au Liban. Il a pleinement sa place dans la vie politique et les institutions libanaises. Son désarmement est évidemment l'objectif de la communauté internationale mais ce doit être avant tout celui des Libanais eux-mêmes et chacun sait que cet objectif ne peut être atteint qu'avec un dialogue inter-libanais. La guerre du Liban du mois d'août nous montre qu'il n'y a pas de solution purement militaire à ce sujet.
(...)
Q - On reste sur le Liban et sur le rôle de la Syrie. Est-il toujours hors de question pour la France de dialoguer avec la Syrie ? Vous savez bien que, même en Israël, il y a des voix qui s'élèvent pour des négociations directes entre le gouvernement Assad et le gouvernement Olmert.
R - Il faut bien comprendre la position de la France, qui est un pays ami du Liban Qu'est-ce qui se joue au Liban en réalité ? Ce sont l'indépendance politique d'un pays, sa souveraineté politique, la coexistence pacifique de 18 communautés. Et nous pensons que personne, pas même ses proches voisins, ne doit déstabiliser un pays qui partage les mêmes valeurs que les nôtres. Dans ces conditions, il y a une nécessité d'unité de la part des Libanais. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faut à tout prix un dialogue inter-libanais. Et je souhaite que la majorité et l'opposition ne continuent pas ce qu'ils font même si, depuis le 25 janvier, il n'y a pas beaucoup de manifestations ni de violence.
Par ailleurs, il y a une nécessité de non-impunité, une nécessité de justice et c'est le Tribunal international qui vise à y répondre. Il faut écouter l'exigence de justice des Libanais qui réprouvent les multiples attentats contre des responsables politiques ou des journalistes. Cette exigence correspond à une demande des autorités libanaises. Je suis frappé de voir l'émotion que cette question suscite au Liban. Le Tribunal international n'est qu'un outil technique qui, le moment venu, devra tirer les conclusions judiciaires des résultats de l'enquête de la communauté internationale.
Q - Le moment venu, c'est-à-dire ?
R - Dès l'instant où ce Tribunal sera mis en place.
Q - Ce que nous ne comprenons pas dans la position française par rapport à la Syrie, c'est que le président Chirac a été le seul chef d'Etat occidental à assister aux obsèques de M. Hafez el Assad et ensuite, la rupture est survenue.
R - Lorsque vous croyez en la diplomatie, vous devez accorder votre confiance aux responsables politiques qui représentent la diplomatie, ainsi que le président de la République l'a dit à plusieurs reprises.
Q - Donc, la confiance n'existe pas ?
R - Il s'est exprimé à ce sujet à de multiples reprises.
Q - Pourra-t-elle revenir ?
R - Si la Syrie coopère réellement avec le Tribunal international, si nous sentons qu'il existe vraiment un respect total de l'indépendance et de la souveraineté du Liban de la part de tous ses voisins, bien évidemment, la confiance pourra revenir.
Q - Justement, sur la souveraineté du Liban, une question concernant le survol du ciel du territoire libanais. Il semble qu'Israël, d'après vous, ne doit pas survoler le territoire libanais car cela va à l'encontre de la légalité internationale. Par ailleurs la FINUL, qui représente la légalité internationale, possède des drones, des drones français, qui sont toujours inutilisés. Il semblerait qu'il y ait un veto du Hezbollah. Qui peut survoler le ciel libanais alors ?
R - Moi j'ai une question à vous poser : A quoi sert le survol du Liban-sud ?
Q - D'après les responsables israéliens, cela sert à obtenir des informations très concrètes concernant le transport des armes.
R - Et vous pensez donc que les satellites américains ne regardent pas au mètre près le transport d'armes donc !
Q - Il semblerait que les informations des drones ou des avions qui sont beaucoup plus proches du secteur sont plus précises. Les satellites français ont-ils des informations ?
R - Non, je n'ai pas d'information. Je connais à peu près la définition des images sur le terrain, comme président de l'Agglomération du grand Toulouse, où l'on fabrique tous les satellites européens.
Q - Est-ce précis à quelques mètres ?
R - Oui, la précision est de l'ordre de quelques mètres et, bientôt, elle le sera de l'ordre de quelques centimètres. Je pense que les moyens techniques satellitaires peuvent être utilisés pour le recueil des informations.
