Texte intégral
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs les membres du CPME,
Madame la Présidente du CPME,
Mesdames, Messieurs,
Nous voici réunis en ce 10 mai 2008 pour la troisième Journée nationale des « mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions ».
Au fil des ans, en métropole comme dans l'Outre-mer, cette journée prend de l'ampleur. Le nombre de manifestations culturelles et d'événements prévus cette année, en province comme à Paris, à la Réunion comme aux Antilles, montre bien qu'en renouant les fils de la mémoire, se tissent des liens nouveaux qui enrichissent le présent.
En cette année 2008, nous célébrons le 160ième anniversaire de l'adoption du célèbre décret du 27 avril 1848 abolissant l'esclavage.
Depuis longtemps nous célébrons l'abolition comme une avancée décisive de la liberté et de l'idéal républicain d'égalité entre les êtres humains.
Mais la journée du 10 mai signifie davantage.
Car célébrer l'abolition d'une institution infâme ne doit pas signifier son oubli.
Célébrer l'abolition ne signifie pas que cette histoire n'a plus de sens.
Célébrer l'abolition, ce ne doit pas être oublier le passé.
Oublier le passé, ce serait négliger la souffrance de millions de personnes.
Oublier le passé, ce serait déposséder des Français d'aujourd'hui d'une part de leur histoire.
Oublier le passé, ce serait occulter les vies qui ont accompagné la marche vers l'égalité.
Oublier le passé, ce serait croire que la liberté n'est plus un combat.
Oublier le passé, enfin, ce serait mettre en péril la communauté nationale.
C'est pour refuser l'oubli que la France a déclaré, par la loi du 21 mai 2001, que la traite négrière et l'esclavage sont un « crime contre l'humanité ».
C'est pour récuser l'oubli que la France, en suivant les recommandations du Comité pour la mémoire de l'esclavage, a fait du 10 mai une journée nationale de commémoration non pas seulement des « abolitions » mais de la traite et de l'esclavage en tant que tels.
Cette journée n'est pas l'apanage de quelques-uns mais l'affaire de tous.
Cette journée n'est pas unique, mais c'est la journée commune.
Aussi ne puis-je que me réjouir de constater la multiplicité des initiatives prises partout dans le pays : dans les collectivités, dans les écoles, dans les musées, dans les milieux culturels, dans les médias, dans les quartiers, dans les associations...
Et ce n'est qu'un début : l'année prochaine, avec le concours du Comité pour la mémoire de l'esclavage, dont c'est l'une des missions, et en coordination avec le ministère de la culture, nous renforcerons le caractère national de cette journée.
Par l'institution de cette journée nationale, nous voulons nous tourner vers l'avenir.
Nous ne voulons plus rester prisonniers d'un passé inavouable.
Nous voulons libérer les esprits pour ne pas être enfermés dans la guerre des mémoires.
Tel est l'enjeu du devoir de mémoire qui s'impose aux démocraties modernes.
Nous le savons bien : aucune société, aucune civilisation n'est pas embarrassée par une partie de sa propre histoire.
Et parce que toute communauté humaine célèbre d'abord ce qui la grandit, la tentation est grande d'oublier les ombres du passé.
A la fin du 19e siècle, RENAN affirmait que « l'oubli, et même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation » parce que « l'investigation historique remet en lumière les faits de violences qui se sont passés à l'origine de toutes les formations politiques »...
Notre conscience historique n'est sans doute pas exempte d'oublis.
Toutefois, au cours du XXe siècle, nous avons appris que certaines violences ne doivent pas être oubliées.
Au cours du XXe siècle, nous avons compris qu'il est des crimes qu'il ne faut jamais ni excuser, ni oublier. Parce que le silence organisé, parce que la dissimulation institutionnalisée détruisent aussi les peuples et les nations.
Pour la France, pour les démocraties occidentales, la mémoire de l'esclavage est un devoir.
Il s'agit de prendre la mesure historique d'une réalité qui ne se résume pas à son abolition.
Ce n'est pas de la repentance, c'est notre responsabilité.
Ce n'est pas de la culpabilité, c'est notre exigence.
