Point de presse de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur les relations entre le gouvernement et le parlement sur les opérations militaires extérieures, notamment au Kosovo, dans le cadre des négociations de Rambouillet, Paris le 4 février 1999.

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Texte intégral

ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Parlement - Opérations extérieures
Le gouvernement a prévu daméliorer le dialogue avec le Parlement sur les opérations militaires extérieures. Le Premier ministre avait souligné dans sa déclaration de politique générale que le pacte républicain impliquait un renforcement des droits et des responsabilités du Parlement : ce dernier doit pleinement jouer son rôle au sein de nos institutions et être un lieu essentiel de la communication gouvernementale. Notre initiative aboutit à une recherche de clarté envers les élus et les citoyens. Cest un facteur important pour donner la pleine légitimité aux engagements auxquels nous conduisent nos responsabilités internationales. Les mesures que nous prenons dans le cadre du système institutionnel actuel sont au nombre de quatre.
Nous établirons dabord un rapport annuel au Parlement sur les opérations extérieures de la dernière année, présentant les moyens engagés dans ces opérations et une analyse des situations dans leurs zones de déroulement.
Ce rapport sera situé dans lannée de sorte que, lors du collectif de la loi de finances en novembre et décembre, durant lequel le Parlement émet un vote pour autoriser les crédits exceptionnels couvrant les charges des opérations extérieures, il puisse y avoir un débat parlementaire fondé sur ce rapport.
Lors de lengagement de nouvelles opérations significatives, le ministre de la Défense aura la charge de présenter, dans le mois suivant leur déclenchement, les objectifs et les principales modalités de ces opérations devant la commission de la défense de chacune des deux assemblées.
Nous rechercherons enfin un accord de travail avec les deux commissions intéressées pour organiser par semestre un déplacement de parlementaires mandatés par leur commission sur les théâtres dopérations extérieures.
Ces mesures doivent permettre détablir un dialogue responsable entre lexécutif et le Parlement, et contribuer à éclairer le choix des Français.

Projet de mise en place dune force de maintien de la paix au Kosovo.
Je vais maintenant vous entretenir de nos actions préalables à la négociation, que nous espérons voir souvrir à Rambouillet, à la demande du Groupe de contact. La recherche de cet accord peut déboucher sur un projet de mise en place dune force de maintien de la paix au Kosovo. Dans le cadre de cette négociation, la composante de lemploi de la force sous mandat international doit être prise en compte : les Européens exercent une influence constructive et manifestent une volonté de prise de responsabilités pour traiter pacifiquement mais fermement ce conflit européen. Il est important quils sachent démontrer leur aptitude à associer les moyens de la force avec ceux de la diplomatie dans le cadre dun dialogue avec les autres partenaires du Groupe de contact, les Etats-Unis et la Russie, tout en respectant les cadres de coopération militaire qui sont les nôtres. Le déploiement doit sinscrire dans une logique de planification déjà étudiée au sein de lAlliance sous la forme dun premier plan dopération. Lactualisation de ce plan dopération a commencé à Bruxelles.
Par ailleurs, dans le cadre de la négociation de Rambouillet, des études complémentaires pour un tel déploiement sont menées en partenariat entre les Britanniques et nous-mêmes. Cette première ébauche conduit à lesquisse dune force estimée à cinq brigades, dont une en réserve dintervention, aboutissant à un total de 25 à 30 000 hommes. Un Etat-major international devrait être constitué en commun avec les Britanniques. LA.R.R.C. [Allied Rapid Reaction Corps / Force de Réaction Rapide du commandement intégré de lOtan en Europe] fournirait la base de cet Etat-major international. Nous souhaitons participer à la mise en place dune brigade et à lEtat-major de cette force. Sagissant de la force dextraction installée en Macédoine, la logique voudrait que cette force puisse constituer le noyau dune brigade voire dun élément précurseur de la force de maintien de la paix. Dans lhypothèse inverse, à défaut daccord, la validité de la force dextraction demeurerait. Suivant le modèle des accords de Dayton, les Européens pensent quil faut savoir associer les moyens de défense et ceux de la politique.

