Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, premier vice-président de l'UMP, à France Info le 19 octobre 2009, sur la polémique concernant la candidature de Jean Sarkozy à la tête de l'EPAD, les violences urbaines à Poitiers, la crise du marché du lait et l'affaire Clearstream.

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Média : France Info

Texte intégral

A. Soubiran.- L'élection de D. Douillet à Poissy, dans les Yvelines, vous met un peu de baume au coeur ce matin ?
 
Assurément, assurément ! C'est vrai qu'avec toutes les polémiques qu'il y avait eues la semaine dernière, on se posait la question de savoir si ces polémiques auraient un impact dans les urnes, et au fond, les électeurs sont là. Pour ce qui est de l'UMP, il est clair que l'électorat de l'UMP reste mobilisé.
 
Et l'UMP en avait besoin, de ce baume au coeur ?
 
L'UMP en avait forcément besoin, parce qu'il y avait des états d'âme, des humeurs et des rumeurs, il était important qu'une information objective, une élection démocratique, arrive avec un score qui est un score sans appel, à 52 % des voix. Et donc, c'est pour l'UMP vraiment une bonne nouvelle, ce qui nous permet d'attaquer cette nouvelle semaine dans un état d'esprit plus confiant.
 
Justement, N. Sarkozy est à mi-mandat, et vous le disiez vous-même, l'ambiance est loin d'être euphorique, beaucoup de critiques au sein de l'UMP. On revient sur cette dernière polémique concernant J. Sarkozy, qui devrait être élu à la tête de l'EPAD. Un compromis semble en passe d'être trouvé, mais c'est tout de même une affaire qui a un très mauvais effet sur l'électorat ?
 
Ecoutez, c'est clair que ça a eu un effet de polémique qui a perturbé le climat politique ces derniers jours, cette dernière semaine. Mais de ce point de vue-là, cette élection de D. Douillet est une clarification utile, ce n'est pas quelque chose qui a eu un impact électoral. Donc il faut traiter l'affaire au mieux maintenant, mais je pense que l'essentiel est de tourner la page, et d'attendre les deux grands discours du président de la République qui vont arriver dans les jours prochains. D'une part, la réforme des collectivités territoriales et la nouvelle avancée de la décentralisation que nous attendons. Et d'autre part, une réponse à la crise agricole, parce que là, le sujet est aussi très difficile. Il est important d'avoir des réponses précises sur des problèmes très concrets. Au fond, c'est assez surprenant que dans ces dernières semaines, nous ayons beaucoup parlé de l'affaire Mitterrand, de l'affaire J. Sarkozy, alors que nous sommes dans une crise économique. Je vous assure, dans mon Poitou aujourd'hui, au plan de l'agriculture, au plan naturellement de l'élevage, au plan des entreprises de Châtellerault, on a des difficultés liées à la crise internationale, et on a le sentiment quelquefois que Paris parle de choses externes à la crise. Il faut revenir aux sujets : décentralisation et agriculture, ça me paraît deux priorités pour le Président.
 
Agriculture, nous allons en parle dans un instant. Puisque vous parlez du Poitou, il y a une autre polémique : les fichiers mis en place ce week-end, notamment pour mieux identifier les bandes et les casseurs. Poitiers, vous connaissez bien : comment les forces de l'ordre ont-elles pu être si surprises la semaine dernière par ces casseurs que l'on dit de l'ultragauche ?
 
A mon avis, il y a un problème de renseignement, d'information. Nous avons fait une réforme des renseignements, je m'interroge pour savoir si cette réforme est suffisamment efficace parce que, le ministre de l'Intérieur le dit lui-même, on attendait 50 personnes et on se retrouve avec près de 300 personnes qui sont équipées, qui sont masquées. Donc c'est vraiment un afflux de masse qui vient en grande partie de l'extérieur de Poitiers, donc ces gens ont ...
 
Très préparés...
 
...Donc, c'est très préparé, donc ç'aurait dû, normalement, être signalé.
 
Donc il y a eu un dysfonctionnement ?
 
Je pense que nous avons une faille dans notre dispositif de renseignements.
 
La crise agricole, vous en parliez, les agriculteurs en colère ont manifesté la semaine dernière de façon assez vive. Il y a une réunion aujourd'hui à Luxembourg, le ministre s'est prononcé pour la régulation du marché du lait en Europe.
 
