Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à France Info le 26 mars 2009, sur la maîtrise des flux migratoires en provenance d'Afrique et sur l'intégration des immigrés.

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Média : France Info

Texte intégral

C. Bayt-Darcourt.- Nous partons au Sénégal, à Dakar, précisément, où nous attend le ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire. Bonjour E. Besson.
 
Bonjour.
 
Vous effectuez votre première tournée africaine depuis que vous avez récupéré ce poste, en remplacement de B. Hortefeux. Vous serez demain au Cap-Vert et samedi au Mali. Vous poursuivez la politique mise en place par votre prédécesseur ; il avait par exemple signé en février 2008, à Dakar, un accord de gestion concertée des flux migratoires. Où en est-on, E. Besson, un an après ?
 
Justement, je suis venu faire le point. Hier, j'ai rencontré le Président du Sénégal, je suis venu faire le point de l'application de cet accord. Il est en oeuvre, bien qu'il n'ait pas encore été ratifié par la France ; on l'a, par anticipation, appliqué, et je suis venu surtout regarder ce que sont les projets de développement solidaire que nous finançons, que la France finance, parce que vous savez, on veut à la fois maîtriser les flux migratoires, vous l'avez dit il y a un instant, et en même temps aider ces pays d'Afrique avec lesquels nous entretenons des relations historiques, à se développer, à créer de l'emploi sur place, parce que beaucoup de nos amis africains préfèreraient rester chez eux s'ils trouvent de l'emploi, plutôt que de venir dans nos pays. Donc, je suis venu pour regarder ce que sont les projets que nous finançons et évoquer avec eux quelque chose qui est la migration circulaire, la carte compétences et talents, que mon prédécesseur avait mise en oeuvre et qui consiste à dire : « Venez en France, trois ans maximum, formez-vous, apportez à nos entreprises, mais engagez-vous à revenir dans votre pays, parce que votre pays a besoin de vous aussi ; par exemple, ici, au Sénégal, engagez-vous à revenir au Sénégal, une fois formé, parce que le Sénégal a besoin de vous, et que nous, nous pensons qu'il est bien d'avoir cette migration circulaire, cette capacité à venir quelques années dans notre pays, en France, avant de revenir dans son pays d'origine ».
 
Je le disais tout à l'heure, E. Besson, vous serez samedi à Bamako, au Mali, avec qui les négociations sont un peu plus difficiles. Ce pays refuse de signer un accord sur les flux migratoires, il exige notamment que la France régularise tous les Maliens qui travaillent chez nous. Que peuvent donner vos discussions, face à une telle demande ?
 
Je ne sais pas encore. Quand vous dites que le Mali refuse, pour l'instant les discussions avaient été entamées par mon prédécesseur, B. Hortefeux...
 
Vous les poursuivez.
 
Je les poursuis, et justement plutôt parce qu'il y a beaucoup de versions sur les explications de pourquoi les difficultés de ces négociations, et plutôt que d'avoir quantité de versions, je préfère aller écouter le Président du Mali me dire : « Voilà, voilà notre analyse, voilà ce que nous souhaitons ». Donc, je ne veux pas, là, vous dire pourquoi ça a coincé. Mon objectif c'est plutôt de dire aux Maliens : « Ecoutez, la communauté malienne est très importante en France, et nous voulons avoir un accord sur les flux migratoires avec vous, écouter et voir comment on peut essayer de débloquer la situation ».
 
C'est votre première visite en Afrique depuis que vous êtes ministre de l'Immigration. Est-ce qu'en étant là-bas, E. Besson, vous portez un autre regard sur ces hommes et ces femmes qui veulent à tout prix venir chez nous ?
 
