Texte intégral
Cher René Koering,
Il est des plaisirs, dans mon métier de ministre, auxquels je ne résiste pas. L'exercice auquel je dois me livrer aujourd'hui en est un : vous exprimer tout ce que nous vous devons n'est pas chose facile, mais je m'en acquitte volontiers. Et pas seulement parce que nous sommes tous deux Alsaciens, ce qui me touche évidemment.
Bien sûr, l'hommage qui vous est rendu aujourd'hui est un honneur qui rejaillit sur votre terre natale. Mais vous le partagez d'abord avec ce monde de la culture, de la musique et de la création que vous avez servi avec tant d'énergie et de brio.
Je passerai sur vos débuts strasbourgeois de pianiste, de chef et bientôt de compositeur. J'étais encore une enfant ; vous étiez déjà devenu l'homme de conviction et l'artiste séduisant que nous admirons.
Le cap des vingt ans à peine franchi, vous avez été l'invité des plus grands festivals de musique contemporaine, bien au-delà des frontières de l'Alsace. La carrière s'ouvrait pour vous, brillante, jalonnée déjà de récompenses, de prix, de distinctions, qui manifestaient la reconnaissance du monde musical tout entier.
Homme d'action, vous avez trouvé votre terrain, si j'ose dire sur les ondes radiophoniques. Vous nous avez d'abord offert comme producteur, puis à partir de 1981, en qualité de directeur de France Musique, les plus belles années, sans doute, de l'histoire de cette grande chaîne de service public.
Qui, du simple mélomane au musicien professionnel, peut oublier ces journées thématiques qui révélaient la radio française à l'écoute du monde entier ? Qui peut oublier vos"leçons de musique" commentant aussi bien des oeuvres que nous croyons trop bien connaître que d'autres que vous nous avez fait découvrir au gré de votre passion ? Qui peut oublier que vous seul avez rêvé, et surtout réalisé ce festival de Montpellier, qui célébrait alors la réconciliation de Radio France avec la vie musicale.
C'est ici, à Montpellier, que vous avez réalisé cet idéal de convivialité qui inspire toute vos entreprises. A la tête du festival depuis quinze ans, et, depuis 1990, directeur de l'Orchestre philharmonique, vous êtes l'un des artisans essentiels de la transformation de cette ville en une des grandes capitales culturelles de notre pays, selon la volonté de son maire Georges Frêche. C'est assurément l'importance décisive de votre action qui a fait de vous l'une des cibles de ces atteintes à la culture dont la région où nous nous trouvons a été le théâtre, tout au long des derniers mois.
Je sais que de telles attaques ne font que décupler votre courage et votre énergie. Mais je mesure aussi le prix du soutien efficace et militant que vous attendez de nous. Ce soutien ne vous fera pas défaut.
Ceux qui ne vous connaissent pas pourraient s'étonner de vous voir, malgré votre activité débordante de programmateur, d'organisateur, de gestionnaire, de metteur en scène à l'occasion, poursuivre votre oeuvre de compositeur avec la même détermination.
Ceux qui vous connaissent bien, en revanche, ne s'en sont jamais étonnés. D'abord parce qu'ils savent que votre énergie est sans limites. Mais aussi parce qu'ils connaissent votre amour de la musique, la force que vous en tirez pour promouvoir inlassablement la musique, et demeurer l'artiste et le créateur vibrant de sensibilités et impavide devant l'adversité.
Ce que vous dites sur votre création est toujours dominé par une modestie désinvolte, parce que vous détestez la pose et la grandiloquence. Pourtant, je sais ce que vos oeuvres, elles nous disent de vous, de votre exigence, de la finesse de votre sens esthétique, de votre sensibilité et de ce sens tragique que vous avez laissé s'exprimer pleinement dans certains de vos opéras, je songe particulièrement à Elseneur et la Marche de Radetzky.
De tout cela, cher René Koering, nous vous sommesinfiniment redevables. La vie musicale de ces trente dernières années n'aurait pas été aussi riche sans ce que vous lui apportez : la générosité de l'homme autant que de l'artiste, et l'imagination qui aura suscité une écoute différente de la musique.
Cher René Koering, pour toute ces raisons, j'ai le grand plaisir, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, de vous faire chevalier de l'ordre national de la Légion d'Honneur.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 29 mars 1999)