Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur les relations entre science et société, Paris le 23 janvier 2001.

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Circonstance : Voeux à la presse à Paris le 23 janvier 2001

Texte intégral

Je suis heureux de vous retrouver en ce début d'année pour vous adresser mes voeux très sincères et les plus cordiaux pour vous-même et pour vos proches. En vous souhaitant beaucoup de succès dans votre activité professionnelle et beaucoup de bonheur dans votre vie personnelle.
En réalité, il y a deux manières de présenter ses voeux à la presse.
La première confine à l'auto-célébration ou à l'auto-congratulation. Le ministre dresse le bilan - évidemment flatteur - de ce qu'il a fait l'année passée et présente la fresque de ses projets nouveaux, de manière très avantageuse.
Je ne suis pas sûr que cette pratique soit celle que vous souhaitez. Et je préfère profiter d'une autre occasion, par exemple une conférence de presse prochainement, pour faire le point sur ce que sera l'action du Ministère en cette année 2001.
La seconde manière de présenter ses voeux est celle que je préfère parce qu'elle correspond bien davantage au caractère direct et spontané des relations qui sont les nôtres depuis le 27 mars dernier.
En effet, je préfère que nous parlions aujourd'hui de ce qui nous préoccupe vous et moi et de notre ambition commune : c'est-à-dire mieux faire connaître la recherche et ses résultats.
Pour une science publique
La science doit être plus proche de nos concitoyens et, pour cela, devenir plus publique.
La science ne peut vivre isolée de la société. Repliée dans une tour d'ivoire ou dans une forteresse du savoir académique. Elle ne peut cultiver l'hermétisme et communiquer seulement avec un petit cercle d'initiés. Elle ne peut plus continuer de séparer le savoir et le faire-savoir.
Il faut améliorer la connaissance de la science par nos citoyens. Le public doit pouvoir connaître les résultats de la recherche et se faire une opinion sur l'état de ses avancées.
Il faut développer la culture scientifique et technique par tous les moyens disponibles : journaux et revues, émissions scientifiques sur les radios et les télévisions, films, expositions des musées scientifiques, festivals, journées portes ouvertes dans les universités et les organismes de recherche, " semaine de la Science ", etc.
C'est l'objet même de la " Fête de la science ", que le Ministère de la Recherche a organisée du 16 au 22 octobre 2000 : créer un sentiment de proximité et de familiarité avec la science. Une science qui doit être proche de tous.
Partout, dans toutes les régions et dans 700 communes, ont été organisées des rencontres entre les chercheurs et le public, des expositions, des ateliers scientifiques, des animations, des spectacles, des visites, des colloques, des cafés des sciences.
Tous les organismes de recherche, les universités, les écoles d'ingénieurs, les associations scientifiques ont participé à cette " Fête de la science ", à cette opération qu'on aurait pu aussi dénommer " science partout, science pour tous ".
Nous renouvellerons cette opération en 2001, avec plus d'ampleur encore, d'autant que ce sera cette année le dixième anniversaire de cette manifestation.
La science doit aller à la rencontre du public et " descendre dans la rue ". Elle doit être une science désanctuarisée. Elle doit être une science publique, une science vivante et conviviale. Bref, une science partagée par la société.
Pour une science citoyenne
Il importe que les citoyens se réapproprient les choix scientifiques et technologiques.
Nous devons développer une science citoyenne. Une science au contact direct des citoyens et de leurs interrogations.
Il faut rapprocher science et société. Il faut " repolitiser la science ", c'est-à-dire lui faire retrouver sa place dans la Cité, dans le débat civique et politique. Comme il importe en démocratie.
La démocratie ne peut s'arrêter aux portes de la science et de la technologie. Les citoyens ne veulent plus qu'on évacue du débat politique ce qui relève des sciences et des techniques. Ils veulent avoir leur mot à dire. Bref, ils veulent davantage de démocratie.