Q - Les drones de l'ONU ne servent donc à rien ?
R - Non, je ne dis pas cela. Votre confrère me dit que ces survols sont effectués pour avoir des photographies. Moi je lui réponds qu'en termes d'images, il y a aussi d'autres méthodes. Mais, bien entendu, je ne suis pas un spécialiste.
Q - Moi non plus, mais si l'on approfondit cette question, il y a des problèmes de "timing" très précis, les satellites ne peuvent pas toujours effectuer des clichés dans des zones précises et à des moments précis. Mais, pour en revenir aux drones français, la FINUL les utilisera-t-elle ?
R - Comme vous le savez, aujourd'hui, les tâches sont divisées. Je m'occupe de la diplomatie et Mme Alliot-Marie de la Défense.
Q - Et nous verrons dans 3 mois si les rôles seront inversés. Monsieur le Ministre, Jacques Chirac a expliqué la semaine dernière et de façon très claire qu'il ne fallait pas s'inquiéter des capacités nucléaires iraniennes, même militaires. Il y a eu ensuite un démenti, le monde entier a donc compris qu'il existait deux positions françaises, l'une officielle très dure et l'autre officieuse beaucoup plus souple et plus compréhensive vis-à-vis de l'Iran. Après ces déclarations du président Chirac, vous ne pouvez donc pas nier que la donne a changé ?
R - Je ne veux pas vous laisser dire cela parce que c'est faux. Il ne faut pas laisser croire des choses inexactes à ceux qui nous écoutent ou à ceux qui nous lisent.
La position française n'a absolument pas varié. Dans la vie politique, dans la vie politique internationale, en particulier, il n'y a qu'une seule chose qui compte, ce sont les actes. Le 23 décembre 2006, au Conseil de sécurité des Nations unies - il ne vous aura pas échappé que nous sommes membres permanents de ce Conseil -, nous avons voté, pour la première fois, des sanctions contre l'Iran. Des sanctions économiques contre, à la fois le programme nucléaire iranien - qui concerne les personnes ou les entités -, et contre le programme balistique iranien - qui concerne les personnes ou les entités.
C'est une première et nous avons obtenu l'unanimité en dépit des Américains qui souhaitaient des sanctions plus fortes et des Russes et des Chinois qui auraient préféré des sanctions moins fortes.
Ce qui nous a semblé important, c'est que nous restions fermes et unis. A partir de là, l'Iran doit accepter les conditions de la communauté internationale en suspendant les activités nucléaires sensibles - je dis bien suspendre les activités nucléaires sensibles -, et nous sommes alors prêts à suspendre les sanctions définies par le Conseil de sécurité des Nations unies.
C'est le président Chirac qui a eu cette idée. Il l'a proposé à la communauté internationale au mois de septembre dernier, lors de l'Assemblée générale des Nations unies. Je vois avec plaisir que M. El Baradeï vient de la reprendre.
Q - Justement, M. El Baradeï a peut-être repris cette idée mais, ce matin-même, le président Ahmadinejad promet un progrès dans le nucléaire iranien d'ici au 9 avril. A priori, ce progrès concernerait l'enrichissement de l'uranium. De plus, il se dit prêt à négocier sans suspension de cet enrichissement J'aimerais avoir votre réaction et la réaction officielle de la France ?
R - Il faut être extrêmement clair et très rigoureux sur une éventuelle proposition iranienne consistant à ne plus introduire de matières dans les centrifugeuses pendant qu'elles tourneraient encore. Mais cela ne répondrait absolument pas à l'exigence du Conseil de sécurité des Nations unies. Une telle mesure ne serait même pas une véritable pause, ni une mesure de confiance puisqu'en faisant tourner ces centrifugeuses, les Iraniens obtiendraient beaucoup d'informations essentielles pour faire avancer leur programme nucléaire interdit et pour progresser vers une capacité nucléaire qui ne serait pas à des fins pacifiques.
C'est inacceptable et comme l'a dit la chancelière allemande hier, il ne faut pas que M. Ahmadinejad "finasse". Il faut faire un choix clair entre le respect intégral de ce que demande la communauté internationale à l'Iran. Ou bien alors, ce sera l'isolement de l'Iran.
Il faut que ce pays puisse retrouver la raison concernant cette question.
