Texte intégral
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs
Je voudrais vous dire que je n'ai pas hésité une seule minute quand vous m'avez demandé de venir participer à cette inauguration, parce que c'était pour moi une occasion inespérée de venir dire mon admiration, ma fidélité, ma loyauté à Pierre Messmer, à une vie, qui a été une vie faite de droiture, à une vie qui a été faite de devoir, d'honneur, et en même temps à des idées, à des valeurs qui m'ont guidées tout au long de ma vie politique. Pierre Messmer, c'était un personnage exceptionnel.
Hier soir, j'évoquais sa mémoire avec un ancien collaborateur d'Olivier Guichard, qui me disait que, quelque temps avant la mort de Georges Pompidou, Pierre Messmer avait interrogé Olivier Guichard sur ce qui allait se passer, et quel pouvait être au fond son rôle à lui, et Olivier Guichard lui avait dit : "vous êtes le Premier ministre, vous avez tous les atouts en main, c'est à vous de vous présenter à l'élection présidentielle".
Et Pierre Messmer lui aurait dit- en tout cas, c'est ce qu'on m'a raconté - qu'il ne se sentait pas capable d'assumer cette fonction. C'est une leçon d'humilité, venant d'un homme qui naturellement avait toutes les capacités pour l'assumer ; il y en a tellement qui ne les ont pas et qui pensent qu'ils pourraient l'assumer.
Dans quelques instants va apparaître, au fronton de cette bibliothèque municipale de Sarrebourg, le nom de Pierre Messmer. Je voudrais, avant que cet évènement se produise, vous dire quelques mots qui sont des mots d'émotion et de fierté.
Émotion d'abord au souvenir de ce grand parmi les grands Français qu'était Pierre Messmer, et que j'ai eu la chance de côtoyer.
Dans son sillage, j'ai toujours vu le souffle de l'Histoire, ce souffle qui vous porte à servir la France et à servir la République.
À l'Assemblée Nationale, je dois à l'autorité et à la bienveillance de Pierre Messmer, et à lui seul, ma désignation, à 32 ans, au poste de président de la commission de la Défense nationale et des forces armées.
J'étais en compétition avec des grands noms, des grands noms de la Résistance, comme Jacques Baumel, ou des grands noms de l'histoire de notre armée française, comme le général Bigeard, et Pierre Messmer avait dit : "non, ce sera lui, là" le jeune qui vient d'arriver", et en qui il avait placé sa confiance.
Lorsqu'il nous a quittés en août 2007, je venais à peine de prendre mes fonctions de Premier ministre.
Et, je regrette qu'il n'ait pas pu être le témoin de la politique de réforme que nous menons avec le président de la République.
Il aurait pu certainement nous délivrer ses conseils, ses critiques, ses encouragements, et je veux dire que j'aurais tellement aimé les recevoir de lui plus que de quiconque.
Cette émotion ce matin, elle est mâtinée de fierté.
Fierté d'abord d'incarner à la tête du Gouvernement une sensibilité, qui, je le crois, n'est pas infidèle aux convictions de Pierre Messmer.
Au coeur du message gaullien, il y a d'abord le refus de l'impuissance, cette impuissance qui est l'antichambre du déclin ; il y a cette volonté farouche qui est la nôtre de renouveler notre héritage national pour le perpétuer.
Il faut se replonger dans les heures sombres des années 40, ces heures où la France est totalement défaite, pour sentir à sa juste valeur ce pouvoir de réagir et d'espérer encore, qui a été celui de Pierre Messmer.
Hier, une poignée d'hommes et de femmes n'acceptèrent pas la défaite.
Au plus profond de soi-même, résister, c'était pour eux avoir tranché une question suprême: est ce qu'il faut prendre le risque de mourir pour la liberté ou est ce qu'il faut accepter la certitude de vivre enchaîné ?
Eh bien, devant cette question fondamentale, Pierre Messmer était en règle avec sa conscience.
Vingt ans plus tard, notre nation entreprenait, au début des années 60, l'une de ses plus vastes entreprises de modernisation. Sous l'autorité du général de Gaulle, Pierre Messmer engagea l'une des transformations les plus profondes de nos armées, offrant ainsi à la France la capacité d'être souveraine.
