Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,
Je souhaite, avec tous les députés de mon groupe, nous associer à l'hommage rendu à nos soldats tués dans la vallée d'Uzbin, à tous leurs camarades tombés avant eux, à leurs familles frappées par le deuil. Puissions nous dans nos échanges comme dans nos désaccords être dignes de leur bravoure et de leur esprit de sacrifice. A travers eux, c'est le dévouement et le professionnalisme de l'ensemble de nos forces armées que je veux saluer. En Afghanistan mais aussi en Bosnie, en Côte d'Ivoire, sur tous les théâtres d'intervention militaire où elles sont appelées, elles s'acquittent remarquablement de leurs missions de maintien de la paix dans des circonstances difficiles et avec des moyens trop souvent précaires. Ces hommes et ces femmes méritent le respect de toute la Nation. Ils défendent notre sécurité. Nous leur devons protection.
C'est pour mieux les protéger que doivent être tirées toutes les leçons de ce tragique fait de guerre. A l'évidence, nos troupes manquent d'un matériel adapté notamment en matière de renseignement et d'héliportage. Et l'actualité de ce week-end ne fait que confirmer, hélas, cette situation. C'est la responsabilité des autorités politiques et militaires de la défense nationale d'y remédier. Pour notre part, notre responsabilité est de savoir si les objectifs de la mission de nos troupes en Afghanistan, la sécurisation du territoire, l'éradication du terrorisme, la construction d'un Etat partie prenante de la communauté des Nations, sont en voie de réussite. Nous devons décider s'il faut poursuivre l'effort de la France, le réorienter ou bien l'arrêter.
Je m'étonne que pour prendre une décision aussi importante qui engage la vie de nos soldats, le Parlement ne dispose pas d'une évaluation précise de ce que nous avons fait en Afghanistan. Depuis un an, nos demandes répétées d'une mission d'information sont restées lettre morte. Ce n'est ni sérieux, ni admissible au regard des enjeux humains et stratégiques de ce vote.
Sur le principe cependant, je veux dire d'emblée de la manière la plus claire possible que la France ne peut pas, au regard des valeurs qu'elle défend, se désengager brutalement de l'Afghanistan. Parce qu'elle assume un mandat des Nations unies. Parce qu'elle refuse que se reconstruise à Kaboul le quartier général d'une organisation terroriste qui menace la sécurité de tous.
Mais je veux dire avec la même clarté: nous n'acceptons plus la dérive qui est à l'oeuvre en Afghanistan. En 2001, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient fixé un cadre précis à notre intervention: une solidarité envers le peuple américain; un acte de légitime défense, sous l'égide de l'ONU, pour briser le sanctuaire du terrorisme. Depuis l'intervention américaine en Irak en 2004, nous sommes en train de glisser vers une guerre d'occupation qui n'a plus de limites de temps et d'objectifs. Ce n'est ni la vocation de cette intervention, ni la conception de la France, ni l'intérêt de l'Afghanistan. Jusqu'où allons-nous aller dans la logique de guerre ? Avec quels objectifs ? Avec quel calendrier ? Ces questions que nous avons posées au président font partout débat en Europe et en Amérique.
Elles reposent sur un constat évident. Depuis la chute du régime Taliban, voilà sept ans, la situation de la coalition s'est gravement détériorée.
Au plan militaire, les combattants Talibans qui avaient été rejetés dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan et du Pakistan ont regagné près d'un tiers du territoire jusqu'à s'approcher des portes de Kaboul. Les troupes de la coalition sont harcelées dans une guérilla de plus en plus meurtrière. Près de 200 soldats ont été tués depuis le début de l'année. Des centaines d'autres ont été blessées.
Mais le plus grave est le retournement progressif de la population afghane. Accueillies comme des libérateurs, il y a sept ans, les forces alliées sont de plus en plus souvent perçues comme des occupants indésirables.
