Interview de M. François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, dans "La Vie" du 30 novembre 2007, sur le congrès de création le MoDem et sur son souhait d'un changement institutionnel.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : CFTC La Vie à défendre - La Vie

Texte intégral

La Vie. Le congrès fondateur du MoDem s'annonce compliqué. N'avez-vous pas sous-estimé la difficulté qu'il y a à réunir deux partis et des adhérents directs ?
François Bayrou. Accepter le changement, c'est toujours plus difficile que de rester sur place. Évidemment, cela suscite des résistances. Mais c'est la condition de la vie. Sinon, on stagne, on s'étiole, on disparaît. L'UDF doit vouloir cette transmutation comme la SFIO devint PS et le RPR devint UMP : devenir un centre enfin fidèle à ses idées, indépendant, capable de proposer un projet politique. C'est d'autant plus nécessaire que les choix fondamentaux de Nicolas Sarkozy conduisent à un projet de société que la France a toujours refusé, où les inégalités se creusent : le même jour, on supprime en catimini un impôt sur les transactions de Bourse et on annonce que 780 000 personnes âgées modestes vont devoir payer la redevance télévision. En face, l'opposition est inaudible car elle n'a pas vraiment de ligne politique et pas de leader accepté de tous : le PS tel qu'il est a été créé voilà trente-six ans, il est au bout d'un cycle et peine à se faire entendre.

La Vie. La politique de la nouvelle majorité n'est-elle pas plus contrastée que prévu ?
F.B. On prétendait que le paquet fiscal allait relancer l'économie. Où sont ses effets ? En revanche, lorsqu'on a accordé 15 milliards de cadeaux à ceux qui ont déjà beaucoup, il est très difficile de demander des sacrifices à tous ceux qui ont moins. La question fondamentale est aujourd'hui celle du projet de société. Avec la mondialisation, le renforcement des inégalités domine : en vingt ans, aux États-Unis, toute la hausse du pouvoir d'achat a été captée par les 10 % les plus aisés alors que le prix du travail manuel ne cessait de baisser. Face à ce renforcement des inégalités, il faut un projet qui renforce la justice. Nicolas Sarkozy répète qu'il faut d'urgence réconcilier les Français avec l'argent. Il me semble qu'il faut plutôt réconcilier les Français avec tout ce qui n'est pas l'argent ! L'éducation, la science, la solidarité... Ce sont, là aussi, les vraies richesses de la France. Beaucoup le pensent, venant du gaullisme, de la démocratie chrétienne, ou de la gauche démocratique. Toutes les sensibilités humanistes, qui veulent être en même temps réalistes et généreuses, il faudra les rassembler.

La Vie. Vous critiquez le pouvoir personnel de Nicolas Sarkozy. La dynamique du MoDem ne repose-t-elle pas sur une pareille personnalisation ?
F.B. Un mouvement comme le nôtre est un commando pour un changement politique. Sa première vertu, c'est la cohérence. Je suis, par la force des choses, le garant de sa ligne et de son unité. Mais il y a une grande différence entre un parti et un pays. Un président de la République doit être à la fois un inspirateur et un arbitre, au-dessus des clans et des partis : ces principes, nullement dépassés, sont l'essence même de la fonction.

La Vie. Combien de temps vous donnez-vous pour réussir la création du MoDem ?
F.B. Nous sommes devant une période de construction qui prendra trois à quatre ans. Ce n'est pas rien de faire naître un courant politique, de créer une cohésion entre les anciens militants et les 40 000 nouveaux adhérents, de faire monter une nouvelle génération. De gros chantiers nous attendent : pour faire bouger la société, quel moteur imaginer qui ne soit pas seulement celui de l'enrichissement personnel ? Comment créer une démocratie de citoyens responsables qui ne soit plus manipulée par la communication ? Comment empêcher la mainmise sur les médias ? Quel nouveau visage donner au projet européen ?

La Vie. Vous parlez d'une autre démarche politique : qu'est-ce que cela veut dire ?
F.B. Beaucoup de gens attendent une action fondée sur des convictions, et non sur des compromissions. Aujourd'hui, le gouvernement accepte de ne pas exister, les médias d'être contrôlés par des réseaux liés aux puissances financières, et certains hommes politiques d'être des cibles pour le débauchage. C'est un temps dans lequel on est en droit de s'inquiéter. La fascination individuelle pour le pouvoir joue un rôle, mais les institutions favorisent aussi des attitudes de servilité. Nous avons besoin d'institutions qui poussent à la liberté d'esprit, au courage, aux convictions. Seul un changement institutionnel sérieux permettra d'en sortir. Il faut rendre au Parlement son indépendance par rapport à l'exécutif. Il faut que des voix libres puissent s'y faire entendre. Et sans une loi électorale plus juste, ce but ne pourra être atteint.

La Vie. Jean-Marie Cavada, un de vos fidèles, se présente à Paris sur une liste UMP. Êtes-vous découragé par ces abandons en série ?
F.B. Non. Le MoDem n'existera que s'il défend son autonomie. La voix de tous ceux qui abandonnent leur combat pour un intérêt personnel ne compte plus au bout de quelques mois. Regardez ces dernières années : tous ceux qui se sont ralliés disparaissent. Et pour une raison simple : les citoyens n'aiment que les convictions fortes et les hommes - et femmes - courageux.
La Vie. Ces défections ne sont-elles pas aussi le signe d'une traversée du désert ?
F.B. Je ne le nie pas. Sans doute est-elle plus rude que je ne l'imaginais au soir du premier tour. Mais je l'assume. C'est un passage obligé chaque fois qu'on bouscule les repères habituels. Pendant la traversée du désert de de Gaulle, quand ses députés « partaient à la soupe », Malraux disait : « Perdre des députés, c'est embêtant. Mais perdre l'idée qui nous a fait vivre, c'est un suicide. » Je n'hésite pas : entre mes valeurs et le confort d'une carrière, j'opte pour mes valeurs, car là est l'avenir. Dans une traversée du désert - encore qu'il ne faille pas exagérer : peut-on parler de désert quand on a des dizaines de milliers de militants autour de soi ? -, il est bon de se recentrer sur l'essentiel : ce en quoi vous croyez. Mais je ne doute pas qu'au bout du chemin les yeux des Français vont s'ouvrir.
Propos recueillis par Philippe Merlant

source http://www.mouvementdemocrate.fr, le 3 décembre 2007