Texte intégral
Mesdames et messieurs,
Je veux tout d'abord vous demander de me pardonner si on vous a fait attendre. C'est dû au fait que les conversations que nous avons eues avec le président Christofias notamment, ont été longues, parce qu'elles ont été chaleureuses, parce qu'elles ont été intenses et parce qu'elles ont porté sur des sujets difficiles, que vous connaissez mieux que quiconque, et qui prennent une importance toute particulière depuis que Chypre est dans l'Union européenne, un membre à part entière de l'Union européenne, que je suis venu consulter avant que la France ne prenne la présidence de cette Union au mois de juillet prochain. J'ai eu l'occasion d'évoquer avec le président Christofias, que je veux remercier de son accueil, les priorités de la présidence française. Nous voulons réussir notre présidence, d'abord parce qu'on aime toujours mieux réussir qu'échouer, mais surtout parce que nous pensons que l'Europe est passée à côté d'une crise très grave avec le "non" français et le "non" néerlandais aux référendums de 2005. Cette crise était en particulier causée par le fait que nos concitoyens avaient le sentiment que l'Europe se faisait sans eux, que l'élargissement s'était fait sans qu'on leur demande leur avis et qu'au fond, ce qui était déjà difficile à 15 allait devenir impossible à 27. Et beaucoup de Français nous ont dit, durant cette campagne du référendum : l'Europe n'est pas en mesure de prendre des décisions. Elle n'est pas en mesure de relever les défis qui sont ceux de ce début du XXIe siècle. Et donc nous voulons, maintenant que, grâce à l'initiative du président Sarkozy, l'Europe est relancée ; que le Traité de Lisbonne a été adopté, démontrer que l'Europe est capable de décider et qu'elle est capable de décider sur des sujets qui intéressent tout le monde.
C'est pour cela que notre première priorité, c'est la question du climat. Nous voulons que l'Europe soit exemplaire dans la lutte contre le réchauffement climatique. Nous voulons que l'Europe prenne à bras-le-corps la question de son indépendance énergétique, de sa capacité à assumer ses besoins dans le domaine de l'énergie. Nous voulons que l'Europe prenne à bras-le-corps les questions de flux migratoires. L'Europe ne peut pas être une grande zone ouverte, où les capitaux, les personnes, circulent et où il y a des politiques d'immigration différentes, avec des législations en matière d'asile qui ne sont pas les mêmes. C'est d'ailleurs un bon exemple de la nécessité de donner une illustration concrète aux décisions que nous prenons. Quand nous avons décidé d'ouvrir les frontières à l'intérieur de l'Union européenne, nous avons dit à nos concitoyens, "oui, mais on va faire la surveillance des frontières à l'extérieur de l'Union européenne" ; et puis ils se sont rendus compte que cette surveillance ne se faisait pas. C'est aussi pour cela que nous voulons relever le défi de la défense européenne, de la sécurité en Europe, ou encore le défi d'une nouvelle politique agricole commune, qui ne serait plus simplement une politique consistant à réduire la production agricole, mais au contraire une politique consistant à faire face aux besoins alimentaires du monde, dont on voit à quel point ils sont aujourd'hui un enjeu crucial. Et j'ai pu constater que sur tous ces sujets, il y avait un accord total entre le Président Christofias et moi-même, entre la France et Chypre. Naturellement, nous avons évoqué la question spécifique de la réunification de l'île. J'ai indiqué au président Christofias, qui connaît bien la position française qui n'a jamais varié, que nous soutenons les efforts qu'il a entrepris pour résoudre cette question. C'est un pays qui a adhéré à l'Union européenne ; ce pays doit trouver, avec ses citoyens, librement, les moyens de son organisation, sans qu'elle lui soit imposée de l'extérieur.
Mais vous me permettrez de vous dire un petit mot particulier sur la France, parce que vous êtes la communauté française, en tout cas pour une grande partie d'entre vous, et je veux vous donner quelques nouvelles de votre pays. Je veux vous dire que votre pays est en train d'accomplir une transformation très importante, une transformation qui vise à redonner à la France la place qu'elle n'aurait jamais due perdre dans l'économie mondiale. Avec le président Sarkozy, nous nous sommes engagés sur des objectifs extrêmement simples, extrêmement clairs : nous voulons que, dans les cinq ans qui viennent, la France soit parmi les premiers pays européens pour la croissance. Certains nous disent que cela va être très difficile, compte tenu que cela fait très longtemps que nous n'avons pas été parmi les premiers Européens pour la croissance. Mais qui peut dire que la France, avec la deuxième population de l'Union européenne, n'est pas en mesure de faire aussi bien que ceux qui ont les taux de croissance les plus élevés en Europe ? Nous voulons que, dans les cinq ans qui viennent, la France ait atteint le plein emploi. Là encore, on nous dira que ce sera difficile à atteindre, compte tenu de notre histoire, mais qui peut prétendre que la France, avec sa richesse, avec son système éducatif, avec ses universités, avec sa recherche, avec ses services publics, n'est pas capable d'atteindre le plein emploi que dix pays européens, déjà, ont atteint ? Nous voulons que, dans les cinq années qui viennent, la France ait résorbé ses déficits. Alors, c'est vrai que cela fait longtemps que la France est en déficit, cela fait exactement 34 ans. D'ailleurs, tous les jeunes Français qui ont moins de 34 ans pensent que ça marche comme ça. Tous ceux qui ont plus de 34 ans se disent : "si ça a marché comme ça 34 ans, ça va bien marcher encore comme ça quelques années". La vérité, c'est que depuis 34 ans, les déficits et la dette se sont accumulés et aujourd'hui pèsent sur la croissance de notre pays et sur sa capacité à investir. Là encore, nous avons autour de nous des dizaines d'exemples de pays comparables à la France, souvent avec moins d'atouts, qui avaient plus de déficit que nous, et qui aujourd'hui ont atteint l'équilibre de leurs comptes publics.
