Interview de M. François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, dans "Sud-Ouest" du 14 septembre 2007, sur le bilan de l'élection présidentielle, sa position sur la politique de N. Sarkozy et la préparation des élections municipales.

Prononcé le

Média : Sud Ouest

Texte intégral

Q - Comment avez-vous passé ces trois mois après les élections ?
R - La session parlementaire a duré jusqu'à la fin du mois de juillet. Ensuite, j'ai passé le mois d'août en famille, à la maison. J'ai marché, fait du vélo, j'ai nagé, j'ai lu, réfléchi et écrit. Il fallait revenir sur l'année, à la fois formidable et rude, qui a été celle de ces élections, mais aussi réfléchir à l'avenir, parce que obtenir près de 20 % des voix, cela crée aussi des devoirs.
Q - Avez-vous été « sonné » ?
R - Ce sont des événements qu'il faut absorber humainement plus encore que politiquement. Cette immense vague d'amitié et de confiance qui fait que 7 millions de personnes vous choisissent pour être leur président. Et après, cette ambiance de ralliement, parfois de reniement, qui fait qu'alors que les citoyens y ont tellement cru, certains élus n'ont rien de plus pressé à faire que de courir au nouveau pouvoir. Ces moments, il faut y réfléchir pour en exclure toute amertume et en tirer le meilleur.
Q - Le doute vous a-t-il atteint ?
R - Non. Je n'ai jamais douté du chemin et de ma responsabilité. Un électeur français doit-il n'avoir le choix qu'entre l'UMP et ses choix discutables et le Parti socialiste avec ce qu'il représente de décennies pesantes ? Je crois que le pluralisme est une richesse.
Q - Regrettez-vous certaines phrases dures, notamment avec les médias comme TF1 ou les instituts de sondage ?
R - Je ne changerai pas un mot de ce que j'ai dit. Tout le monde voit bien que cette campagne s'est déroulée sur fond de connivence de certains médias - pas tous - avec au moins l'un des candidats. Mais il y a un temps pour le combat et un temps pour construire. L'Ecclésiaste dit qu'il y a un temps pour lancer des pierres et un temps pour les ramasser et construire (sourire).
Q - Vous allez rendre visite à Nicolas Sarkozy ce matin. Qu'allez-vous lui dire juste avant le forum démocrate de Seignosse ?
R - Il m'a invité sans ordre du jour. J'ai toujours considéré que lorsque le président de la République demande à rencontrer le leader d'une formation politique, c'est du devoir de ce dernier d'y aller de manière constructive. Il y a tout à gagner à ce qu'on puisse lui exprimer un jugement libre sur l'état du pays. J'ai été en désaccord avec les premières mesures qu'il a prises et qui, à mon avis, vont peser lourd sur la France. Pour la première fois, au cours de cette campagne, l'opinion publique avait mesuré que nous avions un problème de déficit et de dépenses publiques. Les esprits étaient mûrs pour qu'on entame une politique sérieuse. Or, le choix de Nicolas Sarkozy a été de dépenser de l'argent qu'il n'avait pas pour faire des cadeaux aux plus favorisés des Français. Cela a constitué un mauvais signal pour l'opinion qui a cru qu'on pouvait dépenser. La croissance n'étant pas au rendez-vous, le recadrage sera d'autant plus difficile à proposer qu'on a fait ce choix initial.
Q - Pourquoi êtes-vous resté silencieux ?
R - Quand un pouvoir s'installe, cela ne sert à rien de faire des commentaires. Les gens donnent leur confiance à ceux qu'ils ont élus, plus exactement ils la prêtent. Ils attendent de voir quelle est l'évolution de la réalité avant de formuler leur jugement.
Q - Pourriez-vous accepter aujourd'hui une mission, un ministère ?
R - Nicolas Sarkozy accroche l'un après l'autre les dirigeants politiques, notamment socialistes, comme des trophées à son tableau de chasse. Je n'ai pas cette vocation-là. Je ne suis pas dans une perspective de ralliement. Je tiens ma ligne avec la conviction que c'est ce que les citoyens attendent de leurs élus.
Q - La réduction du nombre de fonctionnaires n'est-elle pas une occasion de combler le déficit public ?
R - Il y a des administrations qui peuvent être efficaces avec moins de fonctionnaires. Ce que j'ai toujours contesté, c'est qu'on fasse porter l'effort d'abord sur le système éducatif. C'est un secteur clé pour la nation auquel il faut en premier lieu fixer des objectifs ambitieux pour obtenir enfin des générations d'élèves mieux formés dans les fondamentaux.
Q - Sur les régimes spéciaux de retraite, vous avez surtout critiqué la méthode...
R - C'est Nicolas Sarkozy qui a « taclé » François Fillon, ce n'est pas moi. Sur le fond, il y a deux questions : comment financer les retraites sur le long terme et comment trouver un système juste ? Les régimes spéciaux devraient faire partie d'une mise à plat générale alors que François Fillon a dit qu'il voulait aligner les régimes spéciaux sur les fonctionnaires. Mais les métiers pénibles dans le privé, ne croyez-vous pas qu'ils mériteraient qu'on les traite mieux ? Le critère devrait être la pénibilité du travail, dans une réflexion générale sur les retraites.
Q - Autant votre parcours a été remarqué à la présidentielle, autant l'absence d'alliances vous a ramené à la réalité lors des législatives ?
R - Si je m'étais rangé du côté des vainqueurs, des millions de Français auraient jugé que mes déclarations d'indépendance n'étaient que des paroles. Une fois l'indépendance trouvée et prouvée, il est tout à fait possible de nouer des alliances parce que personne ne doit avoir comme but de gouverner seul.
Q - Pour les municipales, quelles alliances sont possibles ?
R - Mon objectif, c'est notre présence la plus large possible dans le plus grand nombre de villes et, évidemment, tout dépend dans ces villes de la situation locale. Il y a des villes où nous sommes déjà dans une majorité, et une majorité qui marche bien. Et il y a des villes qui méritent une gouvernance nouvelle. Notre ligne générale sera l'autonomie. Et ensuite, nous étudierons la situation ville par ville.
Q - Est-il imaginable que vous puissiez aider Alain Juppé à Bordeaux, Gérard Collomb à Lyon, et, si oui, sera-ce lisible ?
R - N'allez pas plus vite que la musique ! Les élections locales sont faites pour avoir une bonne gestion locale. Mon idéal, ce sont des équipes où tous les grands courants d'une ville sont représentés. Je défendrai tant que je le pourrai l'idée de majorités locales ouvertes et de rassemblement.
Q - À Pau, où vous serez candidat, vous allez vous ouvrir au PS comme à l'UMP ?
R - Si vous voulez me piéger et avoir aujourd'hui la réponse à la question de savoir si je serai candidat, vous allez vous casser les dents... Je suis libre de ma décision, même si beaucoup de gens m'en parlent et viennent me voir. Pau, c'est plus qu'une ville, c'est une capitale dans un pays qui a été indépendant durant des siècles. Et ce pays, c'est le mien. Il faut que les choses mûrissent et donner à la réflexion le temps nécessaire. Source http://www.lesdemocrates.fr, le 12 octobre 2007