Interview de M. Jean-François Copé, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 6 novembre 2008, sur l'élection de B. Obama à la présidence des Etats-Unis et sur la désignation du premier secrétaire du PS.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour J.-F. Copé. 84 % des Français sont heureux pour Obama, selon Le Parisien. Presque tous les députés se sont levés hier, ou à un moment, ont acclamé en plein hémicycle B. Obama. C'était beau, c'était juste, c'était légitime. B. Obama nous enflamme aujourd'hui et vous, dans "Génération France", vous dites : "Obamania ça ne suffit pas".
 
Oui, parce que je crois que cela a été un moment d'émotion fantastique. On a tous vécu ça et c'est vrai et ça l'est encore parce que c'est, je pense, vraiment un changement d'époque pour l'histoire américaine et puis pour une part, pour l'histoire du monde. En même temps, je pense que ce qui est très intéressant c'est d'aller un peu au-delà de cette "obamania", qui a un petit côté en même temps un peu naïf et sympa et qu'on a envie de vivre, donc il ne faut pas bouder notre plaisir. Mais simplement pour regarder la suite. Je crois qu'il y a un ou deux défis absolument majeurs pour Obama qui vont marquer sa présidence...
 
...Mais hier, que des élus de gauche (dont) on comprend l'engouement pour un président Démocrate, mais les élus de droite ! Vous prenez peut-être B. Obama pour un UMP modéré ou un UMP de gauche ?
 
Je crois surtout que les clivages droite-gauche aux Etats-Unis n'ont rien à voir avec les nôtres. Personne n'irait dire aux Etats-Unis qu'on oppose simplement les modernes et des archéos, ça va bien au-delà. Et chez nous, vous avez bien compris que c'était parfois l'inverse. Le vrai sujet, si je peux aller jusqu'au bout des choses, c'est quoi ? C'est qu'Obama il a un défi absolument majeur : il faut à la fois qu'il arrive à réconcilier l'Amérique avec elle-même et réconcilier l'Amérique avec le monde.
 
Sur le premier point, il est en train de réussir pour le moment.
 
Attendez ! C'est là où je dis justement qu'il faut éviter de tomber dans une trop grande naïveté. Il ne prend ses fonctions que dans trois mois...
 
Réveillons-nous ! ?
 
Il a surtout créé une espérance formidable et, du coup, comme tous les Présidents élus qui créent ces espérances, il faut aller assez vite. Il faut éviter de la décevoir. Donc être capable de réconcilier l'Amérique avec elle-même et en même temps la réconcilier avec le monde, parfois ce sont deux objectifs qui peuvent être contradictoires...
 
Vous voulez dire qu'il y aura des deux côtés de l'Atlantique des divergences, des contradictions ?
 
Je pense en tout cas, pour prendre juste cet exemple, réconcilier l'Amérique avec elle-même c'est aussi lui redonner une certaine fierté par rapport à ce que ce pays connaît depuis l'ère Bush. Cela veut dire à partir de là, qu'il aura parmi les grands choix à savoir s'il reste dans la grande tradition du bilatéralisme, dans la relation des Etats-Unis avec le reste du monde ; nous Américains, on décide avec le reste du monde, point. Ou bien est-ce qu'il inaugure une nouvelle ère qui serait celle d'une approche plus multilatérale ? Et on voit bien que ça, ça serait pour le coup un changement absolument majeur...
 
Par exemple, par exemple...
 
...Et donc, cela veut dire que dans sa relation avec l'Europe, on sait que les présidents américains ont toujours un peu de mal à conceptualiser qu'est-ce que c'est que l'Europe. Je ne parle même pas de la France. C'est vrai, que de ce point de vue, moi je suis ravi qu'on ait depuis quelque temps maintenant, sous l'initiative de N. Sarkozy, créé une nouvelle dynamique de relation avec les Américains, mais encore fautil bien sûr que chacun se fasse entendre et comprendre. Et on va voir ce qu'Obama...
 
