Entretien de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à "France Info" le 18 décembre 2007, sur la présence militaire française en Côte d'Ivoire, au Tchad et en Afghanistan et sur les efforts en faveur de la Défense.

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Média : France Info

Texte intégral

Laurence JOUSSERANDOT - Bonsoir, Hervé MORIN.
Hervé MORIN - Bonsoir.
Laurence JOUSSERANDOT - Merci d'être sur France Info. On va d'abord parler, si vous le voulez bien, de la présence militaire française à l'étranger. A la veille de Noël, il y a encore environ 14 000 hommes en mission dans de nombreux pays, vous étiez d'ailleurs récemment en Côte d'Ivoire, il y a quelques jours. La force Licorne, elle est là-bas depuis...
Hervé MORIN - J'irai au Tchad et en Centrafrique pour fêter les fêtes de fin d'année avec les forces.
Laurence JOUSSERANDOT - Pour le Réveillon, d'accord. Alors, la Côte d'Ivoire d'abord, la force Licorne est là-bas depuis 2002, on a encore 3 000 hommes sur place.
Hervé MORIN - Un petit peu moins.
Laurence JOUSSERANDOT - Vous comptez les faire rentrer quand ?
Hervé MORIN - La force Licorne assure une mission qui est celle de la force de réaction rapide de l'ONUCI, c'est-à-dire de la force de l'ONU qui comprend pour l'essentiel des forces africaines et asiatiques...
Laurence JOUSSERANDOT - Huit mille soldats au total.
Hervé MORIN - Oui, près de 9 000, je crois, de mémoire. Donc, la force française de l'opération Licorne est la force de réaction rapide, c'est-à-dire en quelque sorte, celle qui est capable de réagir si, tout d'un coup, la situation s'aggravait considérablement. On mène toute une série de patrouilles, d'opérations et d'exercices communs. Cette force-là pourra se réduire au fur et à mesure que la situation s'améliore en Afrique...
Laurence JOUSSERANDOT - C'est une mission de surveillance essentiellement.
Hervé MORIN - C'est une mission de surveillance. Et puis, on fait de la reconstruction civile aussi, on retape des écoles, on mène des opérations dans les villages, donc...
Laurence JOUSSERANDOT - Justement, en Côte d'Ivoire, la situation s'est nettement améliorée...
Hervé MORIN - Comme la situation s'améliore, on a déjà enlevé près de 800 à 900 hommes. L'idée, c'est que nous en enlevions, si le processus électoral va tranquillement et si la situation permet d'installer progressivement à la fois l'armée ivoirienne sur l'ensemble du territoire - parce qu'il y a le problème de la fusion des forces rebelles d'une part et des forces régulières de l'autre. Si la fusion s'effectue et si, progressivement, les institutions ivoiriennes se mettent en place, nous retirerons encore techniquement parce qu'on n'aura pas besoin de toutes ces forces-là.
Laurence JOUSSERANDOT - Justement, le processus électoral, les élections en 2008, vous y croyez ?
Hervé MORIN - J'allais dire que oui parce que je crois qu'il y a une vraie volonté de l'ensemble des forces pour en finir avec cette période qui a été une période extrêmement dure, difficile pour les Ivoiriens eux-mêmes d'abord et avant tout. Faut-il encore que le processus électoral se passe dans de bonnes conditions, faut-il encore que les listes électorales puissent, ce qu'on appelle l'enrôlement, c'est-à-dire qu'il faut redonner des cartes d'identité, etc. Il y a tout un processus. (...) Nous insistons beaucoup pour que le processus ait lieu et qu'il ait lieu d'une façon la plus transparente possible.
Laurence JOUSSERANDOT - Vous en revenez, Nicolas Sarkozy, lui, compte y aller bientôt ?
Hervé MORIN - Je pense que ce n'est pas encore le moment pour le président de la République d'y aller, selon les informations que je peux avoir. Il faut d'abord et avant tout que le processus démocratique ait lieu.