Q - Dans votre livre, vous parlez du président Ahmadinejad. Que pensez-vous de l'homme ? Est-ce un fou ou un homme politique qui peut être ramené à la raison ?
R - J'observe, en Iran, depuis deux à trois semaines, qu'il y a un vrai débat entre les anciens, comme l'ancien président Khatami, M. Hachemi Rafsandjani son frère, des proches du Guide suprême, M. Khamenei, qui se posent des questions sur le bien-fondé de la position du président iranien sur ce dossier nucléaire.
Personnellement - et j'ai même été le seul ministre des Affaires étrangères occidental à participer à un "chat" sur Internet en compagnie d'étudiants iraniens-, je pense qu'il est très important de pouvoir dialoguer avec cette société qui est ouverte, avec des étudiants qui écoutent, qui échangent et qui utilisent beaucoup Internet. Il est important de leur expliquer les enjeux aujourd'hui : l'isolement, les sanctions économiques, d'une part, les propositions de la communauté internationale en termes d'investissements en Iran, d'autre part. Cette civilisation millénaire doit réfléchir à son avenir.
Q - Je ne nie pas les actes de la France mais malgré tout, le président français a parlé, il est intervenu dans le "New York Times", au "Nouvel observateur", des collègues très respectés et respectables et il semble que dans sa première intervention, M. Chirac et la France en fait s'attend à une guerre froide au Proche-Orient, sur le modèle de la guerre froide Est-Ouest. Mais comment se fait-il que cette théorie ne prenne pas en compte les tentations suicidaires de M. Ahmadinejad ?
R - Non seulement, nous avons condamné très fermement les propos inacceptables et choquants de M. Ahmadinejad concernant Israël, mais le président de la République n'a pas dit autre chose que si l'Iran prenait l'option militaire sur le plan nucléaire, ce serait une voie sans issue. Voilà ce qu'il a rappelé.
Ensuite, qu'il accorde des interviews à des journalistes concernant la Conférence sur l'Environnement, qu'un journaliste lui pose une question sur l'Iran, et qu'il juge nécessaire de rappeler l'un des journalistes pour compléter sa réponse, franchement, c'est tout à son honneur.
Aujourd'hui, c'est avec fermeté, et en étroite collaboration avec les Européens mais aussi avec les Américains, les Russes et les Chinois, que nous travaillons sur ce dossier. Notre position n'a pas changé.
Q - Le CRIF appelle à la mobilisation contre ce qu'il appelle la menace iranienne. Il y aura, mardi, un meeting à la Mutualité avec un certain nombre de candidats à la Présidentielle dont Ségolène Royal, sans doute Nicolas Sarkozy, François Bayrou, d'autres peut-être. Y participerez-vous ?
R - En Iran aujourd'hui, se jouent beaucoup de choses.
Il y a d'abord ce dossier nucléaire iranien qui est important ; c'est certainement le dossier le plus grave de l'agenda international, aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle, comme vous le savez, je prône depuis le début, une fermeté sans faille sur ce dossier nucléaire iranien.
Ensuite, il y a le rôle de l'Iran dans la région. Nous parlions tout à l'heure de la Syrie, du Hezbollah et tout le monde sait qu'il existe des relations entre ces deux partis et l'Iran. Mais, par ailleurs, il existe maintenant un débat au sein de l'Iran et il faudrait faire la différence entre ceux qui veulent une société iranienne plus ouverte et ceux qui soutiennent le président iranien, qui est capable d'organiser une Conférence sur l'Holocauste, et qui souhaite, de surcroît, rayer Israël de la carte.
C'est totalement inacceptable.
Q - Alors, pour vous, la solution est donc un changement de régime ?
R - La solution, c'est de tout faire pour que les Iraniens eux-mêmes, sur le plan démocratique, comprennent le risque d'avoir un chef de l'Etat qui les isole. Je ne dis rien de plus depuis 20 mois.
Q - La solution, c'est donc un changement de régime et la possibilité pour les modérés de mettre à l'écart du pouvoir M. Ahmadinejad. Est-ce cela ?
R - Il faut faire attention aux mots. Qui sommes-nous pour dire que dans telle situation, il faut telle solution et dans d'autres, il faut telle autre ?
