Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à Radio Classique le 14 septembre 2009, sur le montant de la taxe carbone, sa perception et sa redistribution, ainsi que sur les suicides à France Télécom.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

G. Durand.- C. Jouanno bonjour.
 
Bonjour.
 
Merci d'être sur l'antenne de Radio Classique. Est-ce que vous avez le sentiment avant Pittsburgh et avant Copenhague qu'il y a dans l'air, comme ça, une volonté de régulation et que les gens sont pour cette régulation ?
 
Alors sur le plan financier oui, les gens sont pour cette régulation. Au niveau international, c'est évidemment plus compliqué. Pour ce qui est du climat, puisque vous parlez de Copenhague, pour ce qui est du climat, il y a eu des belles avancées ces derniers mois. La reconnaissance par exemple par l'ensemble des pays qu'il fallait limiter l'augmentation des températures à deux degrés et ça c'est la première fois que l'ensemble des pays le reconnaissent. Donc il y a eu des avancées.
 
Et est-ce que vous sentez chez les Français, chez les Françaises en meeting, dans la rue, qu'ils ont cette envie ?
 
Les Françaises et les Français, oui. L'évolution de la conscience écologique a profondément évolué chez les Françaises et les Français. Vraiment.
 
A partir de quand ?
 
Le déclencheur a été probablement la campagne présidentielle de 2007, et le fameux pacte écologique, l'ensemble du débat qu'il y a eu autour de cette question du climat, ça a été un déclencheur. Ensuite il y a eu le Grenelle. Ensuite il y a eu... Donc on a parlé d'écologie et l'ensemble des Françaises et des Français, il ne faut pas leur mentir, ils savent très bien que l'évolution : un, des énergies, c'est-à-dire le pétrole, le gaz, le charbon bon marché c'est terminé, ils le savent très bien ; et puis d'autre part, ils savent que si on ne veut pas laisser une planète "détruite" entre guillemets à nos enfants, il faut agir dès maintenant. C'est la responsabilité de notre génération. Il faut arrêter de botter en touche.
 
C'est une forme de prise de conscience mais dès qu'il s'agit de parler de la taxe carbone, on a vu là des réticences venir : c'est-à-dire nouvel impôt, d'autres dans l'autre camp qui disaient, ce n'est pas assez 15 euros ; d'autres qui disent, comme Allègre, que ça sert strictement à rien. Donc là on bute sur le réel.
 
Les réticences quand on a demandé aux Français, est-ce que vous voulez une nouvelle taxe ? Qu'ils disent non, c'est normal. Même moi j'aurais dit la même chose. Donc c'est tout à fait normal.
 
Etonnant !
 
Ah bon ?
 
Mais pourquoi ? C'est à cause du fait que c'est un nouvel impôt finalement ?
 
Non c'est à cause du fait très simplement qu'il fallait donner l'ensemble des modalités de fonctionnement de cette taxe carbone. Quand on explique ensuite que l'objectif ce n'est pas un euro dans les caisses de l'Etat et que chaque euro sera rendu aux Français sous forme d'un chèque "vert", qu'il va y avoir un "bonus climat" entre guillemets et que ça va leur permettre ce chèque... Ensuite, ils en feront ce qu'ils veulent : soit ils vivent comme avant et à ce moment-là, ils ne gagnent rien ; soit ils font des économies d'énergie et à ce moment-là, ils gagnent de l'argent sur "le dos des impôts" entre guillemets. Après il y a l'autre débat. Certains disent : ça ne va pas marcher, ça ne sert à rien. Très bien. Regardons...
 
Ca c'est Allègre.
 
Oui alors Allègre vous savez, il fait de la pub comme il peut.
 
Ses arguments, on peut les écouter. Que ce soit de la pub, c'est quand même des arguments.
 
Allègre n'est pas un climatologue. Il dit que l'origine humaine du réchauffement climatique n'est pas avérée. Malheureusement, il y a 2.500 experts du groupe international des experts du climat qui font consensus sur ce débat. Donc je veux bien qu'Allègre pense l'inverse mais il est un petit peu en minorité. Après, on a... sur l'inefficacité de cette taxe carbone, ce sont plutôt des personnes qui nous disent, vous auriez dû commencer beaucoup plus haut.
 
Ca c'est le point de vue de M. Rocard et de la plupart des écologistes qui pensent qu'il aurait mieux valu 30 euros.
 
