Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la commémoration de la bataille de Verdun, Douaumont le 23 juin 2001.

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Circonstance : Commémoration du 85ème anniversaire de la bataille de Verdun le 23 juin 2001

Texte intégral

Monsieur le Président du Sénat,
Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mon général et Messieurs les anciens combattants,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes réunis à l'ossuaire de Douaumont, ce haut lieu de mémoire, à côté des nécropoles où sont inhumés tant de soldats, de toutes nationalités, morts pour leur patrie. Ensemble, nous commémorons le 85ème anniversaire de la bataille de Verdun. " Verdun ", mot à l'évocation terrible.
Ici, à Verdun, se trouve concentrée toute la " Grande Guerre ", à la fois l'héroïsme des soldats et l'horreur des combats.
Il y a quatre-vingt cinq ans, la France entrait dans sa troisième année de guerre. L'impasse était alors totale. Le front de l'Ouest s'étendait sans discontinuer, de la frontière suisse jusqu'à la mer du Nord. Le mythe d'une guerre " courte " s'était déjà effondré. La mitrailleuse, la pelle et le barbelé avaient transformé les combats en une guerre de tranchées impitoyable. Chaque sortie des fantassins se transformait en carnage. En ce début d'année 1916, les forces franco-britanniques préparaient une offensive sur la Somme qu'elles voulaient décisive. Il s'agissait de rompre le front au printemps. Mais les Alliés furent pris de court par les Allemands qui passèrent à l'attaque dès le 21 février 1916. Ce fut Verdun.
Verdun qui marqua, dans un premier temps, le désespoir de la France. L'ordre fut donné aux défenseurs de Verdun de " tenir à tout prix ". De très longs mois d'enfer commencèrent alors pour ces combattants. Le 25 février au soir, les Allemands s'emparaient du fort de Douaumont, position stratégique sur la rive droite de la Meuse. La situation française devint catastrophique. Sur ce front enchevêtré, émietté, chaque unité était livrée à elle-même tandis que la bataille faisait rage.
Mais c'est aussi à Verdun que la France se redressa. L'état-major français parvint à se ressaisir. Il fit réarmer les forts, lança des ponts de bateaux sur la Meuse et, surtout, ouvrit la "Voie sacrée", cette route de ravitaillement qui permit aux troupes de tenir. Pour encourager ses soldats, JOFFRE déclara dans son ordre du jour du 10 mars : " Le pays a les yeux sur vous. Vous serez de ceux dont on dira : ils ont barré aux Allemands la route de Verdun. "
Les hommes de Verdun incarnèrent cet esprit de résistance. Sur le champ de bataille, ravagé par les explosions, ils luttèrent avec un courage extraordinaire contre toutes les épreuves, contre toutes ces atrocités nouvelles apportées par la guerre mécanique. Vivants et morts s'entremêlaient dans le chaos des tranchées et des trous d'obus. " Ce que nous avons fait ", se souvint ensuite Maurice GENEVOIX, " c'est plus qu'on ne pouvait demander à des hommes, et nous l'avons fait ". La terre elle-même de notre pays porte encore aujourd'hui les cicatrices de ce drame ; je pense par exemple à la région de Vimy où je me suis rendu et où des munitions dangereuses continuent d'être retrouvées.
Pendant les 300 jours et les 300 nuits que durèrent les combats, l'arrière aussi fut mis à contribution. La bataille s'était érigée en une véritable épreuve nationale. La France perdit 360.000 hommes.
A ces hommes morts pour la France, nous devons le souvenir.
Lors de ma visite sur le Chemin des Dames, le 5 novembre 1998, j'ai tenu à rendre hommage au courage et au sacrifice des combattants de cette guerre. Je l'ai fait en veillant à apaiser des blessures toujours présentes dans la mémoire collective.
Aujourd'hui, à Verdun, je souhaite honorer le souvenir de la Nation tout entière rassemblée dans l'épreuve. Nous ne pouvons oublier ceux qui ont accepté que leur destin individuel s'efface devant le destin collectif de la France. Ces hommes ont perdu sur le front leur jeunesse, leurs illusions et, le plus souvent, leur vie même. Alors que s'ouvre un siècle neuf, il nous revient de souligner l'exemplarité de ces hommes qui, profondément attachés à leur patrie et à la République, les ont défendues avec acharnement.
