Texte intégral
Q - Les négociations de Rambouillet sur le Kossovo s'achèvent demain. Que se passera-t-il en cas d'échec ?
R - Si, en dépit de nos efforts pour leur réussite, il y a échec, les accords intervenus au sein de l'Alliance supposent que l'action militaire ne sera pas automatique. Il faudra évaluer la situation. Si les Alliés s'accordent sur l'emploi de la force, conformément aux principes fixés dans les résolutions du Conseil de sécurité, il faudra aussi se poser cette question : quel est l'objectif politique ?
Q - Si Rambouillet se conclut par un accord, qu'elle sera l'importance du déploiement
français ?
R - La Force multinationale de surveillance devrait être répartie sur cinq secteurs géographiques, peut-être plus, avec des contributions issues des forces de l'Alliance, certainement élargies à des participations d'autres pays. La France propose de prendre la responsabilité d'une brigade. La force française de plusieurs milliers d'hommes sera terrestre, dotée de moyens lourds et d'un appui aérien afin de pouvoir réagir à de violents incidents.
Q - Après le Sommet franco-britannique de Saint-Malo et avant le Sommet de l'Otan, en avril, à Washington, les discussions à Rambouillet permettront-elles de progresser sur l'Identité de la défense européenne ?
R - Le mouvement amorcé à Saint-Malo invite l'Europe à se fixer des exigences en matière de traitement des crises en Europe. Mais, dans la pratique, les Européens n'ont pas vocation à agir seuls ; ils ont à agir en partenariat. L'outil militaire confirmé qu'est l'Alliance atlantique est un support naturel pour organiser une intervention si elle est légitime. Nous cherchons à établir de façon pragmatique les conditions d'une capacité européenne de défense.
Q - Comment réagissez-vous à l'insistance américaine sur un "partage du fardeau" plus équitable au sein de l'Alliance ?
R - Ce souhait débouche sur une nouvelle répartition des responsabilités. Cela peut bousculer certaines habitudes. Les Etats-Unis sont un élément permanent de la sécurité européenne, et le cheminement vers une prise de responsabilité plus efficace des Européens doit se faire de façon transparente. Cela prendra du temps.
Q - Dans son rapport final, la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda note que la France en est "arrivée à ce point d'engagement" qui a conduit "certains militaires français" à penser "mener, diriger et commander indirectement l'armée (...) d'un pays étranger". Quel est votre point de vue ?
R - Le gouvernement a choisi de changer la réalité politique française dans ce domaine. D'où sa position favorable, en juin dernier, à la demande d'investigation parlementaire. Le résultat du travail de la Mission d'information sur le Rwanda est positif. Mené de façon scrupuleuse, il a débouché sur des évaluations et des appréciations politiques que nous considérons justifiées. La phrase citée, parmi d'autres, met en relief des habitudes de travail qui se sont révélées défectueuses. J'ai aussi relevé que la Mission d'information confirmait la loyauté de l'action des soldats français dans ce drame.
La leçon que j'en tire est que nous avons bien fait de changer de politique à l'égard des crises africaines.
Q - Quand le Parlement relève que des militaires français ont commandé indirectement l'armée d'un Etat étranger, n'y a-t-il pas un problème ?
R - Si, mais je préfère ne pas m'arrêter sur un point passé. La réorientation de notre politique africaine est importante. Pour des Etats ayant des responsabilités internationales étendues et voulant que force reste à la loi, le contexte africain présente des défis particuliers. La facilité consiste à regarder ailleurs.
Q - Cela n'enlève rien aux critiques faites sur les opérations extérieures par la Mission d'information...
R - La France a vécu une longue histoire avec ses partenaires africains, notamment l'Afrique francophone. La France a fait beaucoup de choses méritoires. Elle a aussi rencontré des échecs et laissé se réaliser des erreurs. Aujourd'hui, nous avons une approche respectueuse et réservée du traitement des conflits africains.
Q - Comment définissez-vous cette nouvelle méthode ?