La stratégie américaine a grandement nourri ce ressentiment. En intervenant en Irak, en y détournant l'essentiel de ses forces militaires, en développant un message de croisade, elle a redonné souffle aux djihadistes et affaibli la légitimité de l'intervention en Afghanistan. Sur le terrain, la priorité donnée à l'éradication militaire des Talibans a produit l'effet contraire du but recherché. La bunkerisation des troupes pour défendre Kaboul et les grandes villes, les bombardements qui touchent les populations civiles, le manque d'aide et d'appui à leur endroit notamment dans les campagnes et les montagnes les ont trop souvent coupées de nous et jetées dans les bras des Talibans.
C'est la principale raison pour laquelle nous nous sommes opposés le 8 avril dernier à la décision discrétionnaire du Président de la République d'envoyer des renforts en Afghanistan et de les faire monter en première ligne. Il l'a fait non seulement en rupture avec son prédécesseur Jacques Chirac, mais aussi en contradiction avec ses propres engagements durant la campagne présidentielle. La France a acquitté sans mot dire les demandes de l'administration Bush. Elle n'a formulé aucune exigence sur les options politiques et militaires. Elle a renoncé à infléchir une stratégie qui échoue.
J'entends le Président de la République parler d'un effort supplémentaire, de l'envoi de nouveaux renforts matériels et humains. C'est oublier les avertissements de l'ancien chef d'état major de la coalition, le général Mac Neill, des militaires Russes bien placés pour connaître les pièges de l'Afghanistan ou encore de nos amis britanniques. Si l'on veut gagner la guerre en Afghanistan, ce ne sont pas quelques centaines d'hommes de plus qu'il nous faut sur le terrain. C'est une armée dix fois plus importante, rompue aux techniques de contre guérilla, immergée dans la population civile, préparée à un combat long et meurtrier.
La France est-elle prête, est-elle capable de participer à un tel engagement ? Sommes nous sûrs de sa réussite quand on se rappelle les guerres d'Algérie, du Vietnam, de l'Irak ? C'est le Président de la République lui-même qui a donné la réponse avant son élection : « Si vous regardez l'histoire du monde, aucune armée étrangère n'a réussi dans un pays qui n'était pas le sien. ». Eh bien je souscris complètement à ce constat. La solution durable en Afghanistan ne sera pas militaire. Elle sera politique.
Dans cet Orient compliqué, trop de simplismes nous ont égarés. Simplisme de l'administration américaine qui a divisé le monde entre le Bien et le Mal, entre la démocratie et le terrorisme. Simplisme du Président de la République qui s'est aligné sur cette vision en oubliant ce qui constitue notre autonomie de décision. Simplisme d'assimiler ce que nous faisons en Afghanistan au combat contre la barbarie nazie, comme l'a fait le chef de l'Etat à Maillé. Non il n'y a pas dans ce débat les libérateurs et les munichois, les durs et les angéliques.
Cette vision manichéenne est non seulement inepte... Elle est inadaptée à un pays comme l'Afghanistan aux frontières incertaines, morcelé par ses traditions tribales, gangrené par la misère et le trafic de l'opium, sans tradition étatique ou démocratique. Alors Non ! Ce n'est pas en diabolisant l'ennemi que nous allons le mettre en déroute. C'est en changeant ce qui ne marche pas.
Si les Américains veulent un engagement renforcé de leurs partenaires de la coalition, ils doivent en accepter la contrepartie : la mise en place d'un directoire politique et militaire où les Américains acceptent de partager les responsabilités avec leurs alliés. Comment en effet accepter que l'Europe ait engagé sur le terrain le plus fort contingent et qu'elle n'ait jamais son mot à dire. Ce directoire est pour elle l'occasion d'exister et de peser. Il regrouperait les missions d'enduring freedom et de l'ISAF et aurait pour tâche de définir de nouvelles options, de fixer un calendrier sur leur mise en oeuvre, et de prévoir l'échéancier d'un retrait progressif. L'ONU assurerait l'évaluation et le suivi de ce nouveau dispositif.
Là est notre plus grande divergence avec le président de la République et la réponse qu'il nous a adressée. En écartant toute idée de calendrier, en refusant de reconsidérer la mission, en affirmant « nous resterons aussi longtemps que nécessaire en Afghanistan », il donne comme seul horizon aux Français la poursuite d'une stratégie qui échoue. Eh bien ce n'est plus possible. Nous ne pouvons pas dire Oui à cette fin de non recevoir. Nous ne pouvons plus accepter d'avancer les yeux fermés dans un conflit sans fin.
