Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, dans "Aujourd'hui en France" du 25 novembre 2009, sur les enjeux du sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique.

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Intervenant(s) : 
  • Jean-Louis Borloo - Ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer

Média : Aujourd'hui en France

Texte intégral

SCOTT GARIN. La France a-t-elle respecté le protocole de Kyoto qui consistait déjà à réduire les émissions de C02 de 5% ?
JEAN-LOUIS BORLOO. Oui, elle a respecté Kyoto. De plus, elle émet aujourd'hui beaucoup moins de C02 que la moyenne européenne. Et nous nous sommes engagés à une réduction supplémentaire de 23% de nos émissions de C02 d'ici à 2020.
CLARA GODDET. Quelles sont les trois mesures les plus urgentes et les plus efficaces à prendre pour le monde ?
Les pays industrialisés ont mené leur développement en pensant que les ressources de la nature étaient infinies. Et en n'imaginant pas qu'un jour il n'y aura plus de pétrole ni de charbon. Il faut absolument un mode de croissance plus respectueux des ressources dans tous les domaines. Cela implique de changer notre modèle économique et de s'appuyer davantage sur les énergies durables. La première priorité est de construire des bâtiments moins consommateurs d'énergie. En France, 42% de notre énergie est utilisée pour alimenter les bâtiments. Le parc français utilise plus de 240 kWh d'énergie au mètre carré pour chauffer et pour éclairer. Or on sait construire aujourd'hui à 50 kWh et bientôt à zéro. C'est une énorme révolution et un chantier majeur en perspective. Mais c'est assez simple, on sait le faire, techniquement La deuxième priorité est de passer à des énergies qui n'émettent pas ou peu de C02, contrairement au charbon et au pétrole. Partout dans le monde, il y a moyen d'avoir recours à une énergie locale plus ou moins renouvelable. Troisièmement, il faut enfin que, dans les zones urbaines, les gens aient accès à une offre massive de transports publics pour réduire l'usage de la voiture.
SCOTT GARIN. Quand pensez-vous que les ventes en France de voitures non polluantes - notamment les voitures hybrides - rattraperont celles des autres véhicules ?
C'est difficile à dire. II y a encore deux ans, les constructeurs européens estimaient que ce type de voitures coûtait plus cher et était réservé à une clientèle de privilégiés. Et puis on a lancé il y a deux ans le bonus-malus écologique en intervenant sur le prix des voitures. A l'époque, tout le monde pensait que ça n'allait pas changer les comportements. Eh bien, les voitures bénéficiant du bonus représentent aujourd'hui 55% des ventes et ont ringardisé les voitures très polluantes ! L'an prochain, toutes les grandes marques françaises mettront sur le marché des voitures électriques et hybrides. Nous avons par ailleurs créé une filiale d'EDF qui mettra en place dans les villes, d'ici à 2011, des stations de recharge dans les parkings publics. Le mouvement est lancé.
SOPHIE TEDJANI. Ne serait-il pas envisageable que Paris suspende pendant une semaine la circulation des voitures, à l'exception des transports en commun et des urgences, pour montrer au monde le sérieux des Français ?
Il y a eu pendant une petite décennie la Journée sans voitures. Moi-même, je rai organisée à Valenciennes. C'était très agréable mais on s'est rendu compte que les gens avaient besoin de leur voiture pour aller travailler, pour livrer. Et il y avait tellement d'exceptions que cela devenait très difficile à gérer. Tant qu'on ne peut pas offrir une vraie alternative à la voiture, c'est difficile. C'est pourquoi on a décidé de multiplier par cinq les lignes de tramway ou de métro dans toutes les villes de France. Il faut bien veiller à ce que la mutation écologique se fasse de manière positive et ne soit pas vécue comme une contrainte.
SCOTT GARIN. Que répondez-vous aux scientifiques qui, comme Claude Allègre, pensent que le réchauffement climatique n'est pas un problème majeur?