Je pense que c'est un des éléments importants aujourd'hui de cette crise puisque, au fond, elle a une dimension européenne, une dimension nationale, et une dimension locale. Au niveau européen, qu'attendnous ? Nous attendons de la régulation. Le lait n'est pas une matière première comme les autres, ce n'est pas du pétrole, il ne faut pas chercher la baisse du coût de la matière première partout et tout le temps. Pourquoi ? Parce que le lait, d'abord, a besoin d'une traçabilité pour qu'on puisse assurer la santé, et donc il y a des conditions de production qui sont des conditions extrêmement rigoureuses. Et puis, il y a naturellement avec le lait, tout l'aménagement du territoire, le métier d'éleveur et l'occupation de notre territoire de manière environnementale et fort respectueuse de cet environnement. Donc nous avons sur le lait la nécessité d'avoir une régulation pour permettre un prix qui soit un prix digne pour les éleveurs. Au plan national, nous avons besoin d'un soutien pour toux ceux qui sont en difficulté financière, ils sont nombreux, notamment tous ceux qui, parce que notamment il y a eu un prix du lait plus élevé l'année dernière, et dans le passé, et qui ont profité de ce prix plus élevé pour faire des investissements, pour se mettre aux normes, parce que les normes sont exigeantes. Et donc, il y a beaucoup d'éleveurs endettés aujourd'hui, il faut donc un allégement des charges des agriculteurs. Et puis aussi, sur le niveau local, il faut naturellement développer les appellations d'origine, il faut développer tout ce qu'on peut développer pour enrichir nos dispositifs de production. On parlait tout à l'heure du Poitou, nous avons une appellation d'origine, "le beurre Charentes-Poitou", c'est une appellation de qualité, il faut pouvoir la valoriser aux yeux des consommateurs.
 
N. Sarkozy est à mi-mandat, on l'a dit, et à deux ans et demi d'une nouvelle élection présidentielle. Vous prônez une réforme des institutions, notamment un régime présidentiel. On n'est pas déjà dans un régime hyper présidentiel ?
 
Pas vraiment parce que, au fond, on est à mi-chemin entre deux systèmes : on ne pratique plus la Ve République de façon traditionnelle comme on l'a fait jusqu'à maintenant, puisque dans la Ve République par exemple, c'est le Premier ministre qui est le chef de la majorité. Aujourd'hui, on voit bien que c'est le Président qui est le chef de la majorité. Donc on ne pratique pas la Ve République comme on la pratiquait de manière traditionnelle, mais on n'est pas passés dans le régime présidentiel. Qu'est-ce que c'est que le régime présidentiel ? C'est certes un président qui a beaucoup de pouvoirs, qui est en première ligne, qui assume ses responsabilités, mais qui a un contrepouvoir qui est le Parlement, qui est beaucoup plus fort que la situation actuelle.
 
Comme aux Etats-Unis ?
 
Comme aux Etats-Unis, par exemple. Donc je pense que nous aurons un choix à faire dans les mois qui viennent, et notamment au lendemain de 2012, où il faudra se poser la question de la réforme institutionnelle. Soit nous revenons à un système traditionnel de Ve République, avec un président arbitre. Soit, nous allons vers le régime présidentiel, et auquel cas, la question de la durée du mandat, la question du droit de dissolution, et un certain nombre de questions de cette nature seront posées. Il faudra choisir entre les deux voies. Je pense que N. Sarkozy a créé une sorte de gouvernance présidentielle aujourd'hui, et que son successeur aura du mal à revenir dans une position d'arbitre. Il a créé une pratique institutionnelle qui nous conduit progressivement au régime présidentiel. C'est mon analyse.
 
Sauf si lui de nouveau qui se représente en 2012. Une dernière question, c'est l'heure du réquisitoire dans le procès Clearstream, vous avez témoigné puisque vous étiez à l'époque Premier ministre. Vous avez dit n'avoir rien su de ce qui se passait. Connaît-on aujourd'hui la vérité, alors qu'on arrive à la fin des débats ? Et cette affaire n'est-elle pas finalement la plus fratricide et la plus gênante pour la majorité ?
 
Ce n'est pas une belle affaire, ce n'est pas une bonne affaire, c'est une affaire qui blesse la démocratie. Donc, moi, je suis vraiment très attaché à ce que la vérité jaillisse, c'est pour cela que je suis allé dire tout ce que je savais, à partir du moment où je le savais, c'est-à-dire en juillet 2004. Et donc, il est important que les juges aujourd'hui, que le tribunal, puissent faire émerger la vérité. Je pense que c'est faisable. Les informations des uns et des autres, nous ont permis de reconstruire un calendrier, nous ont permis d'avoir des informations qui permettront, je le souhaite, de faire la vérité. La démocratie n'a pas été grandie par cette affaire, il faut absolument que la vérité éclate. Je suis très confiant de ce point de vue, parce que j'ai le sentiment que les informations sont maintenant sur la table.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 octobre 2009