Dans le même esprit, il faut rompre avec ce concept dangereux de la guerre des civilisations qui nous fait tant de mal en Afghanistan, en Irak et dans toute l'opinion arabe. La lutte contre le terrorisme et le fanatisme islamiste n'est pas une croisade occidentale comme le soutiennent les néoconservateurs. Ce n'est pas la démocratie face au reste du monde. Elle concerne le monde entier et au premier chef les pays arabes, beaucoup plus touchés que nous par les attentats. Elle concerne aussi la Chine, la Russie et même l'Iran... Associons les à la recherche d'une solution en Afghanistan. Cherchons avec eux un partenariat durable face au terrorisme. Construisons une vraie communauté de valeurs.
La troisième priorité est de reconquérir la confiance de la population afghane, de la couper des insurgés. La limitation des bombardements aveugles et de ce que l'on appelle pudiquement les dommages collatéraux ne suffit plus. Chaque pouce de territoire repris militairement doit être accompagné d'un véritable appui humanitaire et logistique et de la mise en place d'une ébauche d'administration. C'est la condition de ce que l'on appelle l'Afghanisation : construire un état afghan, une armée afghane, une communauté afghane à qui l'on donne les moyens de son développement et de sa stabilisation.
De l'aveu même du Conseil de sécurité de l'ONU, nous en sommes très loin. L'armée afghane est faible et n'est pas représentative de la composition ethnique du pays. La corruption et le trafic d'opium ont explosé. L'aide à la reconstruction, décidée à la conférence de Paris, est dispersée et arrive mal à la population. La France elle-même ne donne pas l'exemple en étant l'un des contributeurs les plus chiches.
On ne peut pas continuer comme ça. Il faut tout remettre en ordre, établir une planification, assurer un suivi drastique. Que les militaires et les fonctionnaires afghans soient payés, que les structures éducatives et sanitaires se développent. On peut même réfléchir à favoriser les paysans afghans plutôt que les trafiquants en trouvant un débouché légal à la culture de l'opium, pour la fabrication de médicaments par exemple.
Tout doit être fait pour isoler les Talibans et Al Qaïda. Tout doit être conçu pour les séparer. Les insurgés qui combattent la coalition ne sont pas tous des fanatiques. C'est aussi une coalition hétéroclite de fondamentalistes, de nationalistes, de chefs de tribu. Comme l'ont proposé les Britanniques, il ne faut plus hésiter à ouvrir un dialogue politique avec une partie d'entre eux. Le régime du président Karzaï a besoin d'une base politique et ethnique beaucoup plus large qui permette de détacher le gros des pachtouns d'Al Qaïda.
Là doit être notre objectif central : assécher la base du terrorisme, éviter qu'il contamine d'autres pays.
Et c'est le dernier terme de mon propos. Il n'y aura pas de stabilisation de l'Afghanistan sans une clarification avec le Pakistan. On ne peut plus accepter que l'allié principal des Etats-Unis dans cette région continue d'équiper et d'armer ceux qui combattent les troupes alliées en Afghanistan. Je sais les efforts qu'ont consenti les autorités pakistanaises pour y remédier, je connais les difficultés intérieures auxquelles elles ont à faire face. L'attentat d'Islamabad le rappelle douloureusement. Il faut aider les Pakistanais, non en s'arrogeant unilatéralement un droit de suite sur leur territoire, mais en leur proposant la mise en place d'un système de sécurité régionale qui intègre tous ses voisins et qui s'atèle à un règlement global des conflits de la région. Je pense à l'Afghanistan bien sûr mais aussi au Cachemire. Une conférence régionale sous l'égide de l'ONU pourrait amorcer le processus.
Voilà notre approche : un plan en 6 points pour construire les bases d'un règlement durable en Afghanistan.
