Interview de M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, à RMC le 11 juin 2008, sur le referendum irlandais sur le Traité de Lisbonne et sur la fiscalité sur le pétrole.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Je suis très heureux de vous recevoir. B. Accoyer, vous seriez irlandais, vous voteriez oui ou non au dernier traité européen, celui de Lisbonne ?
 
Je voterais oui, parce que l'Irlande et les Irlandais ont connu, grâce à l'Europe, une période de croissance, de hausse de niveau de vie considérable, de développement considérable. Et même si, quand il y a une période, ainsi, favorable, on a envie que cela continue toujours, [qu'] il y ait toujours les petits plateaux. Mais ça reprendra. Donc, l'intérêt de tout le monde, y compris et à commencer les Irlandais, c'est que la grande aventure européenne se poursuive. Donc, je voterais oui.
 
Si l'Irlande vote non, ça va remettre en cause ce traité ?
 
D'abord, il ne faut pas hypothéquer cet avenir proche. Et puis, l'Europe c'est une aventure, il faut recommencer sans arrêt, à expliquer.
 
Pensez-vous que les Français diraient oui, si on leur demandait de voter aujourd'hui ?
 
Si vous voulez, je crois qu'il faut regarder les problèmes du monde à l'échelle du monde. Et la France c'est peu de choses à côté du premier marché du monde que constitue l'Europe. Donc, nous, nous ne sommes qu'une partie de l'Europe. Et donc, si on veut peser sur les questions pétrolières, sur les questions alimentaires, sur les questions environnementales, sur tout ce dont on va parler, probablement, il faut que nous soyons tous, ensemble, Européens. C'est cela qui nous donne a force.
 
Oui mais l'Europe, je vous pose la question, vous pensez que les Français diraient oui ou non, aujourd'hui ?
 
Je pense qu'ils diraient oui. Parce que les conséquences du non, on les a affrontées, on les supporte encore.
 
L'Union pour la Méditerranée a du plomb dans l'aile. J'ai entendu les déclarations de Monsieur Kadhafi, qu'on avait reçu avec tous les fastes voulus à Paris, il n'en veut pas du tout de cette Union pour la Méditerranée. Il a même réuni le président algérien, le Premier ministre marocain, le président syrien... pour faire un front commun contre cette Union pour la Méditerranée voulue par N. Sarkozy ?
 
Croyez-vous que les avancées, toutes les avancées de l'histoire aient été naturelles ? Non. Aucune d'entre elles n'a été facile. Et celle-ci qui est une incontestable avancée, pour la paix, pour le développement, pour le dialogue entre le sud et le nord, rencontre évidemment des difficultés. Il faut les affronter, il faut avoir de la patience, mais il faut y arriver, parce que qui peut contester que l'on a besoin d'aller vers la paix, autour de la Méditerranée. Qui peut contester qu'on ait besoin, entre l'Europe et les pays du sud de la Méditerranée, de travailler ensemble, d'échanger.
 
Mais alors, qu'est-ce qu'on peut dire à Kadhafi pour le faire changer d'avis ? On l'a fait venir à Paris, maintenant, qu'est-ce qu'on peut lui dire pour le faire changer d'avis ?
 
Il faut parler, il faut échanger, c'est la diplomatie, c'est le travail. Cela ne se dessine pas en trois jours, en trois mois. Ce sont de longues épreuves, il faut les traverser en ayant la volonté d'aboutir. Si on ne lâche jamais, on arrive pratiquement toujours.
 
Dites-moi, B. Accoyer, une curiosité : la Turquie joue l'Euro 2008, donc elle est dans l'Union européenne, enfin dans l'Union européenne ! Elle est en Europe pour le monde du football, mais elle n'a pas sa place dans l'Union européenne ?
 
Vous savez que la position de la France est celle d'un partenariat privilégié. D'autre part, il y a c'est vrai...
 
Quelle est votre position sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ?
 
Moi, personnellement, je pense que l'Europe doit avoir des frontières, parce que s'il n'y a pas des limites à l'Europe, l'Europe perdra sa substance, son identité, sa capacité. Par contre, ce qui est inacceptable, c'est d'humilier, c'est de se montrer incorrect vis-à-vis de tel ou tel pays, en l'occurrence de la Turquie, et je trouve qu'on en a fait un petit peu trop, en disant : non, non, jamais la Turquie. Il faut travailler avec la Turquie. IL faut développer...
 
Le président de la République dit : "jamais la Turquie..."
 
Le président de la République dit : il faut un partenariat privilégié.
 
Oui, mais enfin, il dit : jamais la Turquie dans l'Union européenne, pour l'instant.
 
Il faut un partenariat privilégié, travailler avec la Turquie. Et puis, l'avenir dira. En tout cas, dans l'immédiat, les Français ne sont pas prêts, et l'Europe a besoin a besoin de se stabiliser, avec des frontières qui soient bien définies pour qu'on puisse travailler tous ensemble.
 
On va travailler du calendrier de l'Assemblée nationale, cela vous concerne directement, mais je voudrais que l'on parle des carburants, c'est l'actualité. J.-P. Raffarin propose qu'au dessus de 100 dollars le baril, on neutralise la fiscalité. Vous êtes d'accord ou pas ?
 
C'est une proposition qui est...
 
Un peu le retour de la TIPP flottante...
 
...Une proposition qui est très voisine de celle qui a été faite par N. Sarkozy lui-même, il y a un peu plus d'une semaine.
 
Oui, mais moi je vous demande, sur cette idée de J.-P. Raffarin, est-ce que vous êtes d'accord ?
 