Les pouvoirs publics de tous les pays du monde ont eu besoin d'y voir clair sur le dérèglement climatique. Comme ce ne sont pas des scientifiques, ils ont fait appel à un groupe d'experts mondiaux réunis au sein du Giec (NDLR : groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Ces trois mille scientifiques, spécialistes du climat, établissent depuis quinze ans des rapports sur l'état de la planète pour éclairer les décisions internationales. Et ils sont tous d'accord pour dire que (augmentation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère pose un problème et que l'on constate déjà les effets physiques du dérèglement climatique. Par exemple, le lac Tchad n'a quasiment plus d'eau Dans d'autres endroits, comme au Bangladesh, ce dérèglement se manifeste par des inondations. Ce que disent ces scientifiques, c'est que (impact des gaz à effet de serre dus à l'activité humaine trouble le climat Et à chaque nouveau rapport, la situation est plus alarmante que dans le rapport précédent.
Admettons que les gens qui pensent comme Claude Allègre aient tort, ce qui est l'hypothèse la plus probable. Est-ce qu'on prend le risque de les écouter et de ne rien faire ? Ce que dit le Giec, c'est que si la température moyenne du monde sur une longue période dépasse 2 °C d'augmentation, la mécanique qui s'enclenche est irréversible. Et qu'il faut alors s'attendre à 4,5 ou 6 °C de plus à long terme. Mais 2 °C, c'est énorme. La température de ton corps est normalement de 37,5 °C. Avec 2 °C de plus, tu as de la fièvre. Et avec encore 2 °C supplémentaires, tu es franchement mat 2 °C, c'est 40 cm d'élévation du niveau de la mer, c'est 30 millions de réfugiés climatiques qui vivent le long de côtes menacées d'inondations et qui seront obligés de partir.
BERTILLE LACAU. Quelles mesures la France va-t-elle mettre en avant à Copenhague? Comment peut-elle donner l'exemple?
Toute la négociation de Copenhague consiste à mettre d'accord 192 pays, aussi différents que l'Europe, une île du Pacifique, la Chine, les Etats-Unis et le Bénin. Ces pays ont des niveaux de richesse différents, des niveaux d'émission de C02 différents, etc. Et il va falloir qu'ils s'entendent sur un schéma très précis et très contraignant L'an dernier, les 27 pays européens se sont mis d'accord pour réduire leurs émissions, pays par pays, avec une évaluation tous les ans et des pénalités sous contrôle de la Cour de justice européenne. Mais il faut que les Américains, les Canadiens et la Chine, qui a une croissance très forte, arrivent eux aussi à maîtriser leurs gaz à effet de serre.
Et puis il y a les pays vulnérables. On est allé voir chaque pays africain et on s'est rendu compte que 77% des Africains n'ont pas accès à la lumière et qu'ils n'ont pas d'énergie pour se nourrir ou pour s'éclairer. L'énergie renouvelable en Afrique coûte beaucoup moins cher qu'ailleurs. Dans le Sahel, on peut compter sur un soleil invraisemblable. Dans d'autres régions, on peut avoir recours à la géothermie, à la biomasse, aux fleuves, au vent... La France avec d'autres pays souhaite proposer, à Copenhague, un programme de 600 milliards de dollars pour aider les pays vulnérables à s'adapter et à valoriser leur potentiel d'énergies renouvelables.
JULIEN PHILIPPON. Comment obliger les pays en développement à ne pas utiliser des ressources fossiles alors que les Etats-Unis en utilisent tant ?
L'Inde, avec 1,2 milliard d'habitants, émet 1,2 t par habitant et par an. L'Afrique 500 kg et les Etats-Unis 24 t de C02 par habitant ! Evidemment on ne peut pas demander à ces pays des efforts que les Etats les plus industrialisés ne font pas. Ce qu'on peut leur demander, c'est de maîtriser leur croissance de C02. Mais c'est bien aux pays industrialisés de réduire en priorité leurs émissions. Or pour (instant, on a un problème avec les Américains. Le président Obama est parfaitement conscient du problème et il est très volontariste alors que jusqu'à présent les EtatsUnis étaient plutôt dans le déni. On peut imaginer une flexibilité américaine sous réserve qu'ils se rattrapent par la suite, en s'engageant sur une date précise et des objectifs chiffrés.
CLARA GODDET. La Chine lutte-t-elle efficacement contre ce phénomène ?