R - Lorsqu'une crise africaine justifie une action armée, nous voulons que cette action soit menée sous l'égide d'une institution internationale légitime. Les forces de maintien de la paix en Afrique doivent être composées par les pays africains. Pour nous engager à soutenir ces forces africaines, nous veillons à ce que les chances de réussite soient suffisantes. Nous devons donc parfois attendre que les conditions de règlement d'une crise soient réunies comme en République démocratique du Congo. Nous assistons aussi avec inquiétude à l'échec de l'intervention des Nations unies en Angola.
La France veut rester solidaire des Africains, sans s'ingérer. Elle assume les choix d'action qu'elle peut faire seule ou en précurseur. Mais nous ne pouvons agir seuls partout : il faut que d'autres pays développés acceptent de "mouiller leur maillot".
Q - Les accords de défense liant la France à un certain nombre de pays africains comportent dans clauses secrètes qui n'ont pas été publiées...
R - Bien sûr, et c'est le cas de nombreux accords passés entre bien des Etats. Ceux qui sont pour la politique du "pas un sou, pas un homme pour l'Afrique", ont leur logique. Je pense que cette logique est profondément hostile à l'avenir de l'Afrique.
"Notre orientation est différente. Les premières armées africaines indépendantes, dans les années 60, étaient commandées par les camarades de combat d'une partie des responsables militaires français. Par ailleurs, la solidité des nouveaux Etats n'était pas assurée. Inévitablement, la coopération militaire a comporté des éléments de trop forte implication. Nous en sortons graduellement.
Q - Convient-il de céder aux revendications des parlementaires, qui veulent élargir leurs compétences ?
R - On respectera pleinement la Constitution.
Q - Un autre rapport vient tout juste d'être présenté à la Commission de défense de l'Assemblée nationale. Le député Bernard Grasset (PS) y suggère d'instituer une "consultation systématique " du Parlement sur les engagements des forces armées à l'étranger. Qu'en pensez-vous ?
R - La démarche du gouvernement Jospin vise à élargir le champ de la démocratie représentative et à moderniser notre vie politique. Je viens d'annoncer quatre projets pour améliorer les rapports entre l'exécutif et le législatif sans toucher à l'édifice constitutionnel, s'agissant de compétences qui sont d'abord celles du président de la République, chef des armées et élu des Français.
Nous allons présenter aux commissions compétentes des Assemblées un rapport décrivant les opérations extérieures menées par la France durant l'année écoulée. Ce rapport donnera lieu à débat avant le vote des crédits couvrant les dépenses d'opérations extérieures.
Un mois après le début de toute nouvelle opération extérieure, le ministre de la Défense présentera aussi l'objectif de cette opération et les moyens programmés.
Enfin, nous souhaitons étendre l'usage consistant à convier les parlementaires à venir visiter les forces armées impliquées dans les opérations extérieures.
Q - Le même député évoque la nécessité d'aménager le droit d'expression des militaires ; jusqu'alors cantonnés au devoir de réserve...
R - C'est un thème légitime de réflexion. Dans le cadre de la professionnalisation des forces armées, les modalités de la participation des militaires à la vie de la cité méritent une approche nouvelle.
Q - La France est en train d'alléger son dispositif militaire en Afrique, tout en redéployant sa coopération militaire. Quels sont les objectifs ?
R - Nous avons une présence militaire en Afrique que, honnêtement, peu de gens nous suggèrent d'alléger. On voit bien qu'il n'y a pas foule de candidats pour faire face à des crises intenses, notamment lors des évacuations d'étrangers menacés.
S'agissant des moyens de coopération de défense, nous évoluons. L'élément de coopération qu'est la présence permanente de militaires français intégrés aux forces des pays ne va pas disparaître là où cela est encore nécessaire. Mais cela sera progressivement relayé par des entraînements en commun, des échanges d'unités...
Q - En parlant, il y a un an et demi, de "justice spectacle", vous avez eu des mots très rudes sur le Tribunal pénal international (TPI). Où en est la coopération avec ce tribunal ?
R - La controverse portait sur les conditions de témoignage d'anciens soldats de la paix qui pourraient être placés en posture d'accusés. Ce problème a été réglé. J'ai apprécié les termes employés par les autorités du Tribunal de La Haye lorsque nous avons intercepté le mois dernier un inculpé de crimes de guerre en Bosnie. Je considère que le débat a permis de faire progresser l'efficacité de la justice internationale.
