Interview de M. Patrick Devedjian, ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance, à France 2 le 3 novembre 2009, sur le montant et l'utilisation du grand emprunt et sur les résultats du plan de relance.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Avant de parler du plan de relance, je voudrais qu'on revienne sur le grand emprunt. Il y a une soixantaine de députés UMP qui mène une fronde, qui dit que l'emprunt devrait être de 50 à 100 milliards, alors que le Gouvernement est plutôt sur 20 à 30 milliards, eux disent : 20 à 30 milliards c'est un petit emprunt. A partir de quand est-on dans un grand emprunt ?
 
Ce n'est pas ça le sujet, le sujet c'est le contenu...
 
C'est le sujet.
 
Non, mais le sujet... c'est normal qu'il y ait un débat là-dessus à l'intérieur de la majorité, et même l'opposition si elle veut, c'est normal, c'est un programme important. Mais le vrai sujet c'est : qu'est-ce qu'on dans le grand emprunt ? Ce qu'on doit mettre dans le grand emprunt ce sont des choses qui doivent produire un rendement, de la croissance, le plus vite possible. Quand on aura énuméré, qu'on se sera mis d'accord sur ce que ça contient, on le chiffrera, et on verra quelle est la dimension du grand emprunt. Mais d'abord il faut savoir ce que c'est.
 
Il y a quand même une dimension symbolique. 20 milliards ou 100 milliards ce n'est pas le même signal ?
 
Encore une fois, ça dépend du contenu. Par exemple, il faut, je pense, faire du numérique dans le grand emprunt, faire un grand plan numérique parce que c'est une condition de la modernisation de la France. Il faut aussi, par exemple, pour le bâtiment, avoir les critères de la croissance verte, c'est-à-dire l'isolation thermique en particulier parce qu'on fera des économies d'énergie et que c'est rentable. Il faut sur les technologies de pointe, par exemple, les nanotechnologies, très microscopiques, plus que microscopiques, il faut aussi développer un grand programme d'action parce qu'on a de l'avance. Sur le nucléaire, on a aussi de l'avance. Donc, tout ça il faut faire le calcul. Sur les infrastructures, il faut faire des TGV.
 
Et au total, au final, vous pensez qu'on sera à combien, quel chiffre ?
 
Non mais, encore une fois, quand on aura arrêté le programme, je dirai pour ma part ce que ça devrait représenter comme somme, mais arrêtons d'abord le programme avant de définir combien ça coûte.
 
Vous parliez du nucléaire, il y a ce matin un problème autour de l'EPR, le nouveau réacteur nucléaire, les autorités de sûreté nucléaire de plusieurs pays dont la France, disent qu'il n'est pas vraiment sûr, qu'il faut revoir des points. Vous étiez ministre de l'Industrie au moment du lancement de l'EPR, est-ce que c'était un mauvais projet ?
 
Non, c'était un très bon projet, c'est un projet qui est en avance de dix ans sur tous les autres pays.
 
On nous dit de revoir quand même le fond.
 
Mais non, attendez, d'abord, l'EPR c'est un prototype, et en Finlande c'est le premier générateur de ce progrès-là. Et l'Autorité de sûreté nucléaire de France, mais aussi de Grande-Bretagne ou de Finlande, elle est dans son rôle lorsqu'elle demande un perfectionnement, c'est ce qu'elle demande, un perfectionnement des conditions de sûreté. Aujourd'hui, il y a deux systèmes de sûreté, ils sont connectés ; elles demandent qu'ils soient indépendants l'un de l'autre, ce n'est pas la révolution mais c'est sans doute une amélioration de la sécurité.
 
Sur le plan de relance, où en est-on, on parle beaucoup plus du grand emprunt aujourd'hui que de ce plan de relance, et pourtant il avance ?
 
Bien sûr il avance et même il donne des résultats. Aujourd'hui, il y a 25 milliards qui ont été injectés dans l'économie, le millième chantier je l'ouvre ce matin, dans le Calvados. Donc les 1.000 chantiers de l'Etat ont été engagés, et en réalité il y en aura encore environ 200 qui vont s'ouvrir derrière, on va dépasser naturellement les 1.000. Et puis, on peut dire que sur 2009-2010, on aura créé à peu près 400.000 emplois - créé ou préservé, pour être honnête - ou préservé 400.000 emplois.
 
Sur ce plan de relance, l'essentiel est réalisé. Est-ce que ça veut dire que votre mission est bientôt terminée, est-ce que ça veut dire que vous allez bientôt quitter le Gouvernement ?
 
Mais la loi prévoit deux ans pour le plan de relance, donc j'ai un CDD, c'est clair, donc, quand j'aurai accompli ma mission, oui je serai à la disposition du président de la République. Mais tous les ministres sont dans cette situation.
 