Oui, l'esclavage relève de l'histoire mondiale. Et oui, hélas, l'esclavage ne relève pas seulement du passé.
Mais la France n'oublie pas que l'esclavage fait partie de son histoire.
Parce qu'un tel oubli dresse des frontières infranchissables entre les hommes, parce que cet oubli érige des prisons identitaires, parce que cet oubli fragilise la République elle-même.
Mais notre devoir de mémoire n'est pas antinomique avec le désir de connaissance.
C'est bien ce que qu'illustre l'exposition sur les « mémoires et l'histoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions » que j'ai souhaité voir ouverte au public dans la cour du ministère en ce 10 mai 2008.
Qu'il me soit permis de rendre hommage au travail des membres du Comité pour la mémoire de l'Esclavage, présidé par Françoise VERGES, que nombre d'entre vous connaissent bien.
C'est grâce à leur engagement, et en particulier à la mobilisation de Marcel DORIGNY, de Nelly SCHMIDT, les auteurs, c'est grâce à l'investissement des services du Secrétariat d'Etat, et en particulier de Marie-Hélène DUMESTE, que cette exposition a pu être montée.
Cette exposition répond à la mission que s'est donnée le CPME : sortir les mémoires de la traite et de l'esclavage de leur isolement et de leur enfouissement dans la mémoire nationale pour parvenir à une mémoire partagée. C'est le préalable à l'ouverture des esprits à la connaissance historique et à sa complexité. C'est aussi la condition de la citoyenneté.
Cette journée est également l'occasion de présenter et d'inaugurer le nouveau site du Comité pour la mémoire de l'esclavage. Par le souci de mettre à disposition de tous, des informations sur les manifestations liées aux mémoires de l'esclavage et des ressources pour la connaissance historique, ce site dessine les contours d'un projet de mémorial virtuel et mondial de l'esclavage et d'un fonds historique et documentaire national.
Mesdames, Messieurs,
Ne nous y trompons pas.
Il ne sera jamais « politiquement correct » de regarder vraiment en face la réalité de la traite et de l'esclavage.
Il y a deux écueils. L'oubli et le déterminisme. Se dire que c'est du passé ; affirmer que tout en découle.
Ce sont deux manifestations du renoncement et du contentement de soi.
Ce sont deux manières de se prétendre supérieurs et de se détacher des autres.
En cette journée nationale pour la « Mémoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions », comment ne pas invoquer, pour éviter ces écueils, la figure d'Aimé CESAIRE ?
CESAIRE nous éclaire sur le sens du devoir de mémoire de la traite et de l'esclavage :
« Pour moi, répondait-il à Françoise VERGES, l'action (de l'esclavage) ne sera jamais terminée. C'est irréparable. C'est fait, c'est l'histoire, je n'y peux rien. »
CESAIRE récusait l'idée d'une « réparation » matérielle. Ce serait prétendre en avoir fini avec l'esclavage. Ce serait en finir avec notre histoire. Ce serait peut-être en finir avec l'humanité. « Je pense que l'homme doit aider l'homme », rappelait Césaire.
La mémoire de l'esclavage et la connaissance historique imposent des devoirs à chacun. A l'Européen, qui n'est jamais quitte ; au descendant d'esclave qui exerce sa liberté. Césaire rejetait ainsi toute détermination par le passé : « Sortir de la victimisation est fondamental ».
Enfin, la mémoire et l'histoire de l'esclavage impose un devoir commun : celui de l'avenir.
Nul n'a droit de demander à quiconque de renoncer à sa dignité mais rien n'est pire que de s'embastiller dans une identité.
Voilà la leçon de CESAIRE.
Voilà pourquoi cette journée de mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions est une conquête de l'idéal de liberté, d'égalité et de fraternité.
L'humanisme, aujourd'hui, c'est donc renoncer à toute prétention absolue de supériorité, celle d'une couleur de peau comme celle d'une victime sur une autre.
L'humanisme, aujourd'hui c'est de regarder en face toute notre histoire sans renoncer à nos responsabilités pour l'avenir.
Tel est le sens et l'importance de la journée de commémoration de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions qui nous rassemble en ce 10 mai 2008.
