Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "Les Echos" du 17 mai 2001, sur les restructurations dans l'industrie d'armement, les affaires touchant la Délégation générale pour l'armement et la Direction des constructions navales, la loi de programmation militaire et le financement de la recherche militaire.

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Quel bilan faites-vous des restructurations industrielles entreprises depuis quatre ans ?
Thales forme un groupe franco-britannique cohérent qui, par ses implantations multiples, a accès à un grand nombre de marchés et qui a réussi à créer la première filiale commune Euro-US. EADS présente un carnet de commandes record; la société Airbus, longtemps attendue, fonctionne; l'alliance franco-germano-espagnole s'est étendue à Finmeccanica pour l'aviation militaire et les aérostructures ; MBDA, la grande société européenne de missiles est constituée.
Même s'il nous reste encore du travail pour faire aboutir pleinement les transformations engagées, nous pouvons dire que la consolidation de l'industrie française et européenne de défense, initiée il y a quatre ans, est un succès collectif.
On peut nourrir pour Snecma la même ambition de partenariats européens que nous avons eue dans l'aéronautique pour constituer un acteur mondial, après avoir rassemblé les atouts Français. SNPE va organiser une cohérence nouvelle dans la défense en développant Herakles avec Snecma, tout en devenant de plus en plus compétitif dans la chimie fine.
Est-ce aussi positif pour Giat et DCN ?
DCN présente des qualités solides malgré les controverses liées à la mise au point du porte-avions Charles-de-Gaulle et aux détournements de fonds en voie d'être jugés. Son carnet de commandes est appréciable, la palette de ses métiers est la plus large d'Europe; son association avec Thales est acquise. DCN et ses partenaires sociaux sont engagés dans une réflexion sur la façon de lui donner une capacité industrielle complète, permettant de passer efficacement ses 6 à 7 milliards de francs de commandes et de nouer des alliances, cela dans le respect du statut du personnel.
Quant à Giat, il nous faut sortir des difficultés d'application du contrat avec les Emirats arabes unis et bien jouer nos chances sur les contrats d'exportation Leclerc qui sont toujours sur la table. Les commandes de l'Etat ont été conformes, ces dernières années, au plan stratégique, et le véhicule de combat d'infanterie a été lancé au sein d'une première alliance avec Renault V.I. A terme, les chances de Giat de renouer avec l'équilibre et de participer aux alliances restent ouvertes.
Toutes ces transformations se sont déroulées dans la concertation et dans la compréhension des salariés et le bilan d'emploi de la branche défense est redevenu positif après des années de réductions d'effectif.
Soutenez-vous le projet de privatisation de Snecma ?
Snecma doit pouvoir choisir dans les deux années qui viennent une alliance européenne lui permettant d'assurer dans la compétition mondiale la place que justifient ses performances technologiques. Cette entreprise strictement nationale doit envisager les adaptations lui permettant de devenir européenne. Cela fait l'objet d'une réflexion entre le gouvernement et le management de l'entreprise.
Pour constituer Emac, la filiale commune avec EADS, les responsables de Finmeccanica réclament l'intégration industrielle de Dassault Aviation dans EADS. Pour la première fois, les allemands d'EADS font de même. Plaidez-vous, comme vos prédécesseurs, dans ce sens ?
Je n'ai jamais fait mystère de ma préférence pour une association de Dassault avec d'autres partenaires de premier rang, qui préparerait mieux l'avenir de ce joyau technologique. Ses dirigeants n'ont pas trouvé opportun de s'engager dans les regroupements récents, mais nous dialoguons. Je respecte leur manière de réfléchir, fondée sur des réussites éclatantes.
DCN et Giat ne risquent-ils pas pourtant de demeurer sur le bord du chemin face aux alliances que les acteurs européens nouent ou vont nouer ?
La constitution de la société commune entre Thales et DCN ouvre des possibilités de partenariat sérieuses. La réflexion sur l'évolution possible de la personnalité juridique de DCN vise à lui permettre de régler ses achats dans des conditions plus propices à la compétition industrielle, de présenter des comptes validés au regard des partenaires, et de pouvoir nouer des alliances. La manière dont sera opérée cette transition fait partie des priorités des prochains mois. Quant à Giat, les surcapacités existent encore, elles ont été réduites, du bon travail a été fait pour rationaliser le processus de production. Les possibilités de reclassement des salariés et de diversification sont exploitées.
A propos de DCN, comment réagissez-vous aux mises en cause dont font l'objet certains de ses salariés ?
La justice poursuit avec notre plein concours ses investigations sur des infractions financières indéniablement constatées. Le gouvernement tient les salariés, les cadres et les dirigeants de DCN pour de bons professionnels et des gens honnêtes.
Soutenez-vous les responsables de haut rang de la DGA et de la DCN récemment mis en examen ?
Je me suis exprimé à ce sujet récemment. La protection juridique est due par l'Etat à tous ses personnels, sauf dans le cas extrême où les faits qui leur sont reprochés sont sans aucun lien avec leur activité professionnelle. Si des personnes sont finalement reconnues coupables, elles ont à rembourser cette assistance. La justice pénale est là pour détecter, démontrer et sanctionner des infractions pénales, comme les détournements de fonds. La mission d'apprécier si le management et le contrôle interne d'un grand système industriel sont satisfaisants revient à la Cour des comptes, au gouvernement et au Parlement.
La DGA est parfois épinglée pour la gestion de certains programmes, comme le Charles-de-Gaulle ou le Leclerc, qui compromettrait la disponibilité opérationnelle des matériels. Qu'en pensez-vous ?
