Interview de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective, à l'évaluation des politiques publiques et à l'économie numérique, à Canal Plus le 5 mai 2008, sur les réformes entreprises depuis l'élection de N. Sarkozy et le bilan de l'ouverture.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

B. Toussaint, C. Roux et L. Mercadet C. Roux : E. Besson, secrétaire d'Etat à la Prospective économique et à l'Economie numérique. S'il y en a un qui devrait savoir où va la France, c'est bien lui. Son échéance à lui, c'est 2025, mais ça paraît un peu loin au moment où 62 % des Français pensent que la France va traverser une crise grave d'ici à 2012. Bref, après un an de Sarkozy, le coeur n'y est pas... B. Toussaint : L'année se termine, la première année de N. Sarkozy au pouvoir. Ça a été une bonne année pour lui ?
 
Pour lui, je ne sais pas, pour la France ça a été une année sur le chemin de la réforme, c'était crucial de reprendre le flambeau de la réforme et de faire en sorte que notre pays soit de nouveau plus compétitif et fasse des réformes que tous les grands pays européens, et notamment les grandes sociales démocraties, ont faites.
 
C. Roux : Donc, la question c'est : "est-ce que ça a été une bonne année ?", oui, ça a été une bonne année ?
 
Oui...
 
C. Roux : Vous pouvez dire ça alors qu'il y a quand même énormément de sceptiques, d'inquiets aujourd'hui en France ?
 
Ça a été une bonne année au sens où ça a été un investissement pour la France : réformer l'université, mettre en place le crédit impôt recherche ou renforcer les moyens du crédit impôt recherche pour préparer les dépenses d'avenir.
 
C. Roux : Alors ce sont les Français qui ne comprennent rien ?
 
Non, les Français ne comprennent pas rien, ils sont légitimement impatients, ils voudraient des résultats tout de suite. Et quand vous investissez, quand vous semez, il faut attendre pour que ça porte ses fruits.
 
B. Toussaint : C'est étonnant ce discours, qu'on entend d'ailleurs très régulièrement, sur l'impatience des Français, ce n'est pas un peu prendre les Français pour des imbéciles ? Parce que les Français ne sont pas... Ils savent qu'on ne peut pas réformer un pays en un an. Ils sont peut-être simplement déçus par rapport à tout ce qui a été annoncé. Est-ce que vous avez autre chose à nous dire ce matin, que ce discours un peu langue de bois qu'on entend dans la majorité depuis quelques semaines ? Pardon de vous dire ça un peu brutalement mais...
 
Non, non, je vous en prie.
 
B. Toussaint : Vous voyez ce que je veux dire ?
 
Ce n'est pas le plus brutal que j'ai entendu, donc ça va à peu près. Si on va à l'essentiel, en 2007 N. Sarkozy fait un diagnostic qui est clair, il est de dire : voilà, on manque, vous savez, ce fameux point de croissance en moins que nous aurions, en disant nous sommes loin de ce que les économistes appellent "la croissance potentielle", donc nous devons nous réformer : plus de dépenses d'avenir, réforme du marché du travail, sécurisation des parcours professionnels, ce qu'on appelle la "flex-sécurité". Si vous regardez tous les chantiers, ils sont tous ouverts. Est-ce que pour autant, même si vous appelez ça "de la langue de bois", est-ce qu'on peut en attendre des résultats rapides ? La réponse est non. L'innovation, augmenter les moyens de l'impôt recherche, du crédit impôt recherche, est-ce que vous pensez que ça peut apporter des réponses immédiatement ? Evidemment non, il faut accepter de patienter. Ça n'empêche pas que vous avez raison, les Français attendent plus de nous, du Gouvernement en termes de pouvoir d'achat ou sur d'autres sujets, je le sais.
 
L. Mercadet : Il y a un truc qui est curieux, c'est quand on regarde les derniers sondages. On s'aperçoit que sur chaque réforme... enfin sur la majorité des réformes prises une à une, individuellement, les Français sont plutôt pour à 70 % ou 68 %. Et sur l'ensemble, il y a condamnation par ce même chiffre de 66 %. Alors comment ça se fait que dans détail, ils sont plutôt d'accord et sur l'ensemble pas du tout ?
 