Laurence JOUSSERANDOT - Il y a aussi la question du Tchad bien sûr, vous le disiez, vous allez passer le Réveillon là-bas. Le déploiement de l'EUFOR, la Force de l'Union européenne, à la frontière avec le Darfour, a pris du retard. Finalement, c'est pour quand ?
Hervé MORIN - C'est pour, je l'espère, le début de l'année prochaine. Ce qui est terrible, c'est de voir que la France et le Royaume-Uni ont porté, au nom de l'Union européenne, auprès de l'ONU, auprès du Conseil de sécurité de l'ONU, cette idée de faire en sorte qu'au Darfour, (...) ce soit l'Europe, sur la partie tchadienne et centrafricaine, qui assure la stabilité de la région et qui protège les populations déplacées. Nous l'avons portée au nom de l'Europe...
Laurence JOUSSERANDOT - Alors, ce n'est pas bon pour notre crédibilité ça...
Hervé MORIN - Et quand nous nous retrouvons face à nos partenaires européens, on a affaire à une situation où chacun dit, oui, je vais mettre un peu de troupes, chacun a tendance à vouloir plutôt réduire au maximum son effort et nous disons...
Laurence JOUSSERANDOT - Vous pensez que ça nous discrédite ?
Hervé MORIN - Nous disons que c'est un problème de crédibilité majeur, non pas pour la France, mais pour l'Union européenne. Si nous voulons montrer que nous sommes une puissance politique crédible, capable d'assurer la stabilité et la sécurité dans le monde, il faut au moins que sur des opérations comme celles-ci qui ne sont pas des opérations militaires très complexes...
Laurence JOUSSERANDOT - L'affaire de l'Arche de Zoé là-bas, est-ce que ça freine encore l'opération, d'après vous ?
Hervé MORIN - Cela ne l'a pas freinée. Dans les discussions que nous avons pu avoir avec les ministres, nos homologues, tant pour Bernard Kouchner que pour moi-même, ce n'est pas la question qui a freiné l'installation des forces. C'est le fait d'abord et avant tout qu'il y a un problème de volonté en Europe. Et surtout, un autre problème majeur, c'est que l'Europe ne consacre pas l'effort nécessaire pour s'assurer des moyens militaires suffisants.
Laurence JOUSSERANDOT - Hervé Morin, il y a aussi le problème en Afghanistan. Là-bas, les soldats français, ils le disent d'ailleurs, sont très inquiets, ils trouvent qu'ils manquent de moyens, dans la zone de Kandahar notamment qui est très dangereuse.
Hervé MORIN - Mais la zone de Kandahar, nous n'y avons, nous, que nos avions, nous n'avons pas de militaires sur le terrain au sens où vous l'entendez. Nous assurons la protection de la zone de Kaboul, nous avons aussi...
Laurence JOUSSERANDOT - Alors, le général Lafontaine qui est là-bas, sur place, en Afghanistan, c'est lui qui disait que la Force internationale manquait cruellement de moyens...
Hervé MORIN - La Force internationale, en effet, et le général qui commande la FIAS, que j'ai rencontré aussi, souhaiterait, en effet, qu'il y ait des renforcements considérables en termes de moyens, de moyens aéroportés, etc. Ce qui est certain, c'est que nous sommes à l'heure actuelle à un moment charnière et qu'il faut absolument que la communauté internationale, qui a beaucoup investi en Afghanistan, qui a permis un certain nombre de progrès sur la formation de l'armée nationale afghane, sur les institutions afghanes, sur les programmes de reconstruction, il faut que sur tout cela, nous continuions cet effort. Parce que si nous commençons à nous désengager, ce serait un signal terrible et la certitude qu'on va vers le chaos.
Laurence JOUSSERANDOT - Hervé Morin, vous travaillez beaucoup en ce moment aussi, je crois, sur ce projet de Pentagone à la française. On en est où là, ce Bercy de la Défense ?
Hervé MORIN - Le Bercy de la Défense ou le Pentagone à la française, c'est l'idée de projeter l'armée française vers la modernité à travers une nouvelle organisation. Parce que ce Pentagone à la française, ce n'est pas seulement un immeuble, c'est aussi l'idée d'interarmiser comme l'a fait l'armée britannique. C'est l'idée de mutualiser les moyens, c'est l'idée de supprimer les doublons, c'est l'idée d'avoir un meilleur fonctionnement, un fonctionnement plus fluide, plus collégial. C'est un projet absolument considérable...
