Interview de M. François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, à France Inter le 2 octobre 2007, sur sa défense des valeurs d'humanisme et la critique de la politique économique du gouvernement.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Aujourd'hui démarre la session ordinaire du Parlement avec, au centre de l'Hémicycle, une "diaspora" de députés autrefois UDF - "diaspora", c'est H. de Charette qui emploie le terme. Des députés désormais éparpillés, un petit archipel : le MoDem, quatre députés, vous allez vous sentir un peu seuls, non ?
 
R.- Il y a des moments comme ça dans la vie, où il faut choisir entre ses idées, ses valeurs, ce qu'on croit essentiel pour son pays, et puis le confort d'appartenir à une majorité, d'en recevoir les honneurs et les facilités. En effet, nous avons choisi de ne pas être à l'intérieur de cette majorité, de rester libres, indépendants, de manière à défendre des idées qui ne sont plus guères défendues aujourd'hui. Et quand vous voyez la succession d'événements auxquels nous avons assisté, c'est-à-dire le paquet fiscal, avec des cadeaux qui ont été accumulés sur la tête de ceux qui étaient déjà très à l'aise dans la société française, et maintenant le rendez-vous va venir des autres, de faire payer ou de donner leur part de charges aux autres. Quand vous voyez les tests ADN, cette incroyable décision pour la France, qui consiste à aller vérifier génétiquement quels sont les liens éventuels entre des parents et leurs enfants, pour que l'immigration soit encore un peu plus mise sur le devant de la scène, mise sous les projecteurs, il y a là des choses qui ne ressemblent pas aux valeurs qui sont les nôtres.
 
Q.- Comment les décrire ces valeurs, puisque vous mettez l'ensemble sous un même chapeau ?
 
R.- Je vais vous dire simplement : les valeurs sont humanistes. Et humanistes, cela veut dire qu'on est capable de mettre les choses à leur place, de mettre au sommet ce qui touche au respect de la personne humaine et à l'épanouissement de la personne humaine - l'éducation, par exemple, qui doit être la clef de tout -, et puis de faire passer au deuxième plan ce qui appartient à l'ordre de l'argent, la puissance financière...
 
Q.- Et ça, ce sont les valeurs que vous voyez à l'oeuvre dans cette séquence politique que vous venez de décrire ?
 
R.- Non, ce sont les valeurs que je défendrai...
 
Q.- Oui, les valeurs d'humanisme, d'accord...
 
R.- Valeurs humanistes et valeurs de... - comment dirais-je ? - de remise en ordre, remise à l'endroit de ce que sont les priorités de la vie, je les défendrai ; valeurs de solidarité, je les défendrai. Et enfin, le choix qui est le mien s'explique parce que je voyais venir depuis longtemps des choix politiques qui ne ressemblaient pas à ce que nous croyons et à ce que les Français attendaient et voulaient, y compris les Français qui ont voté pour N. Sarkozy.
 
Q.- En termes d'efficacité politique, il vous reste aujourd'hui, simplement la parole. C'est peu ?
 
R.- D'abord, la parole c'est beaucoup.
 
Q.- En politique, c'est vrai que c'est un outil intéressant, mais bon...
 
R.- La parole, c'est beaucoup. Le fait que je sois à votre micro pour défendre ces idées, le fait que tant et tant de dizaines de milliers de Français nous rejoignent, c'est beaucoup. Et puis, le temps viendra où il y aura au niveau parlementaire des passerelles, des regroupements, des rassemblements, parce que je pense que cette "diaspora" des élus qui ont choisi de se précipiter dans la majorité ne durera pas.
 
Q.- C'est-à-dire que vous allez vous rassembler, vous réagréger à nouveau au centre ? Dites-nous en plus, parce là, on sent une phrase sibylline.
 
R.- Non, cela prendra du temps, mais je suis persuadé que le jour viendra où les rassemblements seront à l'ordre du jour. Ce n'est pas le moment, il y a du temps pour cela, le temps que tout le monde s'aperçoive de la réalité de l'expérience qui est en cours. Au fond...
 
Q.- Mais comment la décrivez-vous cette expérience ? Parce que, vous avez dit que ce n'était visiblement pas les valeurs humanistes que vous défendez, alors d'un mot, ou de quelques mots, comment décrire la politique du Gouvernement depuis qu'il est installé ?
 
R.- Tout le monde voit bien, du point de vue économique, le Gouvernement a fait un choix qui était, selon moi, un choix sans chances, qui était d'expliquer que si l'on donnait davantage d'argent à ceux qui en ont déjà, étant les locomotives de l'économie, cela allait relancer la croissance, cela ferait rentrer des impôts, et qu'on se retrouverait... Très bien. J'ai toujours trouvé que c'était un conte et que ce n'était pas juste, et que ce n'était pas efficace. Et on va s'apercevoir, je crois, on commence à s'apercevoir, que tel est le cas, et que cela compromet les réformes, ce choix compromet les réformes parce que la condition de la réforme c'est la justice. La condition pour que tout le monde accepte des efforts, c'est d'avoir la certitude que ces efforts sont équitablement répartis. Quand les efforts ne sont pas équitablement répartis, alors, naturellement, il y a des réticences et des résistances qui sont très grandes. Donc, premièrement, un choix économique discutable et deuxièmement, l'étalage de préférences, du point de vue de la politique internationale, au bénéfice des Etats-Unis, et puis l'étalage dans la vie, de choix qui sont au bénéfice de ceux qui ont le plus d'argent et le plus de notoriété. Et cela ne ressemble pas, me semble-t-il, au modèle politique français tel que les Français l'attendent et le veulent.
 
