Texte intégral
S. Paoli - L. Jospin a-t-il répondu, hier soir, au message des municipales ? Pas de changement de cap, pas d'annonces nouvelles, la pédagogie d'un bilan qui fait de la France, dit-il, le moteur économique de l'Europe suffiront-ils à convaincre que quatre ans d'exercice du pouvoir laisse intacte la dynamique politique du Gouvernement ? Vous avez déjà fait un commentaire très critique sur la prestation télévisée du Premier ministre.
- "Non, pas très critique, lucide. Quand j'ai vu le Premier ministre hier, je me suis aussi demandé ce qu'il lui arrivait. Généralement, il a l'air assez décontracté et très sûr de lui quand il passe à la télévision. Là, je l'ai trouvé totalement sur la défensive, embarrassé, un peu comme s'il commençait à se rendre compte que finalement la situation lui échappe depuis longtemps."
Avez-vous eu l'impression que ce qui lui importait surtout hier soir, en commençant l'entretien, c'était de montrer qu'au fond il ne s'énervait pas, qu'il maîtrisait et qu'il assurait ? A-t-il plus joué la forme que le fond d'après vous ?
- "Oui. Il a toujours tendance à jouer d'avantage la forme, ce qui est logique à la télévision. La télévision est surtout une impression d'image ; la radio, c'est plus le fond. Au-delà, il apparaissait effectivement embarrassé, très peu souriant. Une chose m'a beaucoup frappée : il est apparu éloigné des Français. Je m'attendais - la moindre des choses c'était qu'il le fasse - à ce qu'il s'adresse directement par exemple à ceux qui subissent les inondations dans la Somme, à ce qu'il ait un petit mot de compassion pour eux, de soutien. J'aurais attendu, lorsqu'il a parlé des licenciements, qu'il s'adresse aux licenciés, qu'il dise qu'il comprend leur angoisse mais il n'y a rien eu de tout cela. Il y a eu une sorte d'analyse très distante finalement, très "techno" des problèmes."
Est-ce que ce n'est la fonction du Premier ministre au fond ce que vous décrivez là ? Est-ce qu'un Premier ministre n'est pas là après tout uniquement pour gouverner ? Sinon, il y aurait eu des critiques ce matin pour dire "c'est de l'électoraliste, il est populiste, il en met une petite couche pour les pauvres gens qui sont dans la Somme les pieds dans l'eau." Alors que là ,au contraire, il a voulu garder une distance.
- "Gouverner c'est écouter ce que disent les gens, savoir ce que sont leurs problèmes, montrer que l'on comprend leurs problèmes et y apporter des solutions. Hier soir, j'ai trouvé que le Premier ministre parlait beaucoup des problèmes des syndicats de transports, parlait des problèmes de ces structures administratives et qu'il ne parlait pas des problèmes des Français, qu'il n'apportait pas de solution aux Français. Il n'a pas apporté de solution aux personnes qui dans les banlieues subissent quotidiennement les agressions d'un certain nombre de jeunes. Il n'a pas apporté de réponse sur la sécurité : il a même dit par rapport à l'ordonnance de 1945 qui concerne les jeunes délinquants que ce serait reporté à plus tard. Il n'a pas parlé des Français qui ont des difficultés à vivre et qui voient, dans une période où la croissance est considérable, leur pouvoir d'achat stagner voire diminuer. Il a dit que le pouvoir d'achat des Français avait globalement augmenté de 1 % à un moment où nous avions une croissance de plus de 3 %. On aurait pu attendre - et cela aurait été la moindre des justice - que les Français puissent bénéficier eux aussi de cette croissance qui nous vient d'ailleurs essentiellement de l'extérieur. Il ne l'a pas fait et il n'a pas apporté de réponse. Pour ce qui concerne les licenciements, c'est la même chose. En dehors de dire : "on va y réfléchir, on va discuter, on va réglementer", il n'a pas apporté de véritables perspectives. On a vraiment eu, là, la confirmation d'un Gouvernement qui au bout de quatre ans est un Gouvernement à bout d'idées."
Vous êtes évidemment dans votre rôle d'opposition c'est-à-dire très critique.
- "Je constate que je ne suis pas la seule ce matin. Je constate que c'est quasi unanime en dehors du parti socialiste qui, je dirais, est dans son rôle de soutien à son leader. Je constate que tous les syndicats, tous les partis, y compris d'ailleurs les partis de la gauche plurielle, sont extrêmement critiques vis-à-vis de l'absence de proposition du Premier ministre. Aujourd'hui, il y a des grandes réformes qui sont nécessaires. Je dis depuis longtemps que le Premier ministre a renoncé finalement à faire la réforme des retraites, à faire la réforme de l'Etat, à faire la réforme de la fiscalité, à faire la réforme de l'éducation nationale, tous ces points sur lesquels nous, dans l'opposition, nous travaillons à travers nos forums chaque mardi. Nous proposons un certain nombre de choses. Là, on a l'impression que tout est gelé parce que quoi qu'il dise, M. Jospin veut se présenter aux élections présidentielles. Pour cela, il ne veut pas de conflits actuellement avec sa majorité et il ne veut pas non plus risquer de déplaire à une partie de son électorat."