Exécution du budget déquipement de la Défense en 1998
Nous disposions pour la loi de finances 98 de 81 milliards de francs de ressources. Nous avons reçu 8 milliards de ressources complémentaires, soit 6,8 milliards de reports de lannée précédente et 1,2 milliards de fonds de concours. En revanche, les régulations budgétaires ou les ajustements budgétaires de lannée ont abouti à 7,3 milliards dannulations en trois phases au cours de lannée 98 : nous avions au final 81,6 milliards de francs à dépenser. Il est vraisemblable que le chiffre de la dépense réalisée sera voisin de 77 milliards de francs : il y aura donc un report de crédit de lordre de 5 milliards de francs. Ce report est le plus faible depuis lannée 1970, le ratio de consommation est le plus élevé de la décennie et les annulations nettes sont les plus faibles depuis 1992. Par ailleurs, les reports de charges sur les rémunérations et charges sociales sont totalement supprimés à la suite du redéploiement des annulations.

Questions
JOHN KEATING (KUWAIT AGENCY)
Cela signifie-t-il, Monsieur le Ministre, que nous allons vers un système où le Parlement aurait un droit de regard sur les opérations extérieures et dans lequel vous devriez expliquer le but de ces opérations et leur déroulement devant le Parlement, comme au Congrès américain ?
ALAIN RICHARD
Lintensité des réformes constitutionnelles ne pousse pas à rechercher une réforme supplémentaire sur ce sujet. Lobjectif de ces mesures est davoir un débat réel avec les parlementaires à des moments pertinents, cest-à-dire dans la période qui suit immédiatement le déclenchement dune opération et dans celle du vote des crédits en fin dannée. Cela permettra ainsi un travail dargumentation des objectifs de ces opérations, qui est conforme à lexigence démocratique.
BERNARD EDINGER (REUTER)
Monsieur le Ministre, les études pour la création de cette force de maintien de la paix se font-elles avec les Anglais seuls ou ne sont-ils que des partenaires privilégiés ? Combien y aurait-il de français dans cette brigade ? Sil ny a pas daccord, y a-t-il un plan pour envoyer une force de paix plus importante ?
ALAIN RICHARD
Les Britanniques ne sont pas les seuls avec qui nous étudions ce problème puisque la planification au sein de lAlliance a repris. En revanche, il y a le principe, consenti dun commun accord au sein du Groupe de contact, dune coprésidence franco-britannique pour lopération diplomatique. Cest une responsabilité dorientation et de préparation des travaux de la conférence. Il y a aussi une volonté des deux pays de prendre une part de responsabilité militaire. Mais des contacts existent avec dautres partenaires européens qui nous font penser que cette force, si la conférence aboutit à la constituer, sera largement européenne, quoique des signes très encourageants fassent apparaître la détermination des Etats-Unis à être présents. La prudence et lesprit de responsabilité nous conduisent à regarder ce que serait la contribution française dans la durée, compte tenu de la nécessité de relayer les éléments français. Notre cible est de lordre de cinq mille hommes et femmes pour lélément terrestre. Il faut bien entendu y ajouter la contribution de quarante aéronefs et une composante maritime, notamment dans la surveillance possible de certains trafics.
BERNARD EDINGER (REUTER)
Et sil ny a pas daccord, quelles seraient les possibilités de créer une telle force ?
ALAIN RICHARD
Il nous faut réfléchir à cette éventualité mais, à lavant-veille de ce que nous espérons être louverture dune conférence de paix, nous ne pouvons pas spéculer sur lhypothèse dun échec total !
JEAN-DOMINIQUE MERCHET (LIBERATION)
Vous avez parlé de cinq brigades, dont une de réserve. La brigade de réserve serait-elle essentiellement américaine ? Le renseignement sera-t-il également lobjet du contrôle démocratique dont vous avez parlé ?
ALAIN RICHARD
Jai fait une annonce que je crois cohérente sur un sujet dépendant de la responsabilité du gouvernement. La question dune modalité dexamen par une formation parlementaire du fonctionnement et de lorganisation des services de renseignements est actuellement étudiée. Elle suppose la mise au point de propositions de travail émanant du Parlement. Il y a des initiatives à la Commission de la Défense de lAssemblée Nationale, mais ceci nécessite une vision commune avec le Sénat.
Pour le Kosovo, compte tenu des imprévus qui peuvent toucher une opération de maintien de la paix, il doit y avoir une brigade de réserve. La fonction de réserve ne devrait pas être confiée à une nation plutôt quà une autre. Les conditions de la participation américaine sont en voie délaboration à Washington : nous ne voyons donc pas de raison de prédéterminer ce que pourrait être la spécialisation de la participation américaine.
JOHN KEATING (KUWAIT AGENCY)
La Grèce a dit aujourdhui quelle serait prête à participer à une force au Kosovo. Y a-t-il dautres nations, comme la Russie, qui ont exprimé un désir de participer à cette opération ?