Parce que certains résultats ne sont pas au rendez-vous, je dis bien "certains" parce que sur d'autres points, la situation s'est améliorée. Vous prenez par exemple la situation de l'emploi, objectivement elle est bien meilleure qu'il y a un an, elle est même meilleure que ces vingt-cinq dernières années. Mais il y a cette impatience qu'on évoquait à l'instant. Sur la première partie de votre question, oui c'est plutôt une bonne nouvelle, les Français ont accepté l'idée que le statu quo en France était impossible. Et d'ailleurs, en 2007, l'élection présidentielle a été une élection sur la réforme. S. Royal, à sa façon, proposait aussi un mouvement, une réforme, et c'est N. Sarkozy qui l'a emporté. Mais les deux candidats du second tour disaient aux Français : "nous ne pouvons par rester dans le statu quo, nous devons bouger pour nous adapter à la mondialisation, pour faire en sorte d'avoir un pays plus compétitif".
 
C. Roux : Sur la première partie de l'interview, vous nous dites "tout va bien"...
 
Non, je ne dis pas tout va bien...
 
C. Roux : Si...
 
Non, non, je dis "nous sommes en train d'emprunter le bon chemin", même si les fruits ne sont pas encore là.
 
C. Roux : D'accord.
 
L. Mercadet : Vous dites "tout est sur les rails et ça ira bien dans deux ans".
 
C. Roux : Soyez patients...
 
Peut-être avant, je ne sais pas. Mais en tout cas je confirme...
 
L. Mercadet : Ça ira bien, c'est sûr ça ?
 
Le cap est le bon, le cap c'est celui de la réforme indispensable.
 
C. Roux : C'est l'heure des bilans, bilans de l'ouverture. Je ne sais pas si vous avez lu le Parisien ce week-end, il y avait un petit écho dans le Parisien qui racontait que N. Sarkozy était très satisfait du bilan de l'ouverture qu'il avait ainsi "évité" - entre guillemets, là c'est le président qui parle - un axe Kouchner, Bayrou, Royal et qu'il s'était débarrassé de DSK. Donc quand on lit ça, on se dit que l'ouverture, dans la tête de N. Sarkozy, c'est juste un levier tactique pour éliminer ses rivaux ?
 
Ça, ce ne sont pas des propos publics, ce sont des propos prêtés et donc il ne faut pas y attacher de grande importance. Sur le fond, on revient à votre première question initiale : la conviction de N. Sarkozy, c'était et c'est toujours - puisqu'il l'a réaffirmé son envie d'ouverture - que pour réformer notre pays, il fallait qu'il parte d'une assise, d'une base plus large que celle de sa famille d'origine. Et je crois qu'il n'a pas changé de conviction.
 
C. Roux : Alors à quoi a servi E. Besson pendant un an ? Quelles idées de gauche, en tant qu'homme de gauche, a-t-il porté dans ce gouvernement ? Par exemple TVA sociale, toutes les choses avec lesquelles vous êtes arrivé...
 
Ecoutez, la TVA sociale, ma conviction n'était pas qu'il fallait augmenter la TVA, il fallait réfléchir à ce qu'on appelle un élargissement de l'assiette du financement de la protection sociale.
 
C. Roux : Et qu'est-ce que vous avez apporté ?
 
Très concrètement, ce que j'essaie d'apporter, c'est de préparer en ce moment par exemple ce qu'on appelle "l'ère du numérique"...
 
C. Roux : Non mais comme idée de gauche, pardonnez-moi, mais juste sur le bilan de l'ouverture, quelles sont les idées de gauche ? Elargissons même aux autres ministres, quelles sont les idées de gauche qui ont été portées pendant un an ?
 
Mais la République numérique, c'est une idée de gauche comme ça peut être une idée de droite, c'est de dire qu'on ne peut pas ajouter une fracture, celle du futur très haut débit, à une fracture numérique. Quand je travaille sur France 2025, la projection de l'avenir, est-ce que la prospective, la stratégie c'est une idée de gauche ?
 
C. Roux : Non...
 
Peut-être que si quand même, parce que si vous regardez, toutes les grandes sociales démocraties, elles l'ont toutes utilisé pour préparer des réformes qui leur permettent à la fois d'être compétitives et d'avoir un haut niveau de protection sociale.
 
