Texte intégral
Permettez-moi tout dabord de vous dire la joie - et la gourmandise - que jéprouve à vous accueillir ce soir au ministère de la culture.
Cest en effet la grande famille de lart culinaire que nous honorons aujourdhui avec quatre personnalités remarquables. Chacune delle, par son talent et son dévouement, a su apporter une contribution décisive au rayonnement de cet art :
Gérard Delessard comme boulanger au service de sa profession, Alain Senderens comme grand chef à la présidence du conseil national des arts culinaires, Pierre Hermé comme créateur pâtissier à lorigine du mouvement « art et dessert » et enfin François Simon comme critique gastronomique.
Chacune de ces personnalités, dans son domaine dexcellence a contribué au rayonnement de lart culinaire, qui a toute sa place dans ce ministère.
Cher Gérard Delessard,
Jai le plaisir dhonorer en votre personne un des plus beaux métiers qui soit, un métier qui donne du bonheur au quotidien et qui tient une place si forte dans notre imaginaire collectif : celui de maître du pain.
Cette profession si belle vous lavez dabord servie les mains dans le pétrin en tenant pendant quarante ans trois boulangeries-pâtisseries réputées dans la banlieue parisienne : celle de vos débuts à Colombes, celle de votre maturité à Ivry-sur-Seine et celle de votre consécration à Choisy-le-Roi, que vous avez mise en gérance quand votre parcours professionnel ne vous a plus permis dy être physiquement présent tous les jours. Car vous faites partie de ces artisans de cur et déthique qui ne conçoivent le pain que fait de façon artisanale et traditionnelle par lartisan en personne.
Je ne résiste pas au plaisir de rappeler que lune de vos grandes spécialités était le kougelhopf, dont vous débitiez de grandes quantités les samedis et dimanches. Merci davoir su être lambassadeur du patrimoine culinaire alsacien.
Très vite, vous avez pris conscience des enjeux de votre profession et vous avez compris quil fallait se battre pour affirmer la différence des vrais artisans par rapport aux boulangers presse-boutons et autres dépôts de pain.
Dès 1972, vous êtes devenu syndic des boulangers-pâtissiers du Val de Marne. Depuis 1979 - près de vingt ans déjà ! - vous êtes président du syndicat patronal de la boulangerie et boulangerie pâtisserie de Paris, Hauts de seine, Seine Saint-Denis et Val de Marne. Enfin depuis 1981 vous êtes président-adjoint de la confédération nationale de la boulangerie et boulangerie pâtisserie française .
Vous ne collectionnez pas les présidences pour le prestige, mais pour le service de votre profession. Vous dirigez également la publication du journal « La boulangerie française » depuis 1979 et votre connaissance de la profession vous a conduit au conseil central de loffice national interprofessionnel des céréales, lONIC pour améliorer la sélection des blés permettant de faire du bon pain. Permettez-moi dévoquer simplement vos activités dans les chambres de métiers du Val de Marne et dIle de France et dinsister sur votre dévouement à la chambre de commerce et dindustrie de Paris pour faire vivre lécole de boulangerie-pâtisserie de la rue Ferrandi.
La formation des jeunes vous a toujours passionné. Je partage avec vous la conviction que lavenir de votre beau métier est à ce prix. Votre plus grande fierté est davoir fait sortir de terre avec un acharnement peu commun le premier CFA de boulangerie-pâtisserie reconnu par léducation nationale.
Après avoir longtemps eu le sentiment que vous vous battiez à contre-courant, vous devez être heureux de voir que votre combat de toute une vie a enfin été couronné de succès : en effet le gouvernement a reconnu en juillet dernier la profession de boulanger-pâtissier et la protège désormais. Cest grâce à des hommes de votre tempérament que cette victoire a pu être obtenue et que la tradition du pain artisanal pourra continuer à prospérer dans nos régions.
Cher Gérard Delessard, pour honorer votre parcours professionnel exemplaire, je suis particulièrement heureuse, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, de vous faire officier de la Légion dhonneur.
Cher Alain Senderens,
Vous êtes lun de nos maîtres de lart culinaire et toute votre vie, vous avez mis votre passion au service de son rayonnement.
Votre belle terre de Bigorre vous a donné le goût des produits vrais et de la cuisine de mère, et même de grand-mère. Vous racontez vous-même que dans votre famille on ne vivait que pour deux choses : lire et manger. Voici deux préceptes que vous avez admirablement su mettre en oeuvre toute votre vie durant.
Après un apprentissage à lhôtel des ambassadeurs à Lourdes vous avez été formé dans les grandes maisons de votre temps à la Tour dArgent, au Berkeley et, signe prémonitoire, au Lucas-Carton, alors tenu par Marc Soustelle dans sa pleine gloire.