Je vous remercie.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 13 mai 2008
Mesdames, Messieurs les membres du CPME,
Madame la Présidente du CPME,
Mesdames, Messieurs,
Nous voici réunis en ce 10 mai 2008 pour la troisième Journée nationale des « mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions ».
Au fil des ans, en métropole comme dans l'Outre-mer, cette journée prend de l'ampleur. Le nombre de manifestations culturelles et d'événements prévus cette année, en province comme à Paris, à la Réunion comme aux Antilles, montre bien qu'en renouant les fils de la mémoire, se tissent des liens nouveaux qui enrichissent le présent.
En cette année 2008, nous célébrons le 160ième anniversaire de l'adoption du célèbre décret du 27 avril 1848 abolissant l'esclavage.
Depuis longtemps nous célébrons l'abolition comme une avancée décisive de la liberté et de l'idéal républicain d'égalité entre les êtres humains.
Mais la journée du 10 mai signifie davantage.
Car célébrer l'abolition d'une institution infâme ne doit pas signifier son oubli.
Célébrer l'abolition ne signifie pas que cette histoire n'a plus de sens.
Célébrer l'abolition, ce ne doit pas être oublier le passé.
Oublier le passé, ce serait négliger la souffrance de millions de personnes.
Oublier le passé, ce serait déposséder des Français d'aujourd'hui d'une part de leur histoire.
Oublier le passé, ce serait occulter les vies qui ont accompagné la marche vers l'égalité.
Oublier le passé, ce serait croire que la liberté n'est plus un combat.
Oublier le passé, enfin, ce serait mettre en péril la communauté nationale.
C'est pour refuser l'oubli que la France a déclaré, par la loi du 21 mai 2001, que la traite négrière et l'esclavage sont un « crime contre l'humanité ».
C'est pour récuser l'oubli que la France, en suivant les recommandations du Comité pour la mémoire de l'esclavage, a fait du 10 mai une journée nationale de commémoration non pas seulement des « abolitions » mais de la traite et de l'esclavage en tant que tels.
Cette journée n'est pas l'apanage de quelques-uns mais l'affaire de tous.
Cette journée n'est pas unique, mais c'est la journée commune.
Aussi ne puis-je que me réjouir de constater la multiplicité des initiatives prises partout dans le pays : dans les collectivités, dans les écoles, dans les musées, dans les milieux culturels, dans les médias, dans les quartiers, dans les associations...
Et ce n'est qu'un début : l'année prochaine, avec le concours du Comité pour la mémoire de l'esclavage, dont c'est l'une des missions, et en coordination avec le ministère de la culture, nous renforcerons le caractère national de cette journée.
Par l'institution de cette journée nationale, nous voulons nous tourner vers l'avenir.
Nous ne voulons plus rester prisonniers d'un passé inavouable.
Nous voulons libérer les esprits pour ne pas être enfermés dans la guerre des mémoires.
Tel est l'enjeu du devoir de mémoire qui s'impose aux démocraties modernes.
Nous le savons bien : aucune société, aucune civilisation n'est pas embarrassée par une partie de sa propre histoire.
Et parce que toute communauté humaine célèbre d'abord ce qui la grandit, la tentation est grande d'oublier les ombres du passé.
A la fin du 19e siècle, RENAN affirmait que « l'oubli, et même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation » parce que « l'investigation historique remet en lumière les faits de violences qui se sont passés à l'origine de toutes les formations politiques »...
Notre conscience historique n'est sans doute pas exempte d'oublis.
Toutefois, au cours du XXe siècle, nous avons appris que certaines violences ne doivent pas être oubliées.
Au cours du XXe siècle, nous avons compris qu'il est des crimes qu'il ne faut jamais ni excuser, ni oublier. Parce que le silence organisé, parce que la dissimulation institutionnalisée détruisent aussi les peuples et les nations.
Pour la France, pour les démocraties occidentales, la mémoire de l'esclavage est un devoir.
Il s'agit de prendre la mesure historique d'une réalité qui ne se résume pas à son abolition.
Ce n'est pas de la repentance, c'est notre responsabilité.
Ce n'est pas de la culpabilité, c'est notre exigence.