Je suis d'accord avec l'idée de neutraliser les prélèvements fiscaux, la hausse des prélèvements fiscaux créés par la hausse du prix du baril lui-même. Donc, sur le fond, oui. Sur la méthode, je pense que la bonne idée, celle qui doit aboutir c'est celle de N. Sarkozy qui propose que la TVA n'augmente pas en fonction du prix du baril. C'est-à-dire que l'Etat ne gagne pas de l'argent par la hausse du prix du baril.
 
C'est un peu la remise en place d'une TIPP flottante ?
 
C'est une taxation flottante, si vous voulez.
 
Je dis cela, parce que ça a été très critiqué. Finalement...
 
Oui, vous savez, il ne faut pas...
 
Mais qu'est-ce qu'on peut faire ?
 
Attendez ! Excusez-moi. En matière de fiscalité sur le pétrole, c'est l'Europe, et la TVA c'est l'Europe. La France doit raisonner au niveau européen...
 
Mais pas la TIPP ?
 
Oui mais la TIPP, on ne va pas jouer dessus, pour la bonne raison qu'elle diminue. Les recettes de la TIPP diminuent, parce qu'elle n'est pas proportionnelle aux prix. Enfin, c'est compliqué tout cela.
 
Donc, l'idée de neutraliser la fiscalité au-dessus de certains prix, c'est une idée qui ne serait pas applicable en France, si j'ai bien compris.
 
Il faut le faire au niveau européen.
 
Pas uniquement eu niveau français ?
 
Il faut faire quelque chose au niveau européen. On ne peut pas bouger la TVA seulement en France. Il faut que tous les pays d'Europe soient d'accord. Cela exige l'unanimité.
 
Mais alors, comment on va faire au niveau européen ? Vous réunissez tous les pétroliers...
 
Tout à l'heure, vous disiez : les Irlandais ne sont incertains dans la réponse qu'ils vont faire au référendum sur le Traité de Lisbonne. Pourquoi ? Parce que les Européens ont le sentiment que l'Europe n'améliore pas leur quotidien. Ils ont même parfois le sentiment que c'est le contraire. La vérité est tout autre : l'Europe, évidemment, a contribué à augmenter notre niveau de vie, à tous les Européens, et à nous Français en particulier. Il faut leur proposer des mesures qui politiquement sont pour eux lisibles et celle-ci : agir sur la fiscalité du pétrole au niveau européen, cela pourrait réconcilier les peuples d'Europe avec l'Europe.
 
Et avec les compagnies pétrolières, que peut-on faire ? Parce que je regardais ce que disait ce que disait le patron de GazProm : est-ce que vous croyez que le baril de pétrole peut atteindre les 250 dollars, comme il le dit ?
 
Ce n'est pas exclu. Pourquoi ? Parce que l'humanité s'apprête en trois siècles, ?? liquider les réserves de pétrole de la planète. Celles-ci ont mis plusieurs centaines de millions d'années à se constituer, donc quand il n'y en aura presque plus, les prix vont évidemment atteindre des niveaux exceptionnels. Il est probable que le baril continue d'augmenter. Dans ces conditions, il y a des mesures d'urgence à prendre et le Gouvernement français en propose. Il en a déjà prises ; je pense à la prime à a cuve. Et puis, il y a des mesures qui sont à mon sens, des mesures à long terme. Des mesures politiques au sens noble du terme. J'ai entendu certains hommes politiques français, ou femmes politiques...
 
B. Delanoë et S. Royal...
 
...vouloir sacrifier sur je ne sais quel autel, le seul pétrolier français qui a subsisté, qui a survécu...
 
Enfin "sacrifier" le pétrolier, du moins taxer les surprofits de Total...
 
Les pétroliers sont tous identiques, ils exploitent une ressource qui, par définition, va, dans quelques décennies être épuisées. Ils doivent, tous, évidemment, investir une part importante de leurs bénéfices dans la recherche et le développement des énergies renouvelables. Voila ce que c'est. J'aimerais que l'Europe, sous présidence française, pousse, exige...
 
Mais est-ce qu'on demande suffisamment à Total ?
 
Oui, je pense qu'on demande suffisamment.
 
On ne peut pas demander plus ?
 
Il faut savoir que Total ne fait que 5 % de ses bénéfices en France, que Total est une entreprise planétaire qui peut délocaliser si on s'acharne sur elle, encore un certain nombre d'activités. Et que surtout, Total met déjà 500 millions d'euros chaque année, dans les entreprises et dans les énergies renouvelables, et il a décidé, en accord avec madame Lagarde qu'il a rencontrée avant-hier, de mettre encore 200 millions. Cent millions pour travailler avec l'Agence du Développement durable et encore 100 millions sur les nouvelles technologies. J'ajoute que...
 
Vous savez que cela ne représente que 0,8 % de ses profits de 2007.
 
Je ne veux pas être l'avocat de Total particulièrement. Je suis l'avocat des entreprises française, parce que à s'acharner exclusivement sur les entreprises françaises, sur les contribuable, entreprise ou particulier français, la France s'appauvrit. Et ce sont évidemment les Français les plus pauvres qui en supportent les conséquences. C'est ça qui est stupide, de croire que le monde s'arrêterait aux frontières de la France. J'ajoute que Total a décidé de participer au doublement de la prime à la cuve qui a été instauré, qui va atteindre 200 euros et qui concerne 700.000 foyers français, qui ne payent pas l'impôt sur le revenu.
 
Donc on ne demande rien de plus à Total, ni aux autres compagnies pétrolières d'ailleurs ?
 
C'est le seul pétrolier qui contribue à tout cela en France ! Et donc, évidemment, si les autres veulent en faire autant, très bien, mais allez demander à d'autres entreprises étrangères.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 juin 2008