Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à RFI le 17 juillet 2007, sur la politique de l'environnement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

François Bernard : Bonjour Nathalie Kosciusko-Morizet.
Nathalie Kosciusko-Morizet : Bonjour.
QUESTION : L'actualité de ce jour c'est un tremblement de terre au Japon qui a endommagé une centrale nucléaire sur la côte ouest du pays. Est-ce que ça pose la question de la sécurité des centrales en France dont certaines, on le sait, sont installées en zone sismique ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Le Japon a une situation très particulière vis-à-vis du risque sismique, et les centrales, comme d'ailleurs toutes leurs installations, sont prévues pour y faire face avec des systèmes de sécurité extrêmement sophistiqués. En France, on n'a pas le même niveau de risque sismique mais ce type d'événement est aussi prévu. Pour moi, je vais vous dire, je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il n'y a aucun problème avec le nucléaire, par exemple je trouve qu'on devrait aller plus loin dans la réflexion et dans les techniques, les technologies, en matière de gestion des déchets, je pense qu'on pourrait améliorer ce qui a été fait sur la transparence, mais vraiment s'il y a un domaine où la sécurité est bien prise en main depuis très longtemps c'est le nucléaire dans un pays comme le Japon et dans un pays comme la France, attention.
QUESTION : Le traitement des déchets, on en parle beaucoup, c'est un des sujets de contentieux. Quelle est votre position sur ce sujet controversé ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Je crois qu'on doit poursuivre le travail de recherche sur les réacteurs dits de 4ème génération. Les réacteurs de 4ème génération ont ceci d'avantageux qu'ils produisent pas ou très peu de déchets parce qu'en fait ils les auto consomment, et pour moi c'est l'horizon à la fois économique parce que le combustible est en quelque sorte recyclé, et écologique du nucléaire, celui dans lequel les déchets sont quasi pas existants. C'est vrai que de ce point de vue-là, les réacteurs qu'on a actuellement en service, qui ne consomment pas leurs propres déchets, doivent être considérés technologiquement comme inachevés.
QUESTION : On reste avec la nouvelle équipe, donc sur la ligne affirmée par A. Juppé il y a quelques mois : pas de remise en cause du nucléaire en France.
Nathalie Kosciusko-Morizet : On n'est pas en train de revenir en arrière sur le nucléaire, non. En revanche, par exemple poursuivre la recherche sur la 4ème génération, je vous le disais, écologiquement c'est plus intéressant, oui.
QUESTION : Alors, ces groupes de réflexion qui sont en charge de préparer ce qu'on appelle maintenant le "Grenelle de l'environnement" ont commencé leur travail lundi. Cela se passe conformément aux attentes ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : C'est une expérience, c'est un pari le "Grenelle de l'environnement". On arrête de faire de l'écologie intérêt contre intérêt, front contre front, on négocie à deux dans une salle. On prend acte du fait que les grands sujets de l'écologie contemporaine ils sont transversaux : c'est la lutte contre le changement climatique, c'est la mise en place d'une fiscalité environnementale, c'est des choses qui en fait concernent toutes sortes de parties prenantes parce qu'il s'agit de modifier en profondeur les modes de production et de consommation et donc c'est la société dans son ensemble qui doit bouger. Et on met autour de la table les collectivités territoriales, l'Etat, les associations environnementales, les syndicats, les patrons, tous ceux qui peuvent être concernés et on les fait travailler. Alors, en ce moment, il y a six groupes de travail qui ont été mis en place par J.-L. Borloo, le ministre d'Etat - il y a le changement climatique, les questions de santé environnementale, les questions agricoles - ils ont commencé à travailler hier. Pour le moment, ça se lance bien.
QUESTION : Et qu'est-ce que vous dites à ceux qui voudraient voir la protection des animaux considérée également comme un dossier prioritaire ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : On a dit au Président et on a dit aux participants des groupes de travail qu'il n'était pas du tout impossible d'élargir leurs sujets, d'élargir leurs sujets à des sujets connexes, et si dans l'un ou l'autre des ateliers les participants souhaitent évoquer la protection des animaux, aucun problème. Mais on ne peut pas à l'infini augmenter le nombre de groupes parce que c'est vrai, bon il y a eu une demande d'avoir un septième groupe sur la protection des animaux, mais vous savez, il y a aussi trente demandes d'avoir des nouveaux groupes et après ça fonctionne moins bien. Je pense que la clé de la réussite du système c'est aussi la concentration : un nombre d'acteurs suffisamment représentatifs mais qui soient en petit nombre, c'est 5 fois 8 personnes, un groupe c'est 40 personnes, et un groupe suffisamment peu nombreux d'ateliers pour que chacun aussi puisse être représenté à un bon niveau.
