Interview de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à RTL le 1er août 2007, sur le vote d'une résolution de l'ONU concernant le déploiement de casques bleus au Darfour, les relations franco-rwandaises et la perspective de la fourniture par la France d'un réacteur nucléaire à la Libye.

Prononcé le 1er août 2007

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt.- Bonjour B.Kouchner. Comment est devenu possible hier le vote, par le Conseil de Sécurité, qui va permettre de déployer les Casques Bleus au Darfour ?
 
R.- Par un effort permanent, obstiné depuis des mois et des mois, particulièrement, efforts conduits par les Britanniques et par les Français. Et jusqu'à hier après-midi, nous changions encore des mots dans la résolution. Bref, foin du passé, à partir d'octobre, théoriquement, se mettrait en place le départ, le début d'une mise en place d'une force africaine...
 
Q.- C'est plus tôt que prévu ?
 
R.- C'est plus tôt que prévu, puisqu'on nous parlait de mars 2008 ; au minimum de décembre 2007 et nous avons vraiment lutté, lutté, lutté. Je rends hommage à tous les services du Quai d'Orsay ; bien sûr, à New York il y avait nos diplomates qui ont réussi à changer les dates. Cela veut dire que ce n'est pas pour avoir un succès sur les dates c'est parce que les gens meurent pendant ce temps là et quand on parle d'urgence internationale ; je vous rappelle que nous sommes en demande d'une opération de ce type depuis deux ans et demi. C'est beaucoup quand même.
 
Q.- Est-ce qu'il y aura des soldats français dans cette force internationale ?
 
R.- Nous les avons proposés ; mais vous savez, il y a un phénomène très nouveau, très important : c'est que les Africains veulent s'occuper des affaires des Africains, ce qui est bien ; donc il s'agit majoritairement de troupes africaines sans doute élargies de troupes africaines parce que c'est une opération de l'Union africaine et de l'ONU. Les troupes africaines n'étant pas assez nombreuses on fera certainement appel à des troupes de l'ONU qui viendraient majoritairement d'Asie. La France a proposé ses services.
 
Q.- Est-ce que la résolution, telle qu'elle est, est suffisamment solide ; on dit qu'il n'y aura pas de sanctions contre les parties, en particulier les Soudanais, qui n'appliqueraient pas convenablement ce que demande l'ONU ?
 
R.- Oui, ce n'est jamais parfait, et nous avons beaucoup traîné. Mais j'espère que cela ramènera un peu de vie normale au Darfour, qu'il y aura un retour des réfugiés qui sont plus de deux millions et demi, je vous le rappelle ; et puis il y a des personnes déplacées au Tchad, et la France là aussi a proposé une opération qui, j'espère va fonctionner et même aller plus vite que la résolution des Nations-Unies ne permet le déploiement. Et puis surtout, il ne faut pas croire que cet humanitaire-là, nécessaire, va régler le problème.
 
Q.- Il faut des règlements politiques ?
 
R.- Il faut des règlements politiques et il faut que les groupes rebelles regagnent la table de négociations et que le gouvernement du Soudan accepte bien sûr...
 
Q.- Et la France sera active sur cette recherche ?
 
R.- Oui, active ; nous avons encore un chef rebelle chez nous qui fait des difficultés pour gagner la table de négociations et c'était assez surprenant dans ce pays qui a vraiment voulu que le Darfour soit au premier rang ; c'est la première réunion que j'ai faite au Ministère des Affaires Étrangères et d'ailleurs ça n'était pas en vain puisque maintenant c'est fait. Mais ce chef rebelle ne veut pas beaucoup négocier. Alors quoi, va-t-on l'expulser ? Non, je plaisante, on ne va pas l'expulser ; mais enfin, c'est quand même curieux que certains rebelles ne veuillent pas parler.
 
Q.- On reste en Afrique avec le Rwanda. Vous êtes invité par le régime du Rwanda, Kigali alors que Kigali a rompu ses relations diplomatiques avec la France, il y a près d'un an. C'est surprenant ?
 
R.- Ce n'est pas surprenant ; non, c'est réjouissant. Je pense que Kigali joue un rôle très important, que c'est un des seuls pays qui marche, qui marche bien. Par exemple, nous parlions du Darfour : il y a deux brigades rwandaises bien entraînées qui sont au Darfour. P. Kagamé, le président du Rwanda, se prépare à en fournir une autre. Trois brigades donc. J'espère que nous pourrons rétablir des relations confiantes entre les deux pays.
 
Q.- Vous allez y aller, en attendant ?
 
R.- Pas tout de suite, mais je pense que je vais y aller, oui. Pas tout de suite, demain, mais au plus vite, lorsqu'un certain nombre de choses seront aplanies.
 