Ils ont eux-mêmes uvré à la perpétuation de la mémoire de la guerre, en veillant à transmettre le sens de leur engagement, fondé sur les valeurs de courage et d'abnégation. Les épreuves terribles qu'ils ont traversées les ont conduit à s'unir, dans un puissant mouvement de solidarité humaine et sociale. Grâce à la relève de deux générations du feu, ce monde associatif reste aujourd'hui particulièrement actif. Je lui rends hommage. Je tiens, en particulier, à saluer l'action du Général Maurice BOURGEOIS, présent parmi nous, engagé dès l'âge de 17 ans et combattant courageux en ces lieux mêmes. Il est aujourd'hui Président national de la Fédération " Ceux de Verdun ".
Verdun et les sacrifices de la Grande Guerre sont à l'origine de la politique de réparation et de mémoire, portée par un département ministériel en charge du monde combattant. Ces deux impératifs demeurent aujourd'hui, comme le démontre l'action de Jean-Pierre MASSERET à la tête du secrétariat d'Etat à la Défense, chargé des Anciens Combattants. Le 26 avril dernier, à l'Hôtel national des Invalides, j'ai rappelé devant l'Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre que l'intégration de l'administration des Anciens Combattants dans celle de la Défense, réalisée en 2000, garantit la pérennité de cette action de réparation et de mémoire. Cette politique demeurera défendue par un interlocuteur ministériel.
Dans cet esprit, le Gouvernement mène une politique de mémoire ambitieuse et moderne. Il souhaite aider les jeunes générations à mieux comprendre leur histoire et à construire leur avenir dans le respect des valeurs de la République. C'est pourquoi Jean-Pierre MASSERET a développé la notion de " territoires de mémoire ". Correspondant aux traces des conflits contemporains, ces espaces accompagneront les actions de mémoire en direction des jeunes générations. Il est juste que ce soit ici, sur cette terre meurtrie par tant de guerres, que se concrétise le premier " territoire de mémoire ", celui du " Grand Est ", dans le cadre des contrats de plan État-région. Le Comité d'animation départemental de la politique de mémoire en Meuse fédère les énergies en ce sens.
Mesdames, Messieurs,
Cette politique de mémoire et de réparation est tout entière inspirée par le souci de tirer les leçons de l'Histoire, pour mieux emprunter les chemins de la paix sur notre continent.
La réconciliation européenne puise au souvenir de Verdun.
Ici, où Allemands et Français ont perdu autant d'hommes. Cette guerre qui devait " saigner à blanc " un des camps les a laissés tous deux exsangues.
Cette épreuve a suscité une prise de conscience. Et d'abord grâce aux témoignages des anciens combattants eux-mêmes, tels Henri BARBUSSE ou Erich Maria REMARQUE qui, de part et d'autre du Rhin, ont souligné l'ampleur des sacrifices consentis. De ce drame sont nées les premières vraies initiatives en faveur du désarmement et de l'organisation de la société internationale. De Verdun date aussi la conviction que " la paix en Europe ", pour reprendre les mots d'André SUARES, " tient à la paix entre la France et l'Allemagne ".
L'idée d'une réconciliation entre la France et l'Allemagne fut un temps balayée par la Seconde Guerre mondiale. Mais pour renaître aussitôt après, avec plus de force encore, afin d'empêcher que ne reviennent de tels déchaînements de violence. C'est sur le socle nouveau de l'amitié franco-allemande que l'Europe a pu se construire. Et c'est à Verdun, le 22 septembre 1984, soixante-dix ans après le début du premier conflit mondial, que le Président François MITTERRAND et le Chancelier allemand Helmut KOHL sont venus se recueillir et honorer ensemble le souvenir désormais mêlé de morts autrefois placés dans des camps adverses. Certes, les progrès de la paix n'ont pas été suffisants pour empêcher, récemment et près de nous, les ravages de la guerre. Mais la réconciliation franco-allemande reste un des principaux atouts de l'Europe.
Mesdames, Messieurs,
Le devoir de mémoire est une uvre de paix. Verdun, symbole national mais aussi symbole européen, doit continuer de faire vivre la flamme du souvenir et l'ambition d'une Europe en paix.


(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 juin 2001)