Texte intégral
Un premier travail réalisé par les services du Ministère de l'Emploi et de la solidarité avait montré fin 1999 l'importance des pratiques de harcèlement moral et la nécessité de réfléchir rapidement aux mesures qu'il convenait de prendre pour les combattre.
A l'occasion des débats en première lecture à l'Assemblée Nationale du projet de loi de modernisation sociale, j'ai pris l'initiative, en accord avec de nombreux députés, d'introduire quelques amendements au projet, compte tenu de la nécessité d'intervenir rapidement pour faire cesser ces comportements inacceptables. Mais, j'ai souhaité que nous nous en tenions à quelques premières dispositions permettant d'ancrer le sujet dans le code du travail, en attendant la présentation du rapport du Conseil économique et social et la suite des débats au Parlement.
En écoutant les représentants des associations qui accueillent les victimes de harcèlement moral, on prend conscience de la très grande souffrance qu'ils décrivent chez les personnes qui ont eu à subir le harcèlement moral. Bien sûr les formes peuvent être différentes, les objectifs poursuivis, les réactions de l'environnement de travail voire même celles de la victime très divers, mais au final ce qui doit être retenu, c'est que la personne qui subit ces agissements souffre profondément et c'est bien cela qui est intolérable.
Le harcèlement moral est un processus de négation de la dignité d'une personne, c'est un acte de violence et une atteinte à l'intégrité des personnes.
Il ne saurait y avoir de justifications à de tels comportements. Ni du côté des individus qui s'y livrent ou qui les tolèrent, ni du côté des entreprises qui laissent se développer en leur sein des pratiques de ce type.
La réussite économique, les impératifs de gestion, la nécessité de respecter des délais toujours plus contraints ne peuvent avoir pour conséquence de tolérer de tels comportements. La relation de subordination qui marque l'existence du contrat de travail, et en même temps le caractérise, n'induit nullement la domination. Cette subordination ne peut porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne. L'entreprise doit protéger les libertés publiques. La circonstance que le travail se réalise pour le compte d'un employeur et au sein d'un espace privé, celui de l'entreprise, est sans effet sur le respect de ces droits fondamentaux qui ne doit souffrir aucune exception.
Je veux convaincre les entreprises et plus généralement toutes les collectivités de travail qu'il est de leur responsabilité de s'opposer au développement de telles pratiques.
D'abord, bien sûr, parce que ces pratiques sont attentatoires à la dignité des personnes, je viens de m'en expliquer, mais aussi parce qu'elles sont totalement improductives.
Oui, il est de la responsabilité des responsables d'entreprises, des dirigeants d'organismes, de ne pas tolérer ce type de comportements, d'être vigilants sur l'existence de processus de harcèlement moral dans leurs structures, de ne pas leur donner prise, en ayant notamment un discours équilibré à l'égard de l'encadrement, des managers , en ne laissant jamais penser que toutes les méthodes sont bonnes dans la conduite des hommes et des femmes pour parvenir aux objectifs fixés.
L'immense retentissement qu'a eu le premier livre de M-F HIRIGOYEN traduit un phénomène d'identification, même s'il peut paraître quelquefois abusif, de très nombreux salariés avec des situations qu'ils ont peu ou prou vécues personnellement ou dont ils ont été les témoins. Ce retentissement montre que des phénomènes profonds sont à l'uvre dans le monde du travail.
Voilà pourquoi, il faut prendre ce sujet au sérieux et réfléchir très vite à ce qui peut être fait pour enrayer le développement des pratiques de harcèlement moral au travail.
Le harcèlement moral est un risque inhérent à l'activité professionnelle ; c'est ce que précise l'un des amendements déposés par le gouvernement. Dès lors, il est nécessaire d'envisager les mesures à prendre pour que ce risque soit combattu efficacement au sein des entreprises et plus généralement des organisations.
Je souhaite d'abord évoquer la délicate question de la définition du harcèlement moral. Elle est évidemment essentielle puisqu'elle va déterminer le champ d'application des mesures qui vont être prises.
Je suis attachée à ce que la définition soit la plus précise possible afin d'éviter que des agissements certes répréhensibles mais d'une gravité bien moindre ne soient traités de la même manière que le harcèlement moral proprement dit. Cette notion ne peut pas devenir un réceptacle pour toute une série de dysfonctionnements internes aux entreprises qui sont d'une autre nature et qui appellent des mesures qu'il n'appartient pas aux pouvoirs publics de décider.
Compte tenu de ces objectifs, la définition que propose le gouvernement retient la notion de répétition, insiste sur l'atteinte à la dignité de la personne concernée, et fait clairement le lien entre ces pratiques et la création de conditions de travail humiliantes ou dégradantes.
Mais, dans le prolongement des travaux du Conseil économique et social, cette définition mérite d'être complétée.
