Interview de M. Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, à "RFI" le 14 novembre 2007, sur les négociations entre le gouvernement et les syndicats à propos de la réforme des régimes spéciaux de retraite, l'état de l'opinion publique face aux grèves des transports et sur le projet de réforme des institutions.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- Bonjour R. Karoutchi... Alors, les cheminots de la SNCF, rejoints aujourd'hui par leurs collègues de la RATP, c'est-à-dire les Transports publics de la région parisienne, ont entamé donc hier soir un mouvement de grève que l'on nous annonçait comme sans doute très dur et peut-être assez long. Est-ce que la proposition de B.Thibault, secrétaire général de la CGT, hier soir, qui a donc suggéré d'engager des négociations tripartites, c'est-à-dire entre les entreprises, les syndicats, et l'Etat, mais entreprise par entreprise, permet réellement d'espérer une sortie de crise plus rapide et plus apaisée ?
 
R.- Ecoutez, X. Bertrand a reçu effectivement B. Thibault, il reçoit ce matin, d'ailleurs, les autres responsables syndicaux, et la CGT a fait un pas. Elle demandait des négociations uniquement au niveau national, elle accepte maintenant les négociations, entreprise par entreprise en demandant à ce que, outre les entreprises et les syndicats, il y ait un représentant de l'Etat. X. Bertrand n'a pas exclu cette solution. Ça peut vouloir dire un début très rapide de négociations comme souhaité par le Gouvernement, à l'intérieur de chacune des entreprises, et ça peut- on va voir dans la journée ce que ça donne - faire penser que le mouvement sera moins long que craint par beaucoup et que nous puissions trouver une sortie de crise, oui.
 
Q.- Une proposition d'un syndicat, la CGT, a fortiori à la veille d'une grève, c'est un scénario assez exceptionnel pour ne pas dire peut-être inédit. Est-ce que vous y voyez une évolution du dialogue social ?
 
R.- D'abord, j'y vois et je voudrais vraiment le dire, le fait que chacun comprend quand même, et même les représentants syndicaux, que la notion même de cette réforme, mettant à 40 ans les annuités de cotisations de retraite pour tout le monde - il y a déjà 25 millions d'actifs en France qui sont à 40 ans, il n'y a « que » 500.000 personnes concernées par les régimes spéciaux, le fait que tout le monde soit à 40 ans - ça apparaît, y compris aux syndicats, comme une mesure logique, normale, éthique. Alors, qu'ensuite, la CGT et les autres syndicats, la CFDT, la CFTC, Force ouvrière, disent : « oui, mais il y a des conditions particulières dans les entreprises, à la SNCF, à la RATP, de pénibilité, des conditions particulières d'accès au travail, d'emploi des seniors », là, ça veut dire qu'effectivement il faut regarder entreprise par entreprise. Je crois que les syndicats se sont rendu compte, simplement, que le Gouvernement, que le président de la République, disaient très clairement : « Nous ne reviendrons pas sur les grands principes, ce n'est pas la peine. Les 40 ans c'est une mesure juste, donc, là-dessus nous ne reviendrons pas. En revanche, qu'il y ait des mesures d'accompagnement au sein de chaque entreprise, négocions ».
 
Q.- Alors, précisément, qu'est-ce qui aujourd'hui ne peut plus être négocié ? Ce sont les 40 années et tout le reste est négociable alors ?
 
R.- Je crois que, sincèrement, on le sait bien, d'abord dans le monde du privé il y a maintenant 14 ans, puis dans la Fonction publique il y a maintenant 4 ans, tout le monde est passé à 40 années de cotisations. Et il y a un grand rendez-vous, je vous le rappelle, au printemps 2008, un grand rendez-vous pour l'ensemble des actifs français sur les équilibres du système de retraite. Ça apparaissait, effectivement, comme une « anomalie », que les régimes spéciaux soient à 37,5 ans. Je crois que c'est l'élément clef, disant : « tout le monde doit concourir à l'équilibre des systèmes de retraite », on ne peut pas continuer à avoir des systèmes de retraite aussi déséquilibrés entre 95 % des actifs et 5 %. Alors, qu'il y ait des conditions particulières dans les entreprises, ça va se traiter entreprise par entreprise, mais la notion générale, tout le monde à 40 ans, c'est la base.
 
Q.- Mais, est-ce que ce n'est pas une mesure plus symbolique qu'économique, parce que ce n'est pas avec les économies que l'on va faire sur les régimes spéciaux que l'on va régler le problème général des retraites.
 
R.- Ah, non, mais ça, personne ne dit...
 
Q.- D'ailleurs, le chef de l'Etat a parlé d'une mesure emblématique.
 
R.- Oui, oui. Non mais je crois que personne ne dit que si on réforme les régimes spéciaux, ça va rééquilibrer le système des retraites. 500.000 ne peuvent pas équilibrer 25 millions, personne n'y croit. Mais, la vérité c'est que lorsque l'on veut faire une vraie réforme, lorsqu'on veut demander aux gens des sacrifices, des efforts, il faut que tout le monde se dise : tout le monde les fait. Et à partir de là, c'est sûr que vous ne pouvez pas dire à 95 % ou 96 % des actifs : « oui, vous, vous allez faire plus mais 3, 4 % vont faire la même chose et ne feront pas d'efforts ». Donc, je crois que de manière claire, il s'agissait de dire : 100 % des actifs français vont être à 40 ans et on y va.
 
