Déclaration de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur l'identité culturelle et le dialogue interculturel entre les pays de l'Union européenne, Paris le 13 mars 2008.

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Circonstance : Lancement de l'année européenne du dialogue interculturel à Paris le 13 mars 2008

Texte intégral

Madame la Représentante du directeur général de l'Unesco, Chère Françoise Rivière,
Monsieur le Président du Conseil d'orientation de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Cher Jacques Toubon,
Monsieur le Président du Conseil d'administration de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Cher Jean-François Roverato,
Mesdames Messieurs, Chers Amis,

Je suis très heureuse d'ouvrir le colloque qui marque l'entrée de la France dans l'année européenne du dialogue interculturel, en ce lieu hautement symbolique qu'est l'Unesco. C'est ici qu'a été adoptée en 2005 la convention internationale sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui a puissamment renforcé cette instance dans le rôle pilote qu'elle doit jouer à la fois dans la préservation et la rencontre des cultures. Je voudrais donc chaleureusement remercier l'Unesco et en particulier Mme Rivière de nous accueillir aujourd'hui.
Le ministère de la Culture et de la Communication a été chargé de coordonner cette année pour la France et je m'en réjouis. La Cité nationale de l'histoire de l'immigration a été désignée opérateur co-contractant, et s'est associée à plusieurs opérateurs culturels, en particulier l'Etablissement public du parc et de la grande halle de la Villette pour proposer des temps forts qui ponctueront toute l'année.
Nous avons souhaité que l'Année européenne du dialogue interculturel mobilise tous les territoires. Une campagne de labellisation a été lancée à cet effet en lien avec les principaux ministères concernés, notamment le ministère des Affaires étrangères et européennes, le ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement et le ministère de l'Education nationale. Ce label sera attribué par les comités régionaux pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. Le but est de mettre en lumière les différents projets, tous secteurs confondus, qui oeuvrent pour le dialogue interculturel.
Enfin, la France, qui assurera au deuxième semestre la Présidence de l'Union européenne, aura des responsabilités majeures au titre de cette année. En effet, elle organisera le colloque de clôture, qui se tiendra au Centre Pompidou au mois de novembre. Il devrait rassembler des acteurs des 27 pays de l'Union, afin de dresser un bilan et surtout de tracer des perspectives. En effet, comme l'ont souhaité le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso et le Commissaire pour l'éducation, la formation, la culture et la jeunesse, Jan Figel, cet événement ne doit pas être une fin en soi mais le point de départ d'une politique européenne en matière de promotion du dialogue interculturel.
Je voudrais remercier la Commission européenne pour sa contribution à l'organisation de cette année. Je remercie également Jacques Toubon, député du Parlement européen et président du Conseil d'Orientation de la CNHI, ainsi que toute l'équipe de la Cité, pour l'organisation de ce colloque.
Il réunira pendant deux jours des chercheurs, des universitaires, des institutionnels et des acteurs de terrain européens pour dresser un état des lieux de la notion de dialogue interculturel et tenter une mise en perspective historique de cette notion en France et en Europe. Je remercie chacun des participants d'avoir bien voulu contribuer à ces réflexions qui sont d'une ardente actualité. Je me félicite de la diversité des profils et des compétences qui ont été mobilisés.
Ce rassemblement était nécessaire, je le crois, pour traiter tous les aspects de ce vaste sujet et mesurer l'ampleur des évolutions, profondes et rapides, que les sociétés occidentales sont en train de vivre. La mobilité des populations, les migrations anciennes et nouvelles, la mondialisation des échanges, qu'ils relèvent du commerce, du tourisme ou de l'éducation, interrogent nos représentations sociales, culturelles et nos systèmes de valeur de façon inédite. Tous les pays européens sont concernés par cette évolution et cette année nous offre l'occasion de l'aborder ensemble.
Comment penser cette nouvelle réalité plurielle de nos sociétés ? Comment réaliser la devise européenne "in varietate concordia" au sein de l'Europe, bien sûr, mais aussi au sein de chaque pays de l'Union ?
La notion de dialogue interculturel recouvre des réalités extrêmement diverses. La variété des approches portées par les différentes stratégies nationales élaborées par chacun des 27 Etats membres pour cette Année en témoigne.