Q.- C'est un contentieux judiciaire sur les gens soupçonnés de génocide.
 
R.- C'est plus qu'un contentieux judiciaire, mais il ne s'agit pas de génocide. Il s'agit de mandats internationaux qu'il faut respecter. Et donc nous allons non seulement aplanir les difficultés, mais j'espère bientôt nous rendre au Rwanda.
 
Q.- A l'Assemblée nationale, hier, vous avez planché devant les députés. Il y avait beaucoup de socialistes qui étaient là. Une précision sur la centrale nucléaire qui a été envisagée pour la Libye. Est-ce que le Colonel Kadhafi avait bien compris que ce n'était qu'une hypothèse ?
 
R.- Je ne sais pas ce que le Colonel Kadhafi avait compris mais je sais ce que j'ai signé puisque c'est moi qui ait signé ce mémorandum d'engagements. Ce n'était pas un protocole d'accord, c'était un mémorandum d'engagements, c'est-à-dire quelque chose de très large dans lequel tout est évoqué, de la santé à l'écologie et à la fourniture éventuelle d'un réacteur nucléaire ; parce que vous savez, il s'agit de dessaler l'eau de mer, il s'agit de disposer, dans les régions désertiques, de l'eau venue de la Méditerranée en l'occurrence, mais il y en aurait pas, à propos de la Libye venue de l'Atlantique et de fournir enfin à la rive sud de la Méditerranée de l'eau pour que les cultures poussent. Vous savez, l'énergie nucléaire est peu consommatrice. Cela veut dire qu'on économiserait par rapport à des réacteurs qui fonctionneraient au kérosène 150 millions de tonnes de CO2 par an. Cela veut que les écologistes devraient être contents, mais ils ne sont pas contents.
 
Q.- Les Allemands aussi !
 
R.- Mais les Allemands vont se calmer. Ce n'est pas grave...La concurrence en matière de commerce n'est pas une chose nouvelle. Et je comprends d'ailleurs que les Allemandes sont très sensibilisés aux problèmes écologiques. Je le suis moi-même. Mais c'est la façon de produire de l'eau dessalée la plus commode et en plus la moins coûteuse pour l'environnement.
 
Q.- A part ça, cette rencontre à l'Assemblée, est-ce que vous avez trouvé les députés socialistes désagréables avec vous ? On a entendu tout à l'heure F. Hollande qui disait que vous n'étiez qu'un spectateur en politique étrangère.
 
R.- Écoutez, pauvre François... Pourquoi il fait le méchant ? Pourquoi il fait semblant d'être méchant en permanence et que nous sommes en pleine guerre civile ? Pourquoi il s'intéresse au rôle, pour la première fois, parce qu'il le pense négatif, au rôle du ministre des Affaires étrangères ? J'aurais bien aimé qu'il s'intéresse à tout ce qu'on avait fait avant et tout ce qu'on va faire après. Moi j'ai toujours dit que c'était le président de la République, et c'était non seulement son rôle parce qu'il dirige la politique, mais c'était également son talent, a fait libérer les infirmières libyennes et le médecin palestinien, ce que tout le monde cherchait à faire à travers le monde.
 
Q.- En fait, les socialistes ne vous pardonnent pas d'avoir accepté de travailler avec N. Sarkozy.
 
R.- Je ne leur demande pas de me pardonner, je leur demande de voir les faits. Ce qui compte, qu'ils demandent aux infirmières s'ils ont trouvé que mon absence était préjudiciable... Voyons, c'est tout le Quai d'Orsay, ce sont tous les diplomates, c'est notre ambassadeur en Libye, qui ont travaillé sur ce dossier depuis le début. Non, c'était méchant, gratuit, sectaire, et vraiment ça entretient une atmosphère détestable.
 
Q.- A vous entendre, il y a certains dossiers où vous êtes plus en première ligne que d'autres. C'est comme ça que ça se passe ?
 
R.- Ça ne se passait pas comme ça sous Mitterrand ? Cela ne se passait pas comme ça sous Chirac ? Ce n'est pas le président de la République qui dicte la politique.. ? Allons, qu'est-ce que c'est que ce faux procès ? Cela les gênait qu'il y ait un succès de plus de Nicolas Sarkozy et même de Cécilia. Il a fallu que je leur rappelle que j'ai avec Mme Danièle Mitterrand que je respecte et que j'aime, fait des trucs beaucoup plus graves, beaucoup plus illégaux et ils ne protestent pas à ce moment-là... Allons, tout cela, c'est de la bouffonnerie.
 
Merci Bernard Kouchner.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 1er août 2007