Interview de M. Hervé de Charette, président délégué de l'UDF, à RMC le 3 avril 2001, sur la situation de tension au Proche-Orient, la grève à la SNCF, les licenciements chez Marks and Spencer, l'inversion du calendrier électoral et l'union de la droite.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle Au Proche-Orient, la situation se dégrade, la tension est très grande entre le gouvernement Sharon et les Palestiniens. Vous avez été ministre des Affaires étrangères, c'est une région que vous connaissez bien. Est-ce qu'une initiative serait utile ou sans effet en ce moment ?
- "C'est vrai que la situation est très grave, comme elle ne l'a sans doute jamais été depuis de longues années. On a le sentiment d'une impasse, que maintenant ce sont les armes qui parlent, on a le sentiment qu'Israël a décidé de régler des comptes avec tout ce que la Palestine compte de responsables politiques ou de structures administratives et militaires. En même temps, je pense que l'absence de l'Europe et de la France est vraiment tragique. Je pense que c'est le moment pour les Européens de montrer s'ils ont une politique étrangère commune."
Depuis le temps qu'on le dit !
- "Je sais bien, mais je ne veux pas renoncer à cette idée que la France et l'Europe pourraient, dans cette partie au monde qui est vitale pour nous, jouer la plénitude de leurs responsabilités."
En attendant, Paris ne peut pas grand chose ?
- "En attendant, Paris ne fait pas grand chose."
Tout à l'heure, les députés vont se réunir et étudier la fameuse affaire du calendrier qui consiste à faire que l'an prochain, le Président soit élu avant les députés. Vous avez fait partie, avec 24 autre députés de l'UDF, de ceux qui soutiennent cette réforme proposée actuellement par le Gouvernement.
- "Oui, j'ai même déposé une proposition de loi, car je pense ..."
Voterez-vous à nouveau le texte aujourd'hui ?
- "Oui, évidemment, on ne change pas d'avis comme de chemise. Nous ne sommes pas des girouettes. Je crois que c'est une bonne idée de mettre le calendrier à l'endroit, c'est-à-dire la présidentielle d'abord, la législative après. D'autant que cela va se reproduire probablement - sauf dans le cas d'une dissolution qui paraît de plus en plus exceptionnelle - tous les cinq ans désormais, puisque la durée du mandat présidentiel colle avec celle du mandat législatif. Mais en même temps, c'est une affaire d'appréciation, chacun a son idée. C'est la nôtre, il n'y a pas de quoi en faire une choucroute. Il n'est peut-être pas nécessaire non plus qu'au sein même de l'opposition, comme je l'entends ou le lis ..."
Je lis ce matin dans Le Figaro : "Ceux qui voteraient ce texte seraient complices d'une opération politicienne au seul bénéfice de L. Jospin" signé J.-L. Debré !
- "Oui, je l'ai lu aussi, c'est à cela que je réponds. Je trouve que c'est très excessif et au fond, ce n'est pas très convivial. On n'est pas obligé d'avoir tous les matins en se levant la même pensée que J.-L. Debré pour néanmoins pouvoir être traité convenablement par ses propres collègues, dans son propre camp. D'autant qu'en vérité, les problèmes des Français sont ailleurs aujourd'hui, ils ne sont pas dans ce débat "microcosmique" comme dirait
R. Barre. Les problèmes d'aujourd'hui sont les suivants : la grève du train qui devient insupportable ; les pratiques de certains dirigeants d'entreprises qui méprisent au fond leur personnel en les liquidant l'espace d'un week-end ; les menaces qui pèsent sur la croissance économique. Pendant les trois ans où le Gouvernement avait la plénitude des pouvoirs et des possibilités parce que l'économie ronflait au maximum, il n'a fait aucune réforme utile sauf celle des 35 heures qui commencent à peser sur l'économie. Voilà les problèmes."
Vous dites de la grève de la SNCF qu'elle est insupportable mais ce n'est pas la première grève de la SNCF qui dure longtemps .
- "Non, ce n'est pas la première fois, mais ce n'est pas une raison pour dire que c'est bien. Chacun a droit au droit de grève, a droit d'exprimer son mécontentement mais on ne peut pas, dans le secteur des transports, laisser indéfiniment les salariés, les usagers être livrés aux conflits sociaux. Dans le secteur des transports, il faut qu'il y ait davantage de dialogue social, moins de conflits, en tout cas des formes de conflits qui n'entraînent pas ces perturbations qui sont graves pour la société. C'est inadmissible dans la société moderne, où tout le monde se déplace et où par conséquent le transport joue un grand rôle."
Dans l'affaire Marks Spencer, il y avait plus à faire que ce qu'a fait le Gouvernement Jospin, c'est-à-dire initier une enquète pour délit d'entrave ?