Aujourd'hui, il y a beaucoup d'autres défis qui nous invitent à nous battre pour tenir notre rang.
Devant cette bibliothèque qui va offrir aux Sarrebourgeois tout ce qui fut lu et écrit par celui qui fut héros de la France libre, administrateur de la France d'Outre-mer, ministre de la Défense, Premier Ministre, maire de Sarrebourg, Académicien, je veux dire que, cinq mots, pour moi, distinguent Pierre Messmer.
D'abord le mot "France".
Pierre Messmer, comme le Général De Gaulle, se faisait de son pays la plus haute idée qui soit. La France n'est elle-même que lorsqu'elle est grande. Et elle n'est grande que lorsqu'elle vise très haut.
Oui, mesdames et messieurs nous devons regarder et affronter les montagnes pour ne pas sombrer dans les querelles intestines; pour ne pas nous engluer dans les politiques stériles qui saturent notre actualité aux dépens des débats essentiels.
Ces "poisons" et ces "délices" de la vie politicienne, Pierre Messmer les haïssait au point de se dire fier de ne pas avoir la politique pour métier ! Certains ont vu dans cette exigence de grandeur gaullienne le signe d'un nationalisme cocardier, alors qu'en réalité, elle est l'expression d'un patriotisme éclairé, et d'un patriotisme ouvert sur les réalités du monde.
Hier, notre universalisme qui est au fond consubstantiel à notre histoire nous commandait de lutter contre les empires qui étouffaient le génie des nations. Eh bien, aujourd'hui, ce même universalisme nous commande d'agir pour une mondialisation qui soit plus juste et qui soit plus équilibrée.
Hier, notre attachement à la souveraineté nationale nous dissuadait de nous fondre dans une Europe sans ambition. Aujourd'hui, notre pays agit pour une Europe politique, comme nous l'avons fait pendant la Présidence française de l'Union Européenne. Changer le cours de la mondialisation, donner à l'Europe la volonté d'être elle-même et de défendre un modèle de civilisation, c'est être fidèle à une certaine idée de la France, c'est être fidèle à une certaine idée du volontarisme, qui étaient toutes les deux chères à Pierre Messmer.
Ensuite, le mot "combat".
Pierre Messmer fut le héros sans faille, l'officier chevaleresque de la France combattante. Il était de cette trempe d'hommes qui, en 1940, furent insultés par un armistice qui leur commandait de déposer les armes. Il était un engagé, non pas du 18 juin, mais du 17.
Son nom est à l'appel des batailles qui ont sauvé l'honneur de l'armée française, de Bir Hakeim à El Alamein. Il incarnait, comme l'a dit justement Maurice Druon, cette disposition d'âme sans laquelle toute autre vertu serait inopérante, et qui s'appelle le courage.
Au courage, j'ajouterai l'espérance, cette espérance qui nourrit les rêves que poursuivent les actes.
"Un vieux gaulliste comme moi garde toujours au coeur l'espérance", disait Pierre Messmer.
L'espérance est le contraire de l'attentisme et de l'immobilisme. La France que nous aimons, la France que nous voulons, n'a jamais fait bon ménage avec le statu quo et les arrangements à la petite semaine, ce que le Général de Gaulle qualifiait en son temps avec ces mots qu'il était le seul capable de prononcer : "la petite soupe sur son petit feu, dans sa petite marmite".
Si depuis le printemps 2007, avec le président de la République, nous nous efforçons de réformer rapidement et sans relâche, si l'essentiel de notre stratégie se concentre sur la réhabilitation du travail, si nous avons donné l'autonomie à nos universités qu'elles puissent rayonner, si nous réformons l'Etat, si nous nous apprêtons à réformer les collectivités territoriales, si nous prendrons nos responsabilités sur les retraites, c'est parce que nous refusons le déclassement national.
Nous n'avons pas d'autre choix que celui de l'audace.
C'est une rupture historique qui est à l'oeuvre sous nos yeux, et la crise financière que nous venons de traverser ne fait que l'amplifier.
