Interview de M. François Bayrou, président du Mouvement Démocrate (MoDem), à France Info le 30 septembre 2008, sur son refus d'adhérer à une union nationale proposée par F. Fillon pour sortir de la crise économique et sur son souhait d'une coopération économique européenne.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- L'union sacrée pour vous-même, même en temps de crise, c'est  non ? C'est pourtant l'appel lancé par F. Fillon... 
 
Il ne peut y avoir union nationale que s'il y a remise en cause de la  politique suivie, que s'il y a remise en cause d'une politique qui est,  dans ses fondamentaux, dans ses orientations principales, aussi  massivement erronée que l'a été la politique suivie par N. Sarkozy. Je  crois qu'il faut prendre la mesure de ce qui est en train d'arriver et qui  est dans une espèce de très profonde angoisse, que tout le monde  atteint. C'est l'échec et selon moi la remise en cause fondamentale du  modèle avec lequel l'Amérique, le monde anglo-saxon, a vécu pendant  des décennies, le modèle Reagan-Thatcher, modèle dans lequel on  voulait que la France s'aligne. N. Sarkozy a fait sa campagne et quand  il parlait de "rupture", c'était bien de cette rupture-là qu'il s'agissait, au  lieu de voir la France rester sur le vieux modèle européen, comme on  disait, il fallait que la France rejoigne cette partie du monde qui, en fait,  avait fait de l'acceptation des inégalités et aussi de la finance, son dieu.  Eh bien c'est cela qui s'écroule aujourd'hui, et il ne peut y avoir  d'appel à une union, à une solidarité nationale que s'il y a remise en  cause de ces fondamentaux. 
 
Donc il ne faut pas faire comme aux Etats-Unis, s'allier, démocrates  républicains, finalement oublier les clivages politiques même quand  la situation est grave ? 
 
Peut-être n'avez-vous pas vu ce qui s'est passé cette nuit, c'est qu'ils ne  se sont pas alliés ! Pourquoi ? Parce que le peuple américain... 
 
En tout cas une tentative, une volonté d'essayer de marcher  ensemble pour sortir de la crise. 
 
Il ne peut y avoir, n'est-ce pas, c'est très simple, lorsque vous voulez  une union nationale, vous invitez au minimum les autres grands  courants démocratiques du pays à venir s'asseoir autour de la table en  disant, "on a un problème qu'on n'avait pas prévu. Visiblement, notre  politique n'a pas été celle qu'il fallait pour répondre à ce problème-là,  un certain nombre des critiques que vous aviez faites sont justifiées, on  voit bien aujourd'hui que ça ne va pas dans le bon sens, alors nous vous  invitons à vous asseoir autour de la table avec nous pour discuter". 
 
C'est ce que vous attendez aujourd'hui que fasse N. Sarkozy ? 
 
Voilà exactement la démarche minimale, - minimale ! - qui aurait dû  être assumée par le Gouvernement. 
 
Il est encore temps de le faire, vous souhaitez qu'il vous invite  aujourd'hui pour travailler ensemble ? 
 
Il est toujours temps de le faire mais pour l'instant, le Gouvernement ne  remet en rien en cause les orientations de la politique qu'il a suivie, et  cette politique était erronée. On voit bien les milliards du paquet fiscal,  qui ont été la première mesure, les remises d'impôts aux plus fortunés,  le bouclier fiscal, à votre avis, il touche qui ? Il touche ce monde-là, le  monde de l'argent qui se trouve avec des revenus incroyablement plus  élevés que les revenus du reste du pays, et qui a donc été mis à l'abri  soigneusement, y compris des financements sociaux, par le président de  la République et son Gouvernement.
 
Il y a eu quand même un début de rétropédalage sur la situation  économique. Je pense notamment au discours de Toulon où,  visiblement... 
 
Le discours de Toulon n'est pas un rétropédalage du tout, c'est une  prise de précaution verbale, mais ce n'est pas un rétropédalage ! Il n'a  changé aucune des orientations, au contraire, il a dit qu'il faut encore  accélérer ! Jamais le bouclier fiscal n'a été remis en cause. 
 
Sur la moralisation du capitalisme financier, quand même... 
 
Non, mais la moralisation du capitalisme, cela fait des années qu'on  nous vend ça ! Les parachutes dorés, soi-disant on a voté une loi il y a  dix-huit mois pour lutter contre les parachutes dorés, évidemment rien  n'a changé ! Encore une fois, ce n'est pas la moralisation qui est en  cause, on ne va pas donner des leçons de morale à un peuple qui vient  de donner 400 millions d'euros à monsieur Tapie en un seul jour, c'est-à-dire la plus grosse somme d'argent public qui n'ait jamais été allouée  à qui que ce soit, à mon avis sur le continent européen ! Donc  franchement, vous voyez bien que c'est d'une remise en cause  fondamentale qu'il s'agit et pas de paroles sympathiquement  rassembleuses sur une politique qui est fausse. 
 
Alors qu'est-ce qu'il faut faire pour vous aujourd'hui et pour le  MoDem ? Le PS propose un plan en six points, il faut rebâtir  totalement le système mondial financier, une sorte de Bretton  Woods ? 
 
Il y a une première chose à faire qui est urgente, c'est que l'Europe qui  a une seule monnaie, les pays de la zone euro se mettent autour de la  table pour discuter ensemble de ce qu'il faut faire. 
 
Il ne faut pas que chaque pays s'occupe de nationaliser, il faut  qu'on travaille ensemble au niveau de l'Union européenne ? 
 
On devrait travailler ensemble au niveau, sinon de l'Union européenne,  du moins de la zone euro, de ces pays qui ont une seule monnaie en  partage. Comment vous voulez que ça marche s'il y a une seule  monnaie et 27 pays qui décident chacun dans leur coin de ce qu'il faut  faire ? Donc il me semble que de ce point de vue là, la plus grosse  lacune de l'action de N. Sarkozy c'est qu'il est soi-disant Président en  exercice de l'Union européenne, pour l'instant il n'y a aucune démarche  européenne concertée. Et en face de ces événements, de ces vagues  énormes qui ont été provoquées par le système dominant dans le  monde, il faudrait au moins penser un réflexe européen autour de la  zone euro pour... Je vais donner une seule idée, très simple, tout le  monde dit, "il faut une régulation" ; pour une régulation, il faut un  régulateur, c'est-à-dire quelqu'un qui surveille qu'on ne fasse pas trop  de bêtises dans le monde financier et il faut un régulateur européen  unique quand on a une monnaie européenne unique. 
 
Un dernier mot F. Bayrou sur le contexte général, la hausse du  chômage annoncée au mois d'août, 41.300 demandeurs inscrits en  plus à l'ANPE, c'est énorme. Est-ce qu'on va pouvoir réellement un  jour inverser la tendance ? 
 
Pas avec cette politique-là, à mon avis. N. Sarkozy s'était fait élire sur  quatre engagements : il avait dit je serai le Président du pouvoir  d'achat ; il avait dit "j'irai chercher la croissance avec les dents" ; il  avait dit "nous aurons le plein emploi en 2009", et il avait annoncé la  baisse des prélèvements obligatoires de 4 points, c'est-à-dire 70  milliards. De tout cela, qu'est-ce qu'il reste aujourd'hui ? Et donc la  politique qui est suivie, à mon sens, et plus encore que la politique  suivie, le modèle qu'ils ont en tête, c'est cela qui est profondément en  crise, c'est cela qui doit être remis en cause. Autrement eh bien nous  allons continuer à nous enfoncer dans une direction politique qui, à mon  avis, est une impasse. 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 septembre 2008