Que vaudrait une démocratie qui débattrait de l'accessoire et ferait silence sur l'essentiel ? Aujourd'hui, les politiques sont parfois perçus comme concentrant leur attention et leurs discours sur des questions qui paraissent mineures à nos concitoyens, comme l'a montré la très faible participation au référendum sur la quinquennat.
En revanche, l'attention de nos concitoyens se porte très légitimement vers des questions essentielles comme les applications de la génomique et de la post-génomique, les thérapies géniques et cellulaires, les recherches sur les cellules souches embryonnaires, l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, les OGM, l'effet de serre, le réchauffement climatique ou le devenir des déchets radioactifs.
Mieux se soigner, mieux s'alimenter, mieux vivre en sécurité : ce sont les enjeux et les défis auxquels la recherche est confrontée et auxquels il faut faire participer nos concitoyens. Sans cela, le débat démocratique serait incomplet ou " décalé " par rapport aux véritables préoccupations de chacun.
Pour que la science redevienne citoyenne, il faut établir le tryptique information-débat-décision. Ce qui est en jeu, c'est le droit de savoir et de débattre, pour disposer du pouvoir de décider.
Nos concitoyens doivent être pleinement et loyalement informés des avancées, mais aussi des incertitudes de la recherche scientifique, pleinement et loyalement informés de ses enjeux.
Comme vous le savez, en novembre 2000, à la demande du Ministère de la Recherche, la SOFRES a réalisé un sondage sur " Les Français et la recherche scientifique ", 63 % des personnes sondées ne s'estiment " pas suffisamment informées sur les découvertes scientifiques ". Ce pourcentage monte même à 74 % chez les 18-24 ans.
D'où vient ce déficit d'information ? Des médias, surtout audiovisuels. " Diriez-vous qu'il y a suffisamment ou pas suffisamment d'information scientifiques ? ". Pour la presse écrite, la réponse est presque équilibrée : " suffisamment " : 44 %, " pas suffisamment " 42 %. En revanche, pour la télévision et la radio, la réponse " pas suffisamment " l'emporte très nettement avec respectivement 62 % et 58 %.
Enfin, les sondés estiment que les médias en général rendent plutôt mal compte des découvertes scientifiques (47 %), des applications pratiques des innovations scientifiques (51 %) et des sujets sur lesquels les chercheurs travaillent (60 %).
Ce désir de connaissance, cette volonté d'être informé et de disposer du droit de savoir se heurte donc à une fonction d'information scientifique insuffisamment assurée par les médias, surtout audiovisuels.
Je souhaite que les dirigeants des grands médias audiovisuels s'interrogent face à ces réponses et exercent mieux leurs responsabilités, en cessant de réduire la science à la portion congrue dans leurs programmes. Je souhaite aussi que le CSA, notamment à travers les cahiers des charges des sociétés audiovisuelles, engage celles-ci à assurer effectivement l'information scientifique des téléspectateurs et auditeurs, surtout quand ils financent les chaînes de service public par la redevance.
J'écris donc aujourd'hui aux responsables des sociétés de télévision et au président du CSA pour appeler leur attention sur ce problème.
Nos concitoyens doivent pouvoir débattre des choix scientifiques avec les chercheurs et avec les responsables politiques.
En réalité, la science est largement absente du débat public et des programmes politiques. Jaurès, Mendès France ou de Gaulle parlaient de la science. Aujourd'hui, les responsables politiques n'en parlent plus guère.
Les enjeux scientifiques doivent faire leur entrée - ou plutôt leur retour - dans les programmes des partis politiques.
Etre informés, pouvoir débattre et, enfin, participer à la décision. Grâce donc, notamment, à une nouvelle attitude des candidats et des partis politiques, qui inscriraient les choix scientifiques et technologiques dans les programmes qu'ils soumettent aux électeurs pour les législatives et les présidentielles, comme cela s'est fait pour la campagne présidentielle américaine de 2000.