Vous lui demandez à B. Obama de donner les premiers signes, par exemple dès le sommet des 20, le 15 à Washington ?
 
Ce sera évidemment le premier rendez-vous. Que va faire Obama des conclusions du G20 ? Nous, nous sommes arrivés, sous l'impulsion de la France et de l'Europe, avec des propositions très concrètes, pour dire : attention, ne nous trompons pas, les gens ne nous pardonneront pas si jamais, lorsque nous arriverons à endiguer la crise financière - parce que ça va évidemment arriver à un moment ou un autre - ne nous pardonneront pas de faire comme si rien ne s'était passé. Il va falloir réorganiser la régulation mondiale du point de vue financier et économique.
 
S'il relance l'économie américaine, c'est aussi bon pour nous ?
 
C'est exact, c'est la raison pour laquelle je disais tout à l'heure : réconcilier l'Amérique avec elle-même, cela voudra dire apporter des réponses très concrètes à la fois par rapport à la situation de millions d'Américains aujourd'hui, dont on a vu les images, expulsés de leur maison avec la crise des subprimes qui est un truc incroyable que nous n'avons jamais vu en France, et puis en même temps, assumer un Etat qui régule et puis qui, aux Etats-Unis, apporte une autre protection locale.
 
Est-ce que cela veut dire, J.-F. Copé, que vous nous dites d'arrêter d'organiser des débats du style "Est-ce qu'un Noir peut être président de la République en France" ; "A quand les minorités " ?
 
En même temps, c'est un débat très humain. C'est normal qu'on se pose ces questions puisque en fait, nous aussi on est taraudé par ces débats sur la question de l'intégration, par rapport à nos populations qui évidemment ne sont plus les mêmes qu'il y a 30, 40 ou 50 ans. Je pense la chose suivante : il ne faut pas s'inquiéter de ces sondages. Quand on dit "ah oui, mais tel % de Français ne voudraient pas de Président d'origine noire, de couleur noire ou d'origine magrébine"... Moi je vous donne mon sentiment : je pense que le problème se posera de moins en moins comme cela. Les peuples ils sont de plus en plus matures par rapport à ces questions et ils choisissent le dirigeant qu'ils considèrent bons pour le pays au moment de...
 
J.-F. Copé, tout à l'heure, ici même avec M.-O. Fogiel, D. de Villepin disait : "la rupture prend le risque de la division ; Obama, c'est au contraire la réconciliation". Si le PS ne surmonte pas ses divisions et si l'UMP aujourd'hui "cornérisé", dit-il, n'est pas capable de se renouveler, il y aura un espace et une grande stratégie nouvelle à bâtir.
 
D'abord, je crois qu'il faut toujours être un peu prudent dans les comparaisons entre les pays. C'est normal, là encore c'est une tentation qu'on a tous, mais comparer la situation américaine avec celle de la France trouve assez vite ses limites. Il y a un point quand même que je veux dire, puisqu'on parle de cette question, c'est que lorsque N. Sarkozy a lancé son discours d'investiture le 14 janvier 2007, il a dit, évoquant la mémoire des grands hommes d'Etat français : "ils m'ont enseigné, disait N. Sarkozy, à moi petit Français de sans mêlé, l'amour de la France et la passion d'être Français". En assumant cela dès le début de sa campagne, il a fait la démonstration que les Français voulaient choisir le candidat qu'ils considéraient comme étant celui qui allait apporter des réponses. Après, je dirais c'est vrai qu'Obama de ce point de vue, c'est une nouvelle ère pour les Etats-Unis, c'est une nouvelle époque. On est en train de changer de génération et d'époque. Attendons de voir le résultat. Maintenant, la comparaison, si je peux me permettre, elle s'arrête là. On ne va pas faire tous les jours, toutes les semaines la comparaison " qui est en rupture et qui n'est pas en rupture ?". La France de 2007, elle avait besoin d'un électrochoc, mais ce n'était pas un pays dépressif, alors que l'Amérique d'aujourd'hui est un pays dépressif, qui a besoin de renouer avec la croissance et le succès. Nous on était dans une autre logique, on avait besoin d'un électrochoc et c'est cela qu'a donné le président de la République.
 