J'y veille quotidiennement, et je ne me borne pas à formuler des critiques publiques. En ce qui concerne la conduite des programmes, il faut saluer les résultats obtenus depuis quelques années en matière de réduction des coûts et de délais, lorsque les décisions politiques ont été prises en temps utile et que leur accompagnement financier a été ponctuel. Rappelez-vous les interrogations sur le programme du missile stratégique M51 : l'affaire s'est conclue à la date prévue et en ligne avec les options budgétaires du gouvernement.
Le maintien en condition opérationnelle est-il selon vous satisfaisant ?
Nous n'avons pas encore les résultats escomptés dans ce domaine pour nos équipements principaux. C'est pourquoi nous avons constitué trois structures dédiées aux matériels navals, aéronautiques et terrestres, où sont étroitement associés les responsables opérationnels et les cadres techniques. Nous devons maintenant développer de nouvelles méthodes. J'attends des industriels qu'ils avancent des propositions pour rénover complètement les chaînes de traitement de la maintenance et pour que nous passions à un savoir-faire du meilleur niveau, en matière de gestion de parcs.
On entend des militaires se plaindre d'être des laissés-pour-compte. La défense nationale doit-elle rester une priorité ?
Dans une période de moindre menace extérieure et dans une démocratie où les sollicitations en faveur d'autres fonctions de la société sont importantes, je crois au contraire que la situation actuelle justifie quelque satisfaction. Nous discutons actuellement une loi de programmation 2003-2008 dans un contexte de réalisation de la programmation en cours qui est le meilleur qu'on ait connu depuis une génération.
Tout confirme que fin 2002, la programmation aura été réalisée à plus de 90 % pour les investissements et à 100 % pour la professionnalisation des armées. Les interrogations ou les revendications qui subsistent, malgré cette réalité, sont légitimes, elles font avancer la qualité de notre gestion humaine.
Quand pensez vous être en mesure de présenter la nouvelle loi de programmation militaire en conseil des ministres ?
Quand le gouvernement aura arrêté les principaux choix que je lui soumets, et que le Président de la république aura fixé ses orientations par rapport aux objectifs de la loi de programmation. Si ces décisions convergent, il nous faudra un peu moins de deux mois pour faire adopter un projet de loi en la forme en conseil des ministres.
Quel est l'intérêt de présenter aujourd'hui un texte qui devra être approuvé par la future Assemblée nationale ?
Les dirigeants aujourd'hui en charge, le Président et le chef du gouvernement, auraient ainsi indiqué publiquement leurs choix. Cela aurait des conséquences marquantes dans la vie politique. Et cela éclairerait l'horizon des militaires et des industriels.
Donnerez-vous satisfaction à ceux des industriels qui réclament une remise à niveau des crédits d'études ?
L'effort de recherche du ministère de la Défense est structuré en deux parties : des crédits de recherche, à hauteur de trois milliards de francs par an et, d'autre part, des financements d'organismes publics de recherche, à hauteur de 4,7 milliards de francs. Le total est donc de 7,7 milliards. Comme la prochaine loi de programmation est marquée par d'importantes mises en production (avions de combat, hélicoptères, engins blindés, plates-formes navales, outils de télécommunications et de renseignement...), il faut se redonner les moyens de préparer l'avenir à plus long terme.
Mon ministère exprimera le souhait d'une remontée du volume des contrats de recherche, avec des priorités pour la maîtrise de l'information opérationnelle, l'interopérabilité, le développement de la simulation et des progrès dans la sauvegarde des forces.
Pourrait-il y avoir un jour convergence des budgets de défense européens ?
Quand les 15 débattent des étapes de la réalisation de la force de réaction rapide avec ses outils, cela contribue à harmoniser les politiques d'équipement et à poser clairement la question de la contribution des uns et des autres. Nous ne sommes pas encore parvenus à formaliser des indicateurs de cohérence, mais, depuis deux ans, la situation progresse. La concertation entrera bientôt dans une phase plus concrète.
Que pensez-vous du projet de bouclier anti-missiles américain ?
Notre pays souhaite mieux connaître les lignes directrices concrètes du projet des Etats-Unis qui est un outil défensif complémentaire des capacités actuelles. Nous souhaitons que le débat sur les avantages et les risques associés à ce projet soient pleinement partagé entre tous les alliés. L'intention affichée par les représentants de l'administration américaine est bien qu'il en soit ainsi. Ce n'est qu'au cours des prochains mois que l'on pourra prendre position sur un dispositif concret, dont la fiabilité, le coût et les répercussions stratégiques auront été évalués.
Ce dispositif ne remet-il pas notamment en cause le concept de dissuasion nucléaire ?
Le président Bush et ses représentants ont confirmé que tel n'était pas le cas.
Autoriserez-vous les industriels français à y participer ?
Il est légitime qu'ils se déclarent disponibles, techniquement et commercialement. Comme nous souhaitons que les Etats-Unis fassent preuve d'une plus grande ouverture de leurs marchés, cela sera une des composantes de notre réflexion.
Les neuf Etats qui avaient manifesté leur intérêt pour le projet d'avion de transport militaire A400M seront-ils en mesure de le formaliser au prochain salon du Bourget ?
J'ai recueilli la volonté politique de l'ensemble des acteurs pour parvenir à cette occasion au contrat. Rendez-vous, donc, dans quelques semaines.
Propos recueillis par Jean-Pierre NEU
(source http://www.defense.gouv.fr, le 22 mai 2001)