C. Roux : Il n'y a pas une mesure, vous vous rendez compte, sur laquelle vous pouvez dire : ça, c'est un apport des ministres de l'ouverture.
 
Si, quand J.-P. Jouyet participe à la relance de la construction européenne par ce qu'on a appelé le traité simplifié...
 
B. Toussaint : Ça, c'est sa compétence personnelle, sa compétence européenne, ce n'est pas une compétence de gauche particulièrement.
 
Si vous voulez me faire dire que nous sommes solidaires de l'ensemble de l'action du Gouvernement, ma réponse est oui, j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire. On n'est pas des ministres ou des secrétaires d'Etat d'ouverture, on est des ministres et des secrétaires d'Etat venus de la gauche, solidaires de l'action gouvernementale, de ses succès et de ses limites.
 
B. Toussaint : En tout cas, vous cristallisez toujours la haine de vos anciens amis. Regardez ces images à l'Assemblée nationale il y a quelques jours...
 
[Ndlr : Extrait de la séance des Questions d'actualité au Gouvernement du mercredi 30 avril]
 
B. Toussaint : L'impression qu'on a, c'est que Kouchner, ils ont digéré, J.-P. Jouyet, ils s'y sont fait, F. Amara... Mais alors vous...
 
C. Roux : ...Ça ne passe pas.
 
C'est normal, là c'était un peu chaud, on est des Latins et l'hémicycle était un peu bouillant. Mais sur le fond, oui il y a eu une transgression et oui il y a eu un choc frontal. J'ai démissionné du Parti socialiste, vous vous en souvenez, j'ai appelé à voter N. Sarkozy, j'étais membre de la direction du Parti socialiste donc c'est normal que ça cristallise. Et en plus, ils voudraient que j'expie, ils voudraient que je culpabilise, et je leur dis "non, j'assume", j'ai voté Sarko - comme on disait à l'époque, maintenant on dirait pour le président de la République - j'ai voté Sarko et je l'assume, et je suis solidaire de l'action gouvernementale...
 
B. Toussaint : Et je le referai ?
 
S'il se représente, etc. J'ai mis un certain nombre de conditions mais je n'ai pas voulu esquiver cette question, donc effectivement. Et puis quand je leur dis par exemple et d'ailleurs, je me suis trompé dans ce que je viens de dire, les images que vous venez de montrer, je dis "il y a 40 ans les Allemands...", c'est faux, c'est il y a 49 ans. Donc l'économie sociale de marché, on ne peut pas dire que ce soit une très grande réussite de découvrir ça 49 ans après.
 
C. Roux : Un mot quand même sur le PS, parce qu'il se passe beaucoup de choses en ce moment sur le fond précisément au PS. Qu'est-ce que vous pensez de la démarche de M. Valls ? Il dit qu'il est favorable à une retraite à la carte, il explique que travailler et cotiser plus est donc inéluctable pour les retraites. Est-ce que vous vous dites : "tiens, je pourrais faire quelque chose avec M. Valls" ; est-ce qu'il aurait sa place, par exemple, chez les progressistes M. Valls ?
 
Juste un préambule, je vais répondre à votre question et je le fais avec un tout petit peu de scrupule, parce que j'essaie d'être dans l'action gouvernementale, dans ce que je vous ai dit, le plan numérique, France 2025. Et on me ramène - c'est logique compte tenu de mon histoire - au Parti socialiste et après on dit "il s'occupe du Parti socialiste !". Je ne m'occupe pas du Parti socialiste, je réponds à votre question. Oui, M. Valls est un garçon intelligent, qui a de grandes qualités et qui essaie d'adapter le Parti socialiste à une ère moderne. Et il est le seul à essayer de prendre des risques sur le fond, parce que tout le monde dit "rénovation, rénovation", sans jamais donner un contenu. M. Valls, lui, va plus loin, il y a une forme - je ne voudrais pas lui porter préjudice - mais de blairisme dans sa démarche, oui.
 
C. Roux : Est-ce qu'il pourrait avoir une place chez les progressistes ?
 
La question ne se pose pas comme ça.
 
C. Roux : Vous pouvez lui poser, vous pouvez l'appeler à vous rejoindre...
 
Vous savez qu'il est candidat à être premier secrétaire du Parti socialiste, je me verrai mal lui faire une offre de proposition.
 