Puisque cette Année est placée sous le signe de l'Europe, le dialogue entre les cultures des différents pays de l'Union est le premier thème de réflexion retenu par la France. Ce dialogue est une réalité depuis des siècles pour les artistes et les penseurs européens. Il a fondé notre envie de construire un destin commun, autour de valeurs que nous partageons parce que nous les avons définies ensemble. Il est aujourd'hui une réalité pour tous les étudiants de la génération Erasmus qui ont fait de l'Europe une vaste auberge espagnole.
Le but est de renforcer encore cette identité européenne chez tous nos concitoyens en favorisant les rencontres, tout au long de l'année, avec les cultures des 26 autres Etats membres. Le ministère de la Culture et de la Communication organise de longue date de telles rencontres et je lancerai d'ailleurs ce matin même le Printemps finlandais.
Dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne, nous avons organisé une grande saison culturelle européenne qui mettra en relief les cultures de nos 26 partenaires à travers de multiples événements sur tout le territoire. A partir de juillet et pendant six mois, plusieurs centaines d'événements seront proposés en France, mais aussi dans toute l'Europe : la Comédie française fera une tournée dans les dix nouveaux Etats membres de l'Union ; vingt-six projets bilatéraux mobiliseront des institutions et des artistes français et européens dans toutes les disciplines : théâtre, danse, spectacle vivant, musique, photographie, design. Ils seront présentés dans une ou plusieurs villes françaises ainsi que dans le pays européen partenaire.
Une attention particulière sera portée à la question du multilinguisme, qui constitue un enjeu crucial à l'heure de l'internationalisation des échanges. Des Etats généraux du multilinguisme seront organisés le 26 septembre prochain. Pour dialoguer avec l'Autre, il est indispensable de lui parler dans "sa" langue ; c'est d'ailleurs pourquoi nous attachons une telle importance à la traduction, qui permet le passage d'une culture à l'autre. Dans un espace culturel ouvert, caractérisé par la pluralité des langues, il y va de la circulation des oeuvres de l'esprit, dont il faut permettre - par la traduction des textes, par le sous-titrage des oeuvres audiovisuelles, par le sur-titrage des pièces de théâtre ou des oeuvres lyriques - l'appropriation par d'autres cultures. Et comment ne pas voir que de cette circulation dépend de plus en plus la production des oeuvres elles-mêmes ?
Cette Année nous invite aussi à penser, comme je le disais à l'instant, la diversité des cultures au sein de notre propre pays. C'est le deuxième thème que nous avons retenu.
Diversité culturelle et dialogue interculturel : questions sensibles, s'il en est, dès lors qu'elles touchent aux identités, aux particularités propres à chaque communauté humaine et à la façon dont celles-ci doivent coexister au sein d'une même société. Dans ces domaines, chaque mot est lourd de sens et je me réjouis que des chercheurs émérites nous aident à éclairer des termes qui nous semblent familiers mais qui recouvrent en fait des réalités et des systèmes de pensée très complexes.
On connaît l'expression de Gandhi : "Je n'aime pas le mot de tolérance, mais je n'en connais pas de meilleur." Nous avons inventé de nombreux concepts pour saisir cette réalité des sociétés modernes, que nous avons tenté de débarrasser de tout jugement de valeur. Mais nous voyons bien qu'aucun terme n'est neutre : doit-on parler de pluralisme, de multiculturalisme, de diversité pour décrire ces sociétés ? Doit-on parler d'assimilation, d'intégration ou d'insertion pour les nouveaux arrivants ? De coexistence, de métissage, d'interpénétration pour les différentes cultures présentes sur notre territoire ? De "Salad bowl" plutôt que de "Melting pot", diraient les Américains, qui ont fait cette expérience avant nous.
On voit bien la difficulté à penser les relations entre des individus au sein d'une même société. La notion de "diversité culturelle" englobe alors les pratiques sociales, religieuses, les systèmes de valeurs. Et l'impératif de dialogue interculturel répond à des enjeux très vastes et au premier rang la cohésion sociale, la reconnaissance des minorités, la lutte contre les discriminations. A ce titre, cette Année thématique ne succède pas seulement à l'Année européenne de l'égalité des chances pour tous, elle en poursuit et approfondit la réflexion.
