Tribune de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, dans "Le Figaro" du 8 février 2011, sur l'identité européenne, intitulée "Assumons l'Europe des clochers !".

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Il y a quelques semaines, un agenda aux couleurs de l'Union européenne, distribué dans 21 000 écoles, un peu partout en Europe, a suscité un véritable tollé. Pourquoi ? Toutes les fêtes religieuses sont indiquées, à une exception notable : les fêtes chrétiennes. Au-delà de la polémique, cet agenda manqué est la partie émergée d'un mal plus profond : celui d'une Europe qui n'assume pas son identité et préfère la diluer dans un universalisme bon teint. C'est le même mal qui est à l'oeuvre quand l'Europe fait preuve de fausse pudeur au moment de défendre les chrétiens d'Orient ou qu'elle refuse d'afficher ses valeurs ou ses héros sur les billets d'euros, au profit de ponts imaginaires.
Ayons le courage de l'admettre : cette omerta sur les valeurs européennes a pesé lourd dans l'échec de la Constitution en 2005. Ne pas reconnaître les racines chrétiennes a choqué bien au-delà des cercles catholiques. C'était une profonde erreur. D'abord parce qu'une identité refoulée est une identité qui se venge, qui ouvre la porte aux extrémismes. Ensuite parce qu'à force de craindre de heurter telle ou telle susceptibilité, on risque de vider l'Europe de sa substance et de perdre de vue son projet collectif originel.
Faut-il le rappeler : l'aventure européenne n'a pas démarré au lendemain de la Seconde guerre mondiale avec la création des institutions. S'il n'existe pas de civilisation proprement nationale, la civilisation européenne est une réalité incarnée. L'Europe d'aujourd'hui est l'héritière de siècles d'échanges entre les peuples du «vieux continent». Elle trouve sa source dans l'hellénisme, la romanité et surtout le christianisme, trois piliers mis en valeur par Paul Valéry dès 1925. Elle a été façonnée peu à peu par des mouvements culturels et artistiques (de la construction des cathédrales à l'humanisme de la Renaissance, des Lumières au Romantisme), par des lieux où a soufflé l'esprit européen (telles les grandes universités médiévales, de Cracovie à Coimbra), par de grands voyageurs, comme Erasme, Rubens ou Goethe, qui ont sillonné l'Europe, tissé des liens avec les peuples voisins et contribué à la circulation des idées : les observations menées à Frauenburg par le Polonais Copernic ont ainsi été expérimentées à Copenhague par Tycho Brahe, défendues à Rome par Galilée, avant d'être validées par les savants anglais. De même, Aristote, Saint Benoît, Leonard de Vinci, Shakespeare, Cervantès, Hugo, Kant ou Chopin, pour ne citer qu'eux, sont des génies européens au sens fort du terme : leur créativité s'est nourrie des échanges européens et les a enrichis en retour de manière profonde et durable, par-delà les frontières nationales.
Ces «points de cristallisation de notre héritage collectif», pour reprendre une formule de Pierre Nora, sont le ciment des valeurs humanistes qui ont forgé l'Europe : la démocratie, le respect des droits de l'Homme, l'équilibre social et économique, l'égalité entre hommes et femmes, la liberté de la presse. Le premier moteur du projet européen, ce n'est pas de rechercher un surcroît de puissance, mais de promouvoir, dans un monde traversé par les déséquilibres, le message d'équilibre qui a constitué l'Europe depuis l'origine.
Reconstituer le «roman» européen, redonner vie aux racines qui innervent notre identité n'est pas une tâche réservée à l'historien. Elle engage aussi le politique : à lui notamment la responsabilité de donner une définition volontariste de l'identité européenne.
En premier lieu parce que redonner une perspective historique et philosophique aux institutions et aux décisions économiques, c'est montrer que le projet européen est une entreprise collective ancrée dans une histoire et dans des valeurs partagées. C'est développer un sentiment d'appartenance à une communauté de destin.
Ensuite parce que prendre conscience de notre patrimoine commun, c'est nous tourner résolument vers l'avenir et vers l'action. Mener un travail de ressourcement sur ce qui fédère notre identité européenne, racines chrétiennes comprises, n'a rien d'une démarche passéiste ou immobiliste.
Par quels outils revivier le projet collectif à l'origine de la construction européenne ?
D'abord en réactivant la mémoire européenne. Cela signifie commémorer les événements et les lieux qui ont marqué notre histoire collective et forgé notre identité : pourquoi par exemple, ne pas hisser côte à côte le drapeau français et le drapeau européen lors des célébrations nationales du 8 mai ? La paix n'a-t-elle pas été le principal moteur de la construction européenne ?
Ensuite, en mobilisant l'histoire. Sur le modèle du manuel d'histoire franco-allemand, pourquoi ne pas créer un manuel d'histoire européenne qui donnerait aux jeunes générations une vision d'ensemble de notre «unité dans la diversité» ?
Enfin, en incarnant l'Europe, en la faisant vivre au quotidien. Cela veut dire renforcer les jumelages entre les villes, les échanges scolaires et universitaires, la mobilité professionnelle. Cela signifie aussi montrer concrètement en quoi l'Europe est utile aux citoyens, par exemple en apposant une plaque sur les bâtiments et les projets financés par les fonds européens. En outre refonder le ciment civique européen implique de mobiliser des acteurs de terrain. Tout au long de l'année, à l'occasion de mes déplacements, j'organiserai une série de forums pour débattre des valeurs qui fondent l'identité européenne.
«La nation est une âme, un principe spirituel», écrivait Renan à propos de la France. Plutôt qu'un débat sur l'identité française, le moment est venu d'ouvrir un débat sur l'identité européenne. C'est à cette condition que nous pourrons ranimer la fierté d'être européen et donner aux jeunes le désir de poursuivre l'aventure européenne et d'inscrire dans l'avenir les valeurs qu'elle incarne. C'est pourquoi il est grand temps d'assumer aussi l'Europe des clochers.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2011