Est-ce que vous êtes, par exemple, à la disposition du Président pour mettre en place l'application du grand emprunt ?
 
Je ne suis pas sûr que pour le grand emprunt il soit nécessaire d'avoir un ministère. Je pense que naturellement la méthodologie qui a été celle du plan de relance serait utile pour le grand emprunt, je le crois, c'est-à-dire, une administration forte, transversale et dédiée, mais petite, mais à mon avis petite parce que une fois qu'on aura lancé l'emprunt, une fois qu'on aura déterminé les directions de l'investissement, la tâche sera  achevée.
 
Sur la croissance dont vous parliez, avez-vous le sentiment que la reprise aujourd'hui est là, en France ?
 
Non, j'ai le sentiment que ça va moins mal que ça n'allait dans les six premiers mois de l'année, mais la reprise n'est pas encore présente, la preuve d'ailleurs, c'est que la toute petite croissance que nous avons, qui est quand même supérieure à celle de tous les autres pays, à part les Etats-Unis qui viennent de faire une percée sur la croissance, ce qui est peut-être exceptionnel, nous, nous sommes à + 0,3, ce n'est pas beaucoup, mais les autres sont en-dessous de zéro. Mais ça ne produit pas d'emploi, donc on ne peut pas dire que la reprise est là tant que le chômage s'accroît.
 
Il y a quand même des chiffres dans l'automobile, par exemple, qui sont bons ?
 
Oui, il y a des chiffres qui sont bons, et même dans l'automobile, je crois qu'on a sauvé la filière. C'est un vrai succès puisqu'on avait budgété pour la prime à la casse 220.000 véhicules et on est à 440.000 aujourd'hui, donc on a doublé la prévision, et sans doute on aura dépassé 500.000 à la fin de l'année. Donc c'est un vrai succès.
 
Mais lorsque cette prime va s'arrêter progressivement l'année prochaine, est-ce que le marché ne risque pas de s'effondrer ?
 
Vous avez vu que là, quand même il est "booming", puisque les constructeurs français...
 
"Booming" ?!
 
"Booming" ! Il est bondissant. Aujourd'hui, par rapport à octobre, les constructeurs automobiles français font + 25 %. C'est quand même...ça, je crois qu'on le doit à la prime à la casse. C'est pour ça qu'en 2010, on a prévu un système dégressif pour qu'il n'y ait pas de trou, d'infléchissement.
 
Sur le plan politique, J. Chirac publie en fin de semaine ses mémoires, les bonnes feuilles sont dans le journal Le Parisien de cette semaine, d'aujourd'hui plutôt. Il n'est pas tendre avec la majorité, notamment avec N. Sarkozy, qu'il décrit comme "nerveux, empressé et avide d'agir". Est-ce que vous voyez le Président comme ça, vous ?
 
Ca m'amuse ce reproche, parce que c'était très exactement celui qui était adressé à J. Chirac lorsqu'il débutait en politique. C'était d'ailleurs un peu...
 
Mais N. Sarkozy ne débute pas en politique.
 
Non, non, mais enfin, même quand il était jeune Président, J. Chirac, ou jeune Premier ministre plus exactement, c'était exactement le reproche qui lui était adressé. Il vaut mieux être perçu comme plus dynamique que d'être un peu les deux pieds dans le même sabot.
 
Il reproche aussi plus ou moins à N. Sarkozy de l'avoir "trahi" en choisissant E. Balladur pour la présidentielle de 19995. Quel est votre sentiment là-dessus ?
 
Mon sentiment c'est que, dans la vie politique on n'est pas dans la féodalité. La notion de trahison c'est d'abord par rapport à un programme, à un projet. J. Chirac, en 1995, a décidé de faire campagne contre l'Europe. Il était contre la monnaie unique, et de ce point de vue-là, moi aussi j'ai soutenu E. Balladur, de ce point de vue-là, je dirais que c'est lui qui était en rupture, je ne vais employer le mot de "trahison", c'est un peu excessif, mais c'est lui qui était en rupture par rapport à ce qu'on attendait de lui de faire une campagne contre l'Europe.
 
Sur J. Sarkozy, il a finalement renoncé à vous succéder à la tête de l'EPAD, l'organisme qui gère La Défense. Etait-ce une bonne candidature ?
 
C'était une candidature assez naturelle, elle pouvait mais elle n'était pas comprise, voilà. Il l'a compris lui-même, et il a eu l'intelligence et la maturité de retirer sa candidature, je crois qu'il a eu raison.
 
Et est-ce qu'il sera candidat à votre succession à la tête du Conseil général des Hauts-de-Seine en 2011 ?
 
Je n'en sais rien, je n'en sais rien, c'est à lui qu'il faut le demander.
 
Ca serait un bon candidat ?
 
Il a des qualités, c'est un garçon qui a beaucoup de qualités.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 novembre 2009