Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, à France Inter le 7 décembre 2009, sur les chances d'obtenir un consensus sur le réchauffement climatique lors de la conférence de Copenhague.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- N. Demorand : Vous êtes en direct à Copenhague, avec à vos côtés N. Fontrel, que j'invite à intervenir quand elle le souhaite, même chose pour B. Guetta, ici, à Paris. Première question, que serait pour vous un bon accord à Copenhague ?
 
Un bon accord à Copenhague, c'est un accord qui permet à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés, conformément à l'accord de Bali il y a deux ans, c'est-à-dire, dans une fourchette 25-40 %, de manière prévisible, de manière contraignante, de manière évaluable ; qu'il y ait ensuite un engagement des très grands émergents sur la réduction de l'intensité carbone de leur croissance pour arriver à un pic, à une date à définir. Et enfin, et j'allais presque dire et surtout, que les pays qui sont aujourd'hui par le chaos climatique, d'ores et déjà, que ça soit le Lac Tchad ou les plaines du Bengladesh par les inondations, que ces pays-là aient les moyens de s'adapter, c'est-à-dire en fait les moyens de leur développement. Ils sont à la fois les plus pauvres, les plus vulnérables, ils sont déjà touchés eux, physiquement, par ce chaos climatique. Et dans les processus antérieurs, ils ont été les grands oubliés.
 
N. Demorand : Vous avez décrit trois énormes chantiers, trois énormes questions qui permettraient de définir un bon accord à Copenhague. Deuxième question, maintenant, quelles sont les chances d'y parvenir ?
 
Ce que je peux vous dire c'est la chose suivante : premièrement, nous ne sommes pas ici pour renégocier, le monde entier s'est mis d'accord à Bali sur une feuille de route, le monde entier, tous les pays. Il faut donc simplement organiser les modalités. Deuxième observation c'est que, pour avoir rencontré à peu près tous les dirigeants impliqués dans ce processus, j'ai bien vu la différence entre il y a quelques mois où chacun essayait d'expliquer en gros que c'était la faut de l'autre, préparer la rhétorique, justifiant un engagement mesuré, voire inexistant, et puis petit à petit l'idée que... voilà, il y avait une langue commune, une langue du monde commune, qu'au fond tout ceci n'avait rien de dramatique si on prenait les bonnes décisions, que c'était même probablement une nouvelle organisation internationale de solidarité, de rééquilibrage des efforts, et au fond une économie plus sobre, plus compétitive et plus heureuse. Donc, je l'ai bien senti, et si la France a milité depuis neuf mois pour que ça ne soit pas comme à Kyoto et à Bali, peu de chefs d'Etat, voire quasiment aucun, c'est parce que les engagements sont suffisamment précis par pays et suffisamment engagés, et au fond suffisamment heureux pour que ça soit les chefs d'Etat et des gouvernement qui soient là. Donc, il y a un processus, qui je crois est assez positif, mais tout peut déraper à tout moment : il suffit d'un point de blocage qui aurait un effet domino sur les autres, une mauvaise dynamique de groupe, mais ce n'est pas, me semble-t-il, l'état d'esprit dans lequel nous sommes.
 
N. Demorand : Imaginons un accord, je dirais, quel qu'il soit, très volontariste ou moins volontariste. Est-ce que le vrai problème ensuite n'est pas celui que soulignait B. Guetta à l'instant dans son éditorial, à savoir l'outil supranational à même de contraindre les Etats, et de faire appliquer cet accord ? Est-ce que ce n'est pas là qu'il y a un vide immense ?
 
Vous avez raison et il a raison. Vous ne pouvez pas mettre en mouvement le monde entier sans que le monde entier ait le sentiment d'y participer réellement, et de l'information et de suivi. Que se passe-t-il de votre côté de la planète ? Vous savez que la France milite de manière extrêmement précise pour une organisation mondiale de l'environnement qui, à la fois, assurerait le suivi des engagements de Copenhague des uns et des autres, suivi permanent, et pourquoi pas peut-être un jour une organisation dont le statut serait équivalent ou supérieur à l'Organisation mondiale du commerce. On sent bien que les organisations internationales sont en fait celles du XXème siècle, il faut qu'on se dote d'une organisation du XXIème siècle. Reprenez un autre exemple...
 
