Texte intégral
R. Duchemin- La question du jour c'est le secrétaire général de la CFDT qui vient y répondre ce matin. Bonjour F. Chérèque. Vous étiez hier soir à l'Elysée reçu avec les autres leaders syndicaux. Le chef de l'Etat voulait vous proposer de travailler ensemble, on va y revenir. Mais avant, d'un mot, que pensez-vous de ce qui s'est passé ce matin à Marseille, la grève donc à la suite d'un incident survenu avec un chauffeur de bus ? Et de ce qui s'est passé aussi à la gare Saint Lazare ?
Deux choses. D'une part, ces agressions répétées sont insupportables pour des agents de service public qui sont au service du public. Donc il faut déjà dénoncer ça et comprendre l'émotion des agents de service public qui sont régulièrement et trop souvent dans cette situation-la. A Saint Lazare, je pense qu'il faut distinguer deux choses. Le mouvement spontané, hier, qui était très difficile de contrôler syndicalement parce qu'il était spontané et massif, d'où des négociations rapides pour trouver une solution. Et puis cette grève qui a traîné pendant un mois à Saint-Lazare par le syndicat SUD, qui est quasiment inadmissible dans la façon dont la grève s'est déroulée. C'est-à-dire une forme de harcèlement dont les premières victimes sont les usagers. Donc, je crois qu'au bout d'un moment, il faut aussi, pour pouvoir poser des problèmes graves comme les agressions, ne pas abuser de la grève comme l'a fait SUD depuis un mois.
Mais vous pensez qu'aujourd'hui, quand il y a une agression, la bonne réponse, la réponse appropriée c'est effectivement la grève ?
Moi en tant qu'usager, je ne pense pas ça. Moi je comprends toutes les personnes qui sont en difficulté, ces personnes qui ont besoin de rentrer chez elles pour récupérer leurs enfants qui sont en garde. Mais en même temps, je ne suis pas à la place des agents qui ne supportent plus ces agressions qui se répètent, et là, il faut revoir ce problème de protection et anticiper, parce que c'est souvent malheureusement des personnes qu'on connaît, dans certains quartiers. Et là je pense qu'il y a un vrai problème de présence de police de proximité par rapport à ces phénomènes.
Et du coup la question s'est aussi reposée sur le service minimum ?
On voit que le service minimum, il devrait fonctionner lorsqu'il y a des conflits qui sont anticipables. C'est pour ça, je le répète, cette grève de SUD était inadmissible. Mais face à un mouvement spontané, ça ne peut pas marcher et c'est pour cela qu'il faut trouver des solutions rapides. Et les syndicats ont essayé de trouver des solutions rapides. Je rappelle que la CFDT n'était pas engagée dans le mouvement de la gare Saint-Lazare qui dure depuis un mois.
Alors vous étiez donc hier soir avec les autres organisations syndicales à l'Elysée avec N. Sarkozy. Il souhaite travailler visiblement main dans la main avec vous pour lutter contre les entreprises qui profitent de la crise secteur par secteur notamment. Sur le papier, effectuer un suivi a priori des entreprises en difficulté, ça parait être une bonne idée. Vous êtes, vous, organisations syndicales, un bon baromètre ?
On est dans les entreprises, généralement, où il y a ces problèmes de plan social et en particulier souvent dans des entreprises qui n'ont pas de problèmes financiers et qui profitent de la crise. Donc organiser par secteur des réunions pour suivre ces problèmes-la, c'est une bonne chose.
C'est-à-dire que vous pouvez jouer finalement le rôle d'alerte ?
On peut jouer le rôle d'alerte, mais surtout il faut qu'on essaie de faire notre travail, c'est-à-dire faire le lien entre les entreprises qui ont vraiment des difficultés et puis les banques et le gouvernement pour les aider. Mais moi, j'ai soulevé deux problèmes où l'on n'a pas de solution pour le moment. Le premier, c'est la responsabilité des grands groupes, où le gouvernement leur dit : "on va vous aider, mais il y a des contreparties"...