Un directoire politique et militaire de la coalition
Une redéfinition de sa stratégie
L'élaboration d'un calendrier sur la mise en oeuvre des objectifs
Un échéancier sur la présence des troupes
La reconquête de la confiance de la population afghane par un véritable plan de développement
L'ouverture d'un dialogue politique avec ceux des insurgés qui s'y prêteront
L'association de tous les pays concernés par la stabilisation de l'Afghanistan et par le terrorisme
La clarification de l'attitude du Pakistan
Nous demandons que la France conditionne sa participation dans la coalition en Afghanistan à ce changement de stratégie. Nous voulons qu'elle engage le débat avec nos alliés. Si nous acceptons une escalade sans fin de la guerre, si nous continuons de nous enliser dans une logique militaire qui échoue, alors soyons sûrs que tôt ou tard nous serons forcés de plier bagage, moins à cause des Talibans que de nos opinions publiques. Soit nous changeons, soit nous serons contraints de partir ! Et alors nous aurons perdu !
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je regrette que face à un tel enjeu, le Président de la République n'ait pas su maintenir le consensus national que Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient construit lors de l'intervention en 2001. La cause nous réunit : vaincre le terrorisme et ceux qui le soutiennent. Les moyens d'y parvenir nous séparent. J'ai la conviction que le président a mis le pays dans un engrenage dangereux. J'ajoute que certains de ses propos nous ont heurtés. Je n'admets pas que la plus haute autorité de la République puisse dire aux représentants de la Nation : « ceux qui voteront Non au Parlement devront dire au pays que nos soldats sont morts pour rien. »
C'est justement parce que nous ne voulons protéger nos soldats que nous demandons le changement de la mission que leur confie la Nation. C'est parce que le Président et le gouvernement n'ont tiré aucune leçon des échecs en Afghanistan que nous refusons d'octroyer le blanc seing illimité que vous demandez.
Nous sommes dans un moment exceptionnellement grave. Nous ne votons pas contre la poursuite de l'engagement de la France en Afghanistan. Nous votons contre une conception politique et militaire qui nous conduit dans une impasse.
source http://www.deputessocialistes.fr, le 23 septembre 2008
Monsieur le Premier ministre,
Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,
Je souhaite, avec tous les députés de mon groupe, nous associer à l'hommage rendu à nos soldats tués dans la vallée d'Uzbin, à tous leurs camarades tombés avant eux, à leurs familles frappées par le deuil. Puissions nous dans nos échanges comme dans nos désaccords être dignes de leur bravoure et de leur esprit de sacrifice. A travers eux, c'est le dévouement et le professionnalisme de l'ensemble de nos forces armées que je veux saluer. En Afghanistan mais aussi en Bosnie, en Côte d'Ivoire, sur tous les théâtres d'intervention militaire où elles sont appelées, elles s'acquittent remarquablement de leurs missions de maintien de la paix dans des circonstances difficiles et avec des moyens trop souvent précaires. Ces hommes et ces femmes méritent le respect de toute la Nation. Ils défendent notre sécurité. Nous leur devons protection.
C'est pour mieux les protéger que doivent être tirées toutes les leçons de ce tragique fait de guerre. A l'évidence, nos troupes manquent d'un matériel adapté notamment en matière de renseignement et d'héliportage. Et l'actualité de ce week-end ne fait que confirmer, hélas, cette situation. C'est la responsabilité des autorités politiques et militaires de la défense nationale d'y remédier. Pour notre part, notre responsabilité est de savoir si les objectifs de la mission de nos troupes en Afghanistan, la sécurisation du territoire, l'éradication du terrorisme, la construction d'un Etat partie prenante de la communauté des Nations, sont en voie de réussite. Nous devons décider s'il faut poursuivre l'effort de la France, le réorienter ou bien l'arrêter.
Je m'étonne que pour prendre une décision aussi importante qui engage la vie de nos soldats, le Parlement ne dispose pas d'une évaluation précise de ce que nous avons fait en Afghanistan. Depuis un an, nos demandes répétées d'une mission d'information sont restées lettre morte. Ce n'est ni sérieux, ni admissible au regard des enjeux humains et stratégiques de ce vote.