Vous avez alors très vite ouvert votre restaurant à lArchestrate au coin de la rue de Bourgogne et de la rue de Varenne avec pour emblème le patronyme du cuisinier de Périclès. Déjà la volonté dentrer dans lhistoire de la cuisine...
Cest alors que vous avez crée la nouvelle cuisine avec le regretté Jean Delaveyne, Michel Guérard et les frères Troisgros en dégageant des champs nouveaux à la création culinaire, en allégeant la cuisine française et en louvrant sur les cultures étrangères. Vous êtes alors récompensé par une, deux, puis trois étoiles Michelin et en 1985, vous vous installez dans le somptueux décor majorelle du restaurant Lucas-Carton qui avait connu vos débuts.
Votre création se nourrit de vos lectures et de vos recherches. Vous livrez vos chroniques dérudit et de gastronome dans la presse. Vous publiez vos recettes en les adaptant aux capacités du grand public. Et vous retrouvez la cuisine de Proust pour notre plus grand bonheur.
Votre femme Eventhia, une personne de coeur et de qualité, est votre complice dans la création et dans lécriture. Vous avez la chance de former un couple inséparable, toujours prêt à partir sur de nouveaux projets.
Infatigable chercheur, vous consacrez désormais votre talent aux accords entre les mets et les vins, formant à cette spécialité une génération de cuisiniers. Vous avez poussé la démarche jusquà acheter des vignes à Cahors pour désormais produire votre propre vin, le Gautoul.
Parallèlement à ces activités déclaireur de la gastronomie française, vous avez tenu à vous mettre au service de la collectivité et jai un grand plaisir à célébrer en vous celui qui fut plus de huit ans le président du conseil national des arts culinaires.
Sous votre impulsion, le CNAC a lancé à lintention des enfants un programme déveil au goût dans les écoles élémentaires ainsi que linventaire du patrimoine culinaire de la France. En redonnant le goût aux enfants, en réveillant la mémoire des produits oubliés, vous défendez plus quune tradition, un art de vivre à la française que nous partageons tous et auquel je suis personnellement très attachée.
Votre position éminente dans la gastronomie française, votre implication dans la vie de la profession et votre contribution au rayonnement de la haute-cuisine française méritaient une consécration sur le front des troupes des gastronomes.
Votre position éminente dans la gastronomie française, votre implication dans la vie de la profession et votre contribution au rayonnement de la haute-cuisine française méritaient une consécration sur le front des troupes des gastronomes.
Cher François Simon,
Les talents des créateurs de lart culinaire que nous venons dhonorer ne seraient pas perçus du grand public sans les hommes de plume qui savent les magnifier. Vous faites partie de ces auteurs et critiques culinaires qui cumulent pour notre plus grand plaisir la passion du coup de fourchette et le don de lécriture.
Permettez moi de révéler pour une fois lidentité du critique masqué qui met un point dhonneur à ne réserver son couvert que sous un nom demprunt, et à régler intégralement ses additions. Ces scrupules vous honorent et consacrent une carrière déjà longue de journaliste intransigeant.
Vous avez compris que le journalisme ne vaut que sil est vécu avec passion. Comme les grandes figures de la profession, vous avez commencé à la dure, dans la presse quotidienne régionale, à Presse-Océan, au poste ingrat de journaliste de nuit traditionnellement destiné à tester les débutants. Puis dans le même journal, vous avez découvert la réalité du terrain aux Sables dOlonnes. Vous faites un passage au Matin de Paris, faites vos armes de critique dans léquipe de Gault-Millau puis devenez rédacteur en chef de Cuisine et vins de France. Cest alors que Philippe Villin vous remarque et vous confie la rédaction en chef du Figaroscope en 1987.
Vous ne lavez pas quitté depuis et vous êtes devenu aujourdhui grand reporter au Figaro, un titre envié qui vous permet dintervenir à tout moment en fonction de lactualité culinaire.
Vos chroniques et votre guide « Paris fine gueule », paru de 1995 à 1997 aux éditions du Levant, sont plébiscités par les lecteurs. Vous avez contribué à rajeunir lart de la critique avec pertinence et impertinence. Vous navez pas hésité à vous attaquer aux valeurs consacrées et vous navez eu de cesse de défendre avec cur les petites maisons délaissées et les trésors de notre patrimoine culinaire dans vos chroniques dété.
