Tribune de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat, porte parole du gouvernement, dans "Le Monde" du 4 février 2008, sur la notion de "politique de civilisation" définie par le Président de la République face à "la violence du mondial", intitulée "Pas de politique sans civilisation".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Face à "la violence du mondial", les politiques ne peuvent se contenter de gérer l'intendance.
L'exception de la France est d'avoir toujours considéré que la charge du politique n'est pas seulement de gérer les affaires courantes mais d'être porteur d'une vision qui fasse sens.
L'idée d'une "politique de civilisation", développée par le président de la République, est profondément enracinée dans cette tradition, tant elle renvoie à la construction de notre identité nationale.
Comment pourrait-on considérer que le concept de politique de civilisation est vide de sens dans un pays qui a justement fondé le moment-clé de son histoire - la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - sur une aspiration universelle à la civilisation ? Dans les périodes paroxystiques de notre histoire, c'est souvent en réinventant les fondements de la civilisation que la France a trouvé l'énergie de rebondir. Le règne de Clovis, par exemple, qui a marqué le début de la construction d'une nation française, est un sursaut après la chute de l'Empire romain d'Occident et la destitution du dernier empereur en 476. Le baptême du roi des Francs, sa décision de placer son peuple, alors païen, sous la protection de Dieu et de l'Eglise, est un profond bouleversement de civilisation qui répond à la perte de repères du Ve siècle. La guerre de Cent Ans et la profonde crise démographique, économique et sociale qui la sous-tend ont également amené en France un renouveau fondamental : elle a marqué la fin de la société féodale, fondée sur la chevalerie et ses valeurs, et le passage progressif à une nouvelle monarchie centralisée.
Plus proche de nous, trois exemples me semblent emblématiques de ces moments où le politique a besoin de repenser la civilisation pour permettre à la France de se perpétuer. Le premier est incarné par la figure de Napoléon Bonaparte. Après les troubles sanglants de la Terreur et les hésitations du Directoire, la France a perdu ses repères. Elle a besoin de reconstruire ses règles, de se réinventer. Ce fut le travail le plus durable de Bonaparte puis de Napoléon. Le code civil, le Concordat, la création des lycées ou encore des préfectures forment le socle d'une politique de civilisation destinée à réconcilier les acquis de la Révolution, les bases de l'Etat moderne et les repères identitaires de la France monarchique.
La deuxième grande crise de l'ère moderne date de 1870. Avec la défaite de Napoléon III à Sedan contre l'Allemagne, la France subit un choc immense. La crise de confiance qui s'ensuit est profonde. De nombreux penseurs, à commencer par Taine et Renan, réfléchissent alors aux causes de la défaite. Ils en tirent la conclusion qu'il faut profondément réformer la France. La politique de Jules Ferry en matière d'éducation, la création de l'Ecole libre des sciences politiques par Emile Boutmy sont des conséquences directes de cette pensée de la "pénitence", comme le dit Renan. Le rebond est d'abord civilisationnel.
Un dernier exemple : 1945. Après l'étrange défaite et plus encore la découverte des atrocités du régime nazi et de Vichy, les résistants sont très vite convaincus que la victoire doit s'accompagner d'une refondation intellectuelle. L'école des cadres d'Uriage, fondée par Vichy mais passée à la Résistance en 1942, en sera le creuset : là sont préparés le préambule à la Constitution de 1946 (qui pose les bases de notre modèle de République sociale), le droit de vote enfin accordé aux femmes, le début de la construction européenne, directement issu du rejet de la barbarie des années de guerre. Autant de prémices d'un nouveau monde, dans lequel nous vivons encore aujourd'hui. A chacune de ces périodes, le salut de la France et le maintien de son existence sont venus d'un sursaut civilisationnel.
Or c'est précisément dans un de ces moments où l'histoire peut basculer que nous nous trouvons. Nous vivons actuellement dans un climat marqué par ce que Jean Baudrillard appelle "la violence du mondial". Le terrorisme, la mondialisation et le capitalisme financier sans règles, les révolutions technologiques, les menaces sur l'environnement sont autant d'aspects de cette très grande violence. Ces changements bouleversent en profondeur notre pays. Ils sont les éléments d'une nouvelle crise, qui appelle une réinvention de notre modèle social. Autrement dit, une politique de civilisation.
Celle-ci doit être mise en oeuvre dans tous les domaines. Le premier d'entre eux est sans aucun doute l'environnement. Le réchauffement climatique, l'épuisement des ressources naturelles, l'appauvrissement de la biodiversité exigent un changement dans la gestion du temps par le politique : son horizon se limitait jusque-là, au mieux, au moyen terme. Désormais, il s'étend nécessairement aux générations futures.
L'économie ne saurait davantage échapper à la quête de sens. On l'oublie trop souvent, les fondateurs de la pensée économique moderne, Adam Smith et David Ricardo, avaient d'emblée placé cette dernière sous le signe de la philosophie morale pour le premier et de l'économie politique pour le second. Depuis les années 1980, l'ouverture et la financiarisation de nos économies ont bouleversé la donne : l'Etat national a cessé d'être un "point focal de gouvernance" et nos économies sont en quête de nouvelles régulations. Mais celles-ci tardent à émerger, au risque de provoquer la "grande désillusion" annoncée par le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz. La question de l'économie est également liée à celle des nouvelles technologies. La révolution que nous vivons aujourd'hui en matière de communications représente un bouleversement aussi grand que l'invention de l'imprimerie par Gutenberg. Le développement de l'Internet et du Web participatif, des objets "intelligents", nous impose de mettre en place une nouvelle vision du monde.
Ainsi, il y a toujours eu deux approches possibles du politique. La première est une approche gestionnaire et étriquée. Elle consiste à faire avec ce que l'on a, au jour le jour. La seconde, au contraire, invite à prendre de la hauteur, à revoir les fondamentaux sur des bases qui soient plus qualitatives que quantitatives. La politique de civilisation définie par le président de la République répond à cette exigence de dépassement du politiquesource http://www.porte-parole.gouv.fr, le 11 février 2008