ALAIN RICHARD
Il y a plusieurs nations européennes dont la contribution peut être fort utile. A chaque pays européen correspond peut-être une organisation de Défense plus ou moins adaptée aux fonctions quil sagit de remplir. Plusieurs pays européens ont déjà fait connaître quils sintéressaient à la participation dune telle force. De notre point de vue, il ny a pas dexclusive à avoir à lencontre de quiconque : dans notre vision, la responsabilité principale de cette force doit être européenne.
JACQUES ISNARD (LE MONDE)
Cette force sera-t-elle commandée par le général britannique, commandant lA.R.R.C
?
ALAIN RICHARD
Cest lhypothèse qui forme la base de la réflexion.
CHERIL EL SHOUBASHY (AL-AHRAM)
Cette force de maintien de la paix a-t-elle un mandat ? Pourriez-vous nous lexpliciter un peu plus ou sera-t-il défini à la suite de la réunion de Rambouillet ?
ALAIN RICHARD
Il y a collaboration entre la composante défense et la composante diplomatico-politique. Français et Britanniques pensons que nous avons une certaine expérience pour faire cela de façon cohérente entre politiques et militaires. Je ne veux pas empiéter sur la partie qui est proprement diplomatique. Les positions de la France quant à la prééminence dun mandat international légitime sont bien connues et ne vont probablement pas changer pendant cette conférence.
PIERRE JULIEN (RTL)
Quatre membres de la DGSE [Direction Générale de la Sécurité Extérieure] auraient participé à une mission de renseignement en Corse, dans le cadre de laffaire concernant le meurtre du Préfet Erignac. Pouvez-vous nous apporter une réponse ?
ALAIN RICHARD
Le ministère de la Défense a fait savoir aux journaux qui avaient publié ces affirmations quelles navaient aucune réalité. Contrairement à ce qui a été écrit, ni le personnel de la DGSE, ni les moyens de ce service nont été utilisés dans lenquête sur le meurtre de Claude Erignac. Ce nest pas le rôle de la DGSE.
PASCAL DOUCET-BON (FRANCE 2)
Plus généralement, que faire pour mettre fin à ce qui semble être un désaccord profond entre gendarmes et policiers de la DNAT [Direction Nationale Antiterroriste] en Corse ?
ALAIN RICHARD
Il y a des manquements à léthique qui ont conduit à des allégations de presse. On verra ultérieurement si elles étaient conformes à la réalité. Jai quelques souvenirs de moments de nervosité de la part de certains à propos de « laffaire Yann Piat ». On a vu quelques semaines après ce quil en était. Je nai pas dobservations à faire sur la dimension éthique des publications de ces derniers jours sur ce sujet. Les membres du gouvernement concernés par le dossier doivent faire ce qui est en leur pouvoir pour que léthique professionnelle soit respectée par tous ceux qui sont associés à ces enquêtes.
FREDERIC HELBERT (EUROPE1)
La DPSD [Direction de la Protection et Sécurité de la Défense] mène-t-elle des investigations en Corse ? Vous a-t-elle adressé une note confidentielle sur ce dossier ?
ALAIN RICHARD
Pas plus.
FREDERIC HELBERT (EUROPE1)
Y a-t-il eu une réunion à Matignon des patrons de lenquête. Le directeur de la gendarmerie était à Matignon ce matin : a-t-il participé à une réunion technique ?
ALAIN RICHARD
Je lignore.
PIERRE-MARIE GIRAUD (AFP)
Une autre grande institution, la Gendarmerie Nationale, a été mise en cause par des informations de presse sur les écoutes illégales dans lenquête corse.
ALAIN RICHARD
Cette affirmation est dépourvue de la moindre réalité. Je regrette que certains journaux publient de fausses informations. Un de vos confrères a ainsi écrit en première page, avant-hier, dans un journal économique, que laccord de constitution de MATRA AEROSPATIALE était conclu. Cette information était inexacte. Je nai pas vu une ligne, où que ce soit, pour rappeler quelle était inexacte.
JEAN-PIERRE NEU (LES ECHOS)
Monsieur le Ministre, à propos de cet accord, le Premier Ministre souhaite une accélération du traitement de cette affaire. Quel point pouvez-vous faire aujourdhui sur cette affaire ?
ALAIN RICHARD
Nous sommes en fin de négociation ; elle na pas à donner lieu à des prises de parole officielles. La négociation est difficile mais son aboutissement se compte maintenant en semaine.