Vous faites référence au secteur automobile ?
A l'automobile. Mais ces contreparties, Peugeot par exemple, dit : "je ne ferme pas mes entreprises". Bien, mais...
C'est-à-dire pas de délocalisations.
Mais Peugeot est en train de fermer des entreprises de ses sous-traitants dont il est majoritaire comme actionnaire. Je pense à Faurecia. Donc j'ai dit au président de la République qu'il faut que non seulement Peugeot soit responsable de Peugeot mais soit responsable aussi de Faurecia, parce que c'est une entreprise qui appartient à Peugeot.
C'est-à-dire qu'il y a une forme d'hypocrisie finalement sur la manière dont on gère cette crise ?
Je pense qu'il faut aller jusqu'au bout pour amener les entreprises jusqu'au bout de leurs responsabilités. On ne peut pas se cacher derrière d'autres sigles quand on est propriétaire de ces entreprises-la. Je répète, Faurecia appartient à Peugeot et Peugeot ne doit pas délocaliser des entreprises de Faurecia. Deuxième chose, on a des entreprises qui risquent de fermer à cause de la crise et j'ai aussi demandé au président de la République de voir comment on pouvait aider ces entreprises à passer la crise, parce qu'on aura besoin d'eux quand ça redémarrera. Là le président de la République dit : "on ne sait pas faire, on n'a jamais fait". Donc je souhaite qu'on réfléchisse à ce problème-là, parce que sinon, lorsque l'économie repartira, on n'aura plus ces entreprises en France.
Est-ce que vous pensez que c'est du concret, cette réunion avec le chef de l'Etat ? Ou, comme le dit J.-C. Mailly pour Force ouvrière, que ça peut aussi être une opération de com ?
Cela peut, cela veut dire que c'était concret. Donc, c'était très concret, pour une fois, ce qui n'était pas le cas les deux fois précédentes. Maintenant, nous, on jugera sur l'efficacité de ces groupes de travail qui seront mis en place à Bercy, secteur par secteur.
Alors il y a eu évidemment des phases récentes de chômage technique, en décembre évidemment, d'autres qui sont annoncées au mois de janvier. Que vous disent précisément vos relais dans les entreprises ? Est-ce qu'il y a des secteurs auxquels on n'a pas forcément pensé qui vont être touchés ? Est-ce que finalement, ce n'est que le début de l'engrenage ?
On voit bien qu'il commence à y avoir un engrenage important. On parle beaucoup de l'automobile, on parle beaucoup de grands secteurs comme ça. On voit qu'on commence à avoir des problèmes dans l'agroalimentaire. On commence à avoir des problèmes dans les transports, parce qu'il ne suffit pas de voir les entreprises qui produisent. Il y a les entreprises de services qui travaillent avec ça. Quand on ne vend pas de voitures, il n'y a pas de camions qui roulent, qui transportent ces voitures. Donc il y a un engrenage qui se met en place, dans le sens où il ne faut pas oublier toutes ces entreprises de services qui travaillent pour les grands groupes. C'est ça, la difficulté. C'est pour cela que la mise en place de cellules de crise par secteur est, à mon avis, une bonne méthode.
Cela signe aussi selon vous l'arrêt de mort du travailler plus pour gagner plus ? Il faut revenir aux 35 heures ?
Il y a un sujet qui me scandalise moi. Au troisième trimestre 2008, on a encore une augmentation des heures supplémentaires. C'est-à-dire que le gouvernement - et on l'avait dit à l'époque -, en rendant les heures supplémentaires moins chères que les embauches, on a eu l'effet encore plus loin où des entreprises ont supprimé des emplois, en particulier des CDD intérimaires, pour faire faire des heures supplémentaires. C'est insupportable une augmentation d'heures supplémentaires en période de crise.
Cela reste pour vous une faute politique, c'est bien ça ?
