Texte intégral
M. le Président de Toléde, cher Mondher Abdennadher,
M. le Président du Cercle Montherlant, cher François-Xavier de Sambucy,
Cher amis,
Je suis très heureux d'être avec vous ce matin pour ouvrir cette troisième édition du Forum des diversités en action.
Mettre en valeur la diversité et le dialogue des cultures, et notamment les bonnes initiatives qui les portent, inciter nos concitoyens à aller l'un vers l'autre, qui ne souscrirait pas à un tel agenda ?
L'organisation d'une telle manifestation à Sciences-Po fait d'autant plus sens que cette institution phare dans l'enseignement supérieur français a grandement contribué, par ses initiatives remarquables sur les nouvelles voies d'accès à ses concours, à relancer le débat de la diversité.
Tout en saluant la générosité du propos à laquelle je ne peux que souscrire, je voudrais rappeler, notamment aux plus jeunes d'entre nous aujourd'hui, que l'acceptation du mot diversité dans notre vocabulaire courant est un acquis récent.
C'est le produit d'un processus qui a nécessité l'implication et l'activisme d'associations et de bonnes volontés qui y ont consacré toute leur énergie ; souvenons-nous qu'on ne parlait guère de diversité il y a encore quelques années. Je salue notamment la force de l'engagement d'associations comme Toléde, ou encore le Cercle Montherlant, qui ont été très actifs en ce sens.
C'est un combat auquel j'ai eu l'occasion de m'associer à plusieurs reprises, à ma modeste échelle, quand je présentais par exemple l'émission les Nuits du Ramadan, créée par Hervé Bourges.
Si nous ne pouvons que nous réjouir du fait que le mot « diversité » soit désormais devenu monnaie courante, il nous faut rester vigilants, à mon sens, à de nouveaux risques qui pointent à l'horizon. La notion de diversité de relève pas du marketing. Le dialogue des cultures non plus. Car à force de les entendre, de les accepter comme un incontestable acquis, on risque parfois d'en oublier leur caractère non évident, de démonétiser leur singularité. Sous l'éloge de bon aloi de la différence se cache souvent l'incommunication ; il nous faut veiller à ce que le dialogue des cultures, par exemple, ne soit pas la marque du vide entre les cultures - pour reprendre une expression de l'Aga Khan, pour qui ce vide représente l'un des dangers majeurs auquel notre monde est aujourd'hui exposé.
Dans une célèbre nouvelle de Borges, le philosophe arabo-andalou Averroès est confronté à une tâche impossible : trouver une traduction satisfaisante des notions de tragédie et de comédie telles qu'elles sont définies dans la Poétique d'Aristote. C'est ce difficile équilibre entre la tentative de « devenir l'autre » et le besoin du regard de l'autre, de se laisser surprendre par lui dans toute sa singularité, qu'il nous faut savoir tenir.
La France et la diversité sont deux mots, je crois, qui vont bien ensemble. Hervé Bourges a raison de nous rappeler dans son dernier livre, « L'Afrique n'attend pas », cette belle phrase de Fernand Braudel : « La France se nomme diversité ». La profusion de l'offre culturelle en France, qui laisse une large place à toutes les cultures, renforce la pertinence de propos. Notre pays joue par exemple, et nous pouvons en être fiers, un rôle majeur dans la production et la distribution des cinémas du Sud.
Je pense aussi à nos saisons culturelles qui tissent chaque année des liens d'une densité exceptionnelle avec nos pays partenaires - la Russie cette année, le Mexique l'année prochaine. Il y a aussi, bien sûr, notre scène musicale : Paris est à coup sûr l'une des capitales des musiques arabes, et elle l'est également pour les musiques africaines.
Bien du chemin a été parcouru depuis l'exotisme de l'Exposition coloniale de 1931, depuis la fascination de Debussy pour le Gamelan balinais qu'il avait découvert à l'Exposition universelle de 1889 : le chamarré a laissé place au partage, l'altérité radicale à la diversité, et c'est heureux.
Autour de nous, en Europe même, les lignes de partage semblent bouger, et certains acquis semblent perdre de leur évidence. Je pense au débat sur la différence entre le modèle communautariste britannique et l'intégration à la française, que l'on a si souvent opposés.
Je pense également au débat qui a suivi les propos récents de la Chancelière sur la fin du modèle « Multikulti » en Allemagne. La société néerlandaise, qui a joué dans l'histoire un rôle si important pour la promotion de la tolérance interconfessionnelle et la liberté de penser, traverse également une période de doutes.