En réalité, pendant des siècles, la France, avec quelques rares autres puissances, a dominé le monde.
Cette puissance sans égale nous a permis de bâtir une civilisation riche et prospère. Mais désormais le monde se réveille et le monde prend sa revanche sur l'Histoire.
Des continents entiers sont en quête de progrès. Quand nous, nous luttons pour préserver notre héritage, eux ils se battent pour constituer le leur !
Eh bien, cette nouvelle donne historique, elle place la France et l'Europe devant une immense épreuve qui ne fait que commencer.
Nous avons subi l'an passé un choc économique comme nous n'avions pas connu depuis près d'un siècle.
Nous sommes passés à deux doigts d'un krach financier mondial.
Et dans ce contexte, nous devons nous battre pour conquérir la croissance du futur.
Le futur, justement, voilà, c'est encore un mot qui s'attache à la personnalité de Pierre Messmer.
Chez lui, l'avant-garde fut plus que jamais une lutte.
Lutte pour défendre la décolonisation décidée par le général de Gaulle, parfois souvent contre ses propres amis de la France d'outre-mer.
Lutte pour doter la France de l'arme atomique.
Lutte pour l'équiper des centrales nucléaires qui assurent aujourd'hui la quasi-totalité de notre indépendance énergétique.
Aujourd'hui comme hier, nous devons prendre une longueur d'avance sur le futur.
Et c'est ainsi que nous serons le plus fidèles à Pierre Messmer.
La "croissance verte", le numérique, les biotechnologies... nous devons investir sur des priorités nationales qui vont dessiner l'avenir de notre nation.
Il faut pour cela que l'Europe, enfin débarrassée des sujets institutionnels, initie, elle aussi, une grande politique d'investissements d'avenir.
Elle doit répondre à des enjeux décisifs.
Il faut accompagner l'industrie automobile, en particulier vers le défi du véhicule électrique. Il faut faciliter l'adaptation des industries vitales comme la chimie ou comme l'électronique.
Il faut revoir les règles de la concurrence intérieure pour faire émerger des géants européens.
Il faut lutter contre le dumping environnemental exercé par les pays qui ne respecteraient pas leurs obligations environnementales.
En 2004, Pierre Messmer, dans une communication à l'Académie des Sciences morales et politiques, émettait l'idée que l'Europe ne se fortifierait, je le cite, qu'en "faisant rêver à de grandes aventures".
Et il en évoquait deux: la recherche scientifique et technique, avec la biologie, l'exploration des océans et de l'espace ; et la solidarité avec ceux qu'il appelait "les plus misérables" de l'Afrique.
Voir loin et agir pour l'homme, voilà le message qui a été celui de Pierre Messmer.
Ici, la responsabilité de l'Etat est engagée.
Et l' "Etat" : c'est le quatrième mot que m'inspire Pierre Messmer, lui qui fut avant tout le serviteur de la République.
Quelques mois avant de nous quitter, Pierre Messmer disait : "S'il y a une actualité du gaullisme, c'est bien l'autorité de l'Etat".
La crise a marqué les limites d'un capitalisme jusque là triomphant, qui se jouait de la puissance publique.
Il ne faut pas aujourd'hui remettre en cause la force créatrice du capitalisme et de l'économie de marché, qui ont démontré qu'ils étaient les meilleurs moyens de produire richesses et progrès.
Mais il serait irresponsable de sous-estimer les failles dangereuses et parfois scandaleuses d'un système mal régulé et dépourvu de morale.
Le gaullisme, c'est une éthique de progrès qui ne se perd pas dans la course au profit.
Le gaullisme c'est la synthèse entre l'efficacité économique et la justice sociale.
Et l'Etat y joue un rôle d'arbitre, un rôle d'arbitre entre les impératifs du long terme et puis les pulsions du court terme.
Je suis pour un Etat fort, pour un Etat qui impulse, pour un Etat qui protège, pour un Etat qui régule, pour un Etat qui investit.
Mais l'autorité de l'Etat, vous le savez bien, elle n'a de sens que si elle s'appuie sur une gestion sérieuse de la France.
