Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France Inter le 7 mars 2001, sur la campagne pour les élections municipales, le report des voix au sein de l'opposition au deuxième tour et l'importance de la vie politique locale par rapport aux élections à Paris et à Lyon.

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Média : France Inter

Texte intégral

S.Paoli Lors des municipales, candidature unique ou candidatures multiples au premier tour ? Le débat dans l'opposition à quatre jours du premier tour n'est pas clos. Quant à l'interprétation du résultat de cette élection, il est à parier qu'il prendra une dimension de politique nationale. Bref, ces municipales sont-elles municipales ? On ne parle que de fusion, de rassemblement... Quel est votre commentaire là-dessus ?
- "Parlez-vous du deuxième tour ?"
On n'a même pas passé le premier tour qu'on ne parle que de cela !
- "Je suis de ceux qui souhaitent en tout cas qu'on se mobilise au maximum pour le premier tour et qu'on livre les combats les uns après les autres."
Mais la multiplicité des candidatures vous choque-t-elle ou vous paraît-elle normale dans une élection de ce type ?
- "Cela me paraît normal. Dans une élection à deux tours, il est inéluctable qu'il y ait pluralité de candidatures au premier tour. Ensuite, il y a une règle qui joue, vieille comme le monde - ou comme la République -, qui est que celui qui arrive second soutient celui qui est arrivé premier. Dans le même camp, celui qui est devancé soutient celui qui est devant. C'est ce qui doit se passer pour espérer une victoire. Ce sont des règles très simples, mais il revient à celui qui est en tête de faire les gestes de rassemblement, pour que le climat permette le meilleur report possible des voix. Ce que je dis là, c'est la règle de la République depuis qu'elle existe, depuis que nous sommes en démocratie parlementaire. Il n'y a donc rien de nouveau sous le soleil, il faut simplement réapprendre à vivre ensemble."
Est-ce maladroit de la part de P. Séguin, alors qu'encore une fois le premier tour n'a pas eu lieu, de parler comme il l'a encore fait hier soir de "listes dissidentes" dans l'opposition ? "Dissident" n'est pas un mot anodin...
- "P. Séguin a dit que c'est lui qui porte la légitimité des formations politiques de l'opposition. Mais je ne veux pas entrer dans une polémique quelle qu'elle soit et avec qui que ce soit. Je veux simplement rappeler cette règle simple : pour vivre ensemble, le 11 et le 18 - et après le 18 -, pour reconstituer des familles politiques qui s'entendent, il faut que la règle normale joue pour cette élection. La discipline veut que celui qui arrive derrière soutienne celui qui arrive devant."
Ce débat de politique un peu politicienne n'a-t-il pas masqué les municipales ? B. Chirac qui fait campagne, L. Jospin qui fait campagne ... Ce sont des municipales, ça ?
- "Pour moi, c'est un scrutin local. Cela paraît surprenant à entendre les commentaires que vous faites sur vos antennes ! Je ne crois pas que ce soit un débat pour savoir qui va gouverner la France."
En réalité, c'en est un !
- "Non. Si on le croit, on se trompe."
Mais c'est le sens que certains veulent lui donner.
- "Les électeurs, eux, ne s'y trompent pas. Ils essaient de regarder dans leur ville et dans leur vie qui va être pour eux le meilleur entraîneur ou la meilleure garantie de sécurité. Ils ont bien raison. Ils regardent les personnalités, ils regardent leur dimension et leur lien avec la vie qu'ils mènent. En tout cas, c'est comme cela que je le ressens. Et la santé d'une démocratie est qu'un scrutin local soit un scrutin local, et que peu à peu on se libère du poids trop lourd des hypothèques politiques appliquées à chaque cas. En tout cas c'est comme cela que je le vis et que je le défends. Il n'y a pas un mur invisible qui coupe en deux la vie politique locale comme il coupe hélas trop souvent en deux la vie politique nationale."
Mais vous êtes comme nous tous : vous avez bien vu que le débat a été essentiellement parisien, incroyablement jacobin, au moment où on parle d'élections municipales. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas quand même...
