Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à France 2 le 18 janvier 2001, sur sa proposition d'union de l'opposition et sur sa candidature à l'élection présidentielle de 2002.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Claude Sérillon : Alors on va parler tout de suite de l'union de la droite. Alors il y a eu l'appel de M. Balladur. Il y a eu le plan Juppé inspiré peut-être par l'Elysée. L'un de vos amis Dominique Paillé, secrétaire général de l'UDF, vous devez le connaître, dit que c'est un "piège à cons", les appels à l'union. Vous êtes d'accord avec cela ?
Alain Madelin : Non. Moi je suis toujours partisan de l'union de l'opposition, mais une vraie union, c'est-à-dire au moins les formations existantes et sans doute un peu plus. Il faut agrandir l'opposition. Il ne faut pas la rétrécir. Et moi j'ai toujours...
CS : L'agrandir à qui ?
AM : L'agrandir. L'agrandir on le voit bien. Tenez Charles Millon à Lyon. Il faut fermer les querelles d'une autre époque.
CS : Vous pensez qu'il faut le soutenir, qu'il faut faire alliance avec Charles Millon.
AM : Au deuxième tour sûrement. Et puis Génération Ecologie, il y a des tas de clubs. Enfin, bref, je suis partisan du mouvement le plus large possible de toute l'opposition pour gagner les élections législatives lorsqu'elles viendront. J'ai toujours milité pour l'union. Mais l'union ce n'est pas une fin en soi.
CS : Telle qu'elle est proposée par Edouard Balladur, telle qu'elle est proposée par Alain Juppé. Ca vous va ou pas ?
AM : On y arrive . L'union pour quoi faire ? Moi je veux travailler à réussir l'alternance en 2002. Et là franchement c'est vrai que le projet qui a été élaboré, fabriqué ou béni à l'Elysée, c'est la de guimauve, de la guimauve et de la guimauve. Franchement en tout cas, la droite ne s'y reconnaîtra pas. Et moi sûrement pas. Ce sera peut-être le projet de Jacques Chirac aux présidentielles, je n'en sais rien. Je ne lui conseille pas. Vraiment il n'y a rien dedans. La réduction d'impôt, la réduction des réglementations, la réduction de la dépense publique, rien. La réforme de la justice, la sécurité, l'immigration, rien de concret. La liberté scolaire, l'autonomie des universités, rien. Alors moi quand je vois tout cela, je me dis qu'il y a des choses à dire. Je les dirais à mes amis à l'intérieur de l'union de l'opposition...
CS : En clair, vous allez leur dire : vous êtes nuls.
AM : ... pour enrichir le projet. Et puis je le dirais aussi dans le premier débat qui vient et qui est celui des élections présidentielles puisque l'on va changer le calendrier. Et bien on va avoir le débat des idées aux élections présidentielles au premier tour. Et puis au deuxième tour des élections présidentielles nécessairement il y aura l'union. Et à mon avis, la véritable union se fera au deuxième tour de l'élection présidentielle.
CS : Attendez, j'ai du mal à vous comprendre. Parce que, bon, vous êtes pour l'union et vous avez déjà dit que vous étiez candidat à l'élection présidentielle, c'est-à-dire que vous commencez déjà par diviser la droite.
AM : Mais non.
CS : Il y a vous, il y a M. Bayrou, il y a M. Pasqua, il y aura sans doute M. Chirac.
AM : Je vais essayer de vous expliquer. Premièrement on a toujours été unis, un sigle commun, un projet commun, des candidats communs aux élections législatives. Et puis on a toujours , et c'est heureux, laisser vivre le débat d'idées aux élections présidentielles. Et les Français ne s'y trompent pas, ils veulent et l'un et l'autre. Ils ne veulent pas la carte forcée aux élections présidentielles. Et moi franchement j'ai envie de dire des choses à ces élections présidentielles. Je crois qu'il y a des choix modernes, des choix d'avenir, un besoin de réformes que je peux représenter, défendre devant les Français, et je l'espère, entraîner une majorité de Français. Et puis ensuite, il y aura les élections législatives. Donc on peut faire et l'un et l'autre. Et moi ce qui m'intéresse, effectivement, c'est de pouvoir présenter le choix de réformes fortes pour une France moderne. J'ai essayé de le faire chaque fois que l'occasion se présente. Nous avions un débat hier sur la régionalisation. Et bien j'ai essayé de présenter ce que pouvait être le nouveau visage d'une France qui s'appuie fortement sur un pouvoir régional.
CS : Pouvoir régional. On sait que vous appuyez le processus de Matignon pour la Corse. Ce n'est pas le cas de M. Chirac. Alors comment vous allez pouvoir faire l'union alors que vous êtes opposés sur une conception politique ?
AM : Ecoutez, ça c'est le deuxième tour d'une élection présidentielle qui le dira. Et puis les Français choisiront qui ils voudront voir en tête de l'opposition au premier tour de l'élection présidentielle. Alors la Corse, on y va. Rapidement, moi je ne suis pas pour un statut spécifique de la Corse. J'ai dis que le gouvernement se gourait et qu'en faisant un statut spécifique pour la Corse, il donnait le sentiment de récompenser le terrorisme. En revanche, je suis pour aérer la démocratie française pour un vrai pouvoir régional, pour de vraies libertés régionales, pour la Corse, pour la Bretagne, pour l'Alsace, pour nos départements d'Outre-Mer. Et puis ensuite chacun va poursuivre son propre chemin. Et de ce point de vue j'ai même le sentiment que par rapport à ce que se fait autour de nous en Europe, le projet corse, d'abord, devrait être pour toutes les régions françaises, et puis, il est extrêmement timide. La santé, la culture, l'éducation, les universités, tout ceci ailleurs n'est pas réglé du sommet ; tout ceci est réglé en faisant confiance à des pouvoirs régionaux.
CS : Et vous avez le sentiment que ça peut être partagé par exemple par les gaullistes, par le RPR, ce que vous dîtes là?
AM : Mais bien sûr.
CS : Vraiment ?
AM : Je me souviens du discours du Général de Gaulle, à Quimper, en 1969, qui était un appel à la responsabilité des régions. Et ça il faut qu'on aille un petit peu vers l'avant et pas vers l'arrière. Ce que je reproche au fameux projet d'union de l'opposition, dont vous parliez tout à l'heure, celui qui émanait de l'Elysée, c'est d'être finalement chèvre-choux, de ne pas se distinguer des socialistes et même d'être un recul par rapport à ce que l'opposition avait autrefois proposé. En tout cas ce projet là ne sera pas le mien et je vous garantis bien que tout au long de cette année, j'ai l'intention de faire vivre le débat des idées et des réformes.
CS : Alors, c'est intéressant parce qu'il va falloir que pendant un an vous fassiez entendre une voix Madelin, si j'ose dire, en sachant qu'au deuxième tour des présidentielles, il faudra sans doute vous rallier avec une équipe qui n'est pas franchement sur vos lignes.
AM : Ou l'inverse.
CS : Vous pensez que vous serez présent au deuxième tour ?
AM : Ou l'inverse. Ecoutez, rien n'est joué dans cette campagne électorale. Alors j'y vais, non pas avec l'intention de témoigner ou l'intention de figurer, mais avec la conviction chevillée au corps qu'il est possible de faire bouger ce pays et qu'un certain nombre de gens attendent des solutions modernes, réformatrices. On m'a souvent reproché, vous vous souvenez, : Alain Madelin il a peut-être de bonnes idées mais il est un trop en avance. Alors je crois que le moment est venu.
(Source http://www.demlib.com, le 13 mars 2001).