Laurence JOUSSERANDOT - Ce vaste ensemble s'intègrerait dans le sud de Paris.
Hervé MORIN - Oui, l'idée, puisque nous avons 8 hectares constructibles, est de pouvoir les mettre à côté d'ailleurs de l'Etat-major de l'Armée de l'air qui est déjà...
Laurence JOUSSERANDOT - Alors, est-ce que vous n'envisagez pas de faire pareil en province, par exemple, de regrouper les vieilles casernes... ?
Hervé MORIN - Oui, l'autre idée que nous avons...
Laurence JOUSSERANDOT - De faire un peu le tour de France comme Rachida Dati à la Justice...
Hervé MORIN - Oui, ce n'est pas la même chose. Mais l'idée, c'est, en effet, aussi de densifier nos unités et de faire en sorte que ce qu'on appelle l'administration générale et le soutien, c'est-à-dire tout ce qui concourt à permettre aux forces opérationnelles d'être en moyen de fonctionner, les ressources humaines, l'alimentation, l'habillement, le maintien en condition opérationnelle du matériel, que tous ces éléments-là soient mutualisés et que ce ne soit pas dédié simplement à une force, à une armée, mais que ce soit dédié à l'ensemble des régiments et des unités qui peuvent se trouver sur un même bassin de vie et d'emploi. A travers cette réforme, c'est l'idée de faire en sorte qu'on ait des régiments qui aient une réelle densité. La deuxième idée, c'est de faire en sorte que nous améliorions les conditions de travail et de vie des militaires en mettant ces régiments et ces unités dans des lieux où c'est plus facile pour les militaires, par exemple, que les femmes, leurs épouses trouvent du boulot, de faire en sorte que les conditions de vie pour la scolarisation des enfants soient plus faciles, qu'on soit proche des axes de communication. Bref, de faire en sorte que tout en rationalisant nos infrastructures pour des raisons opérationnelles, en même temps, nous fassions en sorte que ce soit profitable pour l'ensemble des personnels civils et militaires.
Laurence JOUSSERANDOT - D'accord. Ça fait dix ans environ maintenant qu'on est passé à une armée de métier, on est à peu près dans les clous, d'après vous ?
Hervé MORIN - Qu'est-ce que vous entendez par ça ?
Laurence JOUSSERANDOT - Est-ce que notre patrimoine correspond à tout ça ?
Hervé MORIN - Oui. On aura forcément dans le cadre d'un exercice comme celui-ci des travaux d'infrastructures à mener, des équipements à mettre en place. Et puis, il faut que...
Laurence JOUSSERANDOT - Vous disiez qu'on manquait d'argent aussi.
Hervé MORIN - Oui, on manque d'argent...
Laurence JOUSSERANDOT - Pourtant, le budget de la Défense, c'est le deuxième au niveau des ministères derrière l'Education nationale.
Hervé MORIN - Oui, malheureusement derrière la dette aussi, le remboursement des intérêts de la dette...
Laurence JOUSSERANDOT - Trente-six milliards d'euros en 2007.
Hervé MORIN - Sur la mission défense propre, oui. L'idée, c'est que nous avons fait beaucoup d'efforts en matière d'équipements pour lancer toute une série de programmes d'équipements, pour renouveler tous les équipements majeurs des armées françaises. On est passé d'une période d'étude et de développement à une période de fabrication et de livraison. Donc, bien entendu, la facture s'élève considérablement, on estime qu'il faudrait en moyenne 4 à 5 milliards d'euros supplémentaires par an. Vous comprenez bien que compte tenu de la situation budgétaire du pays, même si nous faisons un effort, il nous faudra trouver des ressources par nous-mêmes. Et ça, ça passe par des réorganisations qu'on peut faire, qui ne toucheront jamais aux forces opérationnelles, c'est ça l'essentiel.

source http://www.defense.gouv.fr, le 21 décembre 2007