QUESTION : En octobre, ce sera le temps des mesures concrètes. Est-ce qu'il se dégage déjà un consensus sur quelques mesures incontournables ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Non, les groupes de travail viennent de commencer à se réunir, et vraiment on n'anticipe pas du tout la sortie du "Grenelle de l'environnement". Il n'y a pas une liste cachée, vous savez, des quinze mesures que l'Etat a déjà préparées et dont il prévoit de dire, « ben tiens, voilà ». Cela ne fonctionne pas du tout comme ça, c'est vraiment un processus qui est très ouvert, qui est très participatif. Alors, c'est vrai qu'il y a des sujets sur lesquels on sent qu'on va pouvoir avancer. Par exemple, moi je souhaite beaucoup qu'on puisse avancer sur la fiscalité sur les poids-lourds pour financer - d'abord, pour faire face aux enjeux environnementaux, et puis aussi pour financer - les infrastructures alternatives au transport routier comme le ferroviaire, comme le fluvial, comme les autoroutes de la mer. Je crois aussi qu'on va pouvoir avancer sur la fiscalité environnementale parce que chacun autour de la table se rend compte qu'on ne peut pas rester dans un système dans lequel c'est toujours moins cher de consommer standard, d'avoir des pratiques peu respectueuses de l'environnement, et toujours plus cher d'avoir des pratiques de qualité par rapport à l'environnement. Il y a des sujets comme ça qui se présentent pas mal, mais vraiment il est trop tôt pour préjuger de quoi que ce soit.
QUESTION : Alors, vous voyez l'écologie comme partie prenante de l'économie de marché, il faut simplement, dites-vous, nourrir la croissance d'orientations environnementales. Est-ce que ça peut suffire ? Est-ce que il ne va pas falloir réduire davantage notre consommation ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Moi, je crois pire que ça, je crois que l'écologie ça peut être un moteur pour la compétitivité et pour l'emploi, et je crois même que c'est comme ça qu'on va réussir. Je pense qu'il y a quelque chose de très vain, une véritable impasse dans l'opposition entre l'écologie et l'économie. Je crois que ce qu'il faut c'est conjuguer l'un et l'autre, sans naïveté, ce n'est pas toujours complètement... l'économie de marché sans régulation ne va pas nécessairement dans le sens de l'écologie, ça c'est bien entendu. Mais essayer de conjuguer l'économie et l'écologie pour mettre l'écologie aussi au service de la croissance, mais d'une certaine croissance, une croissance qui est plus orientée vers la qualité que la quantité, pour moi c'est la clé. Je prends un exemple : en France on a moins de 400.000 emplois dans le secteur de l'environnement ; en Allemagne, il y en a plus d'un million. Pourquoi il y a une telle différence ?
QUESTION : Pourquoi ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Moi, je pense qu'il y a une telle différence parce qu'en France pendant des années, on a considéré que l'écologie c'était nécessairement de l'emploi public, c'est de l'emploi non productif ; c'est l'époque, vous savez, des emplois jeunes, il y en avait beaucoup dans le secteur de l'environnement, employés notamment dans le tri sélectif, bon. Or, l'écologie ça peut aussi être, ça doit aussi être de l'innovation, c'est un secteur extrêmement innovant avec des marchés extrêmement dynamiques. Les pays qui anticipent les contraintes avec des entreprises qui développent maintenant les technologies dont le monde entier aura besoin demain, ce sont des pays qui font du bien à l'environnement et qui aussi préparent une économie dynamique pour la suite.
QUESTION : Comment ça se fait que ça n'ait pas été fait avant ? On peut se poser cette question quand même parce que ça fait longtemps qu'on y pense.