C'est une faute d'anticipation grave, d'autant plus que la CFDT avait dit au gouvernement que c'était grave de privilégier les heures supplémentaires [par rapport] à l'emploi. Et on voit qu'en période de crise, ça s'aggrave.
Alors, le gouvernement s'est effectivement lancé dans la bataille pour essayer d'enrayer la crise, de la stopper. Est-ce que ça signifie selon vous qu'il faut revoir toutes les réformes qui ont été engagées parce que justement, le contexte lui a été modifié ?
Dans le cahier revendicatif -si je peux l'appeler comme ça - de la journée du 29 janvier intersyndicale, on propose justement de revoir ces éléments de réforme, en particulier sur le temps de travail, les heures supplémentaires. On demande une contrepartie aux aides financières aux entreprises dans les allègements de charges. Donc ce qui veut dire qu'il faut au moins faire un moratoire sur ces réformes.
Et il faut s'inspirer par exemple du plan à venir du Parti socialiste pour la relance économique ?
Pour le moment, le plan du Parti socialiste, je ne le connais pas.
On en a vu quelques bribes dans le journal Le Monde.
Toutes les idées sont utiles. Nous, ce qu'on veut nous, la CFDT, ce qui nous intéresse, c'est qu'en plus d'un plan qui investit dans l'avenir, c'est-à-dire dans les grands travaux, on ait un plan qui relance la consommation. Et pour ça il faut faire des aides très ciblées aux personnes qui ont le plus besoin de moyens pour consommer.
Alors, il nous reste très peu de temps mais on va quand même aborder un gros dossier, c'est celui évidemment de l'assurance chômage. Vous êtes seul à ce jour à avoir signé la nouvelle convention. Une seule signature suffit visiblement pour qu'elle soit logiquement appliquée. Or certains syndicats envisagent de faire jouer leur droit d'opposition, c'est le cas notamment de la CGT.
Mais moi, je pense -et c'est un souhait de la CFDT -, on a une règle de la démocratie sociale qui est simple : lorsqu'il y a une opposition majoritaire, l'accord qui est signé est caduc. C'est très simple, j'explique. Il ne suffit pas de dire qu'on ne signe pas. Je souhaite que ceux qui ne signent pas écrivent au gouvernement pour demander de ne pas appliquer cet accord, pour qu'ils expliquent pourquoi les personnes qui sont en précarité ne seront pas mieux indemnisées. Qu'ils expliquent pourquoi les seniors de plus de 50 ans qui sont indemnisés 36 mois ne le seront pas. Qu'ils expliquent pourquoi les saisonniers qui pourront être indemnisés au-delà de trois saisons ne le seront plus. Qu'ils l'écrivent et à ce moment-la, le gouvernement s'il y a plus de syndicats qui s'opposent par écrit que ceux qui signent, il devra ne pas appliquer cet accord. Et chacun sera face à ses responsabilités, parce que moi j'en ai un petit peu marre qu'on laisse régulièrement tous les ans des syndicats signer, pour les critiquer. Et puis deux ans après refuser qu'on transforme ce que les autres ont signé. Donc au bout d'un moment, il faut aller jusqu'au bout. Si ces mesures pour les précaires, pour les saisonniers, pour les seniors, pour les intermittents, sont mauvaises, ces syndicats doivent prendre leurs responsabilités, écrire. A ce moment-là, ça ne s'appliquera pas et ils expliqueront aux chômeurs pourquoi ces chômeurs sont moins bien indemnisés.
D'un mot très court, vous changez de ministre. Au revoir X. Bertrand, bonjour, a priori B. Hortefeux ?
C'est la loi du genre. Les syndicats ne choisissent pas les ministres.
Nouvelle manière de négocier ?
On verra bien. On était en désaccord avec monsieur Hortefeux sur sa politique de l'immigration, ce désaccord reste. Je souhaite que monsieur Hortefeux soit plus à l'écoute des syndicats que ce qu'il a été sur la politique de l'immigration.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 janvier 2009