Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, sur les perspectives de l'industrie d'armement européenne, à Berlin le 3 décembre 2008.

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Circonstance : 19ème réunion du Cercle stratégique franco-allemand, à Berlin (Allemagne) le 3 décembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai accepté, à la demande de l'IRIS et de la Friedrich Ebert STIFTUNG, de co-présider avec mon ami Gernot ERLER, la 19ème réunion du Cercle stratégique franco-allemand. Je suis d'autant plus volontiers venu, malgré un emploi du temps chargé, que j'ai pour cette ville un intérêt tout particulier. Berlin représente en effet à mes yeux un condensé de l'histoire du XXème siècle. Mais surtout, toute ma carrière politique a été marquée par les relations franco-allemandes qui restent aujourd'hui encore dans mon poste ministériel un « fil rouge » de mon action politique. Vous m'avez demandé d'ouvrir ce colloque sur un sujet passionnant et très important, tant je crois en effet que la question de l'industrie d'armement est essentielle dans la construction européenne en général et de la défense en particulier. L'industrie de défense n'est fort heureusement pas l'illustration idyllique des relations franco-allemandes. Nous avons des discours très européens sur ce domaine alors que, disons le ici, puisque l'intérêt de ce cercle stratégique est de pouvoir se parler franchement pour faire avancer les choses, Allemands comme Français se reprochent mutuellement une politique nationale et protectionniste. Nous connaissons pourtant de beaux succès qu'il faut soutenir et montrer en exemple. Même si les avis sont parfois nuancés, EADS restent globalement un véritable succès européen en général et franco-allemand en particulier. Airbus détient la moitié du marché des avions de ligne et Eurocopter est leader mondial dans le domaine des hélicoptères. Plus près de chez moi, l'Institut de Saint Louis prouve, si besoin était, que nous sommes capables d'avoir des unités de recherche et technologie communes. Ces exemples doivent être moteurs pour poursuivre les restructurations indispensables dans les domaines terrestre et naval. Il en va de notre indépendance, de notre sécurité et de notre prospérité économique.
L'industrie de défense, élément majeur de la posture de défense
En effet, l'industrie d'armement est un élément majeur de la posture de défense des Etats. Pour assurer leurs intérêts de sécurité nationale et la sécurité d'approvisionnement de leurs forces armées, les États se doivent d'imposer des contraintes spécifiques aux industriels d'armement qui sont aujourd'hui inadaptées à la réalité économique car les marchés nationaux sont de plus en plus étroits pour un nombre important d'industriels. La manière la plus efficace pour minimiser ces contraintes est de placer cette industrie dans un cadre vraiment européen. Rôle de l'AED D'où la volonté de la France au cours de sa présidence européenne, avec le soutien sans restriction de l'Allemagne, de voir l'Agence Européenne de Défense jouer un rôle croissant dans le développement des capacités militaires européennes. Cette volonté s'est traduite par une augmentation significative du budget alloué pour 2009 à l'AED, en particulier en augmentant de 2% les dépenses de défense en matière de Recherche et technologie. En effet, une meilleure coopération dans le domaine de l'armement permettrait aux États membres d'acquérir des équipements modernes, compétitifs et interopérables. La coopération des Etats au sein de l'AED doit être plus efficace d'un point de vue économique que ne l'étaient les générations précédentes de programmes en coopération. Dans cette perspective, nous sommes favorables au développement de centres d'excellence en les utilisant pour allouer les parts nationales de travail en fonction des compétences industrielles. Pour illustrer ce propos, l'Allemagne et la France ont contribué, au sein de l'Agence Européenne de Défense, à la mise en place d'un mécanisme de préparation de programmes. Ce mécanisme va être appliqué à la préparation du programme relatif aux capacités de déminage maritime à l'horizon 2015 et à celui du futur drone de surveillance.
L'OCCAR, agence contractante de l'AED
De plus, nous soutenons l'idée que l'OCCAR (Organisme Conjoint de Coopération d'Armement) devienne le bras exécutif de l'Agence et garantisse la continuité du développement des projets capacitaires de la phase de conception à celle de production. L'OCCAR doit pouvoir porter les contrats voulus par l'AED.
L'exportation des équipements produits en coopération
En outre, la conclusion d'accords politiques sur les exportations des matériels produits en coopération européenne pourrait être prévue dès la phase initiale de conception des équipements pour répondre efficacement aux appels d'offres de pays extra-européens et faciliter par la même nos exportations.
La Base Industrielle et Technologique de Défense Européenne
S'agissant de la recherche et de la technologie, chaque Etat producteur d'armement possède et fait vivre une Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) qui lui permet de concevoir et produire ses futurs équipements de défense. Aujourd'hui il est de plus en plus difficile pour les Etats européens de consacrer les ressources nécessaires pour développer de manière autonome l'ensemble de la panoplie des équipements de défense. L'objectif confié à l'Agence Européenne de Défense est donc de parvenir à constituer une Base Industrielle et Technologique de Défense européenne (BITDE) plus intégrée afin d'éviter les duplications et la dispersion de crédits limités. Pour réussir nous devons donc accepter une plus grande interdépendance. Les États doivent faciliter, à l'occasion de la montée en puissance de cette Base Industrielle et Technologique de Défense européenne, la constitution de grands groupes européens de taille mondiale qui puissent s'appuyer sur un réseau de PME, réactives et innovantes.
