Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, dans "La Tribune" du 24 novembre 2008, sur l'impact de la crise économique sur la mise en place du Grenelle de l'environnement.

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La crise ne va-t-elle pas freiner la dynamique du Grenelle de l'environnement ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Les députés ont apporté le meilleur démenti à cette inquiétude. Seuls deux à trois d'entre eux estimaient que ce n'était pas le moment de discuter de la loi Grenelle I. Au moment de la Charte de l'environnement, succès, pour obtenir un vote à l'unanimité. C'est ce que l'on a réussi à obtenir, avec Jean-Louis Borloo, à l'Assemblée nationale. Je ne peux que me féliciter du chemin parcouru.
Certes, mais Grenelle I n'est pas très contraignant... et Grenelle II est en retard...
N. K. M. : Quand même ! À partir de 2012, aucun permis de construire ne sera délivré s'il n'est pas homologué basse consommation ! Et à partir de 2010, pour les bâtiments publics ! C'est du solide. Après le Sénat en janvier, la loi sera adoptée fin février. Mais une grande part du Grenelle I trouve déjà son application dans la loi de finances, dont 14 des 23 mesures fiscales concernent la fiscalité verte, applicable au 1er janvier 2009 (éco-PTZ, augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes...). Le Grenelle II, qui est la boîte à outils du Grenelle I, viendra en discussion en urgence dès que le Grenelle I sera voté. De toute façon, le Grenelle est un processus permanent. Dès que les dispositifs sont prêts, nous les faisons inscrire et nous ne nous interdisons aucun vecteur... C'est une révolution verte permanente, transformant nos systèmes de production et de consommation.
La crise financière occulte la crise écologique. Pourtant, ne va-t-on pas être amené à changer de modèle économique ?
N. K. M. : Dire qu'on règle d'abord la crise financière et qu'on reparlera plus tard de la crise écologique est ringard. Nous n'en sommes plus aux temps où l'environnement était le « petit supplément d'âme ». Ces deux crises sont liées. La crise financière est une crise de la rentabilité à court terme et du virtuel. L'écologie est sur des horizons longs : on cherche des financements longs, les retours sur investissement sont à long terme et on travaille sur les vrais besoins des sociétés humaines. Dans trente ans, on aura toujours besoin de se déplacer, de se loger... L'argent reviendra vers l'écologie, parce que c'est une opportunité pour trouver une nouvelle compétitivité. C'est ce que nous appelons la croissance verte.
Le consommateur va-t-il jouer le jeu, alors que son pouvoir d'achat est menacé ?
N. K. M. : Les produits écologiques coûtent souvent plus cher à l'achat, mais sont rentables dans la durée. Prenez les ampoules basse consommation, qui coûtent cinq fois plus, mais qui, sur 15.000 heures d'utilisation, permettent d'économiser 90 euros. De même, pour un pavillon de 130 m2, mal isolé, le chauffage coûte 1.800 euros par an, contre 250 euros en bâtiment basse consommation. C'est comme cela qu'on a construit le Grenelle de l'environnement, pour faire franchir le pas vers un investissement bon pour l'environnement mais aussi pour le pouvoir d'achat à long terme.
Jusqu'à quel point avons-nous conscience de ce pouvoir vert ?
N. K. M. : L'information est essentielle. Un des objectifs du Grenelle est l'étiquetage écologique, au-delà de l'étiquetage énergétique qui existe déjà. Certaines marques de grande distribution s'y sont engagées pour inciter le consommateur à mettre ses achats en conformité avec son éthique. L'étiquetage écologique, ajouté à la fiscalité, cela devient un signal fort. Avec le bonus-malus sur l'automobile, on a déplacé 50 % du marché, là où les économistes nous prédisaient seulement 5 à 10 %. On a vraiment bousculé le marché.
N'y a-t-il pas eu un défaut d'anticipation de la part des grands industriels de l'automobile ?
N. K. M. : Cela dépend beaucoup des marques. À leur décharge, on est à un stade où la technologie laisse encore beaucoup de possibilités ouvertes. Mais on a dépassé la recherche d'amorçage du début et on est sur le point de passer à la pré-industrialisation, donc d'investir beaucoup d'argent.