Depuis 35 ans, notre pays accumule dette sur dette, et déficit sur déficit.
Nous n'avons pas le droit de laisser à nos enfants un paysage sans marge de manoeuvre, anémié par le poids de nos hésitations.
La hauteur de nos déficits structurels est une menace pour la survie même de nos systèmes économiques.
Année après année, il faut donc continuer avec obstination notre effort de réduction des dépenses publiques.
Il est enfin un mot qui me vient à l'esprit en me remémorant le visage de Pierre Messmer, c'est le mot de "dignité".
Pierre Messmer incarnait une certaine façon de faire de la politique. Sa nature discrète le poussait à avoir horreur des compliments et des louanges. "Je n'aime pas les coups d'encensoir. Cela fait mal à la tête", disait-il avec ironie.
Il n'était pas homme à faire étalage de ses succès ou de ses vertus.
Peu de gens savent à quel point il était, au-delà de sa figure de légionnaire intrépide, un esprit fin, un lecteur assidu et un auteur aussi ferme dans ses idées que modeste dans son style.
Cette attitude était, bien plus qu'un penchant naturel à la discrétion, cette attitude c'était une éthique du comportement.
Une éthique qui l'entraîna à prendre les armes face à l'occupant nazi, parce que l'honneur ne se négocie pas.
Une éthique qui le poussa, en 1974, à ne pas entrer dans la course à la succession de Georges Pompidou parce que disait-il, "je ne veux pas diviser mon camp".
Une éthique qui le portait à refuser la division de la France, parce qu'il n'y a pas un peuple de droite contre un peuple de gauche, il n'y a qu'un peuple Français, capable dans son unité de toutes les grandeurs.
Une éthique qui le conduisit à cultiver, dans toutes ses fonctions et dans tous ses mandats, l'élégance, la droiture et la courtoisie.
Une éthique qui lui fit prendre pour compagne de tous ses engagements, la vérité et l'authenticité.
Alors mesdames et messieurs, mes chers amis méditons son exemple.
La vie de nos concitoyens est difficile et leur regard sur ceux qui les représentent est exigeant.
Faire de la politique, ce n'est pas se comporter en vedette ou en star. Faire de la politique c'est être tout simplement un élu au service de son pays.
Ce n'est pas avec les sondages qu'on gouverne la France et c'est encore moins avec eux qu'on construit son avenir.
Dans le gaullisme, dont Pierre Messmer fut l'un des messagers les plus attachants, ce que je vois en définitif, c'est l'humanisme.
Un humanisme exigeant, un humanisme que je ne dissocie pas d'une citoyenneté engagée, ou mieux encore, d'une vie engagée !
Une vie où le choix de la liberté, où le choix de la responsabilité fonde la dignité de l'Homme.
Nous ne sommes pas des numéros de Sécurité sociale, nous ne sommes pas des cibles de marketing. Nous sommes des citoyens, des citoyens français ! Avec nos devoirs, avec nos droits, avec nos espoirs.
Et face aux risques de la standardisation et de l'émiettement social que génère notre société contemporaine, eh bien le souvenir de Pierre Messmer nous invite à l'honneur de vivre debout et ensemble.
La question de la condition humaine est plus actuelle que jamais.
Cette question, elle est naturellement politique parce que, qu'est-ce que c'est que la politique, si ne ce n'est la volonté d'essayer d'orienter les forces de l'Histoire pour ne pas les voir déposséder, les hommes et les peuples, de leur libre-arbitre et de leur destin ?
Voilà, mesdames et messieurs, mes chers amis, les quelques mots de foi autour de la figure de Pierre Messmer que je me permets d'ajouter à cette bibliothèque.
Viser haut, voir loin, vivre courageusement, agir modestement : voilà les commandements que Pierre Messmer nous adresse encore à tous.
Ce sont des vertus qui nous obligent. Et je suis particulièrement heureux de pouvoir les célébrer aujourd'hui, avec vous, dans cette ville de Sarrebourg où sa mémoire et son souvenir sont tellement forts.