Quel avenir pour les modèles universaliste et multiculturaliste ? Ce sera l'objet d'une table ronde demain.
Les phénomènes migratoires, anciens et nouveaux, qui ont enrichi notre identité au fil de l'histoire, sont bien entendu au coeur de ces réflexions. L'exposition "Etranger-Fremder en France et en Allemagne du XIXème siècle à nos jours" qui se tiendra en décembre à la CNHI, éclairera ainsi les façons dont nos deux pays ont accueilli l'Autre depuis deux siècles. Quels rapports aujourd'hui avec les nouveaux arrivants ? Quels rapports également avec leurs pays d'origine, qui sont bien souvent d'anciennes colonies ?
Cette question sera abordée dans le cadre plus général du troisième thème retenu par la France pour cette Année : les relations culturelles entre l'Europe et les pays tiers, en particulier les pays du pourtour de la Méditerranée. Je me réjouis que soient présentés cet après-midi les travaux de la fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh, qui mène des actions exemplaires pour favoriser le rapprochement des populations des deux rives de la Méditerranée.
Je me réjouis également que la Grande halle de la Villette accueille en juin et en juillet le festival "2147, L'Afrique" qui célébrera la richesse des cultures de ce continent et des échanges artistiques entre la diaspora africaine et les pays d'origine.
Nous l'avons vu, les arts ne constituent qu'un aspect de cette Année européenne. Mais ils en seront au coeur, puisqu'ils sont le reflet et, plus encore, le moteur de ces échanges et de ces identités constamment interrogées.
Le reflet tout d'abord, parce que les artistes les sondent et les expriment dans leurs oeuvres. Voyez les récents succès du cinéma allemand : Goodbye Lénine, tout d'abord, qui raconte la schizophrénie d'une Allemagne déchirée puis réunifiée, la difficulté de l'adaptation à une autre culture au sein pourtant d'un même pays. Le film De l'autre côté, ensuite, du réalisateur Fatih Akin, extraordinaire chassé-croisé de destins entre l'Allemagne et la Turquie. Deux oeuvres très différentes, deux facettes essentielles à connaître pour comprendre l'identité allemande aujourd'hui. Voyez aussi, en France, le succès d'Indigènes ou de la Graine et le mulet.
Le moteur, ensuite, parce que l'art, par définition, ne connaît pas de frontières. Depuis toujours nos artistes abattent les murs, se nourrissent des autres cultures, et l'ouverture d'une société au reste du monde se lit aussi et peut-être avant tout dans sa vie artistique. C'est pour cela que la France est si fière d'avoir été représentée aux Oscar à la fois par Marion Cotillard, inoubliable Môme qui a obtenu la consécration internationale, que par le dessin animé Persépolis de Marjane Satrapi. Et nous sommes fiers que cette grande auteur de bande dessinée d'origine iranienne ait accepté d'être une marraine pour cette Année, aux côtés notamment, pour les parrains français, d'Abd Al Malik, de Radu Mihaileanu et de Charles Aznavour.
C'est cela, à mes yeux, le dialogue interculturel. C'est Jonathan Littell, Prix Goncourt 2006, qui a choisi d'écrire en français ; C'est le réalisateur Costa-Gavras qui prend la tête de la Cinémathèque française et tous les auteurs, les artistes qui ont choisi de vivre, de travailler, de créer dans notre pays, Roman Polanski, Andreï Makine, Peter Brook, Bill Christie et tant d'autres. Ce sont tous ces talents français qui interrogent leurs racines et leur double culture et élargissent chaque jour la vision que chacun se fait de notre société.
La France a toujours été une terre d'accueil pour les artistes du monde entier. Elle s'est beaucoup investie dans la préparation de cette Année, qui permettra, je le souhaite, de réaliser ce principe auquel nous tenons tant : le respect de l'égale dignité des cultures, au sein comme en dehors de nos frontières.
Je suis donc très heureuse de déclarer officiellement ouverte pour la France l'année européenne du dialogue interculturel.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2008