Oui. Ce que je vais te dire fait hurler en général (Europe et les Etats-Unis. Il y a un cliché occidental qui consiste à dire : Je ne vois pas pourquoi je ferais des efforts puisque de toute façon la Chine est le plus gros pollueur mondial La Chine prend des mesures extrêmement importantes. Parce que la pollution des fleuves, des rivières, la pression sur les terres y sont devenues presque insupportables. Pour les Jeux olympiques à Pékin, ils avaient dû fermer les usines chinoises à moins de 100 km un mois avant! Ils ont aujourd'hui décidé d'être la première économie « bas carbone N du monde. Ils sont déjà les leaders mondiaux des panneaux photovoltaïques. Ils considèrent que les économies dominantes de demain sont celles qui auront investi dans les technologies vertes.
TOM CHASSE. Comment la délégation française compensera-t-elle les gaz à effet de serre émis lors du voyage pour Copenhague?
On compense systématiquement nos voyages. Il y a une tarification, tu donnes de l'argent à des associations reconnues par l'ONU, qui financent des programmes de reforestation, de réduction de gaz à effet de serre ou d'énergies renouvelables. On le fait systématiquement Ce n'était pas le cas il y a quelques années.
JULIEN PHILIPPON. Comment financer cette politique en période de crise ?
Par les économies. C'est à vous de bien expliquer cela aux adultes, parce qu'ils ont parfois plus de mat L'idée que tout ça coûterait de l'argent est une idée folle. Si tes parents paient une facture équivalant à 300 kWh au mètre carré et qu'on peut faire 50 kWh au mètre carré, donc près de cinq fois moins, c'est plus intelligent La question est: au bout de combien de temps est-ce rentable ? Quatre, cinq ou six ans, ça dépend des travaux à faire. C'est pour cela qu'on propose un prêt à taux zéro pour aider les ménages à financer des travaux de rénovation de leur logement Au final, les économies réalisées sur ta facture d'énergie financeront cet emprunt.
BERTILLE LACAU. N'est-il pas trop tard pour enrayer le réchauffement ?
Si on met le génie humain à se concentrer sur cet objectif, je pense qu'il est encore temps. Le professeur Pachauri, qui dirige le Giec, a déclaré en juillet 2008 à Paris, alors que quelqu'un lui posait la même question que toi: « Ou bien à Copenhague on se met en mouvement, ou pas. Si on essaie de bâtir tous ensemble, on ne sera pas dans l'irréversible. »
SOPHIE TEDJANI. Ne serait-il pas utile de créer une organisation internationale pour intervenir auprès des pays inconscients ?
C'est une question redoutable. J'ai envie de te dire oui, mais ça ne s'appliquerait qu'aux volontaires qui auront signé l'accord. C'est-à-dire pas à ceux qui auront des raisons d'être jugés ! Mais nous proposons une organisation mondiale pour assurer le suivi de Copenhague. Elle a vocation à devenir un peu la « police de l'environnement » dans le monde. Le monde va forcément se réorganiser. Ce qui paraît impossible aujourd'hui, devant l'épreuve des nécessités, va probablement devenir possible.
JULIEN PHILIPPON. Pensez-vous à votre retraite ?
Tu veux me pousser à la retraite! Je n'ai pas l'intention de la prendre complètement J'aurai forcément une activité. Ça sera peut-être de l'associatif. Peut-être reprendrai-je mon ancien métier MER: avocat). A part cela, je veux terminer l'exploration des criques de Méditerranée. J'en connais un certain nombre, il n'y a rien de plus beau.
SOPHIE TEDJANI. Souhaiteriez-vous être un jour président de la République ?
La question ne se pose évidemment pas. Ce n'est pas juste un poste de plus. Ceux qui sont candidats sont des personnages hors norme. Us ont quelque chose de différent dans leur mental, de particulier.
CLARA GODDET. Les Guignols donnent de vous une image négative. En souffrez-vous ?
Je me suis demandé d'où ça venait Pendant longtemps, f avais aux« Guignols » l'image d'un type qui s'occupait des affaires sociales, j'avais une espèce de marionnette, le gars qui va au-devant des gens en difficulté avec un imperméable à la Columbo. Et puis un jour, ils ont mis une bouteille dans l'imper. Sauf qu'après, la bouteille est restée mais pas l'imper. Quand on fait un travail comme le mien, on travaille dix-huit heures par jour, on dort trois nuits par semaine dans (avion, avec des décalages horaires infernaux Il faut une hygiène de vie d'athlète! Alors, bien sûr, cette caricature me touche un peu. Mais ce n'est pas un drame.

Source http://www.partiradical.net, le 29 décembre 2009