Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, à Europe 1 le 23 septembre 2009, sur la régulation climatique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P.   Elkabbach.-   M.-O. Fogiel : J.-P. Elkabbach, vous recevez ce matin le ministre de   l'Ecologie, J.-L. Borloo ?  
 
Alors, à chaud, aux Nations Unies, à New York, à l'occasion du   rendez-vous mondial sur le climat, avec vous. J.-L. Borloo, bonjour.  
 
Bonjour.  
 
La majorité des chefs d'Etat qui défilaient devant nous ont répété   la gravité du moment, la menace d'un échec à Copenhague. La   France a dit qu'elle n'était pas la seule à redouter un échec qui   serait en effet une catastrophe. Est-ce une dramatisation feinte,   forcée ?  
 
Non, non, non ! On est à 80 jours, ça fait deux ans qu'on discute et   qu'on négocie et, pour l'instant, on n'a pas réussi à cranter une   modification réelle et des engagements très précis des uns et des autres.  
 
Donc, vous sentez les difficultés ?  
 
Énormes difficultés, c'est d'énormes difficultés. On voit le Président   américain qui est sûrement... qui est convaincu, qui a fait sa campagne   là-dessus, l'impossibilité qu'ont les Etats-Unis de dire : « On va faire   moins 20 ou moins 30 ou moins 40 % de gaz à effet de serre ». Et   pourtant, par habitant, ils émettent ou ils polluent trois fois plus qu'un   Français.  
 
Il a été peu applaudi, B. Obama, il a déçu, on l'a entendu.  
 
Oui, je crois. 
 
Oui, vous le dites aussi ?  
 
Oui, oui, parce que...  
 
... parce qu'il se contente de décrire, de promettre, mais les   engagements précis, alors là c'est le flou.  
 
Oui, et par rapport aux Européens notamment, on est à des années   lumières avec toujours une affection - on sent qu'il y a une espèce   d'affection pour ce Président américain - et en même temps une énorme   attente, déçue, des autres pays du monde. Et finalement, il n'est pas   impossible que la solution provienne d'autres parties du monde,   d'endroits où on n'attendait pas probablement la solution.  
 
C'est-à-dire, J.-L. Borloo, que l'administration Bush n'avait pas   signé Kyoto, l'administration Obama pourrait ne pas signer   Copenhague ?  
 
Ah ben, dans tous les cas de figure, elle a déjà dit qu'elle ne ratifierait   pas après coup Kyoto. Or, on est sur l'évolution de Kyoto. Donc, il va   falloir trouver une forme juridique, contraignante quand même, mais   qui ne soit pas tout à fait les mêmes contraintes que pour les Européens,   par exemple. Enfin, on voit bien qu'on est sur une difficulté lourde et le   reste du monde, parce que c'est l'Amérique, attend beaucoup des Etats-   Unis.  
 
Et quand on est en Amérique, on comprend tout de suite que le   réchauffement climatique ce n'est pas la priorité et du pays et de B.   Obama, aujourd'hui.  
 
En tous les cas, c'est pas dans l'actualité parlementaire immédiate la   priorité, mais vous savez, dans aucun pays... il y a toujours des raisons,   il y a toujours des parlements qui ont d'autres préoccupations, il y a   toujours des gouvernements qui ont d'autres préoccupations. C'est   difficile de dire à ses industries : « polluez moins » ; c'est difficile de   dire aux ménages : « faites attention au carbone », quitte à mettre   d'ailleurs une taxe carbone. On voit que c'est difficile, ça demande du   courage, ça ne se fait pas comme ça en claquant des doigts, et c'est vrai   pour chaque pays du monde, voilà.  
 
Alors, les Chinois, eux, ont fait un effort...  
 
... moi, je trouve...  
 
... oui. Est-ce qu'il y a une avancée du côté chinois ?  
 
Je trouve très important le discours du président Hu Jintao, vraiment   très important. Il dit deux choses essentielles. Alors, d'abord il faut bien   qu'on sache que la Chine est le premier pollueur parce que c'est le plus   grand pays du monde, 1,3 milliard d'habitants ; par tête d'habitant, c'est   3 tonnes. Nous, c'est 8, les Européens 12, et les américains 24, pour   fixer les ordres de grandeur. Mais enfin, le Président chinois qu'est-ce   qu'il dit ? Il dit : 1) nous, quoi qu'il arrive, nous faisons un plan   intérieur extrêmement ambitieux qu'on va rendre obligatoire, on se le   rend nous obligatoire ; on ne se contente pas de dire : « voilà ce qu'on   fait, on va le rendre obligatoire par un vote, par des lois, par des   textes ». Et deuxièmement, il dit : « on va maîtriser notre croissance »,   c'est-à-dire on va croître un peu mais on va réduire notre intensité   carbone beaucoup. A la somme de tout ça, « on va maîtriser nos   évolutions ». C'est un changement radical. Jusqu'à il y a très peu de   temps, en gros c'était : « c'est l'affaire des pays industrialisés qui   polluent depuis un siècle ».  
 
Donc, aujourd'hui, la Chine mieux que les Etats-Unis ?  
 