N. Demorand : Mais là-dessus vous avez consensus ou non, surtout pas ?
 
Non, il n'y a pas de consensus, il n'y a pas non plus d'hostilité absolument majeure. Il y a évidemment... à 192 pays, vous pouvez bien imaginer que le consensus est compliqué, et ce sont des choses qu'on n'impose pas aux autres, il faut persuader tout le monde. Je ne peux pas dire qu'il y ait une obstruction sur ce point, il y a plutôt l'idée que : oui, mais une nouvelle organisation des Nations Unies, ça réorganise un peu ce qu'on appelle "le multilatéral" dans le monde. "Prenons notre temps, regardons". On ne peut pas dire qu'il y ait vraiment une hostilité, mais à cette heure-ci, il n'y a pas eu consensus. En tous les cas, c'est le président Sarkozy en fait un point extrêmement dur de la ligne française.
 
B. Guetta : Avez-vous le sentiment que la décision de B. Obama de venir assister aux dernières journées de Copenhague est un signe qu'il y aurait eu un véritable accord entre la Chine et les Etats- Unis, deux des plus grands acteurs de cette Conférence, sur les résultats en attente ?
 
Il est toujours difficile de parler pour les autres, ce n'est pas mon sentiment néanmoins. Les Etats-Unis sont dans un processus compliqué. C'est le pays qui émet le plus par habitant et par an ; le président Obama a pris une stratégie de prise en compte tout à fait réelle de ce sujet-là, et en même temps, un peu comme un pays en difficulté qui va... "Je peux pas faire beaucoup plus que ça". Le président Obama a indiqué qu'il viendrait le 9 décembre, vous savez qu'en son temps, le président Sarkozy, plus modestement moi-même, on avait expliqué : écoutez, c'est le bon Président, c'est le bon endroit, Copenhague, mais le 9 ce n'est pas la bonne date. Si on veut bâtir un accord ensemble, il faut être là évidemment ensemble. Je suis heureux que ça ait évolué. Je pense au contraire que le voyage à Pékin a plutôt été un moment où était diffusée dans le monde entier l'idée : ne venez pas à Copenhague, ce n'est plutôt à Mexico que ça se passera ; ça a plutôt le sentiment : on va prendre son temps. Sauf que le reste du monde n'attend pas, il a maintenu ses dates, il a maintenu son niveau de représentation, chefs d'Etat et de gouvernement. Et à partir de ce moment-là, il était extrêmement difficile au président Obama de ne pas être là.
 
N. Demorand : Le sommet de la FAO il y a quelques semaines n'a intéressé à peu près personne. Celui de Copenhague mobilise les foules. Cette différence de traitement vous évoque quoi ?
 
Je regrette que la FAO n'ait pas plus mobilisé, mais il faut aussi comprendre que Copenhague c'est aussi d'une certaine manière la nourriture, la pauvreté, la réalité nutritionnelle. Prenez un continent comme l'Afrique, quand vous avez quatre Africains ou Africaines sur cinq qui n'ont pas du tout accès à l'énergie, la capacité à avoir de l'agriculture de proximité, est extrêmement faible. Lorsque le réchauffement climatique fait avancer la désertification, fait reculer la forêt ou les arbres, c'est-à-dire la capacité à maintenir des sols en état de produire, évidemment que c'est un drame pour la nourriture. Je ne dis pas que Copenhague règle bien entendu, Rome, c'est-à-dire la FAO, mais il faut bien comprendre que ce sont des conditions vitales et essentielles de l'humanité qui sont en cause. Et dans la petite contribution française, d'un peu plus de 600 milliards de dollars sur énergie renouvelable... lutte contre la désertification, érosion fluviale et monétaire, et côtière, il y a évidemment un gros impact sur l'agriculture des pays.
 
N. Demorand : 600 millions la contribution française ?
 
Milliards, milliards.
 
N. Demorand : Milliards. Mais d'où vient ce chiffre ?
 
C'est un chiffre qui est connu, c'est ce qu'il faudrait faire pour permettre aux pays vulnérables, très vulnérables et pauvres, de passer à 100 % de l'énergie renouvelable, de lutter contre la désertification, et de lutter contre l'érosion côtière et fluviale. C'est un chiffre qui a été bâti par ces pays-là, avec ces pays-là. Son financement s'étale sur une génération, bien entendu, mais c'est le minimum indispensable, et de surcroît - je le dis pour les auditeurs d'Inter - ce n'est pas de la dépense, c'est de l'investissement. Imaginez...je prends en Afrique, c'est le plus proche de nous, avec 100 % de l'énergie renouvelable ; imaginez, alors que c'est l'endroit aussi où il y a la plus grande pertinence, la plus grande intensité énergétique, c'est là que c'est le moins cher à cher, imaginez ce continent qui se met à se développer rapidement, considérablement sur une économie du XXIème siècle, ce serait évidemment formidable pour nous, indépendamment du fait que eux ils sont déjà impactés et ils sont impactés par nos émissions.
 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 décembre 2009