Sur le principe cependant, je veux dire d'emblée de la manière la plus claire possible que la France ne peut pas, au regard des valeurs qu'elle défend, se désengager brutalement de l'Afghanistan. Parce qu'elle assume un mandat des Nations unies. Parce qu'elle refuse que se reconstruise à Kaboul le quartier général d'une organisation terroriste qui menace la sécurité de tous.
Mais je veux dire avec la même clarté: nous n'acceptons plus la dérive qui est à l'oeuvre en Afghanistan. En 2001, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient fixé un cadre précis à notre intervention: une solidarité envers le peuple américain; un acte de légitime défense, sous l'égide de l'ONU, pour briser le sanctuaire du terrorisme. Depuis l'intervention américaine en Irak en 2004, nous sommes en train de glisser vers une guerre d'occupation qui n'a plus de limites de temps et d'objectifs. Ce n'est ni la vocation de cette intervention, ni la conception de la France, ni l'intérêt de l'Afghanistan. Jusqu'où allons-nous aller dans la logique de guerre ? Avec quels objectifs ? Avec quel calendrier ? Ces questions que nous avons posées au président font partout débat en Europe et en Amérique.
Elles reposent sur un constat évident. Depuis la chute du régime Taliban, voilà sept ans, la situation de la coalition s'est gravement détériorée.
Au plan militaire, les combattants Talibans qui avaient été rejetés dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan et du Pakistan ont regagné près d'un tiers du territoire jusqu'à s'approcher des portes de Kaboul. Les troupes de la coalition sont harcelées dans une guérilla de plus en plus meurtrière. Près de 200 soldats ont été tués depuis le début de l'année. Des centaines d'autres ont été blessées.
Mais le plus grave est le retournement progressif de la population afghane. Accueillies comme des libérateurs, il y a sept ans, les forces alliées sont de plus en plus souvent perçues comme des occupants indésirables.
La stratégie américaine a grandement nourri ce ressentiment. En intervenant en Irak, en y détournant l'essentiel de ses forces militaires, en développant un message de croisade, elle a redonné souffle aux djihadistes et affaibli la légitimité de l'intervention en Afghanistan. Sur le terrain, la priorité donnée à l'éradication militaire des Talibans a produit l'effet contraire du but recherché. La bunkerisation des troupes pour défendre Kaboul et les grandes villes, les bombardements qui touchent les populations civiles, le manque d'aide et d'appui à leur endroit notamment dans les campagnes et les montagnes les ont trop souvent coupées de nous et jetées dans les bras des Talibans.
C'est la principale raison pour laquelle nous nous sommes opposés le 8 avril dernier à la décision discrétionnaire du Président de la République d'envoyer des renforts en Afghanistan et de les faire monter en première ligne. Il l'a fait non seulement en rupture avec son prédécesseur Jacques Chirac, mais aussi en contradiction avec ses propres engagements durant la campagne présidentielle. La France a acquitté sans mot dire les demandes de l'administration Bush. Elle n'a formulé aucune exigence sur les options politiques et militaires. Elle a renoncé à infléchir une stratégie qui échoue.
J'entends le Président de la République parler d'un effort supplémentaire, de l'envoi de nouveaux renforts matériels et humains. C'est oublier les avertissements de l'ancien chef d'état major de la coalition, le général Mac Neill, des militaires Russes bien placés pour connaître les pièges de l'Afghanistan ou encore de nos amis britanniques. Si l'on veut gagner la guerre en Afghanistan, ce ne sont pas quelques centaines d'hommes de plus qu'il nous faut sur le terrain. C'est une armée dix fois plus importante, rompue aux techniques de contre guérilla, immergée dans la population civile, préparée à un combat long et meurtrier.
La France est-elle prête, est-elle capable de participer à un tel engagement ? Sommes nous sûrs de sa réussite quand on se rappelle les guerres d'Algérie, du Vietnam, de l'Irak ? C'est le Président de la République lui-même qui a donné la réponse avant son élection : « Si vous regardez l'histoire du monde, aucune armée étrangère n'a réussi dans un pays qui n'était pas le sien. ». Eh bien je souscris complètement à ce constat. La solution durable en Afghanistan ne sera pas militaire. Elle sera politique.
