Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Radio France internationale le 22 février 1999, sur la représentation de l'Europe dans le Groupe de contact pour les négociations sur le Kosovo et sur la question du financement de l'Union européenne, notamment sur le cofinancement de la politique agricole commune, Luxembourg le 22 février 1999.

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Circonstance : Conseil affaires générales à Luxembourg le 22 février 1999

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

CONSEIL AFFAIRES GENERALES ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, M. HUBERT VEDRINE, AVEC "RFI" (Luxembourg, 22 février 1999)
Q - Monsieur le Ministre, vous avez informé vos collègues de létat des discussions à Rambouillet. Quelle est leur réaction ? Les Européens sont-ils sur la même longueur donde concernant lanalyse de la situation ?
R - Les Quinze sont sur la même longueur donde à propos de cette affaire du Kossovo depuis le début. Chaque fois quil y a eu une réunion du Groupe de contact, depuis le mois de mars 1998, ils ont été informés en détail, ne serait-ce que parce que le président en exercice de lUnion européenne est toujours associé au Groupe de contact. A chaque étape de cette douloureuse affaire, nous avons constaté que lanalyse était la même, le diagnostic était le même et que le soutien aux propositions élaborées par le Groupe de contact était entier. Cest encore le cas aujourdhui.
Ils ont écouté avec beaucoup dattention et un intérêt inquiet je dirais, la situation qui se caractérise par un accord qui paraît possible sur le volet politique mais qui nest quun élément dans lensemble puisquil y a également un volet indispensable de sécurité avec une présence militaire sur lequel laccord nest pas trouvé. Ils ont apporté leur plein soutien au travail qui a été fait par la coprésidence et par le groupe de contact. Comme Robin Cook et moi-même, ils espèrent tous ardemment que lon va, au finish, atteindre la solution. Malheureusement, je nen suis pas sûr mais nous faisons tout pour cela.
Q - Est-ce lEurope en tant que telle a un rôle à jouer dans cette crise ?
R - LEurope a été représenté par quatre pays européens dans le Groupe de contact depuis le début. Il sagit, je le rappelle, de la France, de lAllemagne, de lItalie et de la Grande-Bretagne. Cela veut dire que les Européens ont une influence réelle dans la façon dont laffaire a été suivie, ils ont une influence réelle dans le fait que les Américains, les Européens, les Russes ont travaillé ensemble dans cette affaire. Cest très important. Je crois que cela peut être un exemple de méthode de travail, presque indépendamment du résultat obtenu à Rambouillet. La réponse est oui, nous jouons sans conteste un rôle très positif, un rôle inventif.
Dans lhypothèse où nous atteindrions un accord, lUnion européenne aura un rôle à jouer qui sera très important parce quil y aura un volet civil, un volet reconstruction, un volet instauration et développement de la démocratie, formation et élection. LEurope aura un rôle très important à jouer mais il ne faut pas la réduire à cela. Encore une fois, les Européens, dans la conduite politico-diplomatique, dans la stratégie générale, ont été déterminants et chaque pays européen membre du Groupe de contact a été en contact permanent avec les autres Européens. Il y a une marque européenne dans la façon dessayer de trouver une solution à ce problème de coexistence entre les Serbes et les Albanais.
Q - Les Allemands également sont sur la même ligne ?
R - Oui, tous. Cest très frappant, et ce que je considère comme un acquis, cest que, du point de vue des Américains, du point de vue des Russes, cest une réalité. Ils ne se posent aucune question sur la présence européenne, elle est là, elle est forte, à chaque étape. Les Européens sont constamment source de propositions, didées et ils sont partie prenante des décisions prises. Je dirais quen réalité la question ne se pose même pas en réalité ; simplement nous voudrions tous arracher cet accord et nous ne lavons pas encore.
Q - A Luxembourg, il a été question du financement du lUnion européenne. Apparemment les choses navancent pas beaucoup, elles sembleraient même régresser. Quelle est votre réaction à lissue des discussions ?
R - Malheureusement, la façon dont le problème est posé ne permet pas despérer, je le regrette, une solution à très court terme. Cest ce que M. Pierre Moscovici a dit hier, lors de la réunion du conclave alors que jétais moi-même retenu à Paris par les questions du Kossovo avant de venir ici à Luxembourg pour le dîner.
Les solutions qui sont présentées, si on peut appeler cela des solutions, ne reposent que sur le cofinancement à propos de la Politique agricole commune. Or, nous avons expliqué depuis des semaines que nous ne pouvions pas accepter quun accord se fasse au détriment dun seul pays et dune seule politique, et surtout pas par le biais du cofinancement. Si on introduit le cofinancement dans cette solution, de fil en aiguille nous verrions très vite régresser les politiques communes sur tous les plans, pas seulement sur le volet agricole. On verrait mettre à mal le principe de solidarité entre les membres de lUnion qui est quand même lélément de base de lUnion européenne.
Nous y sommes hostiles, à la fois pour des raisons concrètes touchant à la PAC et à la fois pour des raisons de principes touchant à lavenir de lUnion. Il faut avoir à lesprit les élargissements qui auront lieu dans quelques années et qui vont, là aussi, être une sorte de choc pour la politique commune qui devra sadapter à cette nouvelle situation. Quand on nous présente des solutions qui ne sont que sur le volet agricole, le cofinancement - et jusquà maintenant, nous navons entendu aucune proposition daménagement concernant les autres politiques communes, aucune disposition au compromis de la part daucun autre Etat membre -, nous disons avec regret quil ne semble pas que lon puisse conclure, ni dans ce conclave, ni dans ce Conseil Affaires générales, ni sans doute dans le Conseil agricole sur ces bases. Il faudrait peut-être reconsidérer lensemble de la question parce que nous voulons autant que les autres aboutir.
Q - Les propositions qui ont été présentées létaient par la présidence allemande. Y a-t-il un fossé à ce sujet entre lAllemagne et la France ?
R - Entre lAllemagne et la France, il y a toujours eu des choses sur lesquelles les deux pays étaient spontanément daccord et dautres pour lesquelles on ne trouve pas daccord, sur lesquelles nous travaillons. Cest la vie normale de la relation franco-allemande. La présidence allemande nexprime pas que le point de vue allemand, son rôle est de faire émerger un point de vue général, une solution générale. Je ne peux que répéter ce que nous disons depuis le début, or ce nest pas du tout un problème France-Allemagne, cest un problème général de lUnion et de ses membres face à la question de leur financement pour les six années qui viennent. Nous arriverons à une solution, mais nous ny arriverons quà condition que chaque pays y mette du sien et que chaque politique commune soit mise à contribution. Nous avons fait une proposition constructive en proposant des économies et un système de dégressivité à propos des aides en ce qui concerne la Politique agricole commune, nous avons fait un effort. Aucun autre pays ne la fait, sur aucune autre politique. Il faut reprendre la discussion par là où nous lavons commencée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 1999)