Nous disons simplement aux Iraniens qu'ils sont souverains, qu'ils vont voter démocratiquement, comme ils l'ont fait à Téhéran il y a quelques jours où ils ont infligé une très grave défaite au président iranien, lors des élections municipales de Téhéran. Nous leur disons que, prochainement, ils auront un choix à faire et qu'il est important en effet de ne pas continuer sur la voie de l'isolement.
Q - Si vous étiez citoyen iranien aujourd'hui, vous voteriez contre M. Ahmadinejad, il faut donc qu'il quitte le pouvoir ; est-ce bien cela ?
R - Qui êtes-vous pour dire : "Il faut" ? C'est aux Iraniens à décider de cela. Il est donc important de pouvoir leur parler, de pouvoir leur dire de ne pas s'isoler. Et c'est ce pour quoi ils ont voté récemment aux élections municipales à Téhéran.
Q - On entend parler de sanctions, vous-même vous vous exprimez sur ce sujet. Une option diplomatique est-elle réellement crédible sans la menace, même implicite de l'usage de la force ?
R - Le règlement du dossier nucléaire iranien doit être trouver par une solution négociée, dans le cadre du système multilatéral. Il faut donc explorer toutes les possibilités qu'offre la voie diplomatique, afin d'éviter une déstabilisation qui pourrait être très grave pour la région du Moyen-Orient, et probablement au-delà.
Vous me parlez des sanctions. C'est vrai, les sanctions font partie des instruments du système multilatéral. Nous en sommes aux premières sanctions économiques. Elles doivent toujours être envisagées dans une perspective pacifique : gêner le développement des programmes dangereux de l'Iran, placer l'Iran devant le choix entre une coopération et un isolement. L'approche que nous avons retenue à travers la négociation est de permettre de trouver une sortie de crise.
Q - Vous parlez de sanctions, mais estimez-vous que l'option militaire est exclue, notamment dans l'esprit des Américains ? Pensez-vous qu'il n'en est pas question aujourd'hui et qu'il n'en sera pas non plus question pour l'avenir ?
R - Il faut comprendre comment fonctionne le Conseil de sécurité des Nations unies. Tout d'abord, je pars du principe que, pour les sanctions, il y a une règle d'or : il faut qu'elles soient prises à l'unanimité. Et c'était tout le problème en Irak lors de la dernière guerre. Bien sûr, je ne compare pas les deux sujets.
Ce qui fait la force d'une résolution, c'est l'unité avec laquelle elle a été prise. Et si vous voulez obtenir l'unité, il faut agir très progressivement, en commençant par des sanctions économiques.
Q - Venons-en très rapidement à la situation en Irak. Le nouveau commandant en chef américain est arrivé cette semaine à Bagdad, croyez-vous réellement au plan américain de sécurité, plan décrit comme celui de la dernière chance ?
R - Le sujet irakien est aujourd'hui de plus en plus délicat, car si on l'examine, on s'aperçoit qu'il y a un triple aveuglement.
D'abord, un aveuglement concernant les objectifs. Les Américains souhaitaient détruire des armes de destruction massive et il se trouve qu'il n'y en avait pas.
Par ailleurs, les Américains pensaient imposer par les armes la démocratie en Irak et intervenir en l'absence d'une décision unanime du Conseil de sécurité.
Ensuite, il y a eu un aveuglement par rapport aux moyens. Les forces étrangères qui étaient en présentes en Irak ont employé des moyens pour renverser un régime, mais il n'y a pas suffisamment de moyens pour stabiliser durablement le pays et pour installer de nouvelles institutions. Donc l'insurrection et les organisations terroristes en ont tiré parti pour se développer.
Enfin, il y a un aveuglement concernant la stratégie, car la stratégie militaire ne peut pas être une fin en soi. On le voit bien aujourd'hui.
Q - Ce qui a conduit Dominique de Villepin mardi à dire dans le "Financial Times" que le diagnostic était cruel et que les Etats-Unis avaient échoué en Irak. Vous-même, vous parlez de la politique américaine. Mais, parallèlement, M. Poutine critique également les Etats-Unis. Alors, selon vous, faut-il parler de la constitution d'un axe Paris-Moscou, contre Washington ?
R - Il n'y a pas de solution militaire à la crise en Irak.
Q - Mais pour la constitution de l'axe dont je vous parle à l'instant ?