La liste de vos collaborations impressionne. Critique solitaire mais reconnu, vous avez ainsi signé des articles dans plus dune dizaine de magazines et de journaux qui vont de la Revue du vin de France à Jazz Magazine et au Financial Times. Vous avez collaboré deux ans à la chaîne cablée Paris-Première. Votre passion - privée - pour le Japon débouche sur des collaborations - publiques - avec les magazines Figaro Madame Japon et Brutus. Enfin votre contribution récente au guide Zagat souligne que vous nhésitez pas à vous associer aux bonnes idées venues de létranger, même si elles bousculent nos idées reçues sur le métier de critique.
Vous réussissez à ciseler vos chroniques avec un don de la formule, un sens du raccourci et un art du trait qui rappellent nos meilleurs épigrammes. Vous avez contribué à redonner une touche littéraire à la critique gastronomique.
Cher François Simon, pour toutes ces raisons, je suis particulièrement heureuse de vous faire chevalier dans lordre des Arts et des Lettres.
Cher Pierre Hermé,
Vous êtes unanimement reconnu comme le nouveau maître de la pâtisserie française que vous avez révolutionnée avec vos collections saisonnières, vos créations originales, et vos classiques revisités. A 38 ans, lexploit nest pas mince. Et votre parcours professionnel peut être considéré comme fulgurant.
Vous ne pouviez mieux vous révéler à la gourmandise que dans notre belle terre alsacienne. Fils dun artisan de Colmar vous êtes à juste titre fier de reprendre le flambeau de la quatrième génération de pâtissiers. Vous avez appris le métier en observant votre père qui poussait les scrupules jusquà laisser reposer la pâte de son pain dépices une année entière pour obtenir la consistance craquante que nous aimons tant en Alsace. Et vous avez compris que dans lart culinaire, la seule vraie création ne peut que sappuyer sur une connaissance intime de ce que nous ont légué les anciens.
A la recherche dun maître, vous vous êtes choisi tout simplement le meilleur, en entrant en apprentissage chez Gaston Lenôtre. Dès la fin de votre service militaire que vous avez effectué en qualité de chef de pâtissier au ministère de la défense, vous ouvrez et dirigez latelier de pâtisserie du traiteur François Clerc. Ne tenant plus en place à Paris, vous devenez chef de partie chez Witamer, le meilleur pâtissier de Bruxelles, puis chef pâtissier du restaurant le Carlton, alors la gloire de cette même ville.
Après un passage à lhôtel Intercontinental de Luxembourg, vous voici de retour à Paris, où vous vous illustrez chez Fauchon. Cest là que vous serez reconnu par vos pairs comme un grand maître, à la fois sur les classiques de notre patrimoine et sur des créations qui font date, comme votre désormais célèbre cerise sur le gâteau, qui redonnait ses lettres de noblesse au chocolat au lait et pour la première fois associait intimement un designer - en lespèce Yann Pennors - à la conception de luvre, aussi spectaculaire que succulente. Mais je vais arrêter de vous mettre leau à la bouche dautant que vos créations nous attendent sur le buffet...
Après plus de dix ans chez Fauchon, vous êtes appelé à la vice-présidence de Ladurée. Vous avez rajeuni la gamme de lauguste salon de thé de la rue Royale avant de frapper un coup déclat en ouvrant le Ladurée des Champs-Elysées où vous avez pu témoigner de létendue de votre répertoire, tant en salé quen sucré.
Et maintenant, de nouveau le grand large vous attire. Vous venez douvrir sous votre propre nom la pâtisserie Pierre Hermé à Tokyo. Dautres projets vont certainement suivre chez ces japonais qui vous adorent comme un de nos « trésors nationaux vivants » de lart culinaire. Et il mest également revenu que vos pas vous conduisaient fréquemment du côté de New-York ces derniers temps...
Tout au long de cet éblouissant parcours, la dimension culturelle de votre action ne vous a jamais échappée. Vous avez déjà publié cinq ouvrages, dont deux lan dernier : les « Plaisirs sucrés » chez Hachette et le « Larousse des desserts de Pierre Hermé », véritable répertoire vivant des 800 recettes qui ont marqué lhistoire de notre pâtisserie.
Cette ardeur à témoigner, cette volonté de faire rayonner votre art vous a conduit à associer à votre réflexion et surtout à votre action les « Jeunes turcs » qui comme vous tentent de renouveler la création gourmande. Vous avez ainsi crée, notamment avec votre complice Philippe Conticini, le mouvement « Art et desserts » qui multiplie colloques, dégustations et rencontres interdisciplinaires pour affirmer louverture culturelle de la création culinaire.
Vous avez donc pleinement votre place dans ce ministère, et cest avec un grand plaisir, Cher Pierre Hermé, que je vous fait chevalier dans lordre des Arts et des Lettres.
(Source http://www.culture.gouv.fr)