C'est le point de vue de certains écologistes qui pensent qu'il aurait valu 32 euros, c'était ça leur "prix de départ" entre guillemets. On n'est pas là pour matraquer les Français. Le vrai problème c'est qu'on ne peut pas expliquer aux Français que les très grandes entreprises qui ont une forme de taxe carbone, parce qu'elles doivent acheter des formes de droit à polluer sur un marché et elles l'achètent à 15 euros aujourd'hui. Comment expliquer aux Français qu'ils vont payer le double des grandes entreprises ? Si on veut que la taxe carbone marche, c'est simple, il faut annoncer - et c'est ce qu'on fait - qu'elle sera de toutes façons progressive. Et le vrai prix, celui qui compte, le seul qui soit d'ailleurs scientifique, c'est de dire qu'en 2030, c'est 100 euros. Le prix de départ c'est un "prix de compromis entre guillemets. Ce n'est pas un prix scientifique les 32 euros, vous savez c'est un prix de compromis. La Commission...
 
Mais c'est ça qui est un problème, c'est de dire aux gens : finalement, on commence et puis de toutes façons ça va augmenter, les Suédois sont déjà beaucoup plus loin.
 
Les Suédois sont à 108 euros la tonne, ils ont commencé en 91.
 
Est-ce qu'il ne valait pas mieux faire passer la pilule violemment d'entrée plutôt que justement aborder un processus d'augmentation ?
 
Juste pour vous dire sur la Suède pour terminer, ça a permis de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre de 9% dans un pays qui est déjà le meilleur en Europe, sur ce point. Et le PIB a augmenté de 44%. Donc ça marche. Si on me dit que ça ne marche pas, ça marche. Deuxièmement, est-ce qu'il fallait être brutal ? En démocratie, on ne fait pas de la politique par la brutalité. C'est peut-être là notre principale différence d'ailleurs avec certains écologistes parce que tous ne pensent pas la même chose. C'est normal, l'écologie ce n'est pas de gauche, ce n'est pas de droite. Le débat, on le résout par la démocratie. On ne le résout pas par des thèses pseudo scientifiques parce que me dire que 32 euros c'est le bon prix de départ, non.
 
C'est la recommandation de la Commission présidée par M. Rocard.
 
Mais la recommandation c'était fondé sur un autre rapport parce qu'on adore les rapports en France, qui était celui de monsieur A. Quinet qui avait justement dit : voilà le bon prix pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre, ce serait 100 euros en 2030. Et pour que la pente ne soit pas trop forte, de manière à ce qu'elle soit très progressive, on peut commencer à 32 euros. Mais A. Quinet qui avait fait ce rapport, lui-même s'est exprimé dans un article en disant, c'était un prix de compromis. Peu importe le prix de départ.
 
Le compromis il est peut-être avec aussi les élections régionales et avec les objectifs politiques. C'est-à-dire de ne pas assassiner les Français quand on démarre avec des élections qui arrivent. Vous allez y participer. C'est quand même plus facile à 15 qu'à 30, voire à 100.
 
Si le président de la République n'avait eu que des considérations politiciennes, il n'aurait pas fait la taxe carbone. Ca aurait été beaucoup plus simple.
 
A ce moment-là, il se serait renié.
 
Non, il ne s'appelle pas S. Royal. Donc il tient ses engagements et il a signé pendant la campagne électorale, donc il les tient. Il le fait parce que le pire, c'est qu'il y croit. Sinon d'ailleurs, je ne serais pas là.
 
Vous parlez de S. Royal dans des termes durs il y a exactement trente secondes, pourquoi ? Pourquoi ce reniement ? Elle a été ministre de l'Ecologie. Vous êtes secrétaire d'Etat, elle a occupé ce poste aussi.
 
Je pense qu'elle sera mieux placée que moi pour vous dire pourquoi elle a renoncé à ce qu'elle a signé. Je n'en sais rien.
 
Peut-être à cause de son inefficacité. Et le fait que c'est un impôt, que c'est injuste.
 
 Attention tout est redistribué aux Français. Ca n'a rien à voir avec les autres taxes que l'on connaît. Tout est redistribué aux Français pour leur permettre de s'adapter. Que madame Royal me dise, comment est-ce qu'on peut faire autrement pour baisser les émissions de gaz à effet de serre ? Soit on parle, soit on agit.
 
C. Lagarde qui est tout à l'heure l'invitée de Radio Classique, dans une précédente interview disait que de toutes façons dans l'application, il y aura forcément pour des gens soit en matière de transport, de toutes façons des injustices.
 
Vous savez celles qui actuellement consomment le plus...
 
