Interview de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à RMC le 26 janvier 2001, sur la polémique entre J. Chirac et L. Jospin sur l'insécurité, la manifestation pour les retraites et la différence de durée de cotisation entre le secteur privé et le secteur public.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


P. Lapousterle - Juste un mot avant de passer à votre domaine particulier, sur l'atmosphère politique générale, avec l'échange de gentillesses hier entre le Président de la République et le Premier ministre, à propos de la sécurité. Le Président a donné son sentiment sur la question et le Premier ministre a répondu que l'insécurité devait se combattre et non pas être utilisée dans le combat politique. Est-ce que cela veut dire que l'on est déjà en campagne politique et que cela va durer un an et demi ?
- "Non, on n'est pas encore en campagne électorale, même si les uns ou les autres, nous pouvons avoir une vision du calendrier électoral - nul n'est naïf de ce point de vue. Mais cela n'empêche pas que sur des sujets aussi difficiles, pour la droite comme pour la gauche, que celui de la sécurité, les uns et les autres veuillent faire part de leur sentiment. Que le Président fasse d'ailleurs part de son sentiment, et qu'il le fasse à Dreux où il y a une municipalité qui mène en accord et en collaboration avec les forces de police, sous les ordres du Gouvernement, une politique de prévention qui est plutôt de qualité, je trouve cela bien. Mais qu'y a-t-il derrière ? Quand on écoute les députés, qui le mardi et le mercredi, aux questions d'actualité, ne font sur la sécurité que de l'exploitation, on peut se dire que derrière une apparence cordiale, il y a certainement un souci d'exploitation."
Hier, les syndicats ont mobilisé plus de 300 000 manifestants contre les propositions du patronat en matière de retraite. Est-ce que cela vaut, selon vous, obligation pour le patronat de rouvrir les négociations sans condition ?
- "Que les choses soient claires : au point où nous en sommes, ce débat est un débat entre partenaires sociaux. Il ne laisse pas indifférent le Gouvernement, je vous en dirais un mot, mais c'est d'abord et avant toute chose aujourd'hui un débat entre partenaires sociaux, puisque ces retraites complémentaires sont gérées par les partenaires sociaux et uniquement par eux. On n'est même pas dans un système comme celui de l'Unedic où l'Etat est garant de la loi et peut intervenir pour faire en sorte que les systèmes ne soient pas déséquilibrés financièrement ou socialement. Là, ce sont les partenaires sociaux et hier, c'était les syndicats qui, à juste titre, voulaient mobiliser et ont mobilisé, pour protester contre une manière de dialoguer, qui consiste à dire que c'est comme cela et pas autrement, qu'on repousse de cinq ans l'âge de la retraite à taux plein. Donc, aujourd'hui, respectons le fait qu'il s'agisse d'une confrontation entre partenaires sociaux. Si demain..."
"Demain", c'est le 1er avril ! C'est le 31 mars que s'achèvent les accords.
- "Si au-delà de la prolongation des accords qui permettent de continuer à servir ces retraites complémentaires l'intransigeance du Medef se poursuit, malgré d'ailleurs les divisions au sein du patronat - il ne faut pas dire que c'est le patronat dans son ensemble, c'est le Medef qui, aujourd'hui joue, un rôle beaucoup plus politique qu'un rôle de force de dialogue sociale et syndicale - s'il continue à maintenir cette position, à ce moment-là, l'Etat, le Gouvernement, prendra ses responsabilités."
Est-ce qu'il en a le pouvoir ?
- "Il n'en a pas aujourd'hui légalement le pouvoir. Mais il a toujours le pouvoir de proposer des textes législatifs pour le faire."
Mais je vous rappelle que l'Assemblée ne siégera pas !
- "On peut toujours trouver une solution pour faire en sorte que nul ne soit lésé du fait d'une intransigeance et d'un diktat patronal."
Est-ce que les oreilles ne vous ont pas sifflé hier ? Parce pendant la manifestation, il y a eu beaucoup de fonctionnaires !
- "Oui, mais ils ont eu l'intelligence - j'en suis plutôt fier, étant moi-même le ministre des fonctionnaires ! - d'éviter le mélange des genres. Il n'y aurait eu rien de pire que de faire de cette manifestation du privé, y compris de ceux qui sont solidaires du privé, de protestations contre le patronat, une manifestation pour faire valoir des droits des fonctionnaires."