- "Le Gouvernement Jospin ne fait jamais rien sauf parler. Cela fait bientôt quatre ans, trois ans, qu'on cherche la moindre réforme de ce Gouvernement. Je le répète, c'est très sérieux."
1 million de chômeurs de moins quand même !
- "C'est la croissance. Dans cette période où justement il y avait une situation exceptionnelle, qu'on n'avait pas vue depuis 20 ans, on pouvait faire une série de réformes dont notre économie a besoin. D'ailleurs, tous les experts au monde entier, chaque fois qu'ils se réunissent disent qu'il faut absolument que les Européens, en particulier les Français, fassent les réformes nécessaires. Ce sont ces réformes qui vont rendre la croissance durable. Maintenant, tous les mêmes experts nous disent que la croissance n'est pas durable. Elle était annoncée à 3,5 % pour cette année-ci, il y a trois mois et maintenant, ces mêmes experts mondiaux disent : 2,5 % Et vous verrez que dans les mois qui viennent on va encore baisser ces chiffres. Cela veut dire que c'est une occasion très importante qui a été perdue par les socialistes, et dont il s porteront la responsabilité devant les Français."
A propos de l'élection présidentielle, vous avez soutenu la candidature de J. Chirac dès son début, en 1994.
-"En effet."
Si F. Bayrou, président de votre formation, était candidat l'an prochain, à qui irait votre soutien ? A monsieur Chirac, comme en 94-95 ou à F. Bayrou ?
- "Pour l'instant, je suis à l'intérieur de l'UDF, je soutiens évidemment l'UDF, ses choix, et ses hommes. La question qui se pose à nous est de savoir comment on s'organisera au mieux pour gagner l'élection présidentielle et les élections législatives, ensemble, les unes et les autres. C'est dans l'équilibre entre la nécessaire diversité dont l'opposition a besoin pour gagner ces échéances, et en même temps la nécessaire unité dont elle a besoin, in fine, au dernier moment, lorsque l'élection a lieu, que se jouera la capacité de l'opposition à gagner. Je souhaite que dans ce jeu-là, l'UDF soit pleinement elle-même."
Qu'elle ait un candidat ?
- "Oui, sans doute, qu'elle ait un candidat et qu'elle puisse gagner. Mais le temps de ce genre de décision n'est pas encore venu. Nous sommes dans une période où nous préparons les échéances qui viennent, ce n'est pas le moment des décisions et des choix."
Les chances de J. Chirac vous paraissent indemnes malgré les inquiétudes judiciaires qui le menacent ?
- "Je ne suis pas du côté de tous ceux qui attendent, en se léchant les babines, que le Président de la République ait des ennuis avec la justice. Je suis au contraire de ceux qui souhaitent que, entre la politique et la justice, il y ait deux mondes différents."
Cela n'en prend pas le chemin ...
- "Non, c'est vrai. Mais enfin cela n'empêche pas que c'est quand même ainsi que cela marche bien."
A droite, demain, réunion d'Alternance 2002, mouvement soutenu par l'Elysée, initié par A. Juppé. Irez-vous à la convention prévue demain ? Tout le monde est invité.
- "Oui, tout le monde est invité à venir participer à une opération de verrouillage de l'opposition, bien sûr. "Venez mes petits-enfants !." Mais vous voyez bien que ..."
"Verrouillage" ?
- "Ah oui ! Verrouillage au profit du candidat Chirac à l'élection présidentielle. Je trouve cela d'ailleurs très compréhensible. Ce que je n'arrive pas bien à comprendre, c'est ce qu'il va se passer à l'Assemblée, cet après-midi, où on nous parle d'un groupe unique ou ..."
Cela s'appellerait "groupe commun."
- "Vous avez vu en lisant J.-L.Debré ce matin dans la presse qu'on ne savait pas ce que cela veut dire : comme ce n'est pas un groupe unique, mais le maintien des trois groupes parlementaires existants correspondant aux trois partis - UDF, RPR, DL - en même temps, avec je ne sais quelle coordination, on réinvente l'intergroupe qui existe déjà depuis 1997. Bref, c'est comme dans le choeur de Aïda : "Marchons, marchons." Mais tout le monde reste immobile."
Donc, vous êtes assez pessimiste sur les possibilités de la droite d'aller vers les échéances électorales avec un label commun, puisque c'est de cela dont il s'agit si j'ai bien compris.
- "Pour l'instant, franchement, je ne crois pas que ce soit en essayant de verrouiller tout le monde, en rendant impossible - en espérant rendre impossible - l'expression de la réelle diversité de l'opposition qu'on fait gagner celle-ci. Regardez comment les élections municipales se sont passées : sur le terrain, avec des hommes et des femmes qui se sont respectés dans leur diversité et qui ont été capables de s'entendre, les uns au premier tour, les autres au deuxième."
Donc, on ne vous verra pas à cette réunion ?
"Non."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 3 avril 2001)