Source http://www.gouvernement.fr, le 23 octobre 2009
Mesdames et Messieurs
Je voudrais vous dire que je n'ai pas hésité une seule minute quand vous m'avez demandé de venir participer à cette inauguration, parce que c'était pour moi une occasion inespérée de venir dire mon admiration, ma fidélité, ma loyauté à Pierre Messmer, à une vie, qui a été une vie faite de droiture, à une vie qui a été faite de devoir, d'honneur, et en même temps à des idées, à des valeurs qui m'ont guidées tout au long de ma vie politique. Pierre Messmer, c'était un personnage exceptionnel.
Hier soir, j'évoquais sa mémoire avec un ancien collaborateur d'Olivier Guichard, qui me disait que, quelque temps avant la mort de Georges Pompidou, Pierre Messmer avait interrogé Olivier Guichard sur ce qui allait se passer, et quel pouvait être au fond son rôle à lui, et Olivier Guichard lui avait dit : "vous êtes le Premier ministre, vous avez tous les atouts en main, c'est à vous de vous présenter à l'élection présidentielle".
Et Pierre Messmer lui aurait dit- en tout cas, c'est ce qu'on m'a raconté - qu'il ne se sentait pas capable d'assumer cette fonction. C'est une leçon d'humilité, venant d'un homme qui naturellement avait toutes les capacités pour l'assumer ; il y en a tellement qui ne les ont pas et qui pensent qu'ils pourraient l'assumer.
Dans quelques instants va apparaître, au fronton de cette bibliothèque municipale de Sarrebourg, le nom de Pierre Messmer. Je voudrais, avant que cet évènement se produise, vous dire quelques mots qui sont des mots d'émotion et de fierté.
Émotion d'abord au souvenir de ce grand parmi les grands Français qu'était Pierre Messmer, et que j'ai eu la chance de côtoyer.
Dans son sillage, j'ai toujours vu le souffle de l'Histoire, ce souffle qui vous porte à servir la France et à servir la République.
À l'Assemblée Nationale, je dois à l'autorité et à la bienveillance de Pierre Messmer, et à lui seul, ma désignation, à 32 ans, au poste de président de la commission de la Défense nationale et des forces armées.
J'étais en compétition avec des grands noms, des grands noms de la Résistance, comme Jacques Baumel, ou des grands noms de l'histoire de notre armée française, comme le général Bigeard, et Pierre Messmer avait dit : "non, ce sera lui, là" le jeune qui vient d'arriver", et en qui il avait placé sa confiance.
Lorsqu'il nous a quittés en août 2007, je venais à peine de prendre mes fonctions de Premier ministre.
Et, je regrette qu'il n'ait pas pu être le témoin de la politique de réforme que nous menons avec le président de la République.
Il aurait pu certainement nous délivrer ses conseils, ses critiques, ses encouragements, et je veux dire que j'aurais tellement aimé les recevoir de lui plus que de quiconque.
Cette émotion ce matin, elle est mâtinée de fierté.
Fierté d'abord d'incarner à la tête du Gouvernement une sensibilité, qui, je le crois, n'est pas infidèle aux convictions de Pierre Messmer.
Au coeur du message gaullien, il y a d'abord le refus de l'impuissance, cette impuissance qui est l'antichambre du déclin ; il y a cette volonté farouche qui est la nôtre de renouveler notre héritage national pour le perpétuer.
Il faut se replonger dans les heures sombres des années 40, ces heures où la France est totalement défaite, pour sentir à sa juste valeur ce pouvoir de réagir et d'espérer encore, qui a été celui de Pierre Messmer.
Hier, une poignée d'hommes et de femmes n'acceptèrent pas la défaite.
Au plus profond de soi-même, résister, c'était pour eux avoir tranché une question suprême: est ce qu'il faut prendre le risque de mourir pour la liberté ou est ce qu'il faut accepter la certitude de vivre enchaîné ?
Eh bien, devant cette question fondamentale, Pierre Messmer était en règle avec sa conscience.
Vingt ans plus tard, notre nation entreprenait, au début des années 60, l'une de ses plus vastes entreprises de modernisation. Sous l'autorité du général de Gaulle, Pierre Messmer engagea l'une des transformations les plus profondes de nos armées, offrant ainsi à la France la capacité d'être souveraine.