Comparativement, en France, nous sommes toujours en train de chercher ce point d'équilibre, délicat et sans cesse renégocié, entre l'universalisme des principes républicains et le désir de reconnaissance que la diversité appelle. C'est peut-être paradoxalement ce qui fait aujourd'hui notre force : nous avons une forte pratique et une expérience relativement longue de ce débat parfois âpre ; et nous avons également les outils institutionnels nécessaires pour encadrer, au cas par cas, cette négociation continuée entre républicanisme et reconnaissance.
Pour autant, les points de résistance à la promotion de la diversité ne manquent évidemment pas dans notre société : je pense en tout premier lieu aux médias grand public. La visibilité des minorités y reste comparativement insuffisante. Selon le Club Averroès, la représentation de la diversité dans les médias français serait en stagnation, voire en régression. Ce constat est partagé par de nombreux rapports, issus du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel - le CSA et son observatoire de la diversité -, de la Haute Autorité pour la lutte contre les discriminations, la HALDE, du Haut commissaire à l'intégration, ou encore du Comité permanent pour la diversité, organe interne à France Télévisions. L'on peut d'autant moins se satisfaire d'une telle situation que les médias ont un rôle déterminant à jouer pour favoriser l'intégration des minorités, et notamment des descendants de l'immigration.
Je tenais ce matin à vous rappeler que je porte une attention toute particulière à cette question, et je serais aux côtés de France Télévisions et de ses dirigeants pour que l'on puisse faire encore mieux dans ce domaine, car c'est une nécessité. Nous inscrirons cette thématique dans le prochain contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions. Et le service public de la télévision ne doit pas être le seul à oeuvrer en faveur de la diversité. J'aurai donc aussi d'autres initiatives qui concerneront l'ensemble des autres services de médias, notamment en m'inspirant des suggestions et propositions qui ont été formulées récemment dans les travaux que je viens de citer et qui ne doivent pas rester lettre morte.
L'engagement de mon Ministère est entier pour accroître ce qu'on appelle la visibilité, sans pour autant l'imposer. Mettre en valeur l'apport de la diversité à notre société fait partie à coup sûr de nos missions. Je pense par exemple à la nomination du grand réalisateur haïtien Raoul Peck à la tête de la FEMIS ; je pense aussi à des manifestations comme le grand Ramdam de La Villette, l'Année des Outre-mer qui va bientôt commencer, ou encore aux Fonds images de la diversité ; je pense aussi à l'arabe, l'une des principales langues de France, qui sera la langue invitée d'honneur d'Expolangues dans quelques mois.
Autant de rendez-vous auxquels vous viendrez, je l'espère, participer, et qui visent à mettre en valeur la richesse de notre société dans toutes ses composantes, tournée vers son avenir.
L'une des forces, à mes yeux, du Forum des Diversités, c'est sa capacité à convoquer une grande variété d'exp??riences. Je pense bien sûr à l'expérience libanaise, dont il sera certainement abondamment question pendant cette journée, puisque le Forum s'inscrit dans la continuité des débats que vous avez menés il y a quelques mois à Beyrouth.
Je salue également très chaleureusement la participation de M. l'Ambassadeur du Canada, qui est bien entendu le mieux placé pour savoir que les débats sur ce qu'on appelle outre-atlantique les « arrangements raisonnables » sont suivis ici avec beaucoup d'attention.
Le Forum des Diversités, c'est également une table ronde sur foi et citoyenneté où sont représentées les trois grandes religions monothéistes - comme il se doit, je dirais, pour un événement organisé par une association qui s'appelle Toléde, inspiré du nom de la ville des trois cultures.
Je voudrais terminer en saluant également avec enthousiasme la présence des étudiants de Sciences Po, dont je félicite le directeur, Richard Descoings, pour l'initiative remarquable et couronnée de succès - je tiens à la rappeler encore une fois - qui a été la sienne d'ouvrir le recrutement de son établissement à des élèves de zones d'éducation prioritaire.
Il a ainsi fait figure de génial précurseur et nous lui avons emboîté le pas au ministère de la culture et de la communication avec le concours de la fondation « Culture et diversité » de Marc Ladreit de Lacharrière qui vise à rendre plus accessible aux élèves de l'éducation prioritaire les grands établissements d'enseignement supérieur que sont La FEMIS, l'Ecole du Louvre, l'Institut National du Patrimoine et les écoles d'Architecture.
Je salue aussi les élèves des lycées Paul Eluard et Hélène Boucher, pour qui ces deux journées seront, je l'espère, les plus marquantes possibles. Ce forum vous est tout particulièrement dédié.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 17 novembre 2010