L'ouverture des magasins le dimanche ne risque-t-elle pas d'avoir un impact environnemental négatif, du fait des déplacements, des dépenses d'énergie pour le chauffage ou la climatisation de ces magasins ?
N. K. M. : Pour moi, l'impact environnemental n'est pas forcément lié à l'ouverture ou non le dimanche, mais à la façon dont on construit nos supermarchés et à celle dont on les irrigue. Dans la loi de modernisation économique (LME), nous avons fait basculer le dispositif d'autorisation des nouvelles capacités commerciales en le fondant désormais sur des critères de développement durable comme la présence de transports en commun.
N'y a-t-il pas un risque de formation d'une bulle « verte » ?
N. K. M. : Je ne le crois pas. Nous sommes dans des fondamentaux, pas dans des effets de mode, même s'il peut y avoir des engouements injustifiés sur tel ou tel produit, telle ou telle technologie, tel ou tel service... L'environnement va attirer de plus en plus d'investissements, c'est légitime. Cela ne signifie pas que certains ne vont pas se tromper. Le « green washing » sera rejeté, car le consommateur est en quête de sens. L'entreprise qui essaiera de le tromper ne pourra pas le faire longtemps. En fait, l'environnement est un système qui s'autorégule bien. Ce qui marche dans l'écologie, c'est le produit vraiment exigeant. Par exemple, la cosmétique bio est un produit d'avenir. De même, pour les équipements d'ameublement et de décoration plus respectueux de la qualité de l'air intérieur.
Barack Obama va-t-il vraiment rallier les États-Unis au processus de Kyoto sur le climat ?
N. K. M. : Son élection est attendue comme une immense espérance. Le monde attend quelque chose de Barack Obama. L'environnement est un des sujets majeurs sur lesquels son image mondiale va se former. L'attente est telle qu'il peut y avoir très vite un effet de confirmation ou un effet de déception, de retour en arrière.
Cela se verra-t-il dès la conférence de Poznan sur le climat, début décembre, en Pologne ?
N. K. M. : La nouvelle administration n'est pas encore là. Manifestement, sur le G20, ils ont choisi de ne pas s'investir. Seront-ils présents à Poznan ? Je le souhaite même si, dès la conférence de Varsovie, l'idée avait été évoquée d'une conférence intermédiaire entre Poznan et Copenhague, dans un an, là où seront prises les décisions sur l'après-Kyoto.
Dans le programme d'Obama pour ce qui concerne les émissions de CO2, c'est pratiquement le seul volet où il fait confiance au marché...
N. K. M. : L'objectif affiché pendant sa campagne était formidable. C'était le même que celui de l'UE : une réduction de 80 % des émissions à l'horizon 2050. Même s'il paraît parfois remis en cause aujourd'hui, cela n'a rien à voir avec les positions de l'administration Bush. Par ailleurs, je m'intéresse beaucoup à ce qui se passe aux États-Unis sur les questions environnementales. Notre regard en France là-dessus est très faux parce qu'on ne voit que ce que fait l'administration fédérale. Les États-Unis vont vers l'environnement à travers des thématiques qui ne sont pas forcément les nôtres. Sur certaines, ils peuvent être très en avance sur nous, par exemple ils sont très mobilisés sur la question des coraux ; ils ont une vraie politique de gestion des espaces naturels, avec une vision sur le sauvage très particulière. Certains États ou certaines villes ont développé des politiques locales vraiment solides, parfois critiquables. Ainsi, en Californie, ils lancent une autoroute de l'hydrogène, qu'ils produisent avec des compresseurs à gaz.
L'Europe arrivera-t-elle unie à la conférence de Poznan ?
N. K. M. : C'est le pari que nous faisons. Nous nous réjouissons que le Parlement européen choisisse de tenir un débat début décembre plutôt qu'un vote. Cela peut sembler paradoxal mais dans le processus de négociation, et pour réussir à Poznan, c'est mieux. Les Tchèques, qui assureront la présidence de l'UE après la France, comme tous les États membres savent bien qu'il faut y aller maintenant. Ce serait un comble de voir l'Europe, actuellement moteur de la négociation sur le changement climatique, pointée du doigt à la réunion de Copenhague.
Interview réalisée par Robert Jules, Philippe Mabille et Dominique Pialot.
Source http://www.u-m-p.org, le 26 novembre 2008