D'abord, le regard il est bienveillant et depuis longtemps. Je suis né et j'ai passé les 17 premières années de ma vie en Afrique et je connais bien l'Afrique noire. Donc, je n'ai pas besoin de venir ici pour avoir un regard qui est de dire quelque chose de simple : il faut maîtriser nos flux migratoires, dans l'intérêt même des Africains. Vous savez, les Africains qui vivent légalement sur notre territoire, en France, et qui sont parfois les premières victimes des discriminations à l'embauche, ou du chômage - songez que si 8 % de la population française est au chômage, ça touche 23 % des étrangers en situation légale - et ces étrangers qui vivent en France légalement, pensent comme nous qu'il faut maîtriser les flux migratoires. Et ici, au Sénégal, qu'est-ce qu'ils m'ont dit hier, en arrivant ? Vous savez, au large du Sénégal, il y a les îles Canaries, qui sont un des points d'entrée vers l'Espagne. Et qu'est-ce qu'ils disent ? « Il faut absolument que vous soyez draconiens en Europe, contre les passeurs, contre les filières d'immigration clandestine, parce que nous, nos jeunes se noient, au sens propre du terme - ils prennent la mer et ils se noient dans des pirogues - en pensant que l'Europe est un Eldorado. Ils sont exploités financièrement par les passeurs ». Et ils nous disent : « Démantelez à toutes forces ces filières, dites à nos jeunes qu'ils doivent rester dans nos pays ». Donc, contrairement à ce que l'on pense parfois, en France, c'est une concertation et une action, main dans la main, que nous menons en la matière.
 
Alors, en plus de poursuivre les chantiers entrepris par B. Hortefeux, vous allez aussi imprimer votre marque, à ce ministère, E. Besson, en organisant des « Dîners de valorisation de l'immigration ». Ça consiste en quoi ?
 
Oui, je vais organiser des dîners citoyens, c'est-à-dire que... J'étais il y a 15 jours au Mexique, avec le président de la République, et il a dit des choses très simples et très claires sur l'immigration. Il a dit d'abord : « La France reste un terre d'immigration ». On l'oublie trop souvent, mais la France continue d'accueillir sur son sol beaucoup d'étrangers en situation légale. Et la deuxième chose, il a dit : « La France est et reste une terre de métissage ». Et cette partie-là, j'ai envie de la valoriser, montrer que l'immigration a enrichi historiquement la France, et que c'est toujours vrai, à condition de maîtriser ses flux. Et donc je vais organiser des soirées avec des pays d'immigration et des Français d'origine, qui ont réussi dans notre pays. Le premier, ça sera début mai, avec une valorisation de l'immigration d'origine tunisienne, une soirée franco-tunisienne, ce que j'appelle des dîners citoyens pour montrer que dans l'identité nationale, l'identité républicaine française, l'immigration a pris toute sa part.
 
E. Besson, où en est-on avec les tests ADN ? Il y avait eu des débats houleux au Parlement, ça avait été adopté, finalement ce n'est pas encore appliqué. Que se passe-t-il ?
 
Il se passe que le décret d'application que je suis supposé prendre, est très complexe à rédiger et à concevoir, parce que la loi a pris de telles précautions, légitimes, pour encadrer ces tests et cette expérimentation. En fait, la chaîne logistique, si je peux dire, de pareils tests, est très complexe à faire, et pour l'instant, j'y travaille.
 
Vous allez le signer, quand même ?
 
Je ne sais pas, ça dépendra de ma capacité à traduire à la fois l'esprit et la lettre de la loi. C'est pour ça que je vous disais que j'y travaille. C'est un peu complexe, il faudrait une bonne demi-heure pour vous expliquer pourquoi c'est complexe.
 
Alors, on n'a pas le temps. Les députés socialistes défendront le 30 avril, à l'Assemblée, une proposition de loi qui vise à supprimer le délit de solidarité avec les étrangers en situation irrégulière. Comment allez-vous leur répondre ?
 
Eh bien, très simplement, qu'ils ont tort. Je veux croire qu'ils sont de bonne foi, donc je leur démontrerai qu'ils ont totalement tort. L'article L622.1 dont on parle tant, est un article qui permet de démanteler les filières. En 2008, ça a permis de démanteler plus de 200 filières et d'interpeller 5 000 « passeurs » donc des personnes qui s'enrichissent sur le dos des migrants. Donc, ils ont tort, et sur cette base, il n'y a que deux bénévoles, qui, en 65 ans, aient été condamnés pour être entrés dans la chaîne des passeurs. Donc, j'ai du mal à penser que de bonne foi on puisse dire que deux bénévoles condamnés - et dispensés de peine parce qu'en plus le juge avait estimé que comme ils ne s'enrichissaient pas personnellement, ça n'était pas la peine de leur faire appliquer leur peine - j'ai du mal à penser que deux personnes, en 65 ans, méritent de tels, j'allais dire « tam-tam ». Mais peut-être que je suis contaminé, là, par Dakar, de tels bruits qu'on en a faits.
 
Merci E. Besson, d'avoir répondu à nos questions, sur France Info,
en direct de Dakar.
 
Merci à vous.
 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 mars 2009