A cet égard, si l'on veut que les électeurs puissent ressaisir le pouvoir de décider sur ces enjeux, la campagne présidentielle et législative de 2002 devra faire une place nettement accrue aux grands choix scientifiques.
C'est le devoir des partis politiques, qui, sur ces sujets, paraissent aujourd'hui inopérants. " Pour empêcher la mise en oeuvre d'un choix scientifique qui vous paraît avoir des conséquences dangereuses pour l'homme ou la nature (par exemple dans le domaine de l'énergie, de l'alimentation ou de la santé), à quoi seriez vous prêt ? " ; signer une pétition (56 %), boycotter un produit (54 %), participer à une manifestation (42 %), réclamer un référendum (39 %), adhérer à une association (30 %) et, enfin, militer dans un parti politique : 5 % seulement ...
Il est grand temps que les formations politiques réintègrent les enjeux scientifiques dans leur discours et leur projet.
La politique est l'affaire de chacun. Elle doit donc englober aussi la science, qui concerne chacun.
Notre démocratie est politique, sociale et économique. Elle doit devenir aussi une démocratie scientifique.
D'ailleurs, si la politique, si la sphère publique ne réinvestit pas la science, celle-ci sera dominée par le marché et régulée par ses seules lois.
La science a longtemps dépendu de l'Etat, mais elle repose de plus en plus sur des firmes privées. La recherche du profit à tout prix, coûte que coûte, renforce le risque d'une science non maîtrisée, obéissant à une autre logique que celle de l'intérêt général ou du bien public.
La logique productiviste, la loi du marché et du profit génèrent des risques : l'épizootie de la "vache folle " ou l'utilisation d'OGM sans s'interroger suffisamment au préalable sur leurs effets sur la sécurité alimentaire et l'environnement. De même, elle ignore les maladies " orphelines ", qui ne garantissent pas assez de clients potentiels à l'industrie pharmaceutique privée.
Là aussi, face à l'argent-roi, le réveil citoyen s'impose.
10 mesures
Pour rapprocher science et société, pour renforcer le débat sur les choix scientifiques et technologiques, je compte ainsi prendre 10 premières mesures.
Renforcer le système d'évaluation par des rapports publics portant à la connaissance de tous les résultats (avancées et, dans certains cas, lacunes) de la recherche scientifique et technologique. Pour assurer la pleine transparence sur l'état de la recherche.
Inciter les organismes de recherche à renforcer la communication sur leurs travaux vers l'extérieur et en particulier en direction de la presse.
Prendre en compte la participation de chercheurs à l'activité de diffusion de l'information scientifique et technique pour le déroulement de leur carrière.
Créer dans tous les organismes de recherche (EPST et EPIC) des comités d'éthique consultatifs saisis pour avis sur les recherches effectuées quand celles-ci peuvent poser des problèmes particuliers (OGM, etc.).
Agir auprès des responsables des sociétés de télévision pour leur demander de renforcer la diffusion de l'information scientifique et technique sur leurs antennes et auprès du CSA pour qu'il rappelle et précise les obligations de ces sociétés en ce domaine.
Renforcer l'aide financière aux associations scientifiques qui contribuent à la diffusion du savoir scientifique et à leurs publications.
Donner une nouvelle dimension à la " Fête de la science ", à l'occasion de son dixième anniversaire en 2001.
Organiser des Rencontres " Science citoyenne ", qui permettraient au public de débattre avec des chercheurs, en s'appuyant sur les CCSTI, les DDRT et les associations.
Engager les partis politiques à inscrire les enjeux scientifiques et technologiques dans les programmes qu'ils soumettront aux électeurs pour les élections présidentielles et législatives de 2002.
Développer les contacts entre chercheurs et parlementaires, en organisant à l'Assemblée Nationale et au Sénat des rencontres entre scientifiques et élus.
Ce ne sont là que quelques premières propositions pour mieux réinscrire la science à sa place naturelle. C'est-à-dire dans la Cité.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 6 février 2001)