Nathalie Kosciusko-Morizet : D'abord, moi je ne suis pas de ceux qui disent que rien n'a été fait, il y a beaucoup de choses qui ont été faites, mais en ce moment, on arrive à un moment de l'histoire dans lequel tous les acteurs sont prêts à se mobiliser. Moi, c'est la conclusion que je tire de ce qui s'est passé ces dernières années et même ces derniers mois, on sent monter un désir de mobilisation de la société française qui est incroyable, et c'est le sens du "Grenelle de l'environnement", je crois que c'est la raison pour laquelle le président de la République l'a proposé dès sa campagne, notamment aux associations environnementales qu'il recevait, c'est qu'on sent qu'on est à un moment dans lequel la société a envie de se mobiliser et envie qu'on lui en offre les moyens. Il y a dix ans, ce n'était pas pareil non plus, il faut le reconnaître.
QUESTION : Ca demande un changement de culture, de mentalité finalement la mise en application des mesures que vous préconisez. Est-ce que ce n'est pas le noeud du problème, est-ce que ça ne va pas être la difficulté majeure à laquelle vous allez vous heurter ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Ah ben, ça demande de remettre en cause toutes sortes de modes de fonctionnement et d'habitudes aussi bien pour le particulier que pour les entreprises que pour l'Etat. Par exemple, on a un gros sujet sur la commande publique ; comment est-ce que l'Etat peut faire pour devenir exemplaire, beaucoup plus exemplaire qu'il ne l'est actuellement ? Chacun va devoir se remettre en cause. Mais si on le fait tous ensemble, si on le fait dans le cadre d'une espèce de refondation, de refondation d'une politique environnementale, chacun a ses responsabilités, et c'est le sens du "Grenelle de l'environnement", eh bien ça a beaucoup plus de chance de marcher.
QUESTION : Alors, on discute cette semaine à Bruxelles d'une directive visant à protéger les sols en Europe. La France, par exemple, qui est touchée par la contamination, l'érosion, voire l'urbanisation qui détruit, dit-on, l'équivalent d'un département tous les dix ans, environ 600.000 ha. La dégradation des sols, c'est un dossier qui vous préoccupe aussi ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Oui, c'est un dossier qui me préoccupe beaucoup parce que je... on ne se rend pas suffisamment compte quand on n'a pas étudié le sujet mais en fait un sol ça peut mourir. Alors, on le voit à l'échelle de la planète, par exemple les sols qui ont été salinisés, ils sont impropres mais pour des centaines et des centaines d'années à l'agriculture, ils sont devenus stériles, et on le voit, nous on peut le voir au niveau national, un sol qui a été pollué, par exemple une ancienne station service dans les années 50-40, on vidangeait n'importe comment, c'est un sol qui est mort et sur lequel on ne peut plus rien faire parce que ça coûte très, très, très cher de le dépolluer. Donc, c'est une espèce de no man's land, c'est quelque chose d'idiot du point de vue économique et puis en même temps de très triste. On a un enjeu avec cette directive qui est faire en sorte qu'elle soit... c'est très de dépolluer le sol, donc faire en sorte que ça soit construit de telle manière que les moyens soient vraiment ciblés sur ce qu'il y a de plus urgent. Et puis qu'on trouve une solution pour ce qu'on appelle les sites orphelins, vous savez quand la société qui exploitait a fait faillite, quand il n'y a plus personne pour se considérer comme responsable, et donc le site est abandonné à sa pollution.
QUESTION : Alors, on le dit partout et c'est vrai, vous semblez passionnée par l'écologie. D'où vient cet intérêt fort pour les problèmes d'environnement ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Je crois que c'est le grand enjeu du 21ème siècle. C'est à la fois parfois vertigineux comme sujet... Je parlais par exemple des sols pollués, on a de plus en plus d'espaces stériles dans le monde qui sont livrés à la désertification ou qui sont livrés à la pollution, et en même temps de plus en plus de populations à nourrir, à loger, auxquelles il faut offrir un certain confort de vie, un minimum de confort de vie, tout ça c'est des enjeux incroyables, je crois que c'est le grand enjeu du 21e siècle et je pense que l'écologie c'est une opportunité pour renouveler toutes les politiques publiques, c'est une invitation à revisiter toutes les politiques publiques. Quand on parle d'écologie, on parle de santé, mais on parle aussi de géopolitique, on parle de dialogue des puissances dans le monde, on parle de réorganisation de la gouvernance mondiale. L'écologie c'est vraiment une invitation à renouveler notre regard sur le monde.
François Bernard : Alors, bon courage, bonne chance pour ce grenelle de l'environnement et merci, N. Kosciusko-Morizet, et bonne journée.
Nathalie Kosciusko-Morizet : Merci à vous.Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 juillet 2007