Aujourd'hui, il y a beaucoup d'autres défis qui nous invitent à nous battre pour tenir notre rang.
Devant cette bibliothèque qui va offrir aux Sarrebourgeois tout ce qui fut lu et écrit par celui qui fut héros de la France libre, administrateur de la France d'Outre-mer, ministre de la Défense, Premier Ministre, maire de Sarrebourg, Académicien, je veux dire que, cinq mots, pour moi, distinguent Pierre Messmer.
D'abord le mot "France".
Pierre Messmer, comme le Général De Gaulle, se faisait de son pays la plus haute idée qui soit. La France n'est elle-même que lorsqu'elle est grande. Et elle n'est grande que lorsqu'elle vise très haut.
Oui, mesdames et messieurs nous devons regarder et affronter les montagnes pour ne pas sombrer dans les querelles intestines; pour ne pas nous engluer dans les politiques stériles qui saturent notre actualité aux dépens des débats essentiels.
Ces "poisons" et ces "délices" de la vie politicienne, Pierre Messmer les haïssait au point de se dire fier de ne pas avoir la politique pour métier ! Certains ont vu dans cette exigence de grandeur gaullienne le signe d'un nationalisme cocardier, alors qu'en réalité, elle est l'expression d'un patriotisme éclairé, et d'un patriotisme ouvert sur les réalités du monde.
Hier, notre universalisme qui est au fond consubstantiel à notre histoire nous commandait de lutter contre les empires qui étouffaient le génie des nations. Eh bien, aujourd'hui, ce même universalisme nous commande d'agir pour une mondialisation qui soit plus juste et qui soit plus équilibrée.
Hier, notre attachement à la souveraineté nationale nous dissuadait de nous fondre dans une Europe sans ambition. Aujourd'hui, notre pays agit pour une Europe politique, comme nous l'avons fait pendant la Présidence française de l'Union Européenne. Changer le cours de la mondialisation, donner à l'Europe la volonté d'être elle-même et de défendre un modèle de civilisation, c'est être fidèle à une certaine idée de la France, c'est être fidèle à une certaine idée du volontarisme, qui étaient toutes les deux chères à Pierre Messmer.
Ensuite, le mot "combat".
Pierre Messmer fut le héros sans faille, l'officier chevaleresque de la France combattante. Il était de cette trempe d'hommes qui, en 1940, furent insultés par un armistice qui leur commandait de déposer les armes. Il était un engagé, non pas du 18 juin, mais du 17.
Son nom est à l'appel des batailles qui ont sauvé l'honneur de l'armée française, de Bir Hakeim à El Alamein. Il incarnait, comme l'a dit justement Maurice Druon, cette disposition d'âme sans laquelle toute autre vertu serait inopérante, et qui s'appelle le courage.
Au courage, j'ajouterai l'espérance, cette espérance qui nourrit les rêves que poursuivent les actes.
"Un vieux gaulliste comme moi garde toujours au coeur l'espérance", disait Pierre Messmer.
L'espérance est le contraire de l'attentisme et de l'immobilisme. La France que nous aimons, la France que nous voulons, n'a jamais fait bon ménage avec le statu quo et les arrangements à la petite semaine, ce que le Général de Gaulle qualifiait en son temps avec ces mots qu'il était le seul capable de prononcer : "la petite soupe sur son petit feu, dans sa petite marmite".
Si depuis le printemps 2007, avec le président de la République, nous nous efforçons de réformer rapidement et sans relâche, si l'essentiel de notre stratégie se concentre sur la réhabilitation du travail, si nous avons donné l'autonomie à nos universités qu'elles puissent rayonner, si nous réformons l'Etat, si nous nous apprêtons à réformer les collectivités territoriales, si nous prendrons nos responsabilités sur les retraites, c'est parce que nous refusons le déclassement national.
Nous n'avons pas d'autre choix que celui de l'audace.
C'est une rupture historique qui est à l'oeuvre sous nos yeux, et la crise financière que nous venons de traverser ne fait que l'amplifier.