Q.- On a évoqué au début de notre entretien une issue possible, issue de crise favorable. En même temps, l'hypothèse du conflit un peu dur n'est pas à exclure, ce serait tout à prématuré...
 
R.- Tout à fait. Ah, oui, oui, bien sûr.
 
Q.- Si le conflit se durcit, qu'il dure dans le temps, pourquoi ce Gouvernement aurait la capacité à tenir là où tous les autres ont dû
céder auparavant et en particulier sur le dossier des retraites, on se souvient notamment de la grève de 95 ?
 
R.- Nous ne sommes pas du tout dans la situation de 95, d'abord parce que là, nous avons déjà fait la réforme consistant à dire : la fonction publique passe également - ce qui n'était pas le cas en 95 - aux 40 ans. Et donc, sincèrement, en 1995, la grève avait été très dure, très longue, parce qu'en plus, elle avait été « soutenue par l'opinion publique ». Là, sincèrement, je pense que ça ne serait pas le cas et je pense que...
 
Q.- Les sondages le disent, effectivement, encore aujourd'hui : 58 % des Français favorables à la fermeté du Gouvernement. Mais, est-ce que vous ne craignez pas de monter les uns contre les autres ?
 
R.- Non, il ne faut absolument pas monter qui que ce soit contre qui que ce soit, il faut discuter, ce que fait le Gouvernement, ce que fait très bien F. Fillon, ce que fait très bien X. Bertrand. Ce qu'a dit hier le président de la République aux chefs d'entreprises, d'ailleurs, concernées, à savoir : « discutez, établissez le contact tout le temps, faites en sorte qu'entreprise par entreprise, des accords soient possibles. Donc, ayez vraiment le sens du dialogue, mais faisons dans l'éthique, restons à 40 ans ».
 
Q.- Puisque vous parlez des chefs d'entreprise, la présidente du MEDEF, hier, disait qu'il fallait se méfier d'un goût presque
masochiste pour la confrontation, en France. Vous avez...
 
R.- Sincèrement, quand on connaît F. Fillon et X. Bertrand, on n'a pas franchement le sentiment qu'on ait un goût masochiste pour la confrontation. On aurait presque un goût immodéré pour la discussion, la négociation, le dialogue.
 
Q.- Alors, R. Karoutchi, vous êtes en charge des relations avec le Parlement, au Gouvernement. Dans ses propositions de réforme des institutions, la commission Balladur souhaite que le pouvoir du Parlement soit renforcé...
 
R.- Tout à fait.
 
Q.- Avec notamment une plus grande maîtrise de l'ordre du jour, c'est-à-dire l'équilibre entre les projets de loi et les propositions de loi, qui sont débattus. Est-ce que l'exécutif a accepté, facilement, de finalement céder une part de ses prérogatives au législatif ?
 
R.- Ça n'est jamais très facile de céder une partie de ses prérogatives, si je puis dire, mais ça va être nécessaire. Les députés, les sénateurs, veulent avoir plus d'impact, à la fois dans le débat sur les textes de loi et sur l'initiative de ces lois. Donc, nous allons trouver des procédures, avec les conférences des présidents des deux assemblées, pour faire en sorte que les initiatives, les propositions de loi des parlementaires, soient plus prises en compte, peut-être même faudra-t-il imaginer que d'une manière ou d'une autre, nous mettions à disposition des parlementaires, des moyens de contrôle, soit internes aux assemblées, soit à l'extérieur, pour les aider à, par exemple, évaluer l'impact des textes qu'ils proposent.
 
Q.- Oui. L'autre réforme importante, ce serait la possibilité pour le chef de l'Etat de s'exprimer devant le Parlement. N. Sarkozy le souhaite, il l'avait dit...
 
R.- Bien sûr.
 
Q.- Est-ce qu'on en prend vraiment la direction, est-ce que ça va se faire ?
 
R.- Oui. Je pense que c'est une nécessité. Vous savez, aujourd'hui, le chef de l'Etat peut communiquer avec les deux Assemblées, par des messages écrits, qui sont lus par le président de l'Assemblée, debout. Les députés ou les sénateurs debout, écoutent la lecture, et puis quand c'est fini, ils se rassoient et on continue. Bon.
 
Q.- C'est un peu désuet, aujourd'hui ?
 
R.- C'est désuet, c'est le 19ème siècle, c'est tout ce que l'on veut. Quand les chefs d'Etat étrangers peuvent venir s'exprimer devant le Parlement français, quand le chef de l'Etat français peut s'exprimer devant tous les parlements étrangers, on peut comprendre qu'on peut aussi se parler, même en France.
 
Q.- Merci R. Karoutchi.
 
R.- Merci à vous.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 novembre 2007