JEAN-DOMINIQUE MERCHET (LIBERATION)
Je voudrais avoir votre appréciation sur lopération qui a conduit à la mort dune personne recherchée pour crime de guerre, en Bosnie, il y a une quinzaine de jour. Il y avait des enfants à bord de la voiture...
ALAIN RICHARD
Je nai rien à dire de plus sur ce sujet : cest une opération menée dans le cadre de la SFOR. Lensemble des éléments du déroulement technique de cette opération fait partie du secret de lAlliance : nous ne ferons donc pas de commentaires. Je me permets de vous recommander une grande vigilance vis-à-vis de prétendues informations dont lorigine serait du côté de personnes qui ne souhaitent pas que les criminels de guerre soient livrés à la justice.
THIERRY GADAULT (LA TRIBUNE)
Démentez-vous lexistence dun accord sur les parités de fusion entre le gouvernement et le groupe MATRA ?
ALAIN RICHARD
Cet accord nest pas conclu, vous le savez aussi bien que moi.
THIERRY GADAULT (LA TRIBUNE)
Donc le bouclage juridique évoqué aujourdhui nexiste pas.
ALAIN RICHARD
Je nai pas évoqué cela et je nai jamais parlé des négociations en cours. Ceux qui parlent ne sont pas dans le dossier et ceux qui sont dans le dossier ne parlent pas.
JOHN KEATING (KUWAIT AGENCY)
Monsieur le Ministre, où en est-on avec lopération française en Irak de la zone dexclusion Southern ? La France réévalue-t-elle régulièrement sa participation à cette opération ?
ALAIN RICHARD
Cest exact. Nous souhaitons un nouveau cadre politique de contrôle des risques présentés par lIrak en matière darmements avec une légitimité internationale. La France a énoncé ses idées. Elle a évité de fermer le débat en soulignant que ses idées étaient ouvertes à des contributions et des contre-propositions. Dans le cadre de ce nouveau régime de contrôle, nous sommes tout à fait ouverts à lidée que persiste un système de contrôle aérien sur une partie du territoire irakien et de reprendre des opérations de contrôle qui ont forcément changé de signification après les frappes militaires du mois de décembre.
BERNARD BOMBEAU (AIR ET COSMOS)
Je voudrais revenir sur les affaires industrielles, en particulier sur le dossier AIRBUS. Vous avez rencontré Monsieur Forgeard récemment. A-t-on évoqué lavion de transport futur ?
ALAIN RICHARD
Oui, Monsieur Forgeard est venu me parler du bilan 98 dAirbus. Nous avons évoqué lATF, mais comme nous en sommes au tout début de lexamen des offres multinationales, nous sommes restés dans les généralités.
JEAN-PIERRE BIOT (PARIS-MATCH)
Vous avez sur ce dossier la tutelle de lindustrie aéronautique. Or, dans le dossier AIRBUS il y a le ministre des Transports qui participe aux réunions et Monsieur Pierret qui est chargé du dossier pour lIndustrie, de sorte que nous ne connaissons pas exactement les responsabilités des personnalités de ce gouvernement.
ALAIN RICHARD
Dans le déroulement de la partie à laquelle jai à me consacrer, cest-à-dire le rapprochement industriel entre AEROSPATIALE et MATRA et le cadrage politico-économique des discussions entre industriels européens, le Premier ministre fait en sorte que nous assurions une complète convergence de la réflexion de tous les ministres concernés à un titre ou à un autre.
JEAN-PIERRE NEU (LA TRIBUNE)
Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous donner quelques informations sur les contacts qui se sont renoués entre la partie industrielle allemande et la partie française, tant industrielle que politique, après lannonce de la fusion BAé/GEC ?
ALAIN RICHARD
Les possibilités sont ouvertes avec de multiples partenaires. Il y a de toute façon des divergences dintérêt et des concurrences, y compris de pouvoir, à lintérieur de cet ensemble industriel européen. Il faut prendre toutes les précautions nécessaires pour que les accords, une fois conclus par ceux qui sengagent, soient équilibrés. Nous avons confiance dans les résultats de la recomposition autour de THOMSON CSF et dans ceux à venir de la fusion AEROSPATIALE MATRA. Les chefs dEtats et de gouvernements lont dit dans la déclaration de décembre 97 : nous sommes désireux dopérer ces rapprochements.
(Source http://www.defense.gouv.fr, février 1999)