(Source http://www.france.diplomatie.fr, le 22 février 1999)
R - Si, en dépit de nos efforts pour leur réussite, il y a échec, les accords intervenus au sein de l'Alliance supposent que l'action militaire ne sera pas automatique. Il faudra évaluer la situation. Si les Alliés s'accordent sur l'emploi de la force, conformément aux principes fixés dans les résolutions du Conseil de sécurité, il faudra aussi se poser cette question : quel est l'objectif politique ?
Q - Si Rambouillet se conclut par un accord, qu'elle sera l'importance du déploiement
français ?
R - La Force multinationale de surveillance devrait être répartie sur cinq secteurs géographiques, peut-être plus, avec des contributions issues des forces de l'Alliance, certainement élargies à des participations d'autres pays. La France propose de prendre la responsabilité d'une brigade. La force française de plusieurs milliers d'hommes sera terrestre, dotée de moyens lourds et d'un appui aérien afin de pouvoir réagir à de violents incidents.
Q - Après le Sommet franco-britannique de Saint-Malo et avant le Sommet de l'Otan, en avril, à Washington, les discussions à Rambouillet permettront-elles de progresser sur l'Identité de la défense européenne ?
R - Le mouvement amorcé à Saint-Malo invite l'Europe à se fixer des exigences en matière de traitement des crises en Europe. Mais, dans la pratique, les Européens n'ont pas vocation à agir seuls ; ils ont à agir en partenariat. L'outil militaire confirmé qu'est l'Alliance atlantique est un support naturel pour organiser une intervention si elle est légitime. Nous cherchons à établir de façon pragmatique les conditions d'une capacité européenne de défense.
Q - Comment réagissez-vous à l'insistance américaine sur un "partage du fardeau" plus équitable au sein de l'Alliance ?
R - Ce souhait débouche sur une nouvelle répartition des responsabilités. Cela peut bousculer certaines habitudes. Les Etats-Unis sont un élément permanent de la sécurité européenne, et le cheminement vers une prise de responsabilité plus efficace des Européens doit se faire de façon transparente. Cela prendra du temps.
Q - Dans son rapport final, la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda note que la France en est "arrivée à ce point d'engagement" qui a conduit "certains militaires français" à penser "mener, diriger et commander indirectement l'armée (...) d'un pays étranger". Quel est votre point de vue ?
R - Le gouvernement a choisi de changer la réalité politique française dans ce domaine. D'où sa position favorable, en juin dernier, à la demande d'investigation parlementaire. Le résultat du travail de la Mission d'information sur le Rwanda est positif. Mené de façon scrupuleuse, il a débouché sur des évaluations et des appréciations politiques que nous considérons justifiées. La phrase citée, parmi d'autres, met en relief des habitudes de travail qui se sont révélées défectueuses. J'ai aussi relevé que la Mission d'information confirmait la loyauté de l'action des soldats français dans ce drame.
La leçon que j'en tire est que nous avons bien fait de changer de politique à l'égard des crises africaines.
Q - Quand le Parlement relève que des militaires français ont commandé indirectement l'armée d'un Etat étranger, n'y a-t-il pas un problème ?
R - Si, mais je préfère ne pas m'arrêter sur un point passé. La réorientation de notre politique africaine est importante. Pour des Etats ayant des responsabilités internationales étendues et voulant que force reste à la loi, le contexte africain présente des défis particuliers. La facilité consiste à regarder ailleurs.
Q - Cela n'enlève rien aux critiques faites sur les opérations extérieures par la Mission d'information...
R - La France a vécu une longue histoire avec ses partenaires africains, notamment l'Afrique francophone. La France a fait beaucoup de choses méritoires. Elle a aussi rencontré des échecs et laissé se réaliser des erreurs. Aujourd'hui, nous avons une approche respectueuse et réservée du traitement des conflits africains.
Q - Comment définissez-vous cette nouvelle méthode ?
R - Lorsqu'une crise africaine justifie une action armée, nous voulons que cette action soit menée sous l'égide d'une institution internationale légitime. Les forces de maintien de la paix en Afrique doivent être composées par les pays africains. Pour nous engager à soutenir ces forces africaines, nous veillons à ce que les chances de réussite soient suffisantes. Nous devons donc parfois attendre que les conditions de règlement d'une crise soient réunies comme en République démocratique du Congo. Nous assistons aussi avec inquiétude à l'échec de l'intervention des Nations unies en Angola.