Il dit au fond : "Je gouverne. Je n'ai pas de choses spectaculaires à vous dire. Je gouverne et j'ai un bilan qui fait qu'aujourd'hui la France est le moteur économique de l'Europe." Est-ce une si mauvaise stratégie à vos yeux ?
- "Ce qui me parait très curieux, c'est que M. Jospin s'est contredit - cela n'a pas été la seule fois d'ailleurs au cours de cet entretien - en contredisant même la réalité. Je ne sais pas si vous l'avez noté mais trois minutes après nous avoir dit que la France était le moteur économique de l'Europe, il nous a dit que l'Allemagne était la plus grande puissance économique de l'Europe. Il y a un minimum de contradiction en la matière. Contradiction d'ailleurs que simplement le constat de la réalité souligne. Si nous voyons en matière de chômage ce qui s'est passé, la France - Dieu merci pour les personnes qui sont concernées ! - a réduit son chômage mais bien moins proportionnellement que ne l'ont fait l'Espagne et la Grande-Bretagne. Proportionnellement, la France a fait moins bien. Lorsque nous regardons la diminution du poids fiscal qui pèse sur les ménages, la diminution a été bien plus considérable en Allemagne ou en Grande-Bretagne qu'elle ne l'a été chez nous. Dans tous les domaines, c'est un petit peu la même chose. Moi, ce qui m'a frappé, c'est de voir justement comment le Premier ministre, parce qu'il était gêné pour se justifier, pour expliquer, a ainsi tordu un certain nombre de choses. Je vous parlais tout à l'heure de la croissance et du pouvoir d'achat. Il se vante du pouvoir d'achat mais je dis qu'il n'est pas à la hauteur de la croissance que nous aurions pu faire. Il nous a parlé de la réduction du déficit budgétaire en oubliant simplement une chose : il y a moins de 15 jours, les instances européennes ont alerté la France d'une façon très officielle en disant qu'il n'y avait pas eu d'efforts suffisants pour réduire le déficit budgétaire et le poids du budget de l'Etat. Il n'en a pas parlé. Dans tous ces domaines, on sent effectivement que le Premier ministre n'est pas à l'aise, essaye de se justifier mais a du mal à justifier son action passée parce qu'il n'a pas su bénéficier de la conjoncture exceptionnelle que nous avons connue en France. D'un autre côté, il ne peut pas non plus parler de l'avenir parce que du fait de la division de sa majorité plurielle et du fait qu'il est en panne d'idées, il n'a plus rien véritablement à proposer qui ait le souffle suffisant pour répondre aux attentes directes de nos concitoyens."
Avez-vous été surprise - ou peut-être séduite - quand il a invoqué de Gaulle sur le calendrier électoral et pourquoi pas d'ailleurs sur sa candidature présidentielle ?
- "Ce que j'ai trouvé intéressant, c'est que le Premier ministre n'avait pas l'air de savoir qu'en 1958, le général de Gaulle a accepté que le Président de la République soit élu après. Donc, il s'est trompé."
Sur le fait qu'il se présentera à la candidature présidentielle si cela était souhaité, est-ce une posture gaullienne à vos yeux ?
- "Je dirais que c'est un peu politicien : "Cédant à la bienveillante pression de mes amis je me sens obligé de me présenter." Qui va penser que le Premier ministre, surtout le jour où il fait voter l'inversion du calendrier électoral pour justement pouvoir se présenter à l'élection présidentielle dans une moins mauvaise situation que si les législatives avaient eu lieu avant, n'a pas comme préoccupation majeure sa candidature à l'élection présidentielle ?"
Vous avez donc l'impression, hier soir, d'avoir vu un homme en campagne donc pour la présidentielle, malgré le fait qu'il s'en est défendu pendant pratiquement toute la durée de l'entretien et jusqu'à la fin ?