Enfin, nous voulons que dans cinq ans, la France ait réduit d'un tiers la grande pauvreté parce que, naturellement, une politique de développement économique doit être au service de la solidarité. Pour y arriver, nous avons un programme très simple, c'est ce que j'appelle un programme économique de paysan sarthois : il faut travailler plus, il faut investir plus et il faut dépenser moins. On me dit que parfois, notre politique économique n'est pas très lisible, je trouve que celle-là est très lisible. Travailler plus, parce que nous n'avons aucune chance d'avoir de la croissance si on travaille moins que les autres. C'est pour cela que nous avons entrepris toute une politique de libération du travail, qui a commencé avec la libération des heures supplémentaires, qui était une étape pour changer la perception des Français sur cette question du travail. Nous allons poursuivre en permettant aux chefs d'entreprises de négocier directement avec leurs salariés la question du temps de travail, de manière à ce qu'il n'y ait plus cette règle, qui s'applique sur l'ensemble du territoire national, des 35 heures qui pèse sur l'économie nationale.
Et puis investir plus. Nous avons donné l'autonomie à nos universités, nous avons décidé de mettre 1,5 milliard supplémentaire tous les ans de crédit sur l'Enseignement supérieur et sur la Recherche. Nous avons multiplié les aides aux entreprises en matière de soutien à la recherche avec ce qu'on appelle le crédit d'impôt recherche. Nous sommes en train d'essayer, partout où nous le pouvons, de resserrer la fiscalité pour permettre aux Français d'investir l'argent que l'Etat ne leur prendra pas dans l'économie nationale.
Enfin, dépenser moins. Nous avons entrepris une révision générale des politiques publiques, nous scannons les unes après les autres toutes les politiques publiques pour regarder celles qui sont efficaces, celles qui le sont moins, celles qui pourraient être organisées différemment. Cela nous a conduit à prendre l'engagement de réduire le nombre d'emplois publics. Ce n'est pas une décision facile, ce n'est pas forcément une décision très populaire, mais que quelqu'un m'explique comment on peut réduire le déficit d'un pays sans toucher à ce qui est la part la plus importante de la dépense publique, c'est-à-dire le paiement des salaires des agents de la Fonction Publique. Tous les grands pays qui ont engagé le même effort que nous ont fait cet effort et nous voulons le faire notamment à l'occasion des départs à la retraite importants qui, pour des raisons démographiques, doivent avoir lieu dans les prochaines années.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que nous essayons de faire. Naturellement, c'est difficile. Ne croyez pas quand même tout ce que vous lisez quant à l'importance des résistances qui se manifestent dans notre pays. La vérité, c'est que, pour avoir une assez longue expérience politique, je trouve que les Français réagissent finalement assez bien à ces changements. Naturellement, il y a ici ou là des mécontentements qui s'expriment parce que nous sommes au milieu du chantier, on a abattu des cloisons, on a enlevé un bout du toit, on est en train de refaire la maison, ce n'est pas facile, cela crée des tensions, on ne voit pas toujours quel est ou que sera le résultat final mais, la vérité, c'est que les partenaires sociaux qui, en France, ne sont pas réputés particulièrement faciles, négocient, et négocient des accords historiques presque à l'unanimité. On vient de traduire dans la loi un accord des partenaires sociaux sur la réforme du contrat de travail. Cela faisait 40 ans que les syndicats et le patronat n'avaient jamais réussi à se mettre d'accord sur une modification du contrat de travail. Les grands syndicats français sont d'accord pour réviser les règles de la représentativité syndicale et pour faire sauter ce que l'on appelle le monopole des cinq syndicats, qui avait été fixé une fois pour toute dans les années soixante. Voilà, tout ça pour vous dire qu'il y a en France, en réalité, un mouvement profond de changement, de réforme, qui est engagé, et je veux vous assurer que ce mouvement de réforme, nous le conduirons jusqu'à son terme, parce que c'est la responsabilité qui nous a été confiée, et surtout parce que nos convictions, c'est qu'il n'y a qu'à partir de ces réformes que la France pourra conserver sa place en Europe et dans le monde.
Et enfin, je voudrais terminer en m'adressant à tous ceux d'entre vous qui vivez ici à Chypre et qui représentez au fond l'économie française, la culture française, l'éducation, l'Etat français, tous ceux qui sont au fond l'image de la France ici à Chypre, comme tous ceux qui sont l'image de la France dans le monde : votre rôle est fondamental pour notre rayonnement. Je viens ici pour vous remercier, mais aussi pour vous dire que l'on ne cessera de vous demander plus encore, parce que nous avons besoin de développer l'influence de notre pays, l'économie de notre pays, ses exportations. Nous avons besoin d'exporter la culture de notre pays, nous avons besoin de partager nos acquis en matière d'éducation, et c'est grâce à vous qu'on peut le faire. Merci du rôle qui est le vôtre, merci de l'engagement qui est le vôtre. N'oubliez pas votre pays - mais je sais que vous ne l'oubliez pas - et ayez confiance dans son avenir. Et si vous me permettez, je terminerais en remerciant une nouvelle fois le président Christofias de l'honneur qu'il nous fait de participer à cette réception, ici, à l'ambassade de France. Il me permettra aussi de remercier monsieur l'ambassadeur et son épouse, et de dire avec vous : "vive l'amitié franco-chypriote, vive la République française, vive la République de Chypre".
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 14 mai 2008