R - Oui, c'est cela, les Russes ont dit exactement la même chose que nous au départ, il n'y a pas de solution militaire à la crise en Irak. Nous le pensons en effet ensemble.
Par ailleurs, la présence de troupes étrangères alimente la violence, elle est exploitée par les terroristes pour accroître leur audience aujourd'hui. Et l'essentiel des maux dont souffre l'Irak aujourd'hui a des ressorts internes. La solution ne peut donc pas venir de l'extérieur.
Pour autant, nous pensons que le retrait des troupes étrangères, les troupes américaines et britanniques, peut se faire, à l'horizon 2008. C'est indispensable.
Le Premier ministre a donné un délai d'une année, j'ai parlé de l'horizon 2008. Il s'agit d'une indication, d'une date indiquant un calendrier possible.
Q - Et lorsque le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates a indiqué aujourd'hui dimanche que tous les pays de l'Alliance atlantique subiraient les conséquences d'un échec des Etats-Unis en Irak, que lui répondez-vous ?
R - Je réponds que ce qui se joue aujourd'hui en Irak, c'est une seule chose, le respect de la souveraineté irakienne. Au fur et à mesure que les troupes étrangères occupantes vont se retirer, il y aura un mouvement positif, et en parallèle de retour de la souveraineté irakienne, avec une force de police, avec un Etat de droit, avec une justice et une santé publique. Donnons aux Irakiens la possibilité de reprendre leur pays en mains, car il existe là-bas des conflits ethniques, religieux et politiques. La seule solution est d'avoir une logique inclusive qui permette à tous, en particulier à tous les partis politiques, de participer au gouvernement de M. Al-Maliki. Il faut également que tous puissent bénéficier des ressources naturelles de l'Irak, en particulier du pétrole.
Q - Un autre dossier de politique étrangère, la semaine prochaine à Cannes aura lieu le Sommet France-Afrique, il y a une incertitude quant à la présence du Sud-Africain M. Mbeki. Sera-t-il là ?
R - Je pense que de très nombreux chefs d'Etats et de gouvernements seront autour du président Chirac.
Q - Au moins 6 seront absents faisant suite à la non-invitation de M. Mugabe.
R - C'est au président Mbeki à s'exprimer sur ce sujet. Je n'ai pas d'informations particulières à vous donner. Il a dit en effet que, peut-être, il ne viendrait pas. Mais je n'ai pas encore toutes les informations nécessaires.
Q - Considérez-vous qu'il sera présent ?
R - J'attends.
Q - Vous attendez donc a priori, à l'heure où nous parlons, il reste une grande incertitude quant à sa présence à ce sommet ?
R - J'attends.
Q - Concernant les relations France-Afrique, le président chinois s'est rendu en Afrique ces derniers jours, les Américains obtiennent des parts de marché. La zone d'influence française en Afrique ne serait-elle pas en train de se restreindre au profit des Etats-Unis et de la Chine ?
R - Il faut plutôt poser la question différemment.
Q - Alors, allez-y, répondez à votre question.
R - Vous posez la question en fait, et c'est terrible, de savoir si certains, plus que d'autres, pillent l'Afrique. C'est bien cela et c'est la même question qui se pose depuis 40 ans. Qui pille le plus en Afrique ?
Il faut cesser de poser cette question et passer maintenant à autre chose. L'Afrique, c'est une chance pour le monde. La jeunesse de l'Afrique, c'est la jeunesse du monde. Il y a déjà 5 % de croissance annuelle en Afrique et il faut que ce soit 10 %. Pour ce faire, il nous faut travailler tous ensemble à une mondialisation équitable. C'est ce que je fais avec UNITAID et ceux qui pensent ainsi auront raison.
Ensuite, il y aura des jeunes démocrates mais le jour où, le sida, la tuberculose, le paludisme cesseront de tuer toutes les élites politiques, les chercheurs, les ingénieurs, les agronomes et les infirmières, évidemment, les choses iront mieux.
Aujourd'hui, qui marche vers cette mondialisation équitable pour sauver l'Afrique et qui ne veut pas suivre ? Il faut tenter d'être très talentueux, parfois provocateur, pour demander à ceux qui n'ont pas encore rejoint UNITAID de le faire. (...)source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2007