- "C'est évident, c'était le principe même de cette émission hier soir. Pourquoi le Premier ministre a-t-il fait cette émission ? Pour annoncer des mesures qu'il avait déjà annoncées il y a une dizaine de jours ? Non. Ces mesures avaient été mal acceptées et il a voulu essayer de rattraper les choses en les mettant dans un contexte, en essayant de justifier par le passé - par ce qu'il appelle son bilan. Je crois qu'il a échoué hier soir. Je puis vous assurer qu'à mon sens, s'il n'avait pas été candidat à l'élection présidentielle il n'aurait pas souhaité faire cette émission et dans ces conditions. c'est-à-dire en choisissant sa chaîne et en éliminant le journaliste qui généralement est celui qui présente cette émission."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 18 avril 2001)
- "Non, pas très critique, lucide. Quand j'ai vu le Premier ministre hier, je me suis aussi demandé ce qu'il lui arrivait. Généralement, il a l'air assez décontracté et très sûr de lui quand il passe à la télévision. Là, je l'ai trouvé totalement sur la défensive, embarrassé, un peu comme s'il commençait à se rendre compte que finalement la situation lui échappe depuis longtemps."
Avez-vous eu l'impression que ce qui lui importait surtout hier soir, en commençant l'entretien, c'était de montrer qu'au fond il ne s'énervait pas, qu'il maîtrisait et qu'il assurait ? A-t-il plus joué la forme que le fond d'après vous ?
- "Oui. Il a toujours tendance à jouer d'avantage la forme, ce qui est logique à la télévision. La télévision est surtout une impression d'image ; la radio, c'est plus le fond. Au-delà, il apparaissait effectivement embarrassé, très peu souriant. Une chose m'a beaucoup frappée : il est apparu éloigné des Français. Je m'attendais - la moindre des choses c'était qu'il le fasse - à ce qu'il s'adresse directement par exemple à ceux qui subissent les inondations dans la Somme, à ce qu'il ait un petit mot de compassion pour eux, de soutien. J'aurais attendu, lorsqu'il a parlé des licenciements, qu'il s'adresse aux licenciés, qu'il dise qu'il comprend leur angoisse mais il n'y a rien eu de tout cela. Il y a eu une sorte d'analyse très distante finalement, très "techno" des problèmes."
Est-ce que ce n'est la fonction du Premier ministre au fond ce que vous décrivez là ? Est-ce qu'un Premier ministre n'est pas là après tout uniquement pour gouverner ? Sinon, il y aurait eu des critiques ce matin pour dire "c'est de l'électoraliste, il est populiste, il en met une petite couche pour les pauvres gens qui sont dans la Somme les pieds dans l'eau." Alors que là ,au contraire, il a voulu garder une distance.
- "Gouverner c'est écouter ce que disent les gens, savoir ce que sont leurs problèmes, montrer que l'on comprend leurs problèmes et y apporter des solutions. Hier soir, j'ai trouvé que le Premier ministre parlait beaucoup des problèmes des syndicats de transports, parlait des problèmes de ces structures administratives et qu'il ne parlait pas des problèmes des Français, qu'il n'apportait pas de solution aux Français. Il n'a pas apporté de solution aux personnes qui dans les banlieues subissent quotidiennement les agressions d'un certain nombre de jeunes. Il n'a pas apporté de réponse sur la sécurité : il a même dit par rapport à l'ordonnance de 1945 qui concerne les jeunes délinquants que ce serait reporté à plus tard. Il n'a pas parlé des Français qui ont des difficultés à vivre et qui voient, dans une période où la croissance est considérable, leur pouvoir d'achat stagner voire diminuer. Il a dit que le pouvoir d'achat des Français avait globalement augmenté de 1 % à un moment où nous avions une croissance de plus de 3 %. On aurait pu attendre - et cela aurait été la moindre des justice - que les Français puissent bénéficier eux aussi de cette croissance qui nous vient d'ailleurs essentiellement de l'extérieur. Il ne l'a pas fait et il n'a pas apporté de réponse. Pour ce qui concerne les licenciements, c'est la même chose. En dehors de dire : "on va y réfléchir, on va discuter, on va réglementer", il n'a pas apporté de véritables perspectives. On a vraiment eu, là, la confirmation d'un Gouvernement qui au bout de quatre ans est un Gouvernement à bout d'idées."
Vous êtes évidemment dans votre rôle d'opposition c'est-à-dire très critique.
- "Je constate que je ne suis pas la seule ce matin. Je constate que c'est quasi unanime en dehors du parti socialiste qui, je dirais, est dans son rôle de soutien à son leader. Je constate que tous les syndicats, tous les partis, y compris d'ailleurs les partis de la gauche plurielle, sont extrêmement critiques vis-à-vis de l'absence de proposition du Premier ministre. Aujourd'hui, il y a des grandes réformes qui sont nécessaires. Je dis depuis longtemps que le Premier ministre a renoncé finalement à faire la réforme des retraites, à faire la réforme de l'Etat, à faire la réforme de la fiscalité, à faire la réforme de l'éducation nationale, tous ces points sur lesquels nous, dans l'opposition, nous travaillons à travers nos forums chaque mardi. Nous proposons un certain nombre de choses. Là, on a l'impression que tout est gelé parce que quoi qu'il dise, M. Jospin veut se présenter aux élections présidentielles. Pour cela, il ne veut pas de conflits actuellement avec sa majorité et il ne veut pas non plus risquer de déplaire à une partie de son électorat."