Oui, l'esclavage relève de l'histoire mondiale. Et oui, hélas, l'esclavage ne relève pas seulement du passé.
Mais la France n'oublie pas que l'esclavage fait partie de son histoire.
Parce qu'un tel oubli dresse des frontières infranchissables entre les hommes, parce que cet oubli érige des prisons identitaires, parce que cet oubli fragilise la République elle-même.
Mais notre devoir de mémoire n'est pas antinomique avec le désir de connaissance.
C'est bien ce que qu'illustre l'exposition sur les « mémoires et l'histoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions » que j'ai souhaité voir ouverte au public dans la cour du ministère en ce 10 mai 2008.
Qu'il me soit permis de rendre hommage au travail des membres du Comité pour la mémoire de l'Esclavage, présidé par Françoise VERGES, que nombre d'entre vous connaissent bien.
C'est grâce à leur engagement, et en particulier à la mobilisation de Marcel DORIGNY, de Nelly SCHMIDT, les auteurs, c'est grâce à l'investissement des services du Secrétariat d'Etat, et en particulier de Marie-Hélène DUMESTE, que cette exposition a pu être montée.
Cette exposition répond à la mission que s'est donnée le CPME : sortir les mémoires de la traite et de l'esclavage de leur isolement et de leur enfouissement dans la mémoire nationale pour parvenir à une mémoire partagée. C'est le préalable à l'ouverture des esprits à la connaissance historique et à sa complexité. C'est aussi la condition de la citoyenneté.
Cette journée est également l'occasion de présenter et d'inaugurer le nouveau site du Comité pour la mémoire de l'esclavage. Par le souci de mettre à disposition de tous, des informations sur les manifestations liées aux mémoires de l'esclavage et des ressources pour la connaissance historique, ce site dessine les contours d'un projet de mémorial virtuel et mondial de l'esclavage et d'un fonds historique et documentaire national.
Mesdames, Messieurs,
Ne nous y trompons pas.
Il ne sera jamais « politiquement correct » de regarder vraiment en face la réalité de la traite et de l'esclavage.
Il y a deux écueils. L'oubli et le déterminisme. Se dire que c'est du passé ; affirmer que tout en découle.
Ce sont deux manifestations du renoncement et du contentement de soi.
Ce sont deux manières de se prétendre supérieurs et de se détacher des autres.
En cette journée nationale pour la « Mémoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions », comment ne pas invoquer, pour éviter ces écueils, la figure d'Aimé CESAIRE ?
CESAIRE nous éclaire sur le sens du devoir de mémoire de la traite et de l'esclavage :
« Pour moi, répondait-il à Françoise VERGES, l'action (de l'esclavage) ne sera jamais terminée. C'est irréparable. C'est fait, c'est l'histoire, je n'y peux rien. »
CESAIRE récusait l'idée d'une « réparation » matérielle. Ce serait prétendre en avoir fini avec l'esclavage. Ce serait en finir avec notre histoire. Ce serait peut-être en finir avec l'humanité. « Je pense que l'homme doit aider l'homme », rappelait Césaire.
La mémoire de l'esclavage et la connaissance historique imposent des devoirs à chacun. A l'Européen, qui n'est jamais quitte ; au descendant d'esclave qui exerce sa liberté. Césaire rejetait ainsi toute détermination par le passé : « Sortir de la victimisation est fondamental ».
Enfin, la mémoire et l'histoire de l'esclavage impose un devoir commun : celui de l'avenir.
Nul n'a droit de demander à quiconque de renoncer à sa dignité mais rien n'est pire que de s'embastiller dans une identité.
Voilà la leçon de CESAIRE.
Voilà pourquoi cette journée de mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions est une conquête de l'idéal de liberté, d'égalité et de fraternité.
L'humanisme, aujourd'hui, c'est donc renoncer à toute prétention absolue de supériorité, celle d'une couleur de peau comme celle d'une victime sur une autre.
L'humanisme, aujourd'hui c'est de regarder en face toute notre histoire sans renoncer à nos responsabilités pour l'avenir.
Tel est le sens et l'importance de la journée de commémoration de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions qui nous rassemble en ce 10 mai 2008.
Je vous remercie.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 13 mai 2008