En réalité, pendant des siècles, la France, avec quelques rares autres puissances, a dominé le monde.
Cette puissance sans égale nous a permis de bâtir une civilisation riche et prospère. Mais désormais le monde se réveille et le monde prend sa revanche sur l'Histoire.
Des continents entiers sont en quête de progrès. Quand nous, nous luttons pour préserver notre héritage, eux ils se battent pour constituer le leur !
Eh bien, cette nouvelle donne historique, elle place la France et l'Europe devant une immense épreuve qui ne fait que commencer.
Nous avons subi l'an passé un choc économique comme nous n'avions pas connu depuis près d'un siècle.
Nous sommes passés à deux doigts d'un krach financier mondial.
Et dans ce contexte, nous devons nous battre pour conquérir la croissance du futur.
Le futur, justement, voilà, c'est encore un mot qui s'attache à la personnalité de Pierre Messmer.
Chez lui, l'avant-garde fut plus que jamais une lutte.
Lutte pour défendre la décolonisation décidée par le général de Gaulle, parfois souvent contre ses propres amis de la France d'outre-mer.
Lutte pour doter la France de l'arme atomique.
Lutte pour l'équiper des centrales nucléaires qui assurent aujourd'hui la quasi-totalité de notre indépendance énergétique.
Aujourd'hui comme hier, nous devons prendre une longueur d'avance sur le futur.
Et c'est ainsi que nous serons le plus fidèles à Pierre Messmer.
La "croissance verte", le numérique, les biotechnologies... nous devons investir sur des priorités nationales qui vont dessiner l'avenir de notre nation.
Il faut pour cela que l'Europe, enfin débarrassée des sujets institutionnels, initie, elle aussi, une grande politique d'investissements d'avenir.
Elle doit répondre à des enjeux décisifs.
Il faut accompagner l'industrie automobile, en particulier vers le défi du véhicule électrique. Il faut faciliter l'adaptation des industries vitales comme la chimie ou comme l'électronique.
Il faut revoir les règles de la concurrence intérieure pour faire émerger des géants européens.
Il faut lutter contre le dumping environnemental exercé par les pays qui ne respecteraient pas leurs obligations environnementales.
En 2004, Pierre Messmer, dans une communication à l'Académie des Sciences morales et politiques, émettait l'idée que l'Europe ne se fortifierait, je le cite, qu'en "faisant rêver à de grandes aventures".
Et il en évoquait deux: la recherche scientifique et technique, avec la biologie, l'exploration des océans et de l'espace ; et la solidarité avec ceux qu'il appelait "les plus misérables" de l'Afrique.
Voir loin et agir pour l'homme, voilà le message qui a été celui de Pierre Messmer.
Ici, la responsabilité de l'Etat est engagée.
Et l' "Etat" : c'est le quatrième mot que m'inspire Pierre Messmer, lui qui fut avant tout le serviteur de la République.
Quelques mois avant de nous quitter, Pierre Messmer disait : "S'il y a une actualité du gaullisme, c'est bien l'autorité de l'Etat".
La crise a marqué les limites d'un capitalisme jusque là triomphant, qui se jouait de la puissance publique.
Il ne faut pas aujourd'hui remettre en cause la force créatrice du capitalisme et de l'économie de marché, qui ont démontré qu'ils étaient les meilleurs moyens de produire richesses et progrès.
Mais il serait irresponsable de sous-estimer les failles dangereuses et parfois scandaleuses d'un système mal régulé et dépourvu de morale.
Le gaullisme, c'est une éthique de progrès qui ne se perd pas dans la course au profit.
Le gaullisme c'est la synthèse entre l'efficacité économique et la justice sociale.
Et l'Etat y joue un rôle d'arbitre, un rôle d'arbitre entre les impératifs du long terme et puis les pulsions du court terme.
Je suis pour un Etat fort, pour un Etat qui impulse, pour un Etat qui protège, pour un Etat qui régule, pour un Etat qui investit.
Mais l'autorité de l'Etat, vous le savez bien, elle n'a de sens que si elle s'appuie sur une gestion sérieuse de la France.