La France veut rester solidaire des Africains, sans s'ingérer. Elle assume les choix d'action qu'elle peut faire seule ou en précurseur. Mais nous ne pouvons agir seuls partout : il faut que d'autres pays développés acceptent de "mouiller leur maillot".
Q - Les accords de défense liant la France à un certain nombre de pays africains comportent dans clauses secrètes qui n'ont pas été publiées...
R - Bien sûr, et c'est le cas de nombreux accords passés entre bien des Etats. Ceux qui sont pour la politique du "pas un sou, pas un homme pour l'Afrique", ont leur logique. Je pense que cette logique est profondément hostile à l'avenir de l'Afrique.
"Notre orientation est différente. Les premières armées africaines indépendantes, dans les années 60, étaient commandées par les camarades de combat d'une partie des responsables militaires français. Par ailleurs, la solidité des nouveaux Etats n'était pas assurée. Inévitablement, la coopération militaire a comporté des éléments de trop forte implication. Nous en sortons graduellement.
Q - Convient-il de céder aux revendications des parlementaires, qui veulent élargir leurs compétences ?
R - On respectera pleinement la Constitution.
Q - Un autre rapport vient tout juste d'être présenté à la Commission de défense de l'Assemblée nationale. Le député Bernard Grasset (PS) y suggère d'instituer une "consultation systématique " du Parlement sur les engagements des forces armées à l'étranger. Qu'en pensez-vous ?
R - La démarche du gouvernement Jospin vise à élargir le champ de la démocratie représentative et à moderniser notre vie politique. Je viens d'annoncer quatre projets pour améliorer les rapports entre l'exécutif et le législatif sans toucher à l'édifice constitutionnel, s'agissant de compétences qui sont d'abord celles du président de la République, chef des armées et élu des Français.
Nous allons présenter aux commissions compétentes des Assemblées un rapport décrivant les opérations extérieures menées par la France durant l'année écoulée. Ce rapport donnera lieu à débat avant le vote des crédits couvrant les dépenses d'opérations extérieures.
Un mois après le début de toute nouvelle opération extérieure, le ministre de la Défense présentera aussi l'objectif de cette opération et les moyens programmés.
Enfin, nous souhaitons étendre l'usage consistant à convier les parlementaires à venir visiter les forces armées impliquées dans les opérations extérieures.
Q - Le même député évoque la nécessité d'aménager le droit d'expression des militaires ; jusqu'alors cantonnés au devoir de réserve...
R - C'est un thème légitime de réflexion. Dans le cadre de la professionnalisation des forces armées, les modalités de la participation des militaires à la vie de la cité méritent une approche nouvelle.
Q - La France est en train d'alléger son dispositif militaire en Afrique, tout en redéployant sa coopération militaire. Quels sont les objectifs ?
R - Nous avons une présence militaire en Afrique que, honnêtement, peu de gens nous suggèrent d'alléger. On voit bien qu'il n'y a pas foule de candidats pour faire face à des crises intenses, notamment lors des évacuations d'étrangers menacés.
S'agissant des moyens de coopération de défense, nous évoluons. L'élément de coopération qu'est la présence permanente de militaires français intégrés aux forces des pays ne va pas disparaître là où cela est encore nécessaire. Mais cela sera progressivement relayé par des entraînements en commun, des échanges d'unités...
Q - En parlant, il y a un an et demi, de "justice spectacle", vous avez eu des mots très rudes sur le Tribunal pénal international (TPI). Où en est la coopération avec ce tribunal ?
R - La controverse portait sur les conditions de témoignage d'anciens soldats de la paix qui pourraient être placés en posture d'accusés. Ce problème a été réglé. J'ai apprécié les termes employés par les autorités du Tribunal de La Haye lorsque nous avons intercepté le mois dernier un inculpé de crimes de guerre en Bosnie. Je considère que le débat a permis de faire progresser l'efficacité de la justice internationale.
(Source http://www.france.diplomatie.fr, le 22 février 1999)