Il dit au fond : "Je gouverne. Je n'ai pas de choses spectaculaires à vous dire. Je gouverne et j'ai un bilan qui fait qu'aujourd'hui la France est le moteur économique de l'Europe." Est-ce une si mauvaise stratégie à vos yeux ?
- "Ce qui me parait très curieux, c'est que M. Jospin s'est contredit - cela n'a pas été la seule fois d'ailleurs au cours de cet entretien - en contredisant même la réalité. Je ne sais pas si vous l'avez noté mais trois minutes après nous avoir dit que la France était le moteur économique de l'Europe, il nous a dit que l'Allemagne était la plus grande puissance économique de l'Europe. Il y a un minimum de contradiction en la matière. Contradiction d'ailleurs que simplement le constat de la réalité souligne. Si nous voyons en matière de chômage ce qui s'est passé, la France - Dieu merci pour les personnes qui sont concernées ! - a réduit son chômage mais bien moins proportionnellement que ne l'ont fait l'Espagne et la Grande-Bretagne. Proportionnellement, la France a fait moins bien. Lorsque nous regardons la diminution du poids fiscal qui pèse sur les ménages, la diminution a été bien plus considérable en Allemagne ou en Grande-Bretagne qu'elle ne l'a été chez nous. Dans tous les domaines, c'est un petit peu la même chose. Moi, ce qui m'a frappé, c'est de voir justement comment le Premier ministre, parce qu'il était gêné pour se justifier, pour expliquer, a ainsi tordu un certain nombre de choses. Je vous parlais tout à l'heure de la croissance et du pouvoir d'achat. Il se vante du pouvoir d'achat mais je dis qu'il n'est pas à la hauteur de la croissance que nous aurions pu faire. Il nous a parlé de la réduction du déficit budgétaire en oubliant simplement une chose : il y a moins de 15 jours, les instances européennes ont alerté la France d'une façon très officielle en disant qu'il n'y avait pas eu d'efforts suffisants pour réduire le déficit budgétaire et le poids du budget de l'Etat. Il n'en a pas parlé. Dans tous ces domaines, on sent effectivement que le Premier ministre n'est pas à l'aise, essaye de se justifier mais a du mal à justifier son action passée parce qu'il n'a pas su bénéficier de la conjoncture exceptionnelle que nous avons connue en France. D'un autre côté, il ne peut pas non plus parler de l'avenir parce que du fait de la division de sa majorité plurielle et du fait qu'il est en panne d'idées, il n'a plus rien véritablement à proposer qui ait le souffle suffisant pour répondre aux attentes directes de nos concitoyens."
Avez-vous été surprise - ou peut-être séduite - quand il a invoqué de Gaulle sur le calendrier électoral et pourquoi pas d'ailleurs sur sa candidature présidentielle ?
- "Ce que j'ai trouvé intéressant, c'est que le Premier ministre n'avait pas l'air de savoir qu'en 1958, le général de Gaulle a accepté que le Président de la République soit élu après. Donc, il s'est trompé."
Sur le fait qu'il se présentera à la candidature présidentielle si cela était souhaité, est-ce une posture gaullienne à vos yeux ?
- "Je dirais que c'est un peu politicien : "Cédant à la bienveillante pression de mes amis je me sens obligé de me présenter." Qui va penser que le Premier ministre, surtout le jour où il fait voter l'inversion du calendrier électoral pour justement pouvoir se présenter à l'élection présidentielle dans une moins mauvaise situation que si les législatives avaient eu lieu avant, n'a pas comme préoccupation majeure sa candidature à l'élection présidentielle ?"
Vous avez donc l'impression, hier soir, d'avoir vu un homme en campagne donc pour la présidentielle, malgré le fait qu'il s'en est défendu pendant pratiquement toute la durée de l'entretien et jusqu'à la fin ?
- "C'est évident, c'était le principe même de cette émission hier soir. Pourquoi le Premier ministre a-t-il fait cette émission ? Pour annoncer des mesures qu'il avait déjà annoncées il y a une dizaine de jours ? Non. Ces mesures avaient été mal acceptées et il a voulu essayer de rattraper les choses en les mettant dans un contexte, en essayant de justifier par le passé - par ce qu'il appelle son bilan. Je crois qu'il a échoué hier soir. Je puis vous assurer qu'à mon sens, s'il n'avait pas été candidat à l'élection présidentielle il n'aurait pas souhaité faire cette émission et dans ces conditions. c'est-à-dire en choisissant sa chaîne et en éliminant le journaliste qui généralement est celui qui présente cette émission."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 18 avril 2001)