Depuis 35 ans, notre pays accumule dette sur dette, et déficit sur déficit.
Nous n'avons pas le droit de laisser à nos enfants un paysage sans marge de manoeuvre, anémié par le poids de nos hésitations.
La hauteur de nos déficits structurels est une menace pour la survie même de nos systèmes économiques.
Année après année, il faut donc continuer avec obstination notre effort de réduction des dépenses publiques.
Il est enfin un mot qui me vient à l'esprit en me remémorant le visage de Pierre Messmer, c'est le mot de "dignité".
Pierre Messmer incarnait une certaine façon de faire de la politique. Sa nature discrète le poussait à avoir horreur des compliments et des louanges. "Je n'aime pas les coups d'encensoir. Cela fait mal à la tête", disait-il avec ironie.
Il n'était pas homme à faire étalage de ses succès ou de ses vertus.
Peu de gens savent à quel point il était, au-delà de sa figure de légionnaire intrépide, un esprit fin, un lecteur assidu et un auteur aussi ferme dans ses idées que modeste dans son style.
Cette attitude était, bien plus qu'un penchant naturel à la discrétion, cette attitude c'était une éthique du comportement.
Une éthique qui l'entraîna à prendre les armes face à l'occupant nazi, parce que l'honneur ne se négocie pas.
Une éthique qui le poussa, en 1974, à ne pas entrer dans la course à la succession de Georges Pompidou parce que disait-il, "je ne veux pas diviser mon camp".
Une éthique qui le portait à refuser la division de la France, parce qu'il n'y a pas un peuple de droite contre un peuple de gauche, il n'y a qu'un peuple Français, capable dans son unité de toutes les grandeurs.
Une éthique qui le conduisit à cultiver, dans toutes ses fonctions et dans tous ses mandats, l'élégance, la droiture et la courtoisie.
Une éthique qui lui fit prendre pour compagne de tous ses engagements, la vérité et l'authenticité.
Alors mesdames et messieurs, mes chers amis méditons son exemple.
La vie de nos concitoyens est difficile et leur regard sur ceux qui les représentent est exigeant.
Faire de la politique, ce n'est pas se comporter en vedette ou en star. Faire de la politique c'est être tout simplement un élu au service de son pays.
Ce n'est pas avec les sondages qu'on gouverne la France et c'est encore moins avec eux qu'on construit son avenir.
Dans le gaullisme, dont Pierre Messmer fut l'un des messagers les plus attachants, ce que je vois en définitif, c'est l'humanisme.
Un humanisme exigeant, un humanisme que je ne dissocie pas d'une citoyenneté engagée, ou mieux encore, d'une vie engagée !
Une vie où le choix de la liberté, où le choix de la responsabilité fonde la dignité de l'Homme.
Nous ne sommes pas des numéros de Sécurité sociale, nous ne sommes pas des cibles de marketing. Nous sommes des citoyens, des citoyens français ! Avec nos devoirs, avec nos droits, avec nos espoirs.
Et face aux risques de la standardisation et de l'émiettement social que génère notre société contemporaine, eh bien le souvenir de Pierre Messmer nous invite à l'honneur de vivre debout et ensemble.
La question de la condition humaine est plus actuelle que jamais.
Cette question, elle est naturellement politique parce que, qu'est-ce que c'est que la politique, si ne ce n'est la volonté d'essayer d'orienter les forces de l'Histoire pour ne pas les voir déposséder, les hommes et les peuples, de leur libre-arbitre et de leur destin ?
Voilà, mesdames et messieurs, mes chers amis, les quelques mots de foi autour de la figure de Pierre Messmer que je me permets d'ajouter à cette bibliothèque.
Viser haut, voir loin, vivre courageusement, agir modestement : voilà les commandements que Pierre Messmer nous adresse encore à tous.
Ce sont des vertus qui nous obligent. Et je suis particulièrement heureux de pouvoir les célébrer aujourd'hui, avec vous, dans cette ville de Sarrebourg où sa mémoire et son souvenir sont tellement forts.
Source http://www.gouvernement.fr, le 23 octobre 2009