B. Toussaint : "Parti de la gauche française", c'est ce qu'il propose, il enlève le mot "socialiste"...
Je n'ai pas de commentaire. Si historiquement le socialisme c'est l'appropriation publique des moyens de production, ce que c'est originellement, tout le monde est bien d'accord sur le fait que la question ne se pose plus.
 
B. Toussaint : La question de Léon.
 
L. Mercadet : Une petite annonce ANPE qui fait polémique ces jours-ci. Un couple de Français a monté une entreprise à Pondichéry, en Inde, et propose un boulot à 320 euros. Alors, si vous étiez...
 
B. Toussaint : 320 euros par mois, au mieux.
 
L. Mercadet : ...Au chômage, accepteriez-vous d'aller travailler en Inde pour 300 euros par mois ?
 
Si j'étais au chômage, je ne sais pas. En revanche, si je suis responsable politique, je ne pense pas que ça puisse être un emploi que l'on puisse aujourd'hui proposer à des Français au chômage.
 
L. Mercadet : Par rapport au niveau de vie indien, c'est 5 ou 6 fois le salaire moyen indien, 300 euros à Pondichéry, on vit bien.
 
Je ne vous dis pas l'inverse, je connais bien les données des écarts de salaire. Je dis simplement que je comprends que ça puisse heurter, non pas que des Français localement recrutent au niveau du marché, mais qu'il soit suggéré que c'est la solution proposée à des chômeurs français.
 
L. Mercadet : Eux, disent que c'est pour des étudiants franco-indiens pour qu'ils reviennent...
 
Je n'ai pas regardé le dossier mais en tout cas, on ne peut pas faire une publicité excessive de ce type. Je vous ai répondu...
 
B. Toussaint : Le "j'aime-j'aime pas", allons-y ! C. Roux : "J'aime, j'aime pas" le service minimum à l'école ?
 
Je crois que c'est inéluctable. Les Français qui travaillent ont besoin, lorsqu'il y a grève des enseignants et la grève est légitime, de pouvoir trouver une solution pour leur famille, donc ça me paraît inéluctable.
 
B. Toussaint : "J'aime, j'aime pas" la révision constitutionnelle ?
 
Elle est indispensable si l'on veut donner plus de pouvoir au Parlement, ce qui est l'objet.
 
C. Roux : "J'aime, j'aime pas" une phrase de F. Fillon, qui reconnaît qu'il y aura encore un certain nombre de mois de crise devant nous ? Est-ce que vous l'auriez prononcée cette phrase ?
 
Il dit, F. Fillon, que la conjoncture internationale - crise financière, subprimes, haut niveau de l'euro, etc. - aura inéluctablement des conséquences pour l'économie européenne, je pense que c'est ça qu'il a voulu...
 
C. Roux : Il est un peu anxiogène !
 
Je ne sais pas si c'est anxiogène, en tout cas il essaie de dire la vérité quand il a des informations.
 
B. Toussaint : "J'aime, j'aime pas" O. Besancenot chez M. Drucker ?
 
Je n'ai pas à me prononcer...
 
B. Toussaint : Vous regarderez l'émission ?
 
Ce n'est pas passé ? Je croyais...
 
B. Toussaint : C'est la semaine prochaine.
 
Je suis navré, vous voyez...
 
L. Mercadet : Ça vous laisse la chance de le regarder !
 
Ma question est une réponse, on peut dire ça comme ça.
 
C. Roux : Et enfin "j'aime, j'aime pas", Bordeaux champion de France de foot ? B. Toussaint : Sans langue de bois, attention !
 
Moi, quand même, j'aime bien ce que fait Lyon depuis plusieurs années, c'est-à-dire la construction d'un modèle compétitif. En même temps, le fait que Bordeaux ramène un peu de suspense dans le championnat ne me déplaît pas. Mais Lyon, c'est quand même une belle, belle mécanique à la fois sportive et économique. Et on a besoin - vous savez que c'est une mission que je traite par ailleurs, la compétitivité des clubs professionnels français -, on a besoin de grosses locomotives sportives françaises.
 
B. Toussaint : Et c'en est une, absolument. Merci beaucoup.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 mai 2008