Interview de M. Patrick Devedjian, ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance, à RFI le 15 septembre 2009, sur les conséquences de la crise financière, la légère reprise de la croissance, le rapport de J. Stiglitz sur la mesure des performances économiques et les enjeux du grand emprunt.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- Il y a tout juste un an, le 15 septembre 2008, la faillite de la grande banque d'investissements américaine Lehman Brothers provoquait l'effondrement du système financier mondial. Un an après, où en sommes-nous ? Est-ce que vous diriez, comme D. Strauss-Kahn hier matin, que la crise financière est derrière nous ?
 
Je pense que, sauf accident imprévu, on a réussi à faire face à la crise financière. Ça ne veut pas dire que tous les problèmes sont réglés, mais le système de financement mondial était vraiment menacé d'implosion, totalement, et à l'initiative de la France, de l'Angleterre aussi, qui a joué un rôle important à ce moment-là, le monde entier finalement a adopté des mesures de régulation et surtout de sécurité de soutien aux banques qui ont sauvé le système bancaire international.
 
Est-ce que la crise économique, elle continue et va continuer encore longtemps ?
 
Je crois que nous avons évité le pire, c'est-à-dire - vous vous souvenez d'ailleurs, on nous parlait du scénario de 1929 - un effondrement, ça je crois qu'on l'a évité et que c'est derrière nous, c'est-à-dire une récession très profonde, mais en même temps la croissance n'est pas réellement revenue. La France, on est contents de ça parce qu'on fait mieux que les autres ou moins mal, on est à + 0,3 %, c'est-à-dire qu'on est positif le mois dernier, l'Allemagne aussi. On a la même politique et les deux pays sont partenaires économiques, donc c'est plutôt mieux qu'avant...
 
Dans une zone euro en récession de 4 %...
 
Oui, bien sûr, donc on s'en tire bien. Notre politique est plutôt bonne, mais enfin avec 0,3 on n'a pas une réelle croissance et donc on est menacé d'une croissance très molle, c'est ça le risque aujourd'hui.
 
D. Strauss-Kahn est aujourd'hui le patron du Fonds monétaire international, il disait hier qu'il allait falloir trouver de nouvelles sources pour la croissance mondiale, qui ne pourra plus être tirée par le consommateur américain. Est-ce que vous partagez cette analyse ?
 
La mondialisation fait qu'il n'y a pas que les Etats-Unis, il y a d'abord la Chine, la consommation chinoise avec une montée en puissance. Il faut voir que les chiffres de la croissance en Chine, même avec la crise, développe un marché de plus en plus important. Donc ce sera certainement un relais par rapport aux Etats-Unis. Mais il y a aussi une modification des modes de vie, de ce qu'on appelle la croissance verte, c'est aujourd'hui aussi une perspective de croissance.
 
On parle beaucoup de croissance ; qu'est-ce que vous pensez précisément du rapport qui a été remis hier à N. Sarkozy par le Prix Nobel d'économie, J. Stiglitz, sur - c'était l'intitulé de ce rapport - "la mesure des performances économiques et du progrès social". Il s'agit en fait d'en finir avec l'espèce de tyrannie du produit intérieur brut comme seul instrument de mesure du progrès économique.
 
C'est une vieille idée que Stiglitz a remis à l'ordre du jour. Je me souviens, J. Goldsmith, il y a dix ans, parlait du "bonheur national brut". Et finalement, il est arrivé à ce paradoxe que pour lui, l'idéal, c'était le Bhoutan le pays où on était censé être le plus heureux et que c'était ça qu'il fallait mesurer. Alors Stiglitz, il dit aussi que dans le fond, ce n'est pas seulement la performance économique qu'il faut mesurer, mais simplement le bonheur de vivre, d'autres choses qui comptent évidemment dans le confort de chacun. C'est aussi - ce qui m'interpelle -, c'est aussi une attitude riche. C'est-à-dire qu'en France, en particulier, il y a une grande partie de la population qui est dans une situation qui justifie l'approche de Stiglitz, mais vous avez des gens qui voudraient consommer davantage. C'est très bien de dire que tout n'est pas dans la consommation, c'est vrai pour beaucoup de gens, mais je prends les gens qui sont au chômage, je prends les petites retraites, je prends les exclus, je prends les gens qui sont en dessous du seuil de pauvreté, leur dire que, finalement, la consommation individuelle, la croissance dont ils pourraient bénéficier, donc ils ne bénéficient pas, ce n'est même plus un objectif collectif, c'est d'une certaine manière les oublier aussi.
 
N. Sarkozy a tout de même semblé assez séduit par les conclusions de ce rapport. Il a immédiatement demandé à l'INSEE, l'Institut national de la statistique, de développer de nouveaux instruments de mesure du progrès économique...
 
Oui, c'est vrai parce que la réflexion est juste. Mais pour qu'elle soit vraiment porteuse, d'abord la France ne peut pas être la seule à changer de méthode statistique...
 
Non, d'ailleurs le président de la République l'a dit.
 
Donc il faut que vraiment ce soit mondial, puisque nos statistiques nous les échangeons et nous nous mesurons les uns et les autres. Donc il faut que ce soit général. Et puis, encore une fois, je pense qu'il ne faut pas abandonner la consommation dans un monde où il y a des gens qui sont très pauvres et parfois même de plus en plus pauvres.
 
Où en est l'élaboration du grand emprunt ? M. Rocard, co-président de la commission de réflexion sur cet emprunt, a dit la semaine dernière qu'il ne serait pas grand par son montant, l'emprunt, et qu'il avait nécessité un travail de sélection redoutable. Est-ce que les chiffres se précisent, est-ce qu'on en voit un peu mieux les contours ?
 
Je crois qu'avant les chiffres, il y a plusieurs étapes. D'abord, je préconise en tous les cas, d'abord qu'il y a la question d'une méthode : comment sélectionner des projets qui seront porteurs pour la France et qui seront de nature à améliorer sa compétitivité, de nature à lui permettre justement d'avoir une meilleure croissance qui profitera à ceux qui restent quand même sur le bord du chemin dans notre société ? De ce point de vue-là d'ailleurs, le ministère de la Relance a fait des innovations. Par exemple, nous avons, sur la relance, mis en place un système très réactif et qui permet d'être efficace. Et puis, un système aussi de rapport de l'évènement qui permet d'être transparent presque immédiatement par rapport à ce qui est fait. Donc il y a cette nécessité de réactivité et puis de sélection également. Et ensuite, il faudra déterminer l'enveloppe mais seulement quand on aura déterminé les projets...
 
Est-ce qu'il faut le faire sur plusieurs années, comme le propose le co-président de cette commission, A. Juppé ?
 
Moi, je suis assez d'accord avec ça, parce qu'il est probable qu'on n'aura pas à dépenser tout d'un coup. Donc pourquoi vouloir assécher peut-être le marché d'ailleurs, en puisant dessus tout d'un coup, sans l'employer immédiatement et en supportant les frais ?
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 septembre 2009