Dans cet Orient compliqué, trop de simplismes nous ont égarés. Simplisme de l'administration américaine qui a divisé le monde entre le Bien et le Mal, entre la démocratie et le terrorisme. Simplisme du Président de la République qui s'est aligné sur cette vision en oubliant ce qui constitue notre autonomie de décision. Simplisme d'assimiler ce que nous faisons en Afghanistan au combat contre la barbarie nazie, comme l'a fait le chef de l'Etat à Maillé. Non il n'y a pas dans ce débat les libérateurs et les munichois, les durs et les angéliques.
Cette vision manichéenne est non seulement inepte... Elle est inadaptée à un pays comme l'Afghanistan aux frontières incertaines, morcelé par ses traditions tribales, gangrené par la misère et le trafic de l'opium, sans tradition étatique ou démocratique. Alors Non ! Ce n'est pas en diabolisant l'ennemi que nous allons le mettre en déroute. C'est en changeant ce qui ne marche pas.
Si les Américains veulent un engagement renforcé de leurs partenaires de la coalition, ils doivent en accepter la contrepartie : la mise en place d'un directoire politique et militaire où les Américains acceptent de partager les responsabilités avec leurs alliés. Comment en effet accepter que l'Europe ait engagé sur le terrain le plus fort contingent et qu'elle n'ait jamais son mot à dire. Ce directoire est pour elle l'occasion d'exister et de peser. Il regrouperait les missions d'enduring freedom et de l'ISAF et aurait pour tâche de définir de nouvelles options, de fixer un calendrier sur leur mise en oeuvre, et de prévoir l'échéancier d'un retrait progressif. L'ONU assurerait l'évaluation et le suivi de ce nouveau dispositif.
Là est notre plus grande divergence avec le président de la République et la réponse qu'il nous a adressée. En écartant toute idée de calendrier, en refusant de reconsidérer la mission, en affirmant « nous resterons aussi longtemps que nécessaire en Afghanistan », il donne comme seul horizon aux Français la poursuite d'une stratégie qui échoue. Eh bien ce n'est plus possible. Nous ne pouvons pas dire Oui à cette fin de non recevoir. Nous ne pouvons plus accepter d'avancer les yeux fermés dans un conflit sans fin.
Dans le même esprit, il faut rompre avec ce concept dangereux de la guerre des civilisations qui nous fait tant de mal en Afghanistan, en Irak et dans toute l'opinion arabe. La lutte contre le terrorisme et le fanatisme islamiste n'est pas une croisade occidentale comme le soutiennent les néoconservateurs. Ce n'est pas la démocratie face au reste du monde. Elle concerne le monde entier et au premier chef les pays arabes, beaucoup plus touchés que nous par les attentats. Elle concerne aussi la Chine, la Russie et même l'Iran... Associons les à la recherche d'une solution en Afghanistan. Cherchons avec eux un partenariat durable face au terrorisme. Construisons une vraie communauté de valeurs.
La troisième priorité est de reconquérir la confiance de la population afghane, de la couper des insurgés. La limitation des bombardements aveugles et de ce que l'on appelle pudiquement les dommages collatéraux ne suffit plus. Chaque pouce de territoire repris militairement doit être accompagné d'un véritable appui humanitaire et logistique et de la mise en place d'une ébauche d'administration. C'est la condition de ce que l'on appelle l'Afghanisation : construire un état afghan, une armée afghane, une communauté afghane à qui l'on donne les moyens de son développement et de sa stabilisation.
De l'aveu même du Conseil de sécurité de l'ONU, nous en sommes très loin. L'armée afghane est faible et n'est pas représentative de la composition ethnique du pays. La corruption et le trafic d'opium ont explosé. L'aide à la reconstruction, décidée à la conférence de Paris, est dispersée et arrive mal à la population. La France elle-même ne donne pas l'exemple en étant l'un des contributeurs les plus chiches.