Je suis tout d'abord favorable à un élargissement du champ du harcèlement moral aux pratiques qui concernent des collègues de travail, sans exiger qu'il existe une relation d'autorité entre le harceleur et le harcelé. Les éléments dont on dispose semblent montrer que ce n'est pas le cas le plus fréquent, il paraît même très minoritaire, mais il est tout autant inacceptable et la seule sanction disciplinaire qui est du ressort de l'employeur peut paraître insuffisante. Je suis donc assez convaincue qu'il n'y a pas lieu de maintenir un traitement différent entre ces deux situations.
Deuxièmement, il me paraît utile d'intégrer des éléments contenus dans la définition proposée par le Conseil économique et social qui portent notamment sur l'altération de la santé physique ou mentale de la victime de harcèlement moral.
Enfin, s'agissant de la fonction publique, les associations qui sont en contact avec les victimes signalent effectivement que de nombreux cas de harcèlement moral avéré se produisent au sein des trois fonctions publiques. En l'absence de recensement précis de l'ensemble des cas, il est difficile d'avoir une estimation sûre de l'ampleur du phénomène, mais il n'est pas douteux que cela représente plus du tiers de l'ensemble des cas. Pour ce motif, mais aussi parce qu'il n'y a pas de raison a priori que les règles de protection qui bénéficient aux salariés du secteur privé ne soient pas aussi applicables au sein des administrations de l'Etat, des collectivités territoriales ou des établissements hospitaliers, le gouvernement est favorable à ce que des dispositions modifiant le statut de la Fonction publique soient votées.
Dès lors que l'on retient l'idée que le harcèlement moral est un risque professionnel à part entière, il convient de s'attacher à mettre en place des politiques de prévention efficaces. Il convient aussi de sanctionner et de réparer.
Sur ce chapitre de la prévention, de la réparation et de la sanction, quelques dispositions figuraient dans le texte voté en première lecture qui étaient loin de faire le tour de la question.
Les travaux du Conseil économique et social permettent d'aller plus loin aujourd'hui.
Nous allons y revenir dans le détail en examinant les amendements, mais je veux d'ores et déjà vous donner mon sentiment général.
La reconnaissance du harcèlement moral comme un véritable risque professionnel comporte certaines conséquences :
- compétence des représentants du personnel au travers du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ;
- introduction de clauses dans le règlement intérieur prohibant le harcèlement moral ;
- rôle du médecin du travail, en particulier par le biais de l'article L 241-10-1 du code du travail.
S'agissant en même temps d'une réelle discrimination, il convient également d'étendre aux cas de harcèlement moral le système de protection prévu pour les témoins et victimes ainsi que la capacité d'action substitutive des organisations syndicales, tels qu'ils ont été prévus par la proposition de loi sur la lutte contre les discriminations, déposé par le groupe socialiste de l'Assemblée Nationale et qui termine son parcours devant les deux Assemblées.
De même, et c'est le sens d'un amendement déposé par le gouvernement, il convient de retenir le même régime de la preuve.
Reste la question de la sanction.
Le projet de loi de modernisation sociale contient d'ores et déjà certaines dispositions dans ce domaine. Des sanctions disciplinaires sont prévues, la rupture du contrat de travail intervenue à la suite de harcèlement moral est nulle de plein droit, ouvrant droit ainsi pour le salarié concerné selon son choix, soit à des dommages et intérêts, soit à une réintégration.
Plusieurs d'entre vous proposent d'instaurer une sanction pénale.
Je connais bien ce débat, qui se pose dans nombre de domaines. Nous sommes en France très attachés à l'aspect symbolique de la sanction pénale. Je ne méconnais pas bien sûr cet aspect des choses mais je ne suis pas a priori convaincue de la l'efficacité de la sanction pénale par comparaison avec des sanctions civiles bien imaginées, correctement proportionnées et bien utilisées par les demandeurs. D'autant qu'il existe déjà dans le code pénal des incriminations qui peuvent être utilisées et qui le sont, bien qu'encore rarement, dans ces situations. Sur ce point je souhaite écouter vos arguments et ceux de vos collègues de l'Assemblée Nationale avant de prendre une position définitive.
Il est indispensable de mettre en place un système de prévention, de sanction et de réparation à la hauteur de la souffrance subie par les victimes de harcèlement moral.
Mais il est tout aussi nécessaire de savoir écouter, accompagner, aider la victime de harcèlement moral, tant l'incompréhension de ce qui lui arrive, l'absence de solution évidente pour s'en sortir, la culpabilisation souvent ou tout simplement, l'épuisement l'éloignent du chemin qui conduit au retour de la confiance en soi et, partant, de la volonté de ne plus subir, de dénoncer, de se battre pour retrouver sa dignité.
J'ai la conviction que les acteurs de l'entreprise ont un rôle majeur à jouer pour aider les victimes et je suis favorable, comme je l'ai précisé, à ce que l'on renforce leurs compétences.
Telles sont les réflexions que je voulais vous communiquer en introduction des débats sur ce sujet particulièrement important du harcèlement moral dans le travail.
(source http://www.travail.gouv.fr, le 17 mai 2001)