Et vous dites qu'on l'a eu ?
 
Bien sûr qu'on l'a eu. Alors, après, on peut discuter des résultats, on les verra bien, mais nous, on le soutient à fond pour ça, parce que ces réformes là, personne n'avait vocation à les faire mieux que lui et personne ne regrette que S. Royal ne soit pas élue, même à gauche.
 
Justement, pour l'Amérique, vous votiez Obama ; pour le PS, qui préférez-vous ce soir ?
 
Je n'en sais rien. Je vous le dis franchement, là encore...
 
Le meilleur adversaire, Delanoë, Royal, Hamon, Aubry ?
 
Ça, c'est le boulot des porte-parole ; les porte-parole des partis politiques font ça très bien. Moi, j'ai été porte-parole assez longtemps, je n'ai plus d'avis sur le sujet. On prendra qui on aura en face ; la seule chose que je peux vous dire, c'est que le PS d'aujourd'hui, qui ressemble d'ailleurs cruellement à ce qu'était la droite d'il y a dix ans, c'est-à-dire incapable d'assumer ses convictions ni de crever ses abcès idéologiques, tire tout le monde vers le bas, puisque le PS d'aujourd'hui est incapable d'être constructif sur rien, sauf une fois sur le "Grenelle de l'environnement". Et encore ! Ils n'auraient pas voté le "Grenelle de l'environnement", on n'aurait plus rien compris.
 
Vous voulez que le Parlement, en tout cas la majorité, coproduise les lois. L'exécutif vous rappelle que nous vivons sous la Vème République. Est-ce que vous êtes un complément du pouvoir ou un contre-pouvoir ?
 
Certainement pas un contre-pouvoir. Alors, ceux de mes amis qui disent qu'avec la majorité parlementaire, il faudrait faire un contre-pouvoir, à mon avis, se méprennent totalement. C'est un pouvoir. Ce n'est pas du tout la même chose. L'idée, elle est assez simple...
 
Mais un pouvoir, cela fait face à un pouvoir...
 
Pas forcément face, pour un autre. Je voudrais qu'on sorte de cette idée, qui est très vieille que la politique ne doit être qu'affrontement. Je vois bien les comparaisons. Elles n'ont aucun sens. Moi, je veux que ça marche. Moi, mon objectif est que le quinquennat de N. Sarkozy soit un fantastique succès. Il faut arrêter ! Moi, je suis hanté par les rivalités de mes aînés qui, entre eux, finalement, ont fait perdre notre famille politique. Simplement, cela peut vouloir dire que l'on coproduise les réformes. Parce que chacun de nos députés - on est 320 - a sa part d'idée, de vérité, sa part d'histoire, sa part d'expérience.
 
Vous voulez soutenir le pouvoir actuel jusqu'à la fin du quinquennat au moins ?
 
Et surtout avec une obsession, être utile. Etre utile aux gens, être utile à la réussite de ce quinquennat, et donc y apporter notre contribution. Juste un mot, si je peux me permettre. La coproduction législative, c'est déjà comme ça dans toutes les grandes démocraties. Regardez le Etats-Unis !
 
Oui, mais là bas, c'est un régime présidentiel. Qui est le chef de la majorité ?
 
Oui, mais il ne vous a pas échappé que la nouvelle Constitution nous amène à un régime qui est de plus en plus présidentiel.
 
Qui est le patron ?
 
Le patron du groupe, c'est votre serviteur à l'Assemblée.
 
Non, au-delà du groupe...
 
Ecoutez, je ne sais pas. Ça, c'est un débat éternel. Je crois que le président de la République est bien placé pour pouvoir, là où il est, conduire les réformes qui sont les leurs. Moi, en ce qui me concerne, je fais les miennes, je fais mon boulot à mon niveau et je vous l'ai dit, avec un objectif, que ça marche.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 novembre 2008