On ne peut pas continuer comme ça. Il faut tout remettre en ordre, établir une planification, assurer un suivi drastique. Que les militaires et les fonctionnaires afghans soient payés, que les structures éducatives et sanitaires se développent. On peut même réfléchir à favoriser les paysans afghans plutôt que les trafiquants en trouvant un débouché légal à la culture de l'opium, pour la fabrication de médicaments par exemple.
Tout doit être fait pour isoler les Talibans et Al Qaïda. Tout doit être conçu pour les séparer. Les insurgés qui combattent la coalition ne sont pas tous des fanatiques. C'est aussi une coalition hétéroclite de fondamentalistes, de nationalistes, de chefs de tribu. Comme l'ont proposé les Britanniques, il ne faut plus hésiter à ouvrir un dialogue politique avec une partie d'entre eux. Le régime du président Karzaï a besoin d'une base politique et ethnique beaucoup plus large qui permette de détacher le gros des pachtouns d'Al Qaïda.
Là doit être notre objectif central : assécher la base du terrorisme, éviter qu'il contamine d'autres pays.
Et c'est le dernier terme de mon propos. Il n'y aura pas de stabilisation de l'Afghanistan sans une clarification avec le Pakistan. On ne peut plus accepter que l'allié principal des Etats-Unis dans cette région continue d'équiper et d'armer ceux qui combattent les troupes alliées en Afghanistan. Je sais les efforts qu'ont consenti les autorités pakistanaises pour y remédier, je connais les difficultés intérieures auxquelles elles ont à faire face. L'attentat d'Islamabad le rappelle douloureusement. Il faut aider les Pakistanais, non en s'arrogeant unilatéralement un droit de suite sur leur territoire, mais en leur proposant la mise en place d'un système de sécurité régionale qui intègre tous ses voisins et qui s'atèle à un règlement global des conflits de la région. Je pense à l'Afghanistan bien sûr mais aussi au Cachemire. Une conférence régionale sous l'égide de l'ONU pourrait amorcer le processus.
Voilà notre approche : un plan en 6 points pour construire les bases d'un règlement durable en Afghanistan.
Un directoire politique et militaire de la coalition
Une redéfinition de sa stratégie
L'élaboration d'un calendrier sur la mise en oeuvre des objectifs
Un échéancier sur la présence des troupes
La reconquête de la confiance de la population afghane par un véritable plan de développement
L'ouverture d'un dialogue politique avec ceux des insurgés qui s'y prêteront
L'association de tous les pays concernés par la stabilisation de l'Afghanistan et par le terrorisme
La clarification de l'attitude du Pakistan
Nous demandons que la France conditionne sa participation dans la coalition en Afghanistan à ce changement de stratégie. Nous voulons qu'elle engage le débat avec nos alliés. Si nous acceptons une escalade sans fin de la guerre, si nous continuons de nous enliser dans une logique militaire qui échoue, alors soyons sûrs que tôt ou tard nous serons forcés de plier bagage, moins à cause des Talibans que de nos opinions publiques. Soit nous changeons, soit nous serons contraints de partir ! Et alors nous aurons perdu !
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je regrette que face à un tel enjeu, le Président de la République n'ait pas su maintenir le consensus national que Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient construit lors de l'intervention en 2001. La cause nous réunit : vaincre le terrorisme et ceux qui le soutiennent. Les moyens d'y parvenir nous séparent. J'ai la conviction que le président a mis le pays dans un engrenage dangereux. J'ajoute que certains de ses propos nous ont heurtés. Je n'admets pas que la plus haute autorité de la République puisse dire aux représentants de la Nation : « ceux qui voteront Non au Parlement devront dire au pays que nos soldats sont morts pour rien. »
C'est justement parce que nous ne voulons protéger nos soldats que nous demandons le changement de la mission que leur confie la Nation. C'est parce que le Président et le gouvernement n'ont tiré aucune leçon des échecs en Afghanistan que nous refusons d'octroyer le blanc seing illimité que vous demandez.
Nous sommes dans un moment exceptionnellement grave. Nous ne votons pas contre la poursuite de l'engagement de la France en Afghanistan. Nous votons contre une conception politique et militaire qui nous conduit dans une impasse.
source http://www.deputessocialistes.fr, le 23 septembre 2008