Des syndicats prétendent que le Gouvernement, et vous en premier puisque vous êtes leur ministre, laisse entendre aux fonctionnaires qu'il faudrait qu'ils réfléchissent un jour à allonger leur temps de travail eux aussi. Un peu comme le demande le Medef !
- "On fait une assimilation. Le Medef dit qu'il faut passer de 40 à 45 ans, et ensuite, on dit qu'il y a une différence entre le public et le privé : le public étant à 37,5 annuités, le privé à 40. On se demande pourquoi on ne s'alignerait 40, et après cela, puisqu'on est aligné sur 40, pourquoi ne pas passer à 45..."
Est-ce vrai ou pas ?
- "Non, ce n'est du tout l'état d'esprit du Gouvernement. La question des 37,5 annuités et des 40 est un problème d'équité : pourquoi les uns à 40, pourquoi les autres à 37,5 annuité ? Mais le problème des retraites, des fonctionnaires comme des autres, donc les retraites des Français, est une question globale. Il faut absolument éviter d'opposer les fonctionnaires aux autres dans le domaine de la retraite. L'enjeu fondamental est celui de la solidarité : est-ce qu'on peut maintenir un système de retraite de solidarité - cela s'appelle "répartitions" dans le privé, "pensions" dans le public ? Il faut maintenir ce système de solidarité."
Je reprends votre mot sur l'équité : êtes-vous d'accord sur le fait que les fonctionnaires devraient travailler autant que les autres, en terme de cotisations ? Cela ne vous paraîtrait pas anormal ?
- "En terme de cotisations, la question se pose. Le Premier ministre l'a posée, beaucoup de gens la pose. Ce n'est pas pour autant qu'il s'agit là d'une décision. Et surtout, il ne faut pas faire croire qu'on réglerait le problème de la retraite des Français sous prétexte qu'on aurait simplement, en quelque sorte puni les fonctionnaires."
Sur les salaires, vous avez tenu des négociations avec les syndicats, qui se sont soldées par un échec le 18 janvier dernier. Vous avez dit que vous étiez déçu, qu'il y avait eu incompréhension. Comme si les syndicats avaient mal mesuré, mal pesé, mal compris, l'étendue et la valeur de vos propositions. Mais cela fait des années que les syndicats discutent: croyez-vous qu'ils peuvent mal comprendre ?
- "Il y a deux éléments qui me permettent de penser qu'il y a une forme d'incompréhension. Premier élément, les syndicats discutent peut être depuis très longtemps, sauf qu'ils discutent avec l'Etat d'une manière dépassée - l'Etat en a sa part. Cette manière consiste à ce que ce soit l'Etat qui décide d'ouvrir ou de ne pas ouvrir des négociations, ce qui fait qu'il y a des années avec des négociations qui sont couvertes par un accord, et qu'ensuite il y a un an ou deux où il n'y a pas de négociation et pas d'accord. L'Etat, d'ailleurs, choisissant d'ouvrir ou de ne pas ouvrir, et donc choisissant de réussir ou de ne pas faire de dialogue. J'ai souhaité qu'il y ait un dialogue. Et quand il y a dialogue et négociation, il peut y avoir réussite, il peut y avoir échec. Ce n'est pas dans les habitudes de la fonction publique, c'est dommage. Il faut que cela rentre dans ses habitudes. Deuxième incompréhension : se polarisant sur une seule année, l'année 2000, les syndicats de fonctionnaires n'ont pas regardé l'étendue de l'ensemble de la profession..."
Mais je vous arrête tout de suite... Pluriannuel, cela veut dire qui garantit la signature de monsieur Sapin aujourd'hui ? Qui garantit que la majorité ne va pas changer et que demain un autre Gouvernement ne va pas déchiré l'accord que vous auriez signé ?
- "Les accords signés par l'Etat engagent l'Etat."
On a vu dix fois des accords....
"Non, dans la fonction publique, sur des accords salariaux, aucun accord signé par un Gouvernement n'a été démenti par un autre Gouvernement."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 janvier 2001)