Q.- Donc, il y a un problème de morale politique à vous en croire ?
 
R.- Je ne veux pas utiliser des mots qui soient des mots excessifs parce que je veux rester dans une situation d'indépendance et de jugement, qui soit un jugement équilibré et juste sur ce qui se passe aujourd'hui. Il y a sûrement des choses bien et puis, essayons en même temps de défendre des valeurs et un projet.
 
Q.- F. Bayrou à Matignon aurait fait quoi en économie ? N'aurait-il pas mis en place, lui, un plan de rigueur, vu tout ce que vous avez décrit sur l'état des finances publiques pendant la campagne présidentielle, n'auriez-vous pas fait cela ?
 
R.- Vous avez parfaitement raison de le dire. J'avais placé la campagne présidentielle, qui n'était pas pour être à Matignon...
 
Q.- Oui, cela ne m'a pas échappé, effectivement, mais bon... Vu d'ici, pour vous, vous auriez peut-être pu avoir une deuxième chance à Matignon...
 
R.- Oui, c'est vrai, j'aurais pu, mais je ne l'ai pas voulu.
 
Q.- Alors à l'Elysée ou à Matignon, qu'auriez-vous fait ?
 
R.- Il faut avoir une grande osmose quand on occupe cette fonction. Donc je reviens au-delà de ce sourire...
 
Q.- Rigueur ?
 
R.- J'ai placé l'ensemble de ma campagne présidentielle sous le signe de la vérité qu'il allait maintenant falloir dire aux Français, et notamment la vérité sur le déficit et sur la dette. J'ai été surpris de voir à quel point ce sujet, qui était entré pour la première fois dans l'histoire dans la conscience de nos concitoyens, j'ai été surpris de voir à quel point il a été écarté. A quel point on est entrés dans la nouvelle législature et la nouvelle présidence, avec l'idée, qu'au fond, tous ces efforts-là, ce n'était pas la peine de les faire.
 
Q.- Le Gouvernement dit que c'est pour plus tard. Mais vous, pensez-vous qu'une politique de rigueur, puisque vous avez l'usage de la parole, et en politique aujourd'hui...
 
R.- Je l'aurais fait.
 
Q.- Vous l'auriez faite la rigueur ?
 
R.- Oui, j'aurais mis en place une politique qui aurait été une politique sérieuse de rééquilibrage des comptes publics. Et j'aurais mis en place une politique qui n'aurait pas été discutable, parce que, elle n'aurait pas commencé par des cadeaux à ceux qui étaient les plus favorisés déjà dans la société française. Et on aurait tout de suite dit la vérité, on aurait repris toutes les actions de l'Etat pour voir celles qui étaient efficaces et celles qui ne l'étaient pas. Et il y a une action de l'Etat à laquelle j'aurais donné la priorité des priorités, c'est l'Education. Voilà quels étaient mon plan et ma ligne pour entrer dans cette question aussi difficile du rééquilibrage, en France, de la dépense publique.
 
Q.- Croyez-vous à l'efficacité de la mesure sur les heures supplémentaires mises en place hier ?
 
R.- Vous avez vu, cela a fait beaucoup de discussions et beaucoup d'interrogations. Il y a une chose que j'approuve, c'est que les heures supplémentaires soient payées au même taux dans les petites entreprises et dans les grandes. Mais la proposition que j'avais faite, est que ces heures supplémentaires payées au même taux ne coûtent pas plus cher pour l'entreprise qu'une heure normale. Et je n'aurais pas fait la défiscalisation parce qu'il n'est pas normal que deux personnes qui gagnent la même somme en faisant les mêmes efforts soient, pour l'une, soumise à l'impôt, et l'autre pas. Il y a là un déséquilibre qui est inéquitable.
 
Q.- Cela va-t-il relancer quelque chose ?
 
R.- On va voir. J'imagine que tout le monde attend. Ce qui me frappe, c'est que beaucoup de chefs d'entreprise n'y comprennent rien. Ce qui me frappe, c'est que la baisse des charges dans un certain nombre d'entreprises n'est pas au rendez-vous. Et que, au fond, les chefs d'entreprise disent : "mais cela va nous coûter plus cher que cela ne coûtait hier !". Au bout du compte, ce sont les salariés qui se trouveront inévitablement au bout de cette logique de "comment rééquilibrer nos comptes ?".
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 2 octobre 2007