Aujourd'hui, la Chine est dans un processus d'engagement, à cette   heure-ci, plus important. Et dans tout ça, il y a la position du Président   français qui est quand même nettement, vous l'avez vu, a été   extrêmement applaudi. Pourquoi ? Parce que, au fond, c'est dans les   pays industrialisés le pays où le Président qui dit : 1) on sort des   postures diplomatiques et politiques ; 2) voilà la calendrier et les   engagements qu'on attend ; 3) voilà ce que nous on va faire ; 4) il faut   qu'il y ait un accord avec le Brésil et la Chine en préalable ; et 5)   l'Afrique, l'Afrique, l'Afrique et l'Afrique.  
 
Justement, justement, il a proposé la création d'une agence   mondiale de l'environnement - on a envie de dire encore une super   structure ! - et puis un rendez-vous, un sommet mondial en   novembre pour progresser avant le rendez-vous final de   Copenhague. Quel a été l'accueil que vous avez, vous, recueilli   quand il est descendu de la tribune ?  
 
Alors, l'agence mondiale de l'environnement, ce n'est pas un truc de   plus. Il y a 600 organismes et agences répartis dans le monde pour tout   ça. Or, de quoi on a besoin ? De faire du photovoltaïque au Mali, de   financer des centrales solaires, donc on a besoin d'un outil qui va être le   régulateur du post-Copenhague. Et cette agence mondiale qui se réunit,   qui serait probablement sous l'égide des Nations Unies, enfin il faut   voir tout ça, c'est indispensable pour suivre Copenhague. Et puis, il   propose un sommet parce que avant Copenhague il faut...  
 
... en novembre.  
 
... oui, en novembre, parce qu'il faut qu'on passe des négociateurs, dont   je fais partie, au niveau des chefs d'Etat. C'est une affaire de chefs   d'Etat cette affaire.  
 
Ca sera où, à Paris, Bruxelles, Genève ?  
 
Ce n'est pas défini. Et d'abord, pour l'instant ce n'est pas décidé. C'est   une proposition très pratique, très opérationnelle du Président français.   J'espère qu'elle sera entendue.  
 
Tout le monde, J.-L. Borloo, de Ban Ki Moon à Al Gore, reconnaît   que l'Europe est en pointe, le Japon aussi avec son nouveau   gouvernement, et N. Sarkozy s'est fait applaudir au moins à deux   reprises quand il a dit « Aider l'Afrique à accéder à des énergies   propres », ça il faut le faire, et « Sauver la forêt », c'est-à-dire en   Amazonie, il a cité la Sibérie ; en Afrique...  
 
... les trois grands bassins : Congo, Amazonie et Sibérie. Mais, la forêt   c'est 20 % de... enfin, la déforestation c'est 20 % des émissions de gaz.  
 
Et vous, vous avez l'air ce matin enthousiaste. Est-ce que vous ne   vous contentez pas de peu ?  
 
Non, moi, je suis sur un processus. D'abord, j'ai un tout petit peu   d'expérience avec l'accord européen qui était à peu près infaisable, et il   a fallu qu'il y ait un peu de magie, un peu de chance, vous savez   quelque chose qui relève de l'âme, qui relève du sens de la vie, qui   relève du sens de l'humanité, de la responsabilité de chacun. A un   moment donné, ça ne doit pas passer et puis ça passe, bon. Eh bien,   moi, mon travail c'est de préparer, d'aider à préparer nos amis Africains   à Ouagadougou, aller en Chine d'ici une quinzaine de jours, revoir les   Brésiliens, les Mexicains...  
 
... mais on peut arriver- ce matin, vous dites qu'on peut arriver - à   Copenhague à un succès ou pas ?  
 
Bien sûr qu'on peut ! Mais il faut revenir à l'essentiel, voilà.  
 
A quelles conditions ? 
 
L'essentiel c'est les grands blocs s'engagent, pas de la même manière   parce que la culture chinoise et la culture occidentale ne sont pas les   mêmes, et donc la nature de l'engagement n'est pas le même. Il faut que   ça soit des engagements forts mais en respectant la culture de chacun.  
 
J.-L. Borloo, sincèrement, ce que vous avez vu et entendu à New   York est-ce de bon augure pour le G20 de Pittsburgh de demain et   après-demain, encore l'Europe, la Chine, face aux Etats-Unis ?  
 
« Face », je ne dirais pas ça.  
 
Ou à côté, mais tensions, on les a vues ici, on va les voir encore.  
 
Mais, il faut bien se rendre compte que la régulation financière d'après-demain   à Pittsburgh et la régulation climatique, c'est le même sujet,   c'est la même responsabilité.  
 
C'est une nouvelle croissance.  
 
C'est le nouveau monde. On change de monde. Un monde qui était   irrespectueux par des bonus invraisemblables, irrespectueux de la   planète... 
 
... mais est-ce que c'est de bon augure pour Pittsburgh ?  
 
Je ne peux pas répondre à ça. Ce que je sais c'est qu'une mutation de   cette importance elle se fait forcément avec un peu de douleur et   beaucoup de coeur.  
 
En tout cas, sur l'ampleur de la régulation financière, des bonus   malus, du secret bancaire, de la coordination mondiale des   politiques économiques, Pittsburgh ne sera qu'une étape. Merci   d'avoir été avec nous à New York. Bonne journée, ou plutôt bon   retour à Paris.  
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 septembre 2009