Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la carrière de M. Enrique Iglésias, son action à la présidence de la Banque Interaméricaine de Développement et sa contribution au développement culturel en Amérique latine, Paris le 10 mars 1999.

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Circonstance : Remise des insignes de Commandeur des Arts et des Lettres à Monsieur Enrique Iglesias Président de la Banque Interaméricaine de Développement, à Paris, le mercredi 10 mars 1999

Texte intégral

Messieurs les Ministres, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureuse de vous accueillir à présent dans les salons du ministère.
Cher Enrique Iglesias, javais regretté de n'avoir pu vous rencontrer, lorsqu'en mai dernier, vous êtes venu inaugurer à Paris le premier séminaire international sur la réhabilitation des centres historiques des villes de l'Amérique latine.
En votre qualité de Président de la Banque Interaméricaine de Développement, vous en êtes, en effet, un acteur essentiel.
Vous savez combien je suis personnellement attachée à cet ambitieux programme qui, dores et déjà, concerne plus de trente villes d'Amérique latine et des Caraïbes. Organisé par la direction de l'Architecture et du Patrimoine et le Département des Affaires Internationales, ce premier séminaire a bénéficié du soutien du ministère des affaires étrangères, de celui de l'équipement ainsi que du partenariat actif de l'UNESCO et de l'Union internationale des architectes, dont je salue chaleureusement les représentants ici présents. Enfin et surtout, sans le soutien dynamique de la Banque Interaméricaine de Développement, ce séminaire n'aurait pas vu le jour.
Le succès prometteur du projet de réhabilitation du centre historique de Quito - que vous avez qualifié de « projet étoile » - se mesure aux émules qu'il a suscitées sur le continent américain . Il sert déjà de référence à plusieurs autres programmes en cours d'élaboration, comme à Saint Domingue, à Lima, à Valparaiso , ainsi que dans plusieurs villes brésiliennes.
Je me réjouis de cette première réalisation, fruit de la remarquable collaboration de votre bureau de Paris, de l'UNESCO et de mon ministère. Je souhaite que cette coopération se poursuive et s'intensifie.
Aussi, afin d'en assurer la longévité et l'extension à des villes toujours plus nombreuses, il ma paru souhaitable de la formaliser par la convention que nous venons de signer ensemble. Avec Monsieur Georges Cahuzac, administrateur pour la France auprès de votre banque, que je suis heureuse de saluer, vous en avez été lun des artisans les plus fervents et efficaces. Je vous en remercie vivement.
Nous avons ainsi tissé ensemble un nouveau lien culturel et économique entre la France et l'Amérique latine et les Caraïbes. Il va s'inscrire dans l'histoire déjà longue des relations d'amitié entre les deux continents, fondée sur nos racines communes et nourrie du désir réciproque de reconnaissance des peuples et des cultures.
Cher Enrique Iglesias, plus qu'aucun autre, n'étiez vous pas - par votre double appartenance à nos deux continents et à leurs cultures - tout désigné pour être l'acteur de ce nouveau rapprochement ?
N'êtes vous pas, en effet, un « citoyen du monde », vous qui, né à Asturias en Espagne, avez suivi très jeune vos parents installés en Uruguay, et habitez à présent à Washington ? C'est au lycée que vous avez appris le français, mais le cosmopolite polyglotte que vous êtes devenu possède sept autres langues.
Brillant étudiant doué dune mémoire extaordinaire, vous rêviez de devenir acteur ou chanteur d'opéra. Je me suis laissé dire que vous connaissiez par coeur tout le répertoire italien, tout particulièrement les opéras de Verdi.
Pourtant le sort en a décidé autrement : c'est sur une scène dune toute autre envergure - internationale - que vos talents devaient s'exprimer. Et c'est à des réalités moins lyriques : économiques, sociales et politiques, que vous vous êtes affronté - avec quelle maestria ! - tout au long de votre exceptionnel parcours, dont je n'évoquerai que quelques étapes.
Titulaire d'un doctorat en économie et en administration des affaires de l'Université de l'Uruguay, vous avez approfondi votre formation en France et aux Etats-Unis, au point de devenir l'un des meilleurs experts des questions économiques touchant l'Amérique latine.
Après avoir présidé la Banque centrale de l'Uruguay, vous avez mis vos compétences au service de la Comission économique des Nations-Unies pour l'Amérique latine et les Caraïbes (C.E.P.A.L.C), dont vous avez été le responsable pendant 13 ans.
Le rôle décisif que vous avez joué dans l'élaboration de politiques internationales dans le domaine des sources d'énergie nouvelles et renouvelables, comme dans celui des échanges commerciaux, est trop connu pour que jy insiste. C'est vous, notamment, qui avez lancé en 1986, à Punta del Este, l « Uruguay Round « , qui devait conduire à la création de l'Organisation mondiale du commerce. En revanche, je tiens à rappeler que, dans ces fonctions délicates, fidèle à vos ferventes convictions humanistes et républicaines, vous avez su prendre des risques courageux contre la répression putschiste militaire de Santiago, et imposer les mesures humanitaires que réclamait la protection des persécutés et des fonctionnaires.
Lorsqu'en 1985, la démocratie a commencé de renaître en Uruguay, c'est à vous, Enrique Iglésias, que le président Sanguinetti a fait appel pour rétablir les relations diplomatiques avec le reste du monde, en vous confiant le ministère des Relations extérieures.
Trois ans plus tard, vous avez été élu Président de la B.I.D.
Vous avez débuté, en avril dernier, votre troisième mandat. Dans ces hautes responsabilités, vous contribuez avec détermination, depuis plus de 10 ans, à doter les pays emprunteurs d'Amérique latine des moyens qui leur permettront d'entrer dans l'ère de réformes économiques et d'intégration suscitée par l'évolution politique du continent.
Toutefois, vous avez su imprimer aux choix de la BID la marque de vos convictions personnelles, apportant une attention prioritaire aux programmes sociaux, encourageant tous les projets visant à renforcer la société civile, et corroborant partout les progrès des valeurs démocratiques, dans le plus profond respect des diverses cultures.
Cher Enrique Iglésias, au delà du Président de la B.I.D., je voudrais saluer encore en vous l « honnête homme « à la culture universelle, qui, à l'âge de 30 ans, avait déjà été professeur de littérature, d'histoire et d'économie, et le défenseur passionné de l'enseignement public (je sais que vous lui attribuez votre réussite professionnelle).
Mais ce sont, enfin et surtout, certains de vos engagements moins connus en faveur de la culture que je voudrais souligner.
Vous avez promu le théâtre et l'opéra dans votre pays, l'Uruguay, par un constant appui. Au sein de votre banque, vous avez accueilli et encouragé des artistes et des créateurs dans toutes les disciplines, depuis la chanson populaire jusqu'aux arts dramatiques et à la littérature. Vous avez su ainsi convaincre vos collaborateurs que l'aridité des tâches du développement économique et social peut être heureusement fertilisée par lun de leurs fruits les plus précieux : la création artistique.
Cher Enrique Iglésias, pour votre précieuse collaboration, et parce que je sais tout ce que vous doit la mise en valeur et la promotion des cultures des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, je suis particulièrement heureuse de vous faire commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 12 mars 1999)