L'émergence d'un marché européen
Le développement d'une forte industrie européenne de défense conduira à l'émergence d'un marché européen plus ouvert, harmonisé et compétitif. Grâce à l'accès aux produits et aux technologies clés de défense, l'UE restera un lieu attrayant pour l'industrie de défense et offrira un environnement de travail favorisant la compétition, tout en permettant aux Etats membres, de garder un niveau approprié de souveraineté opérationnelle.
La sécurité d'approvisionnement
Pour aller plus loin dans cette direction, les achats faits dans un cadre européen transnational devront être aussi sûrs que les achats faits dans le cadre national. Il est indispensable doncde développer au sein de l'AED un concept de sécurité d'approvisionnement. Ceci n'implique pas de placer l'industrie européenne à l'intérieur d'une forteresse mais au contraire de lui donner l'impulsion et la compétitivité dont elle a besoin pour jouer un rôle moteur dans le marché mondial. Cependant nous devons donner la possibilité à nos Directeurs nationaux d'armement européens, d'alerter et d'informer leurs homologues des opérations d'investissements étrangers qui pourraient porter atteinte aux intérêts de sécurité des autres États membres de l'Union européenne.
Le dialogue avec les industriels européens
Le niveau européen est maintenant le niveau le plus approprié pour traiter de la plupart des questions majeures d'armement et en particulier l'amélioration des capacités militaires européennes. A cet égard, si l'AED est le forum qu'utilisent de plus en plus les États membres pour harmoniser leurs stratégies en matière de capacité, d'industrie, d'acquisition, de coopération et de Recherche et Technologie, il est nécessaire de mieux prendre en compte l'avis de l'industrie. Aussi nous favoriserons l'ouverture d'un dialogue approfondi et permanent entre les États membres et l'industrie, sous les auspices de l'AED.
Le groupe franco-allemand de haut niveau
C'est dans cet esprit que le Président de la République et la Chancelière ont décidé de créer un « groupe franco-allemand de haut niveau associant des industriels de l'armement » lors du Conseil des Ministres franco-allemand du 24 novembre. Ce dialogue devra nous aider à avoir une approche réaliste des programmes et des enjeux industriels qu'ils sous-tendent : opportunité d'exportations et effets structurants comme le développement d'une « interopérabilité industrielle » au travers de méthodes de conception et d'harmonisation des outils.
Le long terme
Les cycles des armements sont très longs et il est nécessaire d'anticiper des activités complexes. Par exemple, pour l'initiative franco-allemande relative à un futur hélicoptère de transport lourd, la capacité opérationnelle n'est pas requise avant 2020. Une approche à long terme est donc nécessaire pour développer ou maintenir les capacités industrielles clés.
L'accès des PME : un « Small Business Act » européen
Dans tous les États membres, un tissu fort de petites et moyennes entreprises (PME) de haute technologie est fondamental. Elles sont complémentaires aux grandes sociétés et nécessaires du fait de leurs compétences et leurs capacités d'innovation.
Une meilleure implication des PME dans les projets de défense doit surmonter certaines difficultés. La globalisation du marché s'avère généralement plus favorable aux grands groupes qu'aux PME. Cette tendance limite l'aptitude des PME à anticiper des opportunités et à faire reconnaître leur savoir-faire. De plus, les PME sont moins capables de se plier aux procédures administratives spécifiques et complexes utilisées dans les contrats de défense. Le « Small Business Act » de la Commission européenne aidera à résoudre plusieurs obstacles rencontrés généralement par les PME, comme le financement ou les échéanciers de paiement. Cette initiative a reçu un fort soutien de la France et de l'Allemagne et nous devons nous en féliciter. Dans ce cadre, nous sommes favorables au développement d'un guide des meilleures pratiques visant spécialement les PME de défense.
Voici quelques pistes de réflexion qui, je l'espère aideront à alimenter nos débats de cet après-midi. Vous l'avez compris : l'industrie de défense européenne doit impérativement procéder à des rapprochements. C'est à la fois une question opérationnelle et de survie.
Comme le soulignait le Président Sarkozy au salon du Bourget, les Etats européens avec des budgets contraints ne peuvent plus financer, je cite : « 3 programmes d'avions de combat, 6 programmes de sous-marins d'attaque et une vingtaine de programmes de blindés ». N'oublions pas également que cette industrie d'armement européenne emploie encore un demi-million de salariés directs dans les vingt sept pays de l'Union. L'émergence d'une véritable industrie de défense européenne doit permettre non seulement de conserver ces emplois mais même éventuellement de les augmenter en rendant nos industries plus compétitives face à la concurrence mondiale. Développer et structurer une industrie de défense européenne s'impose comme une exigence pour donner à l'Europe l'autonomie indispensable qui lui permette d'être un acteur majeur dans un monde sous haute tension. Je vous remercie de votre attention. Source http://www.defense.gouv.fr, le 15 décembre 2008