Longs transports, éloignements des villes.
 
Ca c'est pris en compte, l'éloignement des villes puisque le redistribution prend en compte si vous êtes en zone rurale ou en zone urbaine. Mais par contre, ceux qui consomment le plus actuellement, ce sont les personnes les plus aidées, les plus riches. Eux, ils ne toucheront pas autant évidemment. Ca leur coûtera mais c'est normal. A l'inverse, le premier décille, donc la catégorie la plus défavorisée recevra plus qu'elle ne paie actuellement. Si elle peut encore baisser ses consommations d'énergie, ce sera un super bonus mais dans tous les cas elle recevra plus qu'elle ne paie actuellement.
 
Alors le zapping des radios ce matin que vous écoutez évidemment, comme les auditeurs de Radio Classique, donc les autres radios. C. Guéant par exemple, il était à RTL à 7 heures 56 et il parle de la fameuse affaire, triste affaire des suicides chez France Télécom.
 
C. Guéant (document RTL) : Le suicide est une affaire trop grave, trop personnelle pour qu'on puisse réduire ce phénomène que l'on constate chez France Télécom à un problème d'organisation d'entreprise. Cela étant, encore une fois, il y a une obligation de l'entreprise de faire face, d'apporter un secours, de tendre la main à ceux qui sont en difficulté, même strictement personnelles.
 
Voilà c'est stress ou loi des séries, d'après vous qui avez dirigé des administrations ?
 
C'est quasiment impossible de répondre à votre question.
 
Vous voulez dire qu'il y a à travers cette série, des affaires privées qui sont...
 
Ce qui est vrai, il y a toujours un drame personnel derrière un suicide, une difficulté personnelle. Ce qui est vrai c'est qu'une entreprise c'est une collectivité d'hommes. Une entreprise est citoyenne. Donc dans tous les cas, la direction doit prendre en charge ces personnes et les aider, doit détecter. Enfin ça se pratique maintenant dans la plupart des entreprises et elles doivent les accompagner. On a effectivement, quand on a dirigé quelques institutions on connaît malheureusement ces problèmes.
 
Mais, là le chiffre est important quand même.
 
Là le chiffre est important. Connaître le fond, il faut effectivement... enfin C. Lagarde et C. Guéant l'ont dit : il faut qu'un conseil d'administration se réunisse, il faut qu'il prenne des mesures claires pour accompagner les personnes, pour détecter ces situations et agir le plus en amont possible. Ce sont des affaires trop graves pour dire que ça se résume à ça ou à ça. Ca c'est clair. Ni vous, ni moi on est en capacité d'apporter des réponses intelligentes sur pourquoi une série de suicides chez France Télécom ?
 
Est-ce que vous vous faites à la bataille politique au plus haut niveau maintenant que vous êtes dans le Gouvernement ? C'est-à-dire à sa dureté. Par exemple E. Woerth hier à la Fête de l'Humanité ou F. Mitterrand conspué ?
 
Le député Muzeau a eu des mots très justes. Il a dit à E. Woerth : "vraiment tous mes regrets au nom de la démocratie".
 
Mais vous, est-ce que vous prenez un plaisir à cette bataille qui est inexorable parce que finalement les régionales arrivent ? Vous allez être en première ligne, on va en parler dans un instant et ça va flinguer.
 
Je n'ai aucun plaisir à la maltraitance, je vous rassure mais par contre ce qui est clair, c'est que la politique, ce qui est extraordinaire en politique, c'est qu'on peut agir, c'est qu'on peut bouger, c'est qu'on peut faire des choses.
 
On peut s'affronter aussi.
 
Moi j'adore les gens, donc ça me fait plaisir d'aller, de voir du monde.
 
Mais il y a une notion d'affrontement, quand vous allez vous retrouver face à Huchon et les autres.
 
Mais si c'est un affrontement intellectuel, ça va, on se respecte quand même. Moi j'ai beaucoup d'amitié avec des gens de gauche et d'ailleurs j'ai beaucoup travaillé dans des milieux, où j'ai toujours eu des collaborateurs de tous côtés. Si c'est intellectuel, ça va. C'est quand ça dépasse les bornes et que ça devient...
 
Que là, la karatéka que vous avez été se réveille brutalement ?
 
Vous savez, en karaté, quand on fait un combat, en général on s'entend très bien avec son compétiteur. A la fin. Au début...
 
Mais au début, on frappe.
 
Non, on cherche à gagner, on n'est pas là pour laisser frapper.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du gouvernement, le 14 septembre 2009