- "C'est la France comme elle est. D'ailleurs, vous contribuez à la faire puisque les radios et les journaux sont tous sur cette idée que c'est à Paris que cela se joue essentiellement. Or, une nouvelle France demande à naître, une France dans laquelle les villes de province, les régions, les territoires ruraux de France seront regardés autant que l'on regarde Paris. Je suis un provincial enraciné dans les Pyrénées ! Cette place trop importante accordée à Paris, cette espèce de projecteur constamment braqué sur ce qui se passe dans le moindre quartier de la capitale, beaucoup de Français ne s'y reconnaissent pas, et je crois beaucoup de Parisiens non plus. Ils ont envie d'avoir une vie de quartier, une vie de village et pas seulement d'être constamment scrutés par les caméras de télévision. On a besoin - c'est très important pour l'avenir - d'une France plus équilibrée que celle qu'on a. Il y a en France autre chose que Paris et d'ailleurs autre chose que les grandes villes. On a besoin d'un équilibre nouveau. Je suis certain qu'à partir des années qui viennent, on va s'y intéresser et le trouver."
On ne va pas faire de spéculation politique, mais vous attendez-vous, comme souvent c'est le cas s'agissant d'élections, à ce que les Français donnent un avis très subtil ? C'était vrai pour les européennes, peut-être que cela sera le cas pour les municipales, dans la façon dont le vote va traduire leur envie de changer ou pas.
- "Il y aura en effet beaucoup de lectures possibles. Comme toujours, les Français usent du suffrage universel avec beaucoup de subtilité et de finesse. Ils vont dire plusieurs choses, il sera intéressant de savoir lesquelles. Mais à mon avis la demande principale est que les élus de proximité soient réellement des élus de proximité."
Ils en ont d'ailleurs dans l'ensemble une bonne image, ils l'ont dit dans les sondages et ils vont probablement revoter pour ceux qui sont en place actuellement.
- "Ils en ont une bonne image parce qu'ils voient bien que ces femmes et ces hommes élus, dont on dit beaucoup de mal, donnent en réalité dans la vie de tous les jours beaucoup d'eux-mêmes au bénéfice de leurs administrés ou de leurs concitoyens. La démocratie, c'est mieux qu'on ne le dit. Et jusqu'au plus petit village français, si vous faites la somme des imaginations, des dévouements, de la créativité qui sont mis au service de la vie publique, vous vous apercevrez qu'il y a là un gisement de richesses auxquelles il faut rendre hommage plutôt que d'en dire tout le temps du mal."
On ne vous a pas vu dans les grandes villes ; en revanche, vous avez été très présent dans les villes de moyenne importance...
- "Concernant les grandes villes, je suis allé plusieurs fois participer à Paris - même le premier - à des manifestations au côté de P. Séguin. A Lyon, c'est un homme très bien qui se présente et il a mon amitié - ce n'était pas la peine que j'aille le rappeler. Ce que M. Mercier est en train de faire à Lyon, de s'imposer comme un rassembleur, un homme capable de faire vivre toutes les sensibilités et de leur donner leur place dans la majorité nouvelle qu'il constitue, je suis certain que c'est la qualité humaine de l'homme qui aujourd'hui l'emporte et se fait entendre."
Je lis le titre du Figaro ce matin : "Bayrou pense à Lyon et à 2002" !
- "Les journaux écrivent nécessairement cela ! Quoi que vous fassiez, les journaux disent que vous pensez à l'échéance suivante ! Eh bien je pense à cette échéance-là et, s'agissant de Lyon, la question est de savoir qui peut être le meilleur maire de Lyon, le plus compréhensif, celui qui voit le mieux l'avenir, qui en a la plus haute idée et qui en même temps est le plus proche. Ce qui se passe dans les sondages depuis deux mois et qui vous a tous surpris, puisque vous annonciez tous que Lyon était perdu ! Et puis on voit aujourd'hui que ce n'est pas le cas et que M. Mercier a les qualités humaines et profondes de terroir qui sont les siennes et qu'il est en train de créer la surprise."
Cela va quand même être serré à Lyon.
- "Cela va être très serré. Mais si cela se passe comme cela, c'est une assez jolie leçon."
La politique politicienne, pour finir avec cela : ce que dit Le Figaro, ce n'est pas tellement que Lyon vous intéresse, mais que Bayrou est peut-être en train de doucement se positionner pour être - pourquoi pas ? - le troisième homme quand on parlera de la présidentielle... On y revient tout le temps décidément !
- "Ce n'est pas la question aujourd'hui. Il y a une question qui est très simple, c'est est-ce que les Français, en 2002, vont reprendre les deux routes qui sont devant eux, qui sont les deux pôles de la cohabitation incarnée par les deux principales figures de la cohabitation ? Est-ce que c'est cela qui leur convient ou est-ce qu'ils vont chercher un autre chemin ? Ce n'est pas un mystère que ma conviction personnelle est qu'il faudra chercher d'autres chemins. Mais ce n'est pas la question d'aujourd'hui ! Aujourd'hui, la question est : quel est le meilleur maire pour les villes